CRAONNE

148ème semaine

Du lundi 27 mai au dimanche 2 juin 1917

DEUX FRÈRES D’ARMES

François-Albert Teissonnière, Pierre-Auguste Simon,
Soldats au 64ème Bataillon de Chasseurs à Pied
Disparus le 3 juin 1917 à Craonne (Aisne)


François-Albert Teissonnière est né à Alès le 12 juin 1885, d’Auguste-Cyprien et de Marie, née Esquiral. Au moment de son appel au titre de la classe 1905 il habite Anduze, où il exerce la profession de manœuvre maçon. Il fait son service militaire dans une section de « commis et ouvriers » d’octobre 1906 à septembre 1908. En 1909 il est condamné, après appel, à dix jours de prison pour coups et blessures volontaires. Dès le 2 août 1914 il est rappelé pour être incorporé au 9ème bataillon du 81ème régiment d’infanterie. Il rejoint en mai 1916 le 64ème Bataillon de Chasseurs à Pied. Il y retrouvera quatre mois plus tard l’Anduzien Simon, de 9 ans son cadet.

Pierre-Auguste Simon est né le 10 décembre 1894 à Anduze, d’Auguste-Pierre et d’Anna-Louise née Bertrand. Il est employé de Compagnie. En 1914, bien qu’il ait déjà 20 ans, il est ajourné un an pour cause de « faiblesse ». Mais l’armée se montre ensuite moins regardante et l’incorpore en septembre 1915 au 24ème Bataillon de Chasseurs à Pied après qu’il ait suivi les cours du peloton des élèves aspirants, sans résultats. Il récidive en 1916, sans résultats non plus, il reste simple soldat. Il est affecté en renfort au 64ème Bataillon de Chasseurs à Pied le 15 septembre 1916, n’y reste qu’un mois avant d’être évacué le 16 octobre parce qu’il a été blessé dans les combats de la Somme. Une fois guéri il rejoint son corps.

Au printemps 1917 il y a plusieurs Anduziens dans ce 64ème Bataillon de Chasseurs à Pied, dont les deux qui nous intéressent aujourd’hui. Neuf ans les séparent, l’un est fort de tempérament et l’autre fragile de santé, mais est-ce que cela compte pour deux « pays » toujours contents de se retrouver dans un même régiment ? En tous cas cela ne comptera pas le jour commun de leur disparition, au même moment et dans les mêmes circonstances.

Au printemps 1917 ce bataillon se trouve dans le secteur de Craonne. C’est un village de l’Aisne où le 31 août 1914, la 5e armée française avait installé son quartier général, au petit château. Mais après la première bataille de l'Aisne, à l’automne 1914, le village, situé sur la ligne de front, avait été occupé par les Allemands et sa population déplacée.

Avec l'offensive Nivelle du 16 avril 1917, le village est entièrement rasé par les bombardements massifs : cinq millions d'obus tombent sur le Chemin des Dames entre le 6 et 16 avril 1917. Les combats y sont terribles lors de cette offensive : la 1re division d'infanterie qui monte à l'assaut se trouve bloquée au niveau des caves de Craonne. Puis le 4 mai, une seconde offensive est lancée par la 36e division d'infanterie qui aboutit à la reprise de Craonne et à la progression sur le plateau de Californie. Mais l’offensive a été un désastre et l’armée française a perdu plus de 130 000 hommes en dix jours.


Mais les combats continuent autour du village de Craonne et sur le plateau de Californie, le 64ème Bataillon de Chasseurs à Pied y prend part. Voici ce qu’en dit l’Historique du 64 BCA :
« Le 2 juin une violente préparation d'artillerie lourde s'abat sur nos tranchées et le village de Craonne : ce tir de destruction cesse à 23 heures. La compagnie de réserve (7e compagnie) envoie à chacune des compagnies en ligne une section de renfort. La nuit est d'un calme impressionnant.
Brusquement, à 3 heures du matin le 3 juin, un feu roulant d'une violence insoupçonnée s'abat sur nos positions. Ce feu formidable comble les tranchées, détruit les armes, les grenades, cause des pertes sensibles aux compagnies en ligne. L'attaque d'infanterie allemande se déclenche massivement. Elle trouve un trou entre le 64° et le 24° bataillons, s'y infiltre, tourne la droite du 64° et la gauche du 24° : la brèche s'élargit. Les Allemands arrivent à la crête du plateau. La demi-compagnie de réserve, les pionniers, 4 mitrailleuses, en tout une cinquantaine d'hommes, font face à l'ennemi qui avance en rangs serrés. Les chasseurs s'accrochent au terrain, fusils, grenades à main rentrent en jeu. L'ennemi décimé par nos feux hésite et se terre dans les trous d'obus. Craonne est sauvée, mais les Allemands sont maîtres du plateau.



A 14 heures, la contre-attaque française se produit, menée par le groupe franc du 9e groupe, les grenadiers du 64° B.C.A. et deux compagnies du 28° BCA. Nos 75, qui ont préparé la riposte, ont causé de grandes pertes aux Boches entassés. L'ennemi devant l'élan de la contre-attaque perd contenance et s'enfuit en désordre. Toutes les positions du plateau de Californie sont reconquises : le bataillon réduit à 100 fusils est relevé dans la soirée.


Otto Dix - Der Krieg
La bataille de Craonne demeure comme un des plus rudes épisodes de cette guerre. Elle montre ce que peuvent obtenir les moyens matériels, mais surtout, elle est la preuve vivante qu'une poignée de braves, résolus à se défendre coûte que coûte, peuvent sauver une situation critique : sans les 50 chasseurs qui, derrière quelques chefs énergiques, se sont accrochés à la contre-pente, le plateau de Californie était perdu pour nous ».

C’est ce jour-là que disparaissent ensemble François-Albert Teissonnière et Pierre-Auguste Simon. Tous deux sont indiqués comme tués à l’ennemi, mais en fait ils ont disparu et leur mort ne sera actée par le tribunal d’Alès qu’en 1921. Leur corps n’a pas été retrouvé ni identifié, car ils ne figurent dans aucun des nécropoles du secteur. Leur nom figure sur le monument aux morts de la commune, dernier et définitif compagnonnage pour ces deux jeunes gens.























Le nom de Craonne reste par ailleurs indéfectiblement attaché à deux événements, une révolte massive et une chanson.

La révolte concerne les soldats qui se sont mutinés (dans une cinquantaine de régiments de l'armée française) après l'offensive très meurtrière et militairement désastreuse du général Nivelle au Chemin des Dames. Au cours des combats, les soldats français, partant de la vallée de l'Aisne, devaient « monter sur le plateau » tenu par l'armée allemande. La « grève des attaques » commence le 2 mai. La répression touche quelque 30 000 mutins ou manifestants, d’où 3 427 condamnations, dont 554 à mort et 57 exécutions. Le général Nivelle est limogé le 15 mai. Le général Pétain, nommé le 17 mai 1917 au poste de général en chef des armées françaises parvient à rétablir la discipline au sein des régiments touchés par les mutineries, en alliant condamnations exemplaires et mesures d'amélioration des conditions de vie des soldats.

Quant à la chanson, anonyme, elle a sûrement plusieurs auteurs. Elle est apprise par cœur et se diffuse oralement de manière clandestine. Selon une légende, qu'aucune source n'atteste, le commandement militaire aurait promis un million de francs or et la démobilisation à quiconque dénoncerait l'auteur. La chanson a continuellement évolué au cours de la guerre en fonction des lieux principaux de combat. Elle apparaît sous le nom de La Chanson de Lorette, avec pour sous-titre « complainte de la passivité triste des combattants » évoquant la bataille de Notre-Dame de Lorette à Ablain-Saint-Nazaire, entre septembre 1914 et septembre 1915. Ensuite, la chanson est transformée pour évoquer le plateau de Champagne au cours de l'automne 1915. En 1916, elle devient une chanson sur Verdun, le refrain devient :
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu à toutes les femmes
C'est bien fini, c'est pour toujours
De cette guerre infâme
C'est à Verdun, au fort de Vaux
Qu'on a risqué sa peau [...]

La première version publiée est parue sous le titre « Une chanson de soldat » dans la Gazette des Ardennes du 24 juin 1917. Sous sa forme actuelle — c'est-à-dire mentionnant Craonne — la première version connue est antérieure à l'offensive du 16 avril 1917 : retrouvée dans le carnet du soldat François Court, elle y est suivie de la mention « chanson créée le 10 avril 1917 sur le plateau de Craonne ».

Toujours est-il que cette chanson symbolise désormais la souffrance et la révolte des soldats de 1917. Mais elle est loin d’être acceptée par tous : elle a encore été interdite de présence en 1916 lors de la cérémonie de commémoration des 100 ans de la bataille de la Somme… On peut en trouver sur internet plusieurs interprétations : par exemple chantée par Marc Ogeret, ou par deux artistes de Prolétariat Mondial, les deux sur fond d’images d’archives

Compte tenu de son comportement exemplaire , et peut-être aussi pour lui faire passer le goût de la révolte, le 64ème Bataillon de Chasseurs à Pied est invité à participer au défilé du quatorze juillet 1917 à Paris : « La foule enthousiaste applaudit les chasseurs, les comble de cadeaux, de souvenirs et d’affection. Jamais ceux qui ont été l’objet de cette ovation ne pourront l’oublier ».

A suivre…

Image d’Épinal de 14-18, destinée aux petits garçons, futurs soldats...