86ème semaine
Du lundi 20 au dimanche 26 mars
1916
LOIN DE VERDUN
Louis Cazenove, 112ème régiment d’Infanterie,
mort le 26 mars 1916 à Mesnil-les-Hurlus
(Marne)
Né le 26 novembre 1884 à Anduze, Louis Cazenove est enregistré comme employé de commerce lorsqu’il est
appelé avec sa classe en 1904. Il bénéficie d’abord d’un sursis « pour
affaires personnelles » puis est incorporé à Nîmes au 40ème régiment d’Infanterie,
comme la plupart des Gardois, à partir de septembre 1905. Il est nommé caporal
le 5 avril 1907 puis libéré le 28 septembre, après deux ans de service (la loi
sur les trois ans n’a pas encore été votée). Versé dans la réserve, il est
rappelé le 2 août 1914, il a 30 ans. Il reste dix-huit mois au 40ème RI, avec
lequel il fait toutes les campagnes du début de la guerre (voir les premiers
mois de ce blog). Lors de la bataille de Lorraine fin août 1914, il est signalé
comme décédé à Saint-Maurice-Warcq, mais c’est une erreur « par suite
d’une similitude de nom ». On ignore si sa famille a été prévenue à ce
moment-là, les services des armées ayant été totalement débordés par l’ampleur
des pertes pendant l’été 1914 : plus de 130 000 morts estimés (tués à
l'ennemi, décès par blessure, décès par maladie, décès accidentel et disparus)
entre le 2 août et le 15 septembre.
Louis Cazenove passe au
112ème régiment d’Infanterie le 13 juillet 1915. A partir de décembre ce
régiment est affecté à la défense des tranchées dans le secteur de Mesnil-les-Hurlus en Champagne. Ce n’est qu’un secteur secondaire, tous les yeux
se portant alors sur Verdun, espoir de percée pour les Allemands, opiniâtre
résistance de la part des Français. Mais c’est la dure vie des tranchées en
hiver, avec des explosions de mines, des attaques, de longs moments de
souffrances et d’ennui.
Le JMO de ce régiment ne figure pas, pour la période considérée,
dans les archives. Mais un historique du régiment permet de reconstituer ce que
furent les mois de février et mars 1916 dans ce secteur, toujours âprement
disputé.
Le front est stabilisé. Chacun des ennemis s’efforce d'améliorer ses
positions alors que des attaques locales et limitées sont exécutées pour
essayer de récupérer certains points stratégiques et fixer les réserves :
émission de gaz, utilisation de lance-flammes, tirs d'artillerie, coups de
mains...
Le général Henri Gouraud |
Lettre du 7/1/16, du général Gouraud à sa mère: " ... J'ai changé mon quartier général pour le
mettre en un point plus central. Puisque cette lettre ne prendra pas la poste,
je vous dirai que nous sommes à Sainte Memmie, faubourg Est de Chalons. Je n'ai
pas voulu m'installer confortablement dans la ville même, tandis que les
pauvres troupiers sont dans la boue... ". Le 9 janvier, au début de
l'après-midi, les Allemands, avec l'aide de 80 batteries, exécutent contre les
tranchées de Saint-Hilaire-le-Grand à Ville-sur- Tourbe un violent bombardement
par obus lacrymogènes et obus de gros calibre, puis lancent sur la partie du
front comprise entre la Courtine et le Mont Têtu, de fortes attaques
d'infanterie avec des hommes appartenant à 2 ou 3 divisions. Des lance-flammes
précèdent les attaquants Le but de l'ennemi semble être de rejeter les Français
de la crête Butte du Mesnil, Maisons de Champagne, cote 199, ou tout du moins
d'y conquérir des observatoires, mais il ne parvient qu'à prendre pied en deux
points, au N. E. de la Butte du Mesnil et au S. O. de la Ferme Chausson. Les
contre-attaques déclenchées le 10 et le 11 par le 15e C.A. dans le secteur de
la Butte du Mesnil et par le 4e CA. dans le secteur du Mont Têtu, reprennent une
partie du terrain perdu. Les pertes allemandes semblent importantes, les nôtres
s'élèvent à plus de 2000 hommes. (Lettre du 10/1/16, du général Gouraud à sa
mère: " ... Je vais voir chaque jour
un des généraux à son poste, pour le connaître et me mettre au courant de la
situation de sa troupe. Je refais donc ainsi beaucoup de routes, je revois le
pays d'autrefois, du temps du Corps Colonial. C'est toujours le même pays,
boueux, revêche, il y a tant de fils de fer et de tranchées sur la terre et de
coups de canon dans le ciel... ".
Au début de février,
des renseignements de source sérieuse et des travaux présentant un caractère
nettement offensif, exécutés par les Allemands, font craindre à notre Haut
Commandement une offensive d'ensemble contre la IVème Armée. En effet, les
observateurs remarquent une animation anormale les 4, 5 et 6 février, sur les
voies ferrées Bazancourt, Rethel, Amagne, Vouziers, Challerange. Le général De
Langle envoie à la IVème Armée le 82e régiment d'artillerie lourde et deux
groupes d'artillerie de campagne. Des éléments prélevés aux 40e, 42e et 48e DI
viennent donner un coup de main à l'achèvement des travaux défensifs de la 2ème
position. Mais l'ennemi n'effectue que trois actions locales, violentes,
courtes et sans ampleur. Elles ont pour tout objectif la conquête de saillants et
d'observatoires, tout en cherchant peut-être aussi à détourner notre attention
de Verdun. De notre côté, nous parvenons à infliger deux légers échecs à
l'ennemi.
Lettre du 6 février /16, du général Gouraud à sa mère: "... Nous avons fait hier un joli coup à l'ennemi.
L'artillerie lui a cassé des récipients à gaz qu'il était probablement en train
de préparer, et le vent favorable a poussé sur l'intérieur des tranchées
ennemies de lourds nuages de chlore. Nous lui avons aussi démoli un convoi de
camions-autos... J'ai remis des croix et des médailles toute cette semaine, la
plus émouvante à un petit sous-lieutenant de 21 ans, parti soldat pour la
guerre: trois citations. Je l'ai fait dîner à côté de moi... ".
Le 13 février, après explosion de mines, la 185e brigade allemande
attaque deux autres petits saillants de nos positions appelés "le
Champignon" et "La Pomme de Terre", situés entre la Ferme de
Navarin et Tahure, et tenus par la 151e DI (293e RI) et 21e DI (11e C.A.). Les
Allemands réussissent à s'en emparer et à les conserver malgré nos
contre-attaques. Nous perdons 2 000 hommes dans ces attaques.
Le 21 février, au moment de l'offensive allemande sur Verdun,
l'ennemi conserve toujours ses gains au "Bonnet d'évêque" au
"Champignon" et à "La Pomme de Terre". Les contre-attaques
de nuit qui ont immédiatement suivi la prise du "Bonnet d'évêque"
n'ont pas permis à la 56e DI (6e CA.) de reprendre le terrain perdu. Une
opération de jour, méthodiquement préparée, est aussitôt projetée : on aménage
une tranchée de départ et des places d'armes, on met en place des batteries à
longue portée, de l'artillerie de campagne et de tranchées. L'artillerie entre
en action le 24 février. L'attaque est exécutée le 25 février. Elle réoccupe
d'un seul bond l'ancienne ligne de résistance et la ligne avancée, faisant un
total de 345 prisonniers.
Le 27 février, les Allemands attaquent plus à l'Est le saillant de
Navarin. Après un bombardement de 3 jours, ils enlèvent la ligne avancée sur 1
600 m, progressent rapidement dans les boyaux et prennent pied dans plusieurs
points d'appui de la 2e ligne. Ils en gardent trois malgré nos contre-attaques.
Plus d'un millier d'hommes ont disparu des 19e et 26e bataillons de chasseurs
(127e DI).
Le 6 mars, la 42e DI (8e, 16e BCP; 94e, 151e, 162e R.I.) part à
Verdun. Le 6 mars, nouvelle action ennemie sur le quadrilatère entre le Mont
Têtu et Maisons de Champagne. Les Allemands, avec lance-flammes, causent
d'importantes pertes au 317e RI (8e DI), mais n'aboutissent qu'à la prise de
quelques mètres de tranchées après un combat de trois jours.
Le 8 mars, la 40e DI part à Verdun. Comme l'ennemi enserre dans
une tenaille de travaux d'approche le "Chapeau de Gendarme" à 2,5 km
Sud -Est de Sainte-Marie à Py, ainsi que le saillant A1 bis à 3 km Sud de
Saint-Souplet, enveloppant donc à très courte distance, comme à Navarin, notre
ligne de résistance, le général Gouraud décide de faire sauter l'une des
branches en chacun des points menacés et d'enlever "le Bec de Canard"
et le bois 372. Une action simultanée des deux bataillons de chasseurs des 294e
RI (56e DI) et 67e RI (12e DI) est engagée le 15 mars. Elle est précédée d'une
préparation d'artillerie de cinq heures. Hélas, cette attaque locale est un
échec et le général Gouraud décide alors qu'il n'y a pas lieu de continuer des
attaques dirigées sur des points où l'ennemi a manifesté lui-même des
intentions offensives et où il est particulièrement fort. Il décide que les
troupes doivent améliorer leurs abris destinés à les soustraire aux tirs
d'artillerie ennemie, renforcer les lignes de défense et développer les grands
principes de la résistance à outrance, car il n'est plus envisageable de voir
l'ennemi récupérer peu à peu le terrain conquis en septembre 1915. Le Front de
Champagne doit devenir impénétrable avec ses quatre lignes de défense : deux
positions défensives, position intermédiaire et enfin position arrière.
Le 16 mars, une attaque des Allemands sur Maisons de Champagne et
le Mont Têtu élargit l'occupation de ce dernier sommet et leur permet des vues
dominantes sur nos travaux du plateau et du versant méridional de la Main de
Massiges. Le Mont Têtu est bientôt protégé par une "mer de fils de
fer".
Le 24 mars, l'aviation ennemie bombarde la région de Chalons, où
se trouve le quartier général de la IVème Armée.
C’est le 26 mars qu’est tué Louis Cazenove, à l’âge de 32 ans, dans le secteur dit de la Courtine,
près du village de Mesnil-les Hurlus. Non loin de la fameuse « main de
Massiges », ce secteur qui aura fait pendant toute la guerre l’objet
d’innombrables combats et vu mourir plusieurs Anduziens.
Le 28 mars, la 22e DI part à Verdun. Peu à peu l'activité sur le
Front de Champagne va se limiter à quelques tirs d'artillerie et quelques coups
de main. Les troupes fraîches allant à Verdun et revenant pour se reconstituer
et se reposer, la Champagne allait connaître une période de repos.
A suivre…