Du
lundi 10 au dimanche 16 décembre 1917
MORT
EN PERMISSION
Numa-François
ROUVIÈRE,
Sergent
au 5ème bataillon territorial de chasseurs à pied
Disparu
le 12 décembre 1917 à Saint-Michel de Maurienne (Savoie)
Numa-François Rouvière est
né le 27 janvier 1874 à Anduze, de François et d’Anaïs née Cabanis. Quand il a
20 ans il est mercier. Il est alors incorporé au 7ème bataillon de
Chasseurs à pied, il y fait presque 3 ans de service. Quand il a 34 ans il est
versé dans la réserve, au 5ème bataillon territorial de chasseurs à
pied basé à Remiremont (Vosges). A la mobilisation d’août 1914 il retrouve ce
corps, il a 40 ans.
On oublie trop souvent que les «
pépères » de l'infanterie territoriale ont joué un grand rôle durant le conflit
1914-1918. Beaucoup n'en sont pas revenus. On affectait dans un régiment
territorial les hommes encore capables de manier les armes, mais considérés
comme trop âgés (après 30 ans) et plus assez entraînés pour intégrer un
régiment de première ligne d'active ou de réserve. Il y avait encore, après la
territoriale, une réserve de la territoriale.
> Armée active : nés en 1891 et
1892 (22-24 ans à la mobilisation d'août 1914)
> Réserve de l'armée active ;
nés entre 1890 et 1881 (entre 24 et 34 ans à la mobilisation d'août 1914)
> Armée territoriale ; nés
entre 1880 et 1875 (entre 35 et 40 ans à la mobilisation d'août 1914)
> Réserve de l'armée territoriale
(RAT) : hommes nés entre 1874 et 1869 (entre 40 et 45 ans à la mobilisation
d'août 1914)
En principe les R.I.T ne devaient
pas coopérer aux opérations en rase campagne : le plan de mobilisation ne le
prévoyait pas, à telles enseignes que ces régiments n'étaient pas outillés pour
prêter leur appui aux régiments actifs. Par définition leur seul emploi devait
se borner à la police des lignes frontières, à l'occupation et à la défense des
forts, de places fortes, de ponts : ce qu'ils firent, pour la plupart dès août
1914.
Si le pays ne voulait pas
considérer la guerre comme possible, le Grand État-major, mieux averti, ne
semblait pas cependant avoir envisagé la perspective d'un emploi très actif des
formations englobant les vieilles classes.
La tournure qu'ont pris les
événements à la suite de nos désavantages du début, a rapidement tranché la
question et les R.I.T. se trouvèrent par suite des circonstances, engagés
d'emblée dans la bataille ou avec une participation indirecte dans les combats
: gardes de tous genres, escortes de prisonniers ou de matériel, installation
de terrains d'aviation, entretien de routes et voies ferrées, creusement et
réfection de tranchées et boyaux, ravitaillement en premières lignes en vivres
et munitions, ramassage, identification et ensevelissement des cadavres des
champs de bataille, mitraillages des lignes allemandes par tirs indirects,
construction et garde de camps de prisonniers, présences aux tranchées de
premières lignes dans des secteurs dits « calmes », service aux gares des
permissionnaires, service aux chemins de fer.
Les "plus jeunes" des
territoriaux furent intégrés dans des régiments d'infanterie pour compenser
rapidement les pertes ; cela pour certains dès fin août 1914.
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L'équipement hétéroclite des territoriaux, dits "les pépères" |
Le 5ème régiment d'infanterie
territoriale est d’abord affecté à la défense des places de Calais Maubeuge Dunkerque.
En 1914: Le 25 août, il entre dans
la formation du bataillon de marche du 7ème territorial, et marche à l'ennemi.
Sin-le-Noble (oct), fort de Scarpe, Courcelles-lès-Lens, Dourges, Hénin-Liétard,
Beaumont (lourdes pertes). Les 2e et 3e compagnies entrent dans la composition
du 2e bataillon de marche du 5e RIT : Calais, Lille, Fromelles (11/10),
Laventie, Béthune. La plupart des soldats de ces deux compagnies furent faits prisonniers
suite à la reddition de Lille.
En 1915: Défense de Calais
(avril-nov..), travaux à Cormette, Leulinghem (août), Angres
En 1916: Belgique (déc. - avril) :
Nieuport, Saint-Georges puis travaux de défense divers dans le secteur de
Verdun (mai-juin) : Douaumont, Vaux, Souville, Tavannes, boyaux de la
Caillette, ravin de la Mort, ravin Bazil, bois Furnin. Puis Alsace : (juin-juin
1917) : Belfort, combat de Hirtzbach.
En 1917: Secteur de Reims
(juil-déc.) : La Neuvillette, fort Saint-Thierry et travaux à l'entretien des
chemins et boyaux du secteur.
Numa-François Rouvière a sans
doute participé à la plupart de ces combats. Il est passé sergent. En décembre
1917, il est probablement affecté à l’armée française en Italie, car il y bénéficie
d’une permission.
À la suite de la défaite de
l'armée italienne lors de la bataille de Caporetto du 24 octobre 1917, un corps
expéditionnaire franco-britannique de 120 000 hommes a été envoyé dans le
nord-est de l'Italie pour renforcer le front italien. Un mois plus tard et une
fois la situation stabilisée, le général Fayolle commandant des troupes
françaises en Italie, accorde des permissions à ses soldats qui avaient déjà
combattu auparavant sur le front de l'est de la France. Le transport des
permissionnaires est organisé par la Direction des transports militaires aux
armées (DTMA) laquelle utilise les services et les matériels des compagnies de
chemins de fer françaises et italiennes.
À la fin du mois de novembre 1917,
la DTMA établit un plan de transport ferroviaire pour acheminer les soldats
permissionnaires depuis Vicence en Italie jusqu'à Lyon et Chagny en France. Le
plan prévoit la mise en place d'un train journalier pour transporter 600
soldats vers la France durant une période initiale de six jours. Le premier de
ces trains quitte l'Italie le 30 novembre à 18 h, arrive à Modane le lendemain
à 16 h et poursuit son trajet en France. Ce dispositif est renouvelé pour une
nouvelle période de six jours, le nombre de soldats transportés est même doublé
pour les trains quittant l'Italie les 11 et 12 décembre. En outre, la gare de
départ est maintenant celle de Bassano del Grappa située au nord-est de celle
de Vicence.
Le train qui quitte la ville
italienne de Bassano del Grappa le 11 décembre 1917 emporte 1 200
permissionnaires français et comporte dix-sept voitures. Il arrive au milieu de
l'après midi du 12 décembre 1917 à Turin et prend la direction du tunnel du
Mont-Cenis via la vallée de Suse. Compte tenu de son tonnage (530 tonnes) dû à
sa longueur et à sa composition, le train est divisé en deux au départ de la
gare de Bardonèche car il ne pouvait pas gravir les pentes qui mènent au
tunnel. Les deux rames ainsi constituées gagnent séparément la gare de Modane
dans la nuit où elles sont ré-assemblées pour constituer le train PLM ML 38747.
La manœuvre de reconstitution du train est cependant retardée par le passage et
l'arrêt de deux trains de voyageurs dont le train express no 12604 à
destination de Paris. La plupart des officiers permissionnaires profiteront de
la présence de ce train civil pour quitter le train militaire et continuer leur
parcours séparément des autres soldats.
Le train ML 3874 reconstitué
comporte : la locomotive 2592 et son tender, un fourgon de tête, dix-sept
voitures et un fourgon de queue. Quinze voitures sont à bogies, les deux autres
voitures ainsi que les deux fourgons sont à essieux. Toutes les voitures sont
en bois, de fabrication italienne, et appartiennent à la compagnie Ferrovie
dello Stato (FS). Le fourgon de tête appartient aussi à la FS tandis que celui
de queue appartient à la Compagnie des chemins de fer du Nord. La longueur du
train est de 350 mètres pour un poids à vide de 526 tonnes.
Toutes les voitures disposent du
système de freinage automatique continu et d'un système manuel. Cependant, au
départ du train, le système de freinage automatique ne restera activé que sur
le fourgon de tête et les trois premières voitures, il est désactivé sur les
autres voitures. Sept garde-freins sont alors répartis sur ces véhicules pour
assurer un freinage manuel. Ce mode de freinage disparate est celui qui est
généralement utilisé à l'époque par la compagnie PLM pour les trains de
marchandise auxquels les trains militaires étaient assimilés.
Entre les gares de Modane et de
Saint-Michel-de-Maurienne, le dénivelé moyen de la ligne est de 346 m sur une
distance de 15,59 km, soit 22 ‰. Le dénivelé est même de l'ordre de 30 ‰ à
certains endroits, notamment entre le tunnel de la Grande-Muraille et le tunnel
de la Brèche et entre le tunnel de Bronsonnière et le tunnel de la Doucière.
Le train quitte la gare de Modane
à 22 h 47. Le début de la descente s'effectue normalement mais à partir du
Freney, peu après Modane, le train prend une vitesse excessive qui ne cesse
d'augmenter. Il devient bientôt incontrôlable, lancé à la vitesse de 135 km/h,
mesurée par l'enregistreur de vitesse de la locomotive, puis 150 km/h entre
Orelle et Saint-Michel-de-Maurienne.
Le mécanicien actionne le sifflet
de la locomotive pour alerter les serre-freins, mais les actions de ces derniers
s'avèrent insuffisantes à une telle vitesse et dans une si forte pente. Le
train déraille alors peu avant son entrée dans la gare de Saint-Michel et les
voitures enchevêtrées s'écrasent contre un mur de soutènement d'une tranchée au
niveau du hameau de la Saussaz et prennent feu rapidement.
La première voiture déraille au PK
222 de la ligne, à une centaine de mètres environ à l'est du pont ferroviaire
qui enjambe la rivière l'Arc. Ce déraillement se propage à l'ensemble du
convoi, la plupart des voitures s'écrasent contre le mur de soutènement de la
tranchée de Saint-Anne, situé à droite de la voie après le pont ferroviaire
dans le sens de la marche, et contre la pile nord d'un pont routier menant au
hameau de Saint-Anne. L'attelage, entre le tender et le premier fourgon, se
rompt au niveau de ce pont à 1 300 mètres environ en amont de la gare de
Saint-Michel-de-Maurienne. La locomotive et le tender continuent leur trajet en
direction de Saint-Michel-de-Maurienne, alors que les véhicules en bois,
encastrés les uns dans les autres, prennent feu. L'incendie ne cesse que le
lendemain soir. Quatorze voitures sont entièrement détruites par le choc et
l'incendie. Seuls le fourgon de tête, la première voiture, le fourgon de queue
ainsi que les deux dernières voitures échappent à l'incendie et ne sont que
partiellement accidentés.
Le mécanicien Girard, trop occupé
sur ses freins défaillants, ne remarque pas immédiatement l'absence des
voitures. Libérée de l’attelage, la locomotive arrive à toute vitesse en gare
de Saint-Jean-de-Maurienne, où elle finit par dérailler également. Girard s'en
sort en sautant à l’entrée de la gare. Lui et des soldats écossais attendant
leur départ pour Modane (deux divisions britanniques avaient également été
envoyées sur le front italien en octobre), ainsi que les employés de chemin de
fer des deux gares partent immédiatement sur le lieu de l'accident pour tenter
de porter secours tandis que le tocsin sonne dans la vallée. Leur entreprise
est rendue difficile par le passage escarpé où se trouve le train accidenté, le
brasier des voitures, mais aussi la hauteur des débris superposés.
Au fur et à mesure que le jour
apparait, les blessés sont transférés à l'hôpital de Modane et à
Saint-Michel-de-Maurienne qui se transforme petit à petit en morgue improvisée.
Cinq jours sont nécessaires pour retrouver tous les corps et rendre de nouveau
praticable la ligne.
Le véritable nombre de victimes ne
pourra jamais être définitivement arrêté, le train arrivant d'Italie ayant
effectué de nombreux arrêts avant Modane, durant lesquels des militaires en
profitaient pour le quitter ou pour le rejoindre, empêchant de connaître le
nombre exact de passagers à son bord au moment de l’accident.
De l'amas de ferraille, plus de
424 corps furent retirés et officiellement identifiés ; 135 autres corps ne
purent l'être ; 37 corps furent également retrouvés le long du ballast et aux
abords de la voie, entre La Praz et le pont de fer, soldats ayant sauté du
train alors incontrôlable ou expulsés par les soubresauts. Ils furent inhumés
dans un terrain communal contigu au cimetière. Seuls 183 hommes présents dans
le train auraient répondu à l'appel le 13 décembre au matin.
L'on dénombre à la fin des
recherches 425 morts, 423 soldats et 2 cheminots. Le bilan provisoire est alors
de :
350 rescapés
207 blessés
148 morts identifiés
277 morts non-identifiés
Les corps retrouvés sont dans un
premier temps inhumés dans des fosses communes sous l’ossuaire. Ils seront
transférés en 1961 dans la nécropole nationale de la Doua à Villeurbanne.
Cet accident est resté classé
secret militaire pendant de nombreuses années après la fin de la guerre. À
l'époque, le gouvernement impose le silence à la presse française qui ne relate
pas ou peu l'accident. Le Figaro y consacre 21 lignes seulement dans son
édition du 17 décembre, quatre jours après la catastrophe, ainsi que le journal
« Vienne et la Guerre » dans lequel on peut lire : « 13/12/1917 : « Un
grave accident de chemin de fer se produit en Savoie. Un train de
permissionnaires, rentrant d'Italie en France a déraillé. On compte
malheureusement des morts et un assez grand nombre de blessés. 17/12/1917 : «
Les obsèques nationales des victimes de l'accident de chemin de fer qui s'est
produit en Savoie dans la nuit du 12 au 13, ont lieu à Saint-Jean de Maurienne.
Les Honneurs militaires ont été rendus par des détachements des troupes
françaises, britanniques et italiennes. Le gouvernement était représenté par
les ministres des travaux publics et de la justice. Ce dernier a prononcé un
discours ainsi que le général italien Rostagno. »
Un tribunal est réuni en conseil
de guerre pour juger six cheminots de la Compagnie des chemins de fer de Paris
à Lyon et à la Méditerranée (PLM), dont le mécanicien, mais tous sont
finalement acquittés. Le capitaine Fayolle, qui imposa le départ du convoi
malgré les avertissements du mécanicien, ne fut pour sa part pas inquiété.
En juin 1923, André Maginot,
ministre de la Guerre, inaugure un monument en hommage aux victimes au
cimetière de Saint-Michel-de-Maurienne. En 1961, les restes des victimes furent
transférés au cimetière militaire national de Lyon-La Doua. Le 12 décembre
1998, pour le 81e anniversaire de l'accident, une stèle fut inaugurée sur le
lieu-dit La Saussaz, non loin du lieu du drame.
Cet accident demeure la plus
grande catastrophe ferroviaire survenue en France.
Numa-François Rouvière fait partie des morts non
identifiés, car sa disparition ne sera actée que bien plus tard, par deux
jugements de 1918 et 1919. Son nom figure sur le monument aux morts d’Anduze,
ainsi que sur une plaque à Rochebelle (Alès) et sur le registre de la Nécropole
nationale de La Doua (Villeurbanne).
A suivre…
Source
de l’histoire de cet accident : Wikipédia