196ème
semaine
Du
lundi 29 avril au dimanche 5 mai 1918
Ce blog se poursuit sur un double plan temporel :
- avec une correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
- avec une chronologie reprise depuis le début 1914 pour les
Tornagais
COURAGE ET ABNÉGATION
Marcel
BRUNEL
Sapeur-mineur
au 4ème Régiment du Génie
Mort
le 27 août 1917 à l’hôpital de la Tronche (Isère)
Marcel BRUNEL est né le 28 mai
1888 à Mialet, d’Adolphe et de Rose née Rocheblave. Il est cultivateur. Lors de son
conseil de révision en 1908, il est exempté de service militaire pour « arrêt
de développement ». Il mesure en effet 1,51 m. La taille réglementaire
minimale est d’1,54 m depuis 1882. Dans le Génie c’est 1,66 m. Or nous
retrouvons ce jeune homme dans le 4ème régiment du Génie à partir du 11 janvier
1915. Deux raisons peuvent expliquer ce revirement des bureaux : d’abord
on a besoin de tout le monde après l’hémorragie d’hommes en 1914. Mais pourquoi
le Génie, en principe plus exigeant en matière de taille ? Peut-être parce
que de nouvelles formes de combat se sont développées : la guerre des
mines se pratique désormais sur une grande échelle, et les hommes de petite
taille sont mieux adaptés à creuser que les colosses…
Les régiments du Génie sont
subdivisés en bataillons puis en compagnies extrêmement mobiles, allant là où
on les appelle. Il est impossible de suivre le parcours de Marcel Brunel, car
nous ne connaissons pas sa compagnie.
Voici ce que dit de la vie du
sapeur l’historique du 4ème Régiment du Génie :
« Partout donc, sur cet
immense champ de bataille de l'Alsace à la mer du Nord, se creusent des
tranchées, se posent des fils de fer. Ce sont tout d'abord de petits éléments rectilignes,
qu'il faut relier entre eux et protéger de défenses accessoires. Puis ce seront
les lignes de soutien, les grands boyaux de communication avec l'arrière. Tout
le monde se met courageusement à l'œuvre. La bonne volonté ne manque pas et
suivant l'exemple et les conseils de leurs camarades du Génie, les fantassins
n'hésitent pas à prendre la pelle et la pioche. Mais l'hiver approche. Sous la pluie
les tranchées s'éboulent, l'eau et la boue les envahissent, les abris sont
rares. Les sapeurs sont surchargés de travail et se dépensent sans compter. Les
attaques incessantes font des vides dans leurs rangs. Aussi le commandement
songe-t-il à doubler le nombre des Compagnies mises à la disposition des
divisions. On fait appel à toutes les armes. Les régiments d'infanterie, d'artillerie,
de cavalerie envoient des hommes qui, pendant quelques semaines, sous la
direction de gradés et d'anciens sapeurs du Génie, vont aller à l'arrière
s'initier aux travaux de campagne. Les sapeurs et gradés, blessés des premiers engagements,
se joindront à eux et, chose admirable, nous verrons bientôt, grâce à ce petit
noyau, ces nouvelles formations se montrer dignes de leurs aînées et comme
elles se couvrir de gloire, sous les plis du drapeau du 4me Génie; que d'actes
d'héroïsme au cours des actions les plus sanglantes.
Le 20 janvier 1915, la Compagnie
8/4 se couvre de gloire dans un coup de main sur les tranchées ennemies. Elle
perd cinquante-sept des siens. Mais l'exemple de ténacité et de bravoure
qu'elle a donné et qu'elle renouvellera le 3 février 1915 lui vaudront une
citation à l'ordre de la 1ère Armée. Les
saillants se hérissent de nids de mitrailleuses abritées sous des casemates à
l'épreuve de nos canons de campagne. Et cependant il faut essayer de déloger le
boche. La guerre de mine va commencer. C'est tout d'abord un système presque
superficiel. Mais l'Allemand réagit, ses explosions répondent) point par point
à nos explosions. L'on commence alors ces galeries profondes qui joueront lors
des attaques ultérieures et bouleverseront les tranchées. Pendant des heures,
chaque sapeur travaille en tête d'attaque dans une galerie haute d'un mètre au
maximum. Le sous-sol est imprégné de gaz irrespirables. Journellement des
équipes de travailleurs sont asphyxiées au fond des rameaux.
Nombreux sont les enfants du 4ème
qui trouvent dans les mines une mort obscure mais d'autant plus glorieuse qu'elle
nécessite une abnégation totale et un courage au-dessus de tout éloge chez
celui qui la brave. C'est ainsi que pendant deux années en Argonne, à la Haute-Chevauchée,
aux Mûrissons, au Chemin-Creux, la Compagnie 14/14 dépense une énergie
épuisante dans cette célèbre guerre de mine, où les moindres camouflets étaient
chargés à deux et trois mille kilos. Au
cours de cette âpre et monotone guerre de tranchées, de cette implacable guerre
de mine, que de fois les survivants, chaque jour moins nombreux des combats du
début, se rappelaient avec regret cette campagne trop brève où l'on se battait
au grand jour, à travers les montagnes, les forêts, les moissons, où dans des
engagements' imprévus et vite dénoués, la furia française triomphait, où le
soir en talonnant l'ennemi la victoire semblait toute proche ».
Le rôle des sapeurs-mineurs était
simple et dangereux : il s’agissait d’aller creuser sous les lignes ennemies
des sapes pour y faire sauter des mines
juste avant l’assaut des fantassins, de façon à bouleverser ses lignes de
défense, tuer un maximum de défenseurs et assommer les autres sous l’effet de
l’explosion.
L’effet d’une mine sous une
tranchée pouvait être effroyable. En voici le récit fait par un soldat se
trouvant près d'une explosion : « Un tremblement se produit sur notre gauche.
C’est comme un geiser qui fuse dans les airs, avec la différence qu’au lieu
d’être de l’eau, c’est une pluie de boue et de matériaux de toutes sortes,
ainsi que des êtres humains saisis par l’avalanche. C’est une mine allemande,
juste au-dessous de notre première ligne, que l’ennemi vient de faire sauter.
Dès la fin du bouleversement causé par la mine, un cri d’horreur sort de nos
poitrines. Dans ce décor hallucinant, des corps hachés, des têtes horribles à
voir, un liquide noirâtre de sang coagulé a jailli sur tout ce qui se trouve
dans ce cratère, les outils de terrassement sont réduits à leur plus simple
expression, rien n’a subsisté, le fer a fondu, le bois a brûlé, les chairs sont
calcinées, la terre elle-même n’a plus de couleur ».
![]() |
Explosion d'une mine |
L’article suivant est paru en juin
1915 dans le journal Le Matin :
« Tout au long de la tranchée, ce
sont maintenant les coups cadencés des pioches et le bruit de la terre que les
pelles projettent. Soudain, de chantier en chantier, un ordre court : Cessez le
travail. C’est l’heure de l’écoute. L’écoute ! Heure impressionnante entre
toutes dans cette guerre de mines, moment où l’on va tâcher de discerner
l’avance sournoise des autres vers nous ; où l’on va, au bruit souterrain de
leurs outils, déterminer leur marche, leurs projets, la minute, peut-être, où
ils tenteront de nous faire exploser. Dans cette guerre sans merci, ce n’est
pas seulement du ciel sillonné d’obus que vient la mort ; ce n’est pas
seulement à la surface du sol qu’elle rampe parmi le crépitement sec des
mitrailleuses ; c’est encore là, à 12 ou 15 mètres du sol, qu’elle vous guette
et traitreusement vous frappe en pleine sécurité, parfois en pleine victoire.
La mine souterraine, la sape, c’est un peu pour nous ce qu’est le sous-marin
pour l’équipage du navire !
- Venez ! Le lieutenant de génie
qui, dans notre secteur, dirige, depuis de longues semaines, les travaux de
sape et de contre-mine, m’entraîne à sa suite dans les méandres de la tranchée.
A nos pieds, sous un abri, un puits s’ouvre, sombre, profond, à l’haleine
fétide. Un treuil le chevauche, où s’enroule un cordage qui remonte les seaux
de terre et, au besoin, les cadavres. A côté ronfle un ventilateur. C’est
l’entrée de la sape. L’orifice mesure 1 mètre de diamètre et, du haut en bas de
la paroi, c’est-à-dire sur une profondeur de 15 mètres, court une échelle de
corde que fixent, de distance en distance, des fils de fer. Par cet escalier de
fortune on ne peut descendre qu’un à un, et encore faut-il que les mains se
cramponnent fortement, tandis que les pieds mal assurés recherchent les
échelons inégaux.
A côté du lieutenant, me voilà
maintenant au fond de la mine. Dans la galerie qu’éclairent faiblement des
lampes à huile, les hommes attendent, l’outil au poing, et ils écoutent. Ils
écoutent, à travers cette terre, les coups sourds et rythmés des pioches et des
pelles, tous les bruits que fidèlement elle leur transmet et qui leur dévoilent
le travail qui s’exécute et le danger qui vient. A mon oreille, pourtant
ardemment tendue, tous ces sons paraissent vides de sens, confus, lointains.
Mais eux, les hommes d’écoute, ils savent. Ils travaillent, murmure le
lieutenant. Il n’y a point de doute. Ces gens sont d’une admirable persévérance.
Les voilà qui reprennent à pied d’œuvre une sape que nous leur avons, il y a
quinze jours, complètement démolie. A ce moment, nous avancions à la
contre-mine, c’est-à-dire non pas pour arriver jusqu’à leur tranchée, mais
plutôt pour protéger la nôtre. A l’écoute, nous en avions eu la certitude, ils
avançaient sur nous très rapidement. La direction exacte, la profondeur, à
cause de certaines difficultés locales, nous ne pouvions les savoir très
exactement. Malgré tout, on travaillait ferme, on travaillait avec, au cœur, ce
sacré petit pincement qui vous prend lorsqu’on se demande : « Pourrons-nous, à
temps, leur barrer la route ? » Et cela, voyez-vous, la responsabilité de
toutes ces vies humaines, cela vous fait le bras rudement fort et donne à votre
oreille une incomparable finesse. Nous n’avions plus le temps de passer en
dessous, on décida de passer à côté. Ne pouvant les faire sauter de bas en
haut, nous allions leur flanquer un « camouflet », c’est-à-dire, sacrifiant une
partie de notre sape, écraser la leur. On les entendait maintenant avec une
prodigieuse netteté, on ne les entendait pas seulement travailler, on les
entendait tousser. La victoire allait appartenir à celui qui, une minute avant
l’autre, prendrait la décision suprême. En ces moments dramatiques, je vous
l’affirme, j’aurais voulu que vous puissiez voir mes hommes. Chaque coup de
pioche qu’ils donnaient pouvait être le dernier, chaque seconde de retard
pouvait être employée par l’ennemi à préparer sa mine ; et c’est avec méthode,
avec sérénité que tous ces hommes travaillaient. Ce fut un magistral «
camouflet ». Ce mur que vous voyez, nous avons dû l’élever pour calfeutrer dans
le boyau de sape les gaz délétères dont l’explosion l’avait empli. Malgré tous
nos efforts, il se fait parfois des fissures et alors, comme l’autre jour, en
dépit des ventilateurs, en dépit de toutes les précautions, c’est un pauvre «
bonhomme » qui succombe. Il n’y a pas que vous, là-haut, qui ayez les gaz
asphyxiants ».
Marcel BRUNEL décède de maladie
contractée en service (Bronchite hémoptysie) le 27 août 1917 à l’hôpital
militaire de Grenoble à La Tronche.
Un autre sapeur du 4ème génie, Auguste
Beauchemin, est mort lui aussi, le 10 septembre 1917, de maladie contractée en
service. Il a laissé des carnets comprenant des dessins, dont ces deux-là :
![]() |
Dessin d'un officier avant, puis après, la guerre (Le retour au pays...) vu par Auguste Beauchemin, 4ème Génie |
A suivre…