Du
lundi 23 au dimanche 29 septembre 1918
LE
VOYAGE VERS SALONIQUE
Louis-Paul
CARRAIRON
Canonnier
au 81ème Régiment d'Artillerie Lourde à Tracteur
Mort
le 2 novembre 1918 à Salonique Zeïtenlik (Grèce)
Louis-Paul CARRAIRON est né le 14 septembre
1892 à Anduze, fils de Louis-Paul et d’Augustine née Astruc. En 1912, il est
voiturier. Cette année-là, il est condamné avec sursis à 16 francs d’amende
pour outrage à magistrat.
Ayant commencé son service
militaire le 2 octobre 1913, il est affecté en août 1918 au 3ème équipage de la
12ème compagnie, passe au 1er Régiment d’Artillerie de Montagne en avril 1917
puis au 115ème Régiment d'Artillerie Lourde à Tracteur le 23 octobre 1917. Il
manque alors à Marseille le bateau de son détachement pour Salonique, il est déclaré
déserteur le 7 novembre, mais rayé de ces liste le 6 août 1918, car passé au 81ème
Régiment d'Artillerie Lourde à Tracteur depuis le 23 janvier 1918.
Le rôle d’un tel régiment est
rappelé dans l’épilogue de son historique :
« Ancêtre des régiments
d'Artillerie Lourde à tracteurs, le 81e RAL a montré pendant toute la campagne
une endurance, une bravoure et une parfaite compréhension de son devoir digne
de tous éloges. Parti dès le premier jour de la mobilisation avec un mode de
traction nouveau, sous le nom de 4e RAL mobile, il constitue l'embryon d'une
arme nouvelle qui réussit dans cette longue guerre à. participer à tous les
grands combats sur les fronts de France, de l'Italie, d'Orient. Se déplaçant
fréquemment, toujours par ses propres moyens, il était appelé là où le
bombardement faisait rage, là où le commandement avait besoin de la puissance
et de la portée de ses canons, de la vaillance et du courage à toute épreuve
d'un personnel aguerri et d'une haute valeur morale ».
Afin de venir en aide aux alliés
serbes dont le pays est envahi par les Austro-Hongrois,
Allemands et Bulgares, un
contingent allié, composé essentiellement de Français, d'Anglais, d'Italiens et
de Serbes débarque en 1915 à Salonique en Grèce. A l'instar du front occidental,
une guerre de tranchées dans les montagnes de Macédoine va stabiliser le conflit
dans cette zone, jusqu'à ce que les troupes alliées mettent en déroute les
troupes bulgares en septembre 1918.
Un autre soldat, Elie Burnod, du 13e Régiment de Chasseurs à
Cheval, a fait lui aussi le voyage vers Salonique en 1917, c’est son premier
grand voyage, il a écrit son journal :
«
27 avril 1917, 10 heures du soir :
Rassemblement dans la cour du quartier Saint Germain à Vienne (Isère). Nous
sommes 187 désignés pour partir en renfort au groupe léger de l’armée d’Orient.
Le départ se fait en bon ordre, nous faisons nos adieux aux camarades que nous
laissons au dépôt et nous partons pour la Gare. Là le Colonel nous complimente
pour notre bonne tenue et nous partons par le train de 11h 20.
28 avril 6 h :
arrivée en gare d’Avignon, 2h d’arrêt nous touchons à la halte repas ¼ de café
du pain et de la conserve. Avec un camarade je m’esquive en ville, nous prenons
un café au lait avec des brioches en sortant de la gare et nous faisons un
tour. La ville neuve est assez jolie et très propre mais les vieux quartiers
laissent beaucoup à désirer. Nous arrivons devant l’ancienne demeure des papes
située sur une hauteur qui domine la ville. Le château est imposant et
ressemble plutôt à une forteresse. Il est entouré d’un parc immense.
8h
départ d’Avignon, passage à Tarascon, Arles, et nous arrivons à Marseille, Gare
St Charles à 14h. Nous débarquons et le commissaire de gare nous envoie aux
baraquements dits de la Faculté. Le Lieutenant nous installe, nous lit les
consignes du camp et nous laisse la plus entière liberté sous condition
expresse de répondre à l’appel général qui aurait lieu tous les matins à 10h.
A
peine installés nous faisons un brin de toilette et nous voilà partis à la
recherche de la Cannebière et de la légendaire sardine qui autrefois bouchait
l’entrée du port. Marseille est la ville la plus intéressante que j’aie vu
jusqu’ici, l’on y trouve énormément d’étrangers. Beaucoup de soldats et
d’officiers anglais depuis le petit Ecossais jusqu’au superbe Hindou. Italiens,
Espagnols, Chinois, Annamites s’y entrecroisent. La ville elle-même est très
ordinaire en dehors des grandes artères telles que la Cannebière, la rue de la
République, le cours Belzunce, la rue St Ferréol etc. Par contre le bas port
avec ses canaux et ses rues étroites est infect et je ne crois pas qu’il y ait
au monde de quartiers plus sales et surtout où il y ait autant de dépravation.
29 avril. Rien de nouveau,
le bruit court que nous irons embarquer à Tarente (Italie). Tout le monde est
content car c’est un beau voyage en perspective et il y a moins de danger à faire
la traversée que depuis Marseille. L’après midi nous faisons une jolie
promenade autour de la corniche, le temps est superbe et la mer calme, nous
admirons le château d’If, ancienne forteresse construite sur un rocher en
pleine mer.
30 avril. Le
lieutenant nous apprend que nous irons embarquer en Italie. Acclamations
générales. Après la soupe, visite du vieux port que nous traversons par le pont
transbordeur. Superbe construction qui sert à transporter piétons et voitures
d’une rive à l’autre. Minuit départ de Marseille.
1er mai. Nous
passons de nuit à Toulon et à peu près tous endormis, à la pointe du jour nous
arrivons à St Tropez, la Côte d’azur commence toujours plus belle, plus on
avance. Fréjus, St Raphaël, Cannes, Nice, Villefranche/mer, Monaco, Monte
Carlo, Menton. Je note en passant le Château du Prince de Monaco. Superbe
palais construit sur un rocher s’avançant en presqu’île et surplombant la mer. A
6h du soir nous arrivons à Vintimille première gare Italienne. 35 minutes
d’arrêt, changement de train pour prendre les wagons italiens et repartir dans
la direction de Gênes. Nous passons dans plusieurs petites gares insignifiantes
et nous arrivons à San Remo, superbe station hivernale. Pendant la nuit nous
passons à Gênes sans rien voir et nous arrivons le lendemain matin à Civita
Vecchia, petit port. Nous traversons ensuite un pays assez pauvre, composé de
collines arides où paissent quelques troupeaux de moutons.
2 mai. Nous
arrivons à Livorno à 14h. Jolie petite ville assez propre où nous devons passer
la nuit. Nous débarquons et nous cantonnons dans une caserne italienne.
3 mai. Nous
repartons de Livorno à 9h du matin et nous longeons la mer jusqu’à Rome où nous
arrivons dans la soirée à 21h. Là une superbe réception nous est faite par Mr
le Consul général de France, des prêtres et beaucoup de dames Françaises et
Anglaises. Nous repartons à 10h 40, regrettant de n’avoir pu visiter la ville
éternelle ou tout au moins de n’avoir pu y passer en plein jour. En gare une
compagnie de la garde du roi nous rend les honneurs.
4 mai. Nous
arrivons vers 8h à Caserta jolie petite ville située à 15 kilomètres de Naples.
A côté se trouve le Palais royal transformé actuellement en hôpital militaire.
Avec une jumelle on peut voir le Vésuve depuis le train. A partir de Caserta le
chemin de fer quitte le littoral Méditerranéen pour se diriger du côté de
l’Adriatique et traverse la chaîne des Appenins. Nous passons dans un pays très
pauvre composé de collines où il ne pousse pas un brin d’herbe. Nous arrivons à
4h après midi à Foggia où nous avons 3h d’arrêt. Nous sortons pour visiter la
ville mais nous rentrons vite en gare car nous sommes aussitôt assaillis par
des mercantis qui vous agacent avec leurs offres multiples. Les enfants de 5 à
15 ans, à moitié nus, vous demandent quelques pièces de monnaie et ne vous
lâchent que lorsqu’ils les ont obtenues. Les commerçants vous prennent par le
bras pour vous entraîner dans leur boutique. C’est la misère partout. Nous
repartons à 7h (du soir) pour arriver à Tarente le lendemain à 6h du matin.
5 mai. Nous
arrivons en gare de Tarente pour repartir 25 minutes après pour le camp de
Bufoluto où nous arrivons à 7h ½. Ce camp installé depuis peu de temps par les
Français est assez bien aménagé, bien que provisoirement. Il est situé sur un
petit plateau qui domine la baie de Picoletto. Il est composé de baraquements
en planches et de marabouts. De grands réservoirs d’eau potable y ont été
installés. La baie de Picoletto forme un joli petit port mais les grands
transports ne peuvent y arriver et restent ancrés à 1 km de la côte. Nous
restons 10 jours au camp de Bufoleto, nous sommes très tranquilles, mais nous
nous y ennuyons, car nous ne recevons rien, ni lettres ni journaux. Nous
n’avons comme distraction que la mer où nous passons une bonne partie de la
journée, l’accès en est facile et l’on y arrive par une jolie plage
sablonneuse. Nous nous amusons à faire la cueillette des oursins ou châtaignes
de mer, des moules, huîtres, couteaux et autres coquillages.
7 mai. Le « Duc
d’Aumale » (bateau pour les troupes) arrive avec un convoi de permissionnaires
et nous devons embarquer le lendemain mais nous sommes trop nombreux et notre
détachement est désigné pour rester au camp en attendant un autre transport.
14 mai. Le « Mustapha
II » arrive avec 600 marins permissionnaires et nous embarquons le lendemain 15
mai. En montant sur le navire on a une certaine appréhension, mais au bout de
deux heures on ne pense plus aux dangers que l’on va affronter. Les marins sont
on ne peut plus complaisants pour nous et s’estiment très heureux de ne pas
avoir à aller aux tranchées.
La
vie à bord est très sévère, la discipline est bien plus dure qu’à terre mais
l’on s’y prête facilement. Deux fois par jours le clairon sonne le garde à vous
et chacun doit se rendre au poste qui lui est assigné, muni de sa ceinture de
sauvetage.
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Le Mustapha II, transformé en transport de troupes vers l'Orient |
La
nourriture est assez bonne, meilleure qu’à terre, et la plus grande propreté
règne à bord. Nous assistons à l’embarquement du charbon, de l’eau douce (800
tonnes) et 10.000 caisses d’obus de 66 de montagne Italiens.
Nous
devions quitter Tarente le lendemain 16 mai mais au moment d’appareiller le
Commandant fut appelé à terre et le départ remis à une date ultérieure. Il
paraît que des sous marins étaient signalés dans la baie de Tarente.
Le
lendemain 4 officiers anglais et 3 infirmières de la Croix Rouge embarquaient
avec nous.
17 mai. Départ de
Tarente. Nous assistons aux derniers préparatifs, le pilote est arrivé à bord
par une barque, les embarcations sont hissées à bord, l’escalier replié et à 4h
35 le capitaine donne l’ordre du départ. Le Mustapha démarre tout doucement,
quitte la baie de Picoletto et vient traverser le port de Tarente. C’est un
beau départ, un spectacle inoubliable. Les quais sont noirs de monde, six
grands cuirassiers italiens, quatre torpilleurs, huit chalutiers, avec tout
leur équipage sur le pont au garde à vous. Les officiers saluent et les hommes
nous crient « Hip Hip Hourra ! »
Nous
sortons du port par un petit chenal qui sépare Tarente-la-vieille de
Tarente-la-neuve. Les deux villes sont reliés par un pont tournant qui ferme
complètement le port et qui n’est ouvert que deux fois par jour.
Nous
arrivons dans le golfe de Tarente qui forme lui même un immense port défendu
par des batteries de chaque côté ; et au milieu par l’île de Caricouli qui
n’est elle-même qu’un immense fort. On remarque au milieu des hangars à
dirigeables.
A
notre sortie du port, nous sommes suivis par le navire italien Savoïa qui
transporte aussi des troupes, trois torpilleurs français : La Carabine, La
Foudre et Le Sous Lieutenant Hébert sont chargés de nous escorter, et une
petite canonnière italienne qui est chargée de nous sortir des passes au milieu
des champs de mines.
Enfin
nous voilà en pleine mer et nous marchons de concert avec la Savoïa et entourés
de nos torpilleurs. Nous croisons le navire français « Canada » qui rentre à
Tarente, un peu plus loin nous rejoignons deux autres navires italiens escortés
par un torpilleur.
Ils
font route avec nous jusqu’à dix heures du soir et nous quittent pour prendre
la direction de Valona. Nous assistons à un superbe coucher de soleil.
La
nuit devient noire, le second du navire fait des rondes fréquentes pour
s’assurer que tout le monde est à son poste. Nous nous couchons et dormons
comme dans un bon lit.
18 mai. Nous nous
réveillons et sommes tout étonnés de voir la terre, nous sommes devant l’île de
Corfou. Nos torpilleurs sont toujours là, rapides comme l’éclair, ils font 4
fois plus de chemin que nous, se portant tantôt à l’avant, tantôt à l’arrière,
ou par côté. C’est la meilleure arme contre les sous-marins.
Nous
continuons de longer l’île et nous croisons bientôt trois torpilleurs, deux
anglais et un français, puis trois chalutiers anglais, ce sont des
patrouilleurs en chasse ; puis bientôt deux hydravions français. Nous
approchons de l’entrée du détroit de Corfou où est installée la base navale.
Huit
heures, nous arrivons à l’entrée de la passe, une canonnière française vient
nous prendre pour nous conduire, nous mouillons à l’entrée du détroit dans une
petite baie où nous trouvons déjà installés, un contre-torpilleur, 2
torpilleurs et un transport français. 25 minutes après nous, entrent le Duc
d’Aumale et le Ré Vittorio qui reviennent de Salonique escortés de deux
torpilleurs.
A
peine avons-nous jeté l’ancre que les Grecs nous accostent avec de petites
barques et viennent nous offrir des marchandises. Ici l’on paye avec du pain et
des biscuits. Deux œufs pour un biscuit, 1 poule pour deux pains d’un kilo, 1
petit mouton ou 1 petite chèvre pour 6 ou 8 pains. Les matelots qui le savaient
ont fait des économies et peuvent s’offrir du mouton, nous ne pouvons acheter
que des œufs et des poules entre cinq ou six.
L’île
de Corfou tout au moins la partie que nous avons en vue n’offre rien
d’intéressant, ce ne sont que des pâturages maigres et quelques arbustes.
5h
: préparatifs de départ, à 5h10 nous démarrons toujours suivis de la Savoïa et
escortés de nos trois torpilleurs. Au large de la passe deux contre torpilleurs
patrouillent dans tous les sens. Nous voilà en pleine mer, et la nuit nous
commençons à apercevoir l’île Leucade. Tout est calme, nous nous couchons
tranquillement.
19 mai 4h ½. Réveil
en sursaut, quelques camarades qui sont déjà levés nous réveillent pour nous
montrer un navire hôpital qui rentre en France. Il est tout illuminé et est
réellement beau à voir dans la nuit.
7h
une canonnière française vient à notre rencontre, nous approchons de Navarin où
nous devons passer la journée, et elle vient nous conduire dans la passe. Nous
entrons dans une jolie baie flanquée de rochers à l’entrée mais à l’intérieur
nous sommes étonnés de trouver une jolie petite ville entourée de jardins.
Sur
les rochers d’énormes inscriptions ainsi qu’un petit mausolée nous rappellent
la bataille navale de Navarin en 1823, où les flottes alliées battirent la
flotte turque.
Nous
jetons l’ancre et le torpilleur Carabine vient se ranger tout à côté de nous.
Officiers et sous officiers sont invités à déjeuner à notre bord. Nous
fraternisons avec les marins et nous avons l’occasion de vivre un peu leur vie.
Les marins qui sont à bord des torpilleurs sont limités pour l’eau potable et
restent souvent huit jours sans se laver, ils mènent une vie très pénible, ils
ont l’air fatigués.
Nous
devons lever l’ancre à 5h mais ½ heure avant de partir une barque à voile
montée par deux civils vient nous accoster, ils demandent à parler au
Commandant. Celui-ci aussitôt prévenu fit descendre la vedette, et accompagné
de deux marins armés, partit aussitôt dans la direction de la montagne.
Il
rentra au bout d’une heure, un des marins portant une grande perche. On sut
plus tard que les deux civils avaient surpris un espion qui était en train de
faire des signaux. Ils vinrent aussitôt prévenir le Commandant, mais quand
celui-ci arriva l’espion avait disparu laissant sa perche sur place. On ne put
savoir s’il avait pu accomplir ses desseins, mais pour plus de sûreté le
Commandant décida qu’on ne partirait qu’à la nuit tombante.
Nos
trois torpilleurs sortirent de suite faire des patrouilles et revinrent nous
attendre à l’entrée de la passe. Il faisait nuit noire quand nous arrivâmes à
la haute mer. Malgré nos craintes nous nous couchons et dormons jusqu’à 5
heures.
20 mai. Dimanche. A
8 heures nous arrivons en vue de l’île de Milos où se trouve la base navale.
Nous mouillons sous les rochers de l’île Antimilos pendant qu’un torpilleur va
reconnaître la passe. Il revient 10 minutes après et nous entrons dans le port
de Pakra. Jolie petite ville de 1500 à 2000 habitants. Le port est très joli,
nous y retrouvons une dizaine de grands transports parmi lesquels le navire
hôpital Flandre.
L’île
de Milos ne présente rien d’extraordinaire, on y voit un peu de culture autour
de la ville mais le reste est très montagneux. Sur les petites hauteurs
quelques moulins à vent de construction bizarre.
Les
matelots nous font remarquer un superbe navire boche capturé récemment dans
l’Adriatique. Le navire atelier la Foudre ancré dans le port de Milos
transforme le Boche en Français. Deux sous marins Grecs désarmés sont ancrés
dans le port. Nous ne partons pas ce soir, les torpilleurs qui nous ont
accompagnés jusqu’ici rentrent à Tarente avec un autre convoi. Nous devons
attendre ici que d’autres viennent nous conduire jusqu’à Salonique.
21 mai, 8h. Rien de
nouveau, les officiers passagers vont à terre faire une promenade. 17h 30
appareillage, tous les canots sont hissés, l’ancre remontée et à 5h 45 le
Mustapha se met en marche toujours suivi de la Savoïa et de deux torpilleurs le
Tromblon et la Fronde. La nuit se passe assez bien, nous passons dans les îles
de l’Archipel. Phares et signaux se croisent à chaque instant.
22 mai, 5h 45. Je
me lève pour faire préparer le café aux hommes qui doivent faire la relève de
6h mais je m’aperçois que le bateau tangue terriblement et je retombe sur le
pont aussitôt debout. Après un quart d’heure nous arrivons pourtant à boire
notre jus mais 5 minutes après il faut le rejeter. La mer est toujours plus
mauvaise et tout fait prévoir une tempête terrible. Les matelots courent dans
tous les sens, ferment tous les hublots, font tendre les cordages, ils ont
l’air inquiet.

A
un moment donné, nous apercevons une barque de pêche en perdition. Le pauvre
pêcheur qui la monte nous fait des signaux de détresse mais notre capitaine a
autre chose à penser et ne fait pas semblant de l’apercevoir.
Nous
ne pensons plus aux sous marins. A 8h ½ un de nos camarades qui a voulu
s’aventurer sur le pont dans un moment d’accalmie reçoit un paquet de mer qui
le renverse dans la cale, laissant la porte ouverte et l’eau rentrer comme un
torrent.
En
moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire notre cale est inondée et nous
avons déjà de l’eau jusqu’aux genoux. Nous nous élançons plusieurs dans
l’escalier et après bien des essais infructueux nous arrivons à refermer la
lourde porte. Nous voilà tranquilles de ce côté mais nous sommes dans l’eau,
nos couvertures et tous les effets que nous avons dans nos sacs sont mouillés,
impossible de nous changer.
Pour
corser l’incident la moitié des camarades ont le mal de mer et rendent tout ce
qu’ils ont sur le corps.
Enfin
vers 11h le soleil se montra un peu et la mer se calma, mais continua d’être
houleuse jusqu’à six heures du soir ; heure où nous arrivons en face de
Salonique.
Nous
passons seuls devant le fort de Kara Bouroum. Pendant la tempête nous avions
perdu les deux torpilleurs et la Savoïa. Une canonnière vient à notre rencontre
et nous conduit au milieu des mines qui ferment la passe.
Devant
le fort de Kara Bouroum nous apercevons un grand navire Anglais échoué. Les
marins disent qu’il fut coulé par un sous marin en 1916.
A
6h 40 nous entrons dans le port de Salonique. La ville bâtie sur le blanc du
coteau paraît assez jolie de loin avec ses maisons blanches et ses minarets. La
ville neuve bâtie à la Française longe le bord de la mer et l’on y voit des
navires de toutes les nations alliées. Nous couchons en rade, il est trop tard
pour débarquer. A 8 heures la Savoïa arrive et peu après nos deux torpilleurs ».
Après une campagne dont nous
ne connaissons pas le détail, Louis-Paul
CARRAIRON meurt le 2 novembre 1918 à l’hôpital N°3 de Zeïtenlik à Salonique
(Grèce) d’une maladie contractée en service. Il figure sur le Monument aux Morts
d’Anduze, mais pas sur son Livre d’Or. Il figure aussi sur le Monument aux
Morts d’Alès, et sur son Livre d’Or.
Il a été inhumé au Cimetière
militaire de Zeïtenlik, tombe 6588.
Le grand cimetière militaire de
Zeïtenlik (Ampelokipoi), dans la banlieue actuelle de Thessalonique au nord de
la Grèce, rassemble les dépouilles de près de 22 000 soldats alliés tombés
lors de la Première Guerre mondiale aux alentours de Salonique et tout au long
du front :
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Le cimetière de Zeïtenlik à sa création |
- 8 098 soldats français
(dont plus de 200 inconnus),
- 8 000 soldats serbes (dont
6 000 inconnus reposant en ossuaire),
- 3 500 soldats italiens,
- 1 750 soldats du
Commonwealth,
- 493 soldats russes.
A suivre…
Source du récit du voyage du soldat Elie Burnod :