LA BUTTE MAUDITE

54ème Semaine

VAUQUOIS

Du lundi 9 au dimanche 15 août 1915

Henri-Félix Bastide, 31 RI
Mort le 14 août 1915 sur la butte de Vauquois (Meuse)

              
En janvier 1915, pour la première fois depuis le début de la campagne, et après de terribles combats en Argonne, la 10ème division, dont fait partie le 31 RI, est envoyée au repos : c’est le prélude d’un nouvel effort. En effet, le général Sarrail, commandant l’armée, l’a choisie entre toutes pour une tâche difficile : à la 10ème division revient l’honneur de prendre Vauquois. C’est une butte isolée, à 25 kms à l’ouest de Verdun. Elle a été occupée par les Allemands dès la fin septembre 1914.



Récit d’après les historiques de ce régiment : « Qui ne se rappelle ce nom qui retentit alors dans toute la France ? De l’étroit plateau où se dressait le village, les Allemands contrôlaient tous nos mouvements, depuis Clermont-en-Argonnes jusqu’à la vallée de l’Aire. Bien abrités dans les caves bétonnées et reliées entre elles par des galeries souterraines, ils nous bravaient : plus d’un assaut s’était déjà brisé au pied de la Butte sanglante.
Sous les ordres du général Valdant, son nouveau chef, dont le nom est attaché à celui désormais historique de Vauquois, la 10ème division devait l’attaquer à son tour.
Le 17 février, le 2ème bataillon du 31ème (commandant Cuny) est lancé à l’assaut. D’un élan il pénètre dans le village, le traverse et atteint un moment l’arête Nord du plateau ; mais, privé de renforts, contre-attaqué de tous côtés, il doit se replier la rage au cœur. Le 28 février, un nouvel assaut, exécuté par le 89ème et le 46ème nous ramène dans Vauquois qu’il faut abandonner une fois de plus. Le 1er mars enfin, le 31ème tout entier (lieutenant-colonel Cuny) reprend l’attaque et c’est alors la ruée splendide sur ces pentes arrosées de tant de sang. Cette fois, nous tenons Vauquois, et nous le gardons. Le régiment est proposé pour une citation à l’ordre de l’armée.
Une autre guerre commence car l’ennemi modifie sa méthode. Il s’ingénie à reconquérir mètre par mètre l’étroite bande de terrain où nos soldats se cramponnent. Sur cette position où les lignes ne s’écartent pas de plus de 50 mètres, la guerre de mine fait rage. Presque tous les jours, la Butte est comme secouée par un tremblement de terre ; d’énormes cratères s’ouvrent, autour desquels se livrent des corps à corps furieux sous les torpilles et les obus.
Pendant dix-huit mois, nos soldats se battent sur ce piton tellement ravagé par les obus et les mines que la terre est devenue une poussière fine et impalpable qu’il faut étayer à grands renforts de claies. Mais pas un mètre de terrain n’a été gagné par l’ennemi, et quand la division quitte ce secteur où dorment tant de ses soldats, elle laisse intacte sa conquête ».

La butte de Vauquois est une gigantesque termitière : les aménagements à divers niveaux, de l’extrême-est jusqu’au "V de Vauquois" (1500 m de longueur, 50 à 250 m de largeur, 10 à 50 m de profondeur) dépassent les 17 kilomètres de puits, galeries et rameaux du côté allemand et 5 km de galeries du côté français. Des milliers de tonnes de gaize sont extraites.

L’un des épisodes les plus sinistres de cette longue bataille s’est produit le 6 juin 1915, avec une tentative des Français de gagner du terrain à l’aide de lance-flammes, armement nouveau encore mal maîtrisé par eux. Le lance-flammes avait été utilisé pour la première fois par les Allemands dans le secteur de Malancourt en Argonne le 27 février 1915. L’appareil se composait de deux bouteilles : l’une remplie d’azote pressurisé assurant l’évacuation du pétrole contenu dans l’autre à travers un embout où était placé le dispositif de mise à feu. Le 22 mars 1915, les Allemands utilisèrent le lance-flammes sur la Butte de Vauquois. La réponse française s’effectue le 6 juin 1915. Précédée d’une intense préparation d’artillerie, l’attaque au lance-flammes à laquelle participent le 31e et 76e régiment de Paris débute en soirée : les unités spéciales des pompiers de Paris équipés de modèles « Schilt » projettent le liquide sur la première ligne ennemie enflammée par les grenades incendiaires. Mais l’opération tourne au fiasco pour les Français suite à un changement d’orientation du vent qui provoque un formidable retour de flamme dans les lignes françaises et sème la panique parmi les troupes d’assaut.

Extrait du 2e carnet de route de Laurent Pensa musicien-brancardier au 31e régiment d’infanterie :
« Dimanche 6 juin 1915 
Depuis plusieurs jours on parlait d’attaquer Vauquois. Le petit chemin de fer Decauville transportait des torpilles, des munitions en quantité et des réservoirs de pétrole. L’attaque qui était fixée à 5 heures est remise à 6, à 7 heures du soir. La journée, vers 1 heure, après un bombardement, nous pensions que l’attaque aurait lieu tout de suite. Elle n’était remise qu’au soir 8 heures ; nous voyons alors une épaisse fumée s’élever de Vauquois, immédiatement, un bombardement puis une fusillade très serrée. Nous nous couchons attendant qu’on nous appelle aux blessés. 
Lundi 7 juin
Les premières équipes partent en pleine nuit ; mon équipe, le 15e, n’est appelée que vers 2 heures et demie  du matin ; il fait jour à cette saison. Nous allons au Chemin Creux. Là nous avons quelques indications données par les blessés : un certain nombre ont été brûlés, le vent étant contraire, et ramenant les flammes de notre côté. On dit que les pertes allemandes sont bien plus fortes que les nôtres. Notre artillerie a tiré avec une grande précision (nous avons eu une douzaine de morts dont quelques pompiers de Paris qui manœuvraient les pompes lançant le liquide inflammable). Nous n’avons fait que labourer leur tranchée de 1ère ligne. En revenant nous sommes arrosés sur le chemin par un bombardement effrayant. Nous sommes relevés le soir à 7 heures. Nous partons sur Auzéville où nous arrivons par une marche trop lente à 2 heures du matin ». 

Puis les combats se poursuivent sur cette butte maudite, ils dureront encore plusieurs mois. Les Français ne réussiront jamais à en reprendre plus que la moitié sud. Et ce sera une guerre des mines, avec des efforts inouïs de part et d’autre pour creuser de plus en plus profond, pour faire sauter des charges de plus en plus énormes (jusqu’à 150 tonnes en une seule fois…). Nous y reviendrons au fur et à mesure de ces combats qui dureront jusqu’en 1918.

Henri-Félix Bastide, né à Anduze le 30 juin 1894, meurt dans l’un de ces combats sans espoir ni rémission le 14 août 1914, à l’âge de 21 ans.

Il avait sans doute brièvement côtoyé dans son régiment un artiste qui devait devenir mondialement célèbre : Maurice Chevalier. Celui-ci, déjà connu des music-halls (il était partenaire de Mistinguett aux Folies-Bergères) est parti en 1913 effectuer son service militaire à Belfort. La guerre éclatant en août 1914 il est maintenu sous les drapeaux. Blessé grièvement d'un éclat d'obus au poumon droit, le 21 août 1914, lors de l'attaque du village de Cutry (région nord de la Lorraine) occupé par les Allemands, il est fait prisonnier et soigné au château de Cons-la-Grandville (54), transformé en hôpital de la Croix-Rouge, puis il est envoyé en captivité après sa convalescence à l’hôpital de Magdeburg. Au camp d’Alten-Grabow, il apprend l’anglais avec des soldats britanniques prisonniers. Après deux ans et quatre mois de captivité, il est libéré au cours de l’année 1916. Mistinguett, par ses relations, aurait joué un rôle dans cette libération.

A suivre…

« Le 31 n’a jamais eu peur de rien. Nom d’un chien ! » (Refrain du régiment).