UN AN DE PLUS

74ème semaine

Du lundi 27 décembre au dimanche 2 janvier 1916

FRATERNISATIONS


Pas de mort Anduzien, ni Tornagais, cette semaine. Mais il y a ces centaines de milliers d’hommes, terrés dans leurs tranchées, abreuvés de désillusions. Pour la plupart ils étaient partis en août 1914, joyeux et contents comme dit la chanson, avec la certitude d’être de retour avant l’hiver. Puis le premier hiver est passé. Maintenant c’est le second, et le front n’a qu’à peine bougé. Les armées se font face, s’envoient parfois de rudes coups à force d’assauts désespérés, puis reviennent à leur point de départ. Chez les soldats français il n’y a évidemment plus l’enthousiasme du départ. Mais il reste le fort sentiment du bon droit : c’est sur le sol de la Patrie que se déroulent les combats, les Boches n’avaient qu’à rester chez eux. Et puis il y a maintenant le sentiment de camaraderie, si fort qu’il empêche la plupart de se poser trop de questions. Tout est moche, certainement, mais il y a les copains avec qui on partage les grandes souffrances et les petites joies, on ne peut pas les laisser tomber. Et déjà le sentiment qu’on ne se comprend plus avec ceux de l’arrière…

Parfois l’horreur se trouve traversée d’éclairs d’humanité, rares et brefs, mais néanmoins réels : les scènes de fraternisation entre soldats sur le front.
Francis Barbe en révèle une, à Noël 1915, tirée des carnets d’un poilu de Tulette, Raoul Monier et qui, chose probablement unique, est illustrée par des photographies prises par le docteur Minvielle et par le soldat valentinois Georges Tardy.

Soldats alliés et allemands ensemble
Notons que l’historien Rémy Cazals a participé à la rédaction d’un ouvrage sur ce sujet, Frères de tranchées, auquel ont également contribué Marc Ferro, Malcom Brown et Olaf Mueller. On peut y lire, entre autres : « D’une tranchée à l’autre, l’ennemi a pris un visage. Cet ennemi était un homme comme vous ; comme vous et moi, à la moindre pause, il boit, il rigole… »
Une des très rares photos de fraternisation : à l'arrière-plan, des Allemands
L'ouvrage « Je suis mouton comme les autres », de Jean Sauvageon, contient lui aussi quelques témoignages de poilus illustrant qu'à certains moments, des rapprochements entre soldats ont été possibles.

Émile Devoize, de Romans, note : « Hier, nous avons fait un prisonnier très sympathique. Il nous apprend que nous, Français, nous torturons nos prisonniers ». Ils échangent leurs appréciations. Il précise qu'un caporal français, blessé dans un bois, a été bien traité par les soldats ennemis. Victorien Fournet, de Sauzet, raconte qu'en janvier 1915, les Allemands ne tirent plus et même sortent de leurs tranchées, demandant aux Français d'en faire autant. À mi chemin, ils se rejoignent, discutent et les Allemands remettent une lettre écrite en français : « Dans la lettre, ils disaient d'aller les trouver à la tombée de la nuit, sans arme, et qu'ils seraient les bienvenus ». Marius Nublat, de Romans encore, écrit à sa femme : « Pour le jour de l’an, dans certaines tranchées, les Boches et les Français ont fumé le cigare ensemble. Les quatre Français qui avaient été chez les Boches sont revenus, mais nous avons gardé les Boches ».

Louis Chirossel, de Loriol, raconte lui aussi dans une lettre comment Allemands et Français communiquent au moyen de pierres auxquelles sont attachés des billets pour échanger du vin et du pain contre des cigares. Mais il conclut : « Tu vois, l’histoire vaut le raconter, ce qui n’empêche pas, lorsqu’il y a attaque, de part et d’autre, de se chercher à se faire du mal… ».
           
Les fraternisations entre soldats allemands et français eurent lieu à plusieurs reprises, dès la fin de 1914 mais peu de témoignages y font allusion, d’abord à cause de la censure du courrier et aussi car cela était considéré comme « intelligence avec l’ennemi » et passible de mort.

Ce récit n’est donc pas parvenu par courrier, mais dans un carnet tenu quotidiennement par Raoul Monier, un brancardier du 159e RIA. Les photos prises par le docteur Paul Minvielle coïncident avec ce récit, les régiments du brancardier et du docteur se trouvant en même temps aux mêmes endroits.

Entre le dimanche 26 décembre 1915 et le mercredi 5 janvier 1916, peut-être à cause des conditions climatiques déplorables sur ce front, pas un coup de feu n’est tiré, tout le monde se promène à découvert à 20 mètres de distance. Les Allemands regardent nos cuisiniers qui nous servent à manger et à boire, ils font signe de leur en porter. On ne se croirait plus en guerre. Le jeudi 6, c’est la fin de la trêve, retour aux tranchées, et il ne sera plus question, dans le journal de Raoul Monier, de pareille expérience.


Le médecin enverra à l’Illustration, qui la fera connaître dans le monde entier, la moins compromettante de ses photos, ce qui lui vaudra quand même 60 jours d’arrêts de rigueur.

La conjonction des clichés du médecin et du récit du brancardier vient renforcer la véracité des dires de ces combattants de 14-18, revenus de l’enfer, que leurs proches ne voulaient pas toujours entendre.

A suivre…

Sources :
Ed. AUED, Valence, Études drômoises, revue trimestrielle, n°30 de juin 2007 pages 3 à 10