CLOPORTES


107ème semaine

Du lundi 14 au dimanche 20 août 1916



LA CRUDITÉ DU NOM DES TRANCHÉES



Auguste-André Morel, 14ème Bataillon de Chasseurs,

tué le 16 août 1916 à Maurepas (Somme)


Auguste-André Morel est né le 7 octobre 1892 à Anduze,  il y exerce la profession de journalier au PLM. En août 1912 il est condamné par le tribunal d’Alès à 25 francs d’amende pour coups volontaires, mais il bénéficie du sursis. Incorporé dans les chasseurs à pied en octobre 1913, il passe au 14ème Bataillon en juillet 1914, juste à temps pour rester sous les drapeaux lors de la mobilisation.

En juillet 1916 ce bataillon est envoyé dans le secteur de Maurepas, dans le cadre de la bataille de la Somme.

Témoignage d’un soldat sur ce secteur :
« Ce que la carte ne saurait rendre, c'est le spectacle qu'offrait aux acteurs du drame, ce cirque encaissé au milieu de collines. Le champ de bataille n'avait pas été nettoyé depuis les premières offensives.
Les tranchées conquises étaient pleines de charognes; des cadavres de chevaux gisaient un peu partout dans les ravins ou à flancs de coteaux. Des tas d'obus à demi écroulés, des canons culbutés, un amas de débris de ferrailles, de cuirs, des rouleaux de « barbelés », des rondins, des voliges, des lambeaux d'uniformes, pêle-mêle, pourrissaient parmi les cratères des obus, dans une eau souillée, jaune, puante.
Le ravin qui, de Curlu, va au pied de Maurepas, n'a-t-il point été baptisé « ravin de la Pestilence » ?
Ce terme dit tout.
Et qui a vu les tranchées des Crabes et des Cloportes, les tranchées du Petit-Bois, derrière la ferme de l'Hôpital, ne verra jamais spectacle plus horrible ni plus ignoble. Tous ces villages dont les noms illustrèrent les communiqués et figurent toujours sur les cartes, Hardecourt-aux Bois, Maurepas, Le Forest n'existaient plus.
Les rares pierres que la dévastation des obus avait respectées, avaient été emportées par les territoriaux et avaient servi à empierrer les chemins de boue que l'ennemi s'acharnait à défoncer chaque jour par ses marmitages intensifs. Rien -- absolument rien - ne permettait de savoir qu'un village eût été là.
Pays rasé ? Pire que cela, pire que l'anéantissement, car la destruction laisse des traces. Pays escamoté, pays inexistant.
A regarder le terrain, on eût pu croire que les hommes avaient rêvé qui affirmaient qu'ici se dressait une église, que là il y avait eu des fermes ou des jardins ».

Un autre témoin résume :
« Pour moi, toute l'horreur de cette guerre est résumée dans les noms donnés à certaines tranchées : Tranchée de la Pestilence, tranchée des mouches, tranchée des fous, tranchée des crabes, tranchée des araignées, tranchée des cloportes qui sont toutes dans le même secteur de Maurepas, sauf erreur de ma part... ».

Parfois les régiments du front voient passer un illustre visiteur : c’est Georges Clémenceau qui est élu en 1915 Président de la commission des Affaires étrangères et Président de la commission de l’armée du Sénat, de ce fait il est autorisé à passer en septembre 1915, janvier 1916, mai 1916, octobre 1916 et janvier 1917 quelques journées vers le front. Il est nommé Président du Conseil en novembre 1917 ; dans ces fonction de chef de gouvernement, Georges Clemenceau est parmi les poilus 60 jours soit 1 jour sur 4.


S’il est souvent tout près du front, c’est sans risques excessifs  durant l’année 1918 car comme le révèle Marceau Doussot dans "Paysans d’une vie, soldats d’une guerre", les Allemands étaient toujours avertis de l’endroit approximatif de ses déplacements. Du fait de ces visites, ils arrêtaient de bombarder les tranchées de l’endroit en question lorsqu’il venait. Tuer un chef de gouvernement d’un tel âge aurait été ajouté par la propagande alliée à une longue liste de crimes et aurait certainement galvanisé le moral des Français, en leur fournissant un héros à venger. 


Début août la bataille de la Somme piétine, il est évident qu’elle ne permettra pas la percée décisive imaginée par l’État-major français. Il faut néanmoins poursuivre ce qui n’est plus guère une offensive mais une guerre de positions : il faut grignoter (selon l’expression chère au généralissime Joffre) quelques mètres ici ou là, il faut fixer l’ennemi pour soulager Verdun.


JMO du 14ème Bataillon de Chasseurs, qui se trouve devant Maurepas :
« 16 août – Le bataillon a pour mission de s’emparer du chemin creux, de façon à permettre la préparation par le 155 C. Le mouvement se fait très difficilement sous le feu, en plein jour. Pendant la préparation le 75 tire sur nos tranchées, l’extrémité du boyau des Ecervelés est bouleversée par notre artillerie. Pas ou peu d’obus français sur l’objectif. L’attaque se déclenche en deux vagues à 17h40. Des éléments dépassent l’objectif, pour y revenir bientôt. Dans le boyau des Ecervelés on réussit pourtant à progresser de 30 à 50 mètres environ, mais on doit bientôt s’arrêter faute de grenades. Vers 18h30 le commandant Boutle, le capitaine Berge et le ss-lieutenant Delastre sont tués par un obus de 105 devant leur poste de commandement ». Cette attaque coûte au bataillon 24 tués et 62 blessés.

Auguste-André Morel fait partie de ces tués, il partait de la tranchée des Cloportes pour gagner le boyau des Ecervelés quand il s’est fait faucher par un obus. Il fait l’objet d’une citation à l’ordre du Bataillon : « A accompli son devoir avec calme et dévouement sous un violent bombardement de plusieurs jours. Tué dans l’accomplissement de son devoir ». Sa famille reçoit un secours de 150 francs en octobre 1916. Il est inhumé dans la Nécropole Nationale de Maurepas. Créée en 1916, lors de la bataille de la Somme, elle regroupe des corps exhumés des cimetières de Maurepas et de Suzanne, et de la région d'Albert - Réfection totale en 1974 - 13.700 m², 3.678 corps - 1914-1918 : 3.657 Français dont 1.588 en 2 ossuaires, 1 victime civile française, 1 Roumain, 19 Russes.
Le nom d’Auguste Morel figure sur le monument aux morts d’Anduze.

A suivre…

Vocabulaire des Chasseurs

Un chasseur du 14ème BCA
Un chasseur :
- n’appartient pas à un régiment mais à un bataillon
- ne parle pas de soldat mais de chasseur
- ne porte pas un uniforme mais une tenue : la tenue bleue, la tenue à passepoil jonquille
- ne vit pas dans une caserne mais dans un quartier
- ne dit pas rouge mais bleu cerise sauf pour le drapeau, la Légion d’Honneur et les lèvres de la femme aimée
- ne dit pas jaune mais jonquille
- ne parle pas de musique mais de fanfare
- ne parle pas de tambour mais de caisse claire
- ne chante pas le refrain mais le sonne.
- sait que son sang est vert, car le sang vert c’est (versé) pour la France.
- sait que jadis, le sac des chasseurs était recouvert d’un carré de toile cirée noire qui brillait au soleil. C’est pourquoi les chasseurs étaient appelés les « vitriers ».

D’après la plaquette de présentation du 7e Bataillon de Chasseurs Alpins.