DANS LES DUNES ET DANS LES BOIS

21ème semaine

Du lundi 21 au dimanche 27 décembre 1914

NIEUPORT

Ernest Ramel, 163ème RI
Mort à Nieuport le 22 décembre 1914, tué à l’ennemi

LES EPARGES

Augustin Vivens, 55ème RI
Mort au bois des Forges le 22 décembre 1914, 
des suites de ses blessures


Depuis le 11 novembre 1914 une partie du 163ème RI est parti défendre les frontières dans le sud de la Belgique. Ils sont 26 officiers, 1976 sous-officiers et soldats, 116 chevaux et mulets, 32 voitures. Ernest Ramel y est caporal-fourrier (affecté à la comptabilité). Ils cantonnent autour de Nieuport. Ils travaillent à la construction des tranchées et des abris. Le terrain est inondé et les soldats y ont de l’eau jusqu’au genou. « Les Allemands ne sont pas plus à l’aise que nous » note le JMO.

« 11 décembre – Ces journées sont plutôt monotones. La canonnade est toujours très forte et la fusillade intense. On brûle 150 cartouches par homme et par jour en moyenne, en subissant des pertes faibles (5 à 10 hommes hors de combat par jour).
14 décembre – Le Régiment est désigné pour attaquer Lombartzyde et les dunes à l’Est de Nieuport. L’attaque a lieu en plein jour à 7 h 30, par suite de l’encombrement de la route de marche. Elle réussit d’ailleurs très bien, grâce à l’énergie des bataillons. Les hommes n’ont pas dormi. Ils n’ont rien pris de chaud depuis la veille. Ils marchent bravement quand même.



Du 15 au 21 décembre – Continuation de l’attaque. Le combat traîne en longueur parce que le 157ème progresse difficilement dans les dunes. On fait de la sape.


22 décembre – Le régiment est relevé dans la nuit ».
Ernest Ramel est tué ce jour-là, à l’âge de 37 ans.

S’il avait vécu trois jours de plus il aurait partagé la nuit de Noël qu’a décrite l’un de ses camarades du 163ème RI, Patrick Malavialle : « A Paname on s’réunissait plusieurs copains afin de fêter comme il convient l’grand jour. Rôdant jusqu’à minuit chez les mastroquets, nous assistions ensuite à la messe. C’était beau alors, au Sacré-Cœur, il y avait une crèche comme on n’en fait plus de nos jours. À la sortie, un réveillon nous attendait et nous y faisions honneur ! D’un geste de la main il mimait le menu : crevettes, pâté de foie gras, poulets à la broche, fromgi, gâteaux, etc… Quel festin, messieurs ! Le tout arrosé d’un nectar qui vous laissait une saveur dans l’ gosier ! On s’empiffrait jusqu’à en péter la culotte ».
Il s’arrête un instant, tout songeur, puis revient à la réalité et comme par hasard s’aperçoit du décor qui nous environne.
« Non, vaut mieux ne pas en parler, j’en ai l’eau à la bouche ! Encore si les Fridolins nous laissaient tranquilles cette nuit, mais que trafiquent-ils ? »
Le calme était parfait, pas un coup de feu ne venait troubler le silence. C’est trop beau pour durer, à moins que ce ne soit la trêve ?
« Je le souhaite, lui dis-je. Qu’ils nous foutent la paix, nous la leur rendrons au centuple ! »
Les heures passent lentement. A minuit précises, voilà que nos voisins entonnent le « minuit chrétiens ». Pas possible, pensons-nous ! Et pourtant ...
Ils gueulent tant qu’ils peuvent. Leur chant est rauque, mais bien scandé. Inutile de dire qu’on respecte et leur chant et leur joie.


« Au moins, clame le Parigot, tant qu’ils chantent, y sont pas bien dangereux ! »
Pas loin de nous, le même chant retentit, mais cette fois ce sont nos camarades, d’abord timidement, puis enhardis. D’autres s’en mêlent, et c’est un chant international qui flotte sur le secteur.
« Tout de même, reprend Bébert, après que le chant s’est tu, si l’on voulait bien, la guerre pourrait s’arrêter. Pourquoi sommes-nous là ? »
« Pour nous battre, lui dis-je, ce n’est pas de gaieté de cœur, mais nous faisons la guerre ».

Sur un autre front, celui de la Meuse, un autre Anduzien fait aussi la guerre. C’est Augustin Vivens, dit Justin, membre du 55ème RI qui se trouve dans le secteur des Eparges, au moulin de Raffécourt, là même où vient de mourir deux jours auparavant Jules Laune, du 40ème RI (voir semaine 20).

Le régiment se trouve dans les bois de Forges, théâtre sanglant de ces journées. Il subit un feu meurtrier de l’artillerie lourde allemande. Plusieurs officiers et beaucoup de soldats sont tués ou blessés. Parmi eux Augustin Vivens, 37 ans, mort de ses blessures.
Dans « Le Feu » Henri Barbusse a décrit ce que pouvaient ressentir des soldats dans un abri soumis à un bombardement : « C'est alors que le tonnerre est entré : nous avons été lancés violemment les uns sur les autres par le secouement effroyable du sol et des murs. Ce fut comme si la terre qui nous surplombait s'était effondrée et jetée sur nous. Un pan de l'armature de poutres s'écroula, élargissant le trou qui crevait le souterrain. Un autre choc : un autre pan, pulvérisé, s'anéantit en rugissant. Le cadavre du gros sergent infirmier roula comme un tronc d'arbre contre le mur. Toute la charpente en longueur du caveau, ces épaisses vertèbres noires, craquèrent à nous casser les oreilles, et tous les prisonniers de ce cachot firent entendre en même temps une exclamation d'horreur.
D'autres explosions résonnent coup sur coup et nous poussent dans tous les sens. Le bombardement déchiquette et dévore l'asile de secours, le transperce et le rapetisse. Tandis que cette tombée sifflante d'obus martèle et écrase à coups de foudre l'extrémité béante du poste, la lumière du jour y fait irruption par les déchirures. On voit apparaître plus précises et plus surnaturelles les figures enflammées ou empreintes d'une pâleur mortelle, les yeux qui s'éteignent dans l'agonie ou s'allument dans la fièvre, les corps empaquetés de blanc, rapiécés, les monstrueux bandages. Tout cela, qui se cachait, remonte au jour. Hagards, clignotants, tordus, en face de cette inondation de mitraille et de charbon qu'accompagnent des ouragans de clarté, les blessés se lèvent, s'éparpillent, cherchent à fuir. Toute cette population effarée roule par paquets compacts, à travers la galerie basse, comme dans la cale tanguante d'un grand bateau qui se brise ».

Ernest Ramel et Augustin Vivens sont morts le même jour, au même âge.

A suivre…


Chronologie générale de la 21ème semaine (Source : Wikipédia  et e-chronologie) :

25 décembre :
Des militaires allemands, britanniques et français sympathisent dans les tranchées lors de la Trêve de Noël.


Après s’être opposés à la guerre, les chefs politiques hongrois soutiennent l’effort de guerre autrichien principalement parce qu’ils craignent qu’une victoire russe n’entraîne la sécession des minorités slaves de Hongrie, puis le démantèlement du pays. 3 800 000 soldats seront mobilisés en Hongrie ; 661 000 seront tués, plus de 700 000 blessés et autant faits prisonniers.