DANS LA BOUE

23ème semaine

Du lundi 4 au dimanche 10 janvier 1915

LE MONT SAINT-ELOI

Elie-David Guérin, 158ème RI
Mort le 7 janvier 1915 au combat du Mont Saint-Eloi, 
tué à l’ennemi


Elie-David Guérin, est né à Anduze le 18 mars 1894, il est déclaré comme boulanger au moment de son immatriculation. Son parcours militaire est court mais assez chaotique : incorporé au 159 RI le 9 septembre 1914, passé au 99 RI le 19 novembre 1914, passé au 158 RI le 24 novembre 1914…

L’année nouvelle s’annonce sous de pauvres auspices. Le JMO note pour le 31 décembre : « Le régiment reçoit l’ordre d’aller cantonner à Mingoval et Villers-Châtel, près du Mont Saint-Eloi. Les cantonnements occupés en partie par des formations sanitaires sont à peine suffisants. La malpropreté règne partout, l’eau est en putréfaction ».


Le Colonel adresse ses vœux à son régiment : « Le Lieutenant-colonel adresse à tous les officiers, sous-officiers caporaux et soldats du régiment l’expression de ses meilleurs vœux à l’occasion du nouvel an pour eux-mêmes et leurs familles. Il leur souhaite surtout d’apporter, par leur concours le plus intense et le plus dévoué, encore plus de gloire au drapeau du 158ème, afin de pouvoir rentrer plus vite dans leurs foyers, couverts de lauriers ».

La place du mont Saint-Éloi est importante. Situé au Nord-est d’Arras dans le Pas-de-Calais, le mont est en hauteur, du côté français, un peu en retrait de la ligne de front, mais face aux deux reliefs que sont la crête de Vimy et Notre-Dame de Lorette, pris par les Allemands depuis leur offensive plus au Sud, stoppée par les « Taxis de la Marne ». Les tours de l'abbaye du 10e siècle sont d'autant plus stratégiques pour les Français qu'elles dominent la vallée. Des tours restées intactes malgré la destruction de l'abbaye toute entière pendant la Révolution. 

Le point d'observation est immédiatement redouté par les Allemands, qui bombardent le mont Saint-Éloi dès 1914. Les tours mesurent alors 55 mètres de haut, sur cinq étages. Quelques mois plus tard, et à force d'acharnement, les Allemands réussissent à atteindre la construction, depuis leur base arrière, au-delà du relief de Vimy.

Du 2 au 4 janvier 1915 les hommes restent en place et se livrent à divers exercices ou expériences sur l’emploi et le transport de leur matériel de défense accessoire. On en profite pour leur faire des vaccinations en retard. Une attaque se prépare.

Le 5 janvier le régiment procède à la relève des troupes occupant les premières lignes du secteur. Le colonel procède à une reconnaissance du terrain mais le temps exécrable ne lui permet qu’une vue partielle du dispositif.

Le 7 janvier JMO : «  Les chefs de bataillon signalent à plusieurs reprises l’état de plus en plus mauvais des tranchées et boyaux de communication. Les hommes ont de la boue jusqu’à mi-jambe. Ils demandent qu’il soit mis à leur disposition des planches, des fascines, des écopes, pour étayer les tranchées, les assécher, et permettre de faciliter les communications. Une demande faite à la division du génie reçoit satisfaction partielle vers 17 h. A 18 h 30 les commandants des bataillons de Chasseurs devant faire la relève, après avoir constaté avec les chefs de bataillon du 158ème l’impossibilité absolue d faire l’opération en utilisant les boyaux où les hommes s’enlisent, rendent compte au Commandant du secteur qui décide que la relève sera faite de jour. Il fait prévenir les chefs de bataillons de Chasseurs de faire cantonner leurs troupes à Mt St Eloy, et que la relève s’effectuera le 8 à partir de 6 h 30. Ils apporteront avec eux des fascines et des planches. Les compagnies du 158ème consomment un repas des vivres de réserve, car il est impossible de transporter les vivres préparés à St Eloy. Compte rendu en est fait au général commandant la 77ème DI. L’ennemi ne manifeste aucune activité dans la nuit du 6 au 7 ni dans la journée. Quelques obus tirés par lui vers 9 h du matin. Fusillade intermittente et peu nourrie ».

Elie-David Guérin, Anduzien de 20 ans, est pourtant victime de cette journée considérée comme calme...

Le lendemain la relève prévue est très difficile : « Vers 8 h la relève est interrompue : des hommes sont enlisés dans les boyaux de communication, interrompant la circulation. Le colonel rend compte à la Division de la gravité de la situation. Un officier d’Etat-major de la Division et un officier du génie viennent se rendre compte sur place de la situation. Le colonel fait redemander au génie des cordes et des planches pour désenliser les hommes. Vers midi le matériel demandé arrive. La relève est terminée à 15 h 30. Tous les hommes et gradés sont pleins de boue. Les armes ont besoin de nettoyage et de réparations. Des outils et du matériel de campement ont été perdus. Toute la journée est employée au nettoyage ».

Des soldats allemands dégageant un français de la boue (scène probablement reconstituée)
Un journal du front, « Le bochofage » publie : « On meurt de la boue comme des balles, et plus horriblement. La boue où s’enlise l’homme et – ce qui est pire – l’âme. Mais où sont-ils tous ces « chieurs » d’articles héroïques quand il y a de la boue haut comme çà ! La boue recouvre les galons. Il n’y a plus que de pauvres êtres qui souffrent. Tiens, regarde, il y a des veines rouges sur cette flaque de boue. C’est le sang d’un blessé. L’enfer n’est pas du feu. Ce ne serait pas le comble de la souffrance. L’enfer, c’est de la boue ! ».

A suivre…