FUSILLÉS POUR L'EXEMPLE

25ème semaine

Du lundi 18 au dimanche 24 janvier 1915

LA MORT DE DEUX CAMARADES

Joseph-Louis Eymonet, 61ème RI
Fusillé le 11 septembre 1914 à Trémont (Meuse)

Jean-Victor Tachon, 61ème RI
Fusillé le 11 septembre 1914 à Trémont (Meuse)


Le premier fusillé du Gard a été passé par les armes le 11 septembre 1914. Il nous semble que son sort est indissociable de celui de son camarade de régiment Jean-Victor Tachon, Ardéchois.

Joseph-Louis Eymonet est né le 7 octobre 1890 à Villeneuve-les-Avignon (Gard). Il est maçon. Il est incorporé le 1er octobre 1910 au 61ème RI comme soldat de 2ème classe. Il y reste jusqu’au 8 novembre 1913, après ses trois ans de service obligatoire.
Il y a écopé de plusieurs punitions pour mauvaise conduite.
- 23 décembre 1912 - Motif : « N’a pas voulu refaire une réparation mal faite, et a répondu devant tous ses camarades qu’il était de la classe et n’avait que 275 jours à faire à partir de demain ». Punition : 2 jours de consigne par le chef d’atelier, passés à 4 jours de salle de police par le chef de bataillon.
- 17 mai 1913 – Motif : « A manqué à une revue en affirmant inexactement avoir été employé à la corvée d’ordinaire. 1ère fois ». Punition : 2 jours de salle de police par le sergent-chef, passés à 4 par le capitaine.
- 3 octobre 1913 – Motif : « Etant en sentinelle au service en campagne a déposé son sac et fumait la cigarette ». Punition : 4 jours de consigne par le sergent, passés à 4 jours de salle de police par le capitaine.

Il y rencontre Jean-Victor Tachon, né le 6 mars 1891 à Saint-Victor (Ardèche). Lui aussi incorporé au 61ème RI il y a également écopé de plusieurs punitions avant d’être libéré en avril 1914.
- 19 avril 1913 – Motif : « S’est présenté sur les rangs avec une arme rouillée ». Punition : 3 jours de consigne par le sergent, passés à 2 jours de salle de police par le lieutenant.
- 12 mai 1913 – Motif : « S’est présenté au rassemblement de la compagnie avec son fusil rouillé. 2ème fois ». Punition : 2 jours de salle de police par l’adjudant.
- 14 juin 1913 - Motif : « Mollesse à l’exercice. 1ère fois ». Punition : 2 jours de salle de police par l’adjudant-chef, passés à 4 jours par le capitaine.
- 3 janvier 1914 - Motif : « Extrême négligence, mauvais entretien des effets ». Punition : 4 jours de consigne par le lieutenant, passés à 6 par le capitaine.
- 10 janvier 1914 : « A déposé son linge sale dans le cabanon à vivres de la compagnie ». Punition : 1 jour de salle de police par le sergent-chef, passage à 4 par le capitaine.

Réincorporés dès le début de la guerre en août 1914, les deux camarades reprennent du service dans leur 61ème RI rassemblé à Privas. Ils quittent cette ville le 6 août 1914. Débarqué à Vézelise (Meurthe-et-Moselle), ils sont dirigés vers la Lorraine et parviennent à Dieuze sans autre combat qu'un engagement d'avant-garde à Montcourt le 15 août.

Le régiment traverse Dieuze le 19 août ; les Allemands viennent d'évacuer la ville ; l'avant-garde, à peine engagée dans la plaine de Vergaville, au nord-ouest de Dieuze, est accueillie par un violent feu de mousqueterie. La progression commence sous un feu meurtrier. Cette première journée de combat vaut au 61ème un léger gain de terrain. A la nuit, l'intensité du feu diminue; l'ennemi se retranche à la lisière de la forêt de Geberstroff sur des positions préparées à l'avance, solidement organisées et défendues par de nombreuses mitrailleuses.

L'ordre d'attaque est de nouveau donné au point du jour. Les vagues d'assaut partent à 1.200 mètres des lignes ennemies, sous un feu intense de mitrailleuses et d'artillerie de gros calibres : des vides énormes se creusent dans les rangs, l'élan est brisé. Reformées, les vagues s'élancent à nouveau. En vain. Le barrage précis et serré fauche les lignes de tirailleurs. Les rares survivants s'accrochent au terrain, s'efforçant d'organiser une ligne de résistance. Dans l'après-midi, le repli est ordonné.

Le 23 août deux compagnies du 61ème partent à midi pour contre-attaquer les défenses avancées de Froideterre, redoutes d'infanterie qui sont déjà en possession de l'ennemi. La contre-attaque progresse lentement, soumise à un bombardement intense qui lui cause des pertes sérieuses. Elle prend position le soir en avant de la redoute. Un intense bombardement reprend durant cinq jours. Les deux compagnies sont relevées et vont se reformer à Bras ; leur effectif est réduit des deux tiers. Le général commandant la brigade adresse à ces deux compagnies une lettre de félicitations.

Le régiment occupe le secteur de la côte du Poivre, sous un bombardement incessant, harcelant néanmoins l'ennemi par des reconnaissances et patrouilles offensives.


Le 1er septembre 1914, l’attaque du 61ème RI cherche à progresser à partir de  7 h sous un feu violent d’artillerie de campagne, d’obusiers et parfois d’artillerie lourde. Le bataillon de gauche ne peut dépasser la crête en avant de la Faisanderie où les premiers éléments de l’infanterie se retranchent légèrement ; à droite les compagnies qui progressent sont prises d’enfilade par un violent feu d’infanterie et mitrailleuses partis du faubourg de Villers. A 12 h 30 nouvel essai infructueux. Les mitrailleuses françaises sont en ligne sur le plateau de Vitrimont et vers la gauche dans le parc du château de la Faisanderie. Immédiatement repérées, elles reçoivent de tout l’horizon des rafales violentes de 150 et de 105. Une équipe entière, caporaux, servants et pourvoyeurs est broyée à la pièce de l’angle du mur. A la nuit tombante, les compagnies regagnent la lisière du bois de Vitrimont. Elles ont eu des pertes sensibles qui s’ajoutent aux combats des 25 et 26 août.

Pour beaucoup de soldats ce fut la panique. Jetés sans préparation dans cette « offensive à outrance » voulue par le généralissime Joffre, ils ont abandonné leur équipement et cherché à regagner des lignes moins exposées. Ils ont souvent été arrêtés par des officiers revolver au poing. D’autres sont passés, et parmi eux se trouvaient les soldats Eymonet et Tachon. Ils ont réussi à se cacher deux jours, avant de revenir vers leur régiment.

Les gendarmes de l'armée
Aussitôt arrêtés ils font chacun l’objet d’une demande de mise en jugement rédigée le jour même par leur officier le plus proche, le lieutenant Le Boulanger :
« Le soldat de 2ème classe Eymonet a abandonné sa section au cours de l’engagement du 1er septembre, et n’a rejoint la compagnie que le 3 septembre. Ce soldat, ayant déjà abandonné son poste le 20 août à Dieuze, le Commandant de la 1ère Compagnie a l’honneur de demander que cet homme soit traduit devant un Conseil de Guerre ». Avis du Chef de bataillon : « Le soldat Eymonet donne le plus mauvais exemple de lâcheté devant l’ennemi. J’appuie la demande de traduction devant un Conseil de Guerre ». Décision du Commandant du régiment : « Le soldat Eymonet doit être traduit en Conseil de Guerre pour avoir quitté sa Compagnie en présence de l’ennemi ».

« Le soldat de 2ème classe Tachon a abandonné sa section au cours de l’engagement du 1er septembre, et s’est terré toute la journée du 2 dans la forêt de Vitrimont. Il n’a rejoint la compagnie que le 3 septembre. Homme peureux, il y a intérêt à en débarrasser la Cie en le traduisant devant un Conseil de Guerre ». Avis du Chef de bataillon : « Fatal exemple de lâcheté devant l’ennemi. A traduire devant un Conseil de Guerre pour exemple à faire ». Décision du Commandant du régiment : « Le soldat Tachon doit être traduit en Conseil de Guerre pour abandon de son poste en présence de l’ennemi ».

Le 4 septembre, la date du Conseil de Guerre est fixée au 10 à 14 heures.

Le 5 septembre l’avis de mise en jugement pour abandon de poste est remis aux deux soldats qui sont détenus au poste de garde de la prévôté du régiment.

Le 10 septembre le Conseil se réunit. Il comprend les membres suivants :
- Guéron, Colonel au 6ème régiment de Hussards, Président,
- Brier, Chef d’Escadron au 6ème régiment de Hussards, Juge,
- Mayras, Capitaine au 55ème Régiment d’Infanterie, Juge,
- Croisy, Sous-lieutenant au 55ème Régiment d’Infanterie, Juge,
- Michandel, Adjudant à la 15ème section de commis et services de l’intendance, Juge.
Le Maréchal des Logis Jouve, brancardier, est désigné d’office comme défenseur.

La procédure est rapide, et n’enregistre pas les propos éventuels des accusés ou de leur défenseur. Elle se résume à trois questions :
1° - Le soldat Eymonet est-il coupable d’avoir, le 1er septembre 1914, abandonné son poste ?
2° - Ledit abandon a-t-il eu lieu en présence de l’ennemi ou de rebelles armés ?
3° - Ledit abandon a-t-il eu lieu sur un territoire en état de guerre ?
Les réponses étant oui à l’unanimité, la condamnation à mort est prononcée en vertu de l’article 213 du code de Justice Militaire.
La procédure est exactement la même pour le soldat Tachon.
Deux peines auxiliaires sont ajoutées : la dégradation militaire et la condamnation aux frais.


Le 11 septembre à 6 h l'exécution a lieu, en présence du régiment. Le médecin y assiste et établit un certificat : « Je soussigné Daumas Paul-Adrien médecin aide Major de 2ème classe de Réserve déclare avoir, en exécution de l’ordre donné par le médecin Inspecteur Directeur du service de santé du XVème Corps d’Armée, m’être transporté ce jour d’hui à 6 heures du matin à l’entrée du village de Trémont au lieu dit « le Pré » et avoir assisté à l’exécution des soldats Eymonet et Tachon du 61ème d’Infanterie. J’ai examiné séparément les cadavres des suppliciés et ai constaté sur chacun d’eux des blessures siégeant à la tête, la poitrine et l’abdomen et devant entraîner une mort immédiate. Néanmoins comme le corps de l’un des condamnés était encore animé de mouvements convulsifs mais probablement réflexes j’ai cru devoir ordonner le coup de grâce ».

Dessin d'une exécution dans le carnet d'un soldat
Un relevé des frais est dressé par l’administration : il s’élève à 12,55 francs, qui devront être recouvrés sur les biens des suppliciés, donc sans doute payés par la famille.

Ils ont été les 31ème et 32ème soldats fusillés de cette guerre. Il y en aura encore plusieurs centaines.

Et pour finir obligation est faite à trois mairies d’afficher le jugement et ses motifs en trois mairies : celles de Trémont (où l’exécution a eu lieu), ainsi que celles de Villeneuve les Avignon et de Nîmes. Afin que nul n’en ignore…


A suivre…