90ème semaine
Du lundi 17 au dimanche 23 avril
1916
LES NUITS ORDINAIRES DES
FANTASSINS
Louis-Jules Pautard, 112ème
régiment d’Infanterie,
disparu le 20 juin 1915, dans le
bois de la Gruerie (Argonne)
Louis-Jules Pautard est né le 28 mai 1882 à Cocurès, près de Florac.
Il est cultivateur et habite à Boisset-Gaujac. Lors du conseil de révision qui
l’examine en 1902, on lui découvre des orteils en marteau, disposition parfois
douloureuse et en tout cas peu compatible avec les longues marches qui
attendent les fantassins. Il est donc versé dans les services auxiliaires. La
mobilisation de 1914 fait disparaître de telles délicatesses, et il rejoint en
novembre 1914 le 40ème régiment d’infanterie, celui où tant de Gardois
sont incorporés. En mars 1915 il passe au 112ème régiment d’infanterie.
Trois mois plus tard ce régiment est envoyé en Argonne.
Historique du régiment :
« Le 16 juin 1915, le 112ème prend en Argonne le secteur de
la Gruerie qu'il devait défendre jusqu'au 13 juillet. Pendant cette courte période,
le régiment fit preuve d'un splendide moral, attaqué par deux divisions
ennemies du 20 juin au 4 juillet, repoussant tous les assauts, bravant toutes
les pertes. Les journées les plus dures furent celles du 20 et 30 juin ; le
secteur reçut 80.000 obus asphyxiants. Les pertes furent élevées : 31 officiers
et plus de 2.000 hommes mis hors de combat. Nombreuses furent les actions
d’éclat qui attestèrent le moral élevé du régiment dans cette terrible période.
Le sous-lieutenant Fantoni, chef d’une section de mitrailleuses, démonta,
nettoya et remit en batterie sous le feu de l'artillerie une de
ses pièces enrayée ; il arrêta met l’élan d'une section allemande. Le
sous-lieutenant Raynaud fut tué en entrainant sa section pour une cinquième
contre-attaque.
Le sergent Gaillon, releva, chargea sur son dos une mitrailleuse
dont le trépied avait été brisé, et ordonna au tireur de la mettre en action ;
le dos à vif, écorché et brûlé, il me faiblit pas un seul instant.
Le soldat Scanavino, agent de liaison du colonel, assura à quatre
reprises dans la même matinée la transmission des ordres aux bataillons en
ligne. A la cinquième fois, il revint au bout de deux heures, titubant, couvert
de sang. Le malheureux était criblé d'éclats de mines et, de plus, avait six
balles de mitrailleuse dans le corps ; il se présente au colonel Ferradini, commandant
la 25ème brigade. Par signes il demande de quoi écrire, mais tombe mort en
murmurant dans un souffle : « Peux pas... ».
Le 29 septembre 1914, une importante décision intervient dans le
camp allemand. Le général von Mudra reçoit pour mission de s’emparer du massif
forestier d’Argonne. Une phase de combats terribles s’ouvre. A partir d’octobre,
les Allemands prennent la route de Varennes pour objectif et lancent des
assauts meurtriers dans le bois de la Gruerie par lequel passent les lignes
françaises. Une violente offensive allemande se déclenche dans le bois, le 29
janvier 1915, à 6 heures 30. Les fantassins de la 27. I.D., parmi lesquels on
compte un certain Oberleutnant Rommel, heurtent les Poilus de la 40e D.I.,
particulièrement surpris par la brièveté de la préparation d’artillerie. Les
Allemands déplorent plus de 400 tués et les Français 3.000 hommes hors de combat
en deux jours. Le bois gagne un nouveau nom : « Le Bois de la Tuerie ». Les
combats n’y cesseront plus jusqu’en 1918.
Carnet d’Augustin Robiquet, soldat au 150ème RI :
« Bois de la Gruerie - Le 21 février - Nous avons été 3 jours
dans les tranchées. Il y a eu 4 de blessés nous autres la première journée.
Mais il ne faut pas s'en faire pour ça, car tout le monde n'est pas tué en ce
moment. Nous sommes dans des gourbis. Il est dimanche, mais on ne voudrait pas
le croire car le canon tonne toujours malgré que nous sommes plus dans les
tranchées. Je viens de nettoyer mon fusil, car il était propre, trois jours de
tranchées, il était plein de boue. Enfin c'est la vie en ce moment. Sans doute
que ça ne durera plus trop longtemps à tout ça près, les boches ne reculent pas
vite surtout dans ce sale bois où nous sommes, car c'est le pire de tous les
fronts. Le pire c'est qu'il est dimanche et on ne peut pas aller faire une
partie de cartes chez Boubet comme avant. Demain je vais aller me laver car
dans les tranchées, on ne peut pas se débarbouiller. Je termine en terminant la
page, à bientôt de se revoir.
Samedi 27 février 1915 - Je profite que je suis de garde pour
mettre quelques nouvelles. Nous sommes dans la tranchée depuis 24 h, on ne doit
être que 3 jours mais je ne sais pas ce qu'il y a pour rester encore
aujourd'hui. Enfin 3 jours c'est assez sans dormir car il faut prendre la garde
tous les 4 h et il fait fort froid, il gèle fort. J'espère que demain nous
allons être relevés car c'est assez comme ça. Nous sommes en ce moment à 8
mètres des boches, ça fait qui faut faire attention à lui pour ne pas recevoir
des boîtes de singe sur sa gueule. En ce moment nous touchons la soupe pour la
journée. Je viens de boire ma goutte, elle est très bonne et elle nous fait du
bien, car depuis hier soir nous n'avons pas encore eu rien du tout dans le
coco. J'espère bientôt recevoir mon colis, car j'attends après avec impatience
pour moi manger du beurre et du chocolat et du papier à lettre aussi que
j'attends. Je compte sur ça ce soir ou demain.
Jeudi 4 mars - Nous sommes aujourd'hui le 4 mars 1915, je suis
toujours dans les tranchées des premières lignes, ce soir je vais rechanger
nous allons au petit poste à 15 mètres des boches, là on va voir pour ne
s'ennuyer trop car les boches sont des bêtes qui ne savent pas ce qu'ils font,
ni savent qu'ils disent soit comme des bêtes. Enfin c'est toujours la guerre.
Le bois de la Gruerie - Dessin de Mathurin Méheut |
La paix ne vient pas vite mais faut pas s'en faire pour ça car ça
n'avance pas plus vite, elle viendra peut-être un jour. Je viens de faire une
lettre à Jules lui disant qu'il n'y faisait pas trop gai où j'étais, dans le beau
bois de la Gruerie. Mais lui doit être mieux que moi sans savoir comme il est,
car moi où je suis là on n'est pas à la fête. Tout ça s'est passé pour nous
autres. Plus jamais on ne reverra ça comme l'année dernière. Tous les dimanches
on était à la fête ou bien des parties de vélo ou des parties de cartes ou tout
ça et en plus chez Boubet à boire une bonne pinte et une bonne bistouille. Tout
ça est passé, il n'y a rien à faire à tout ça. Vivement la paix qu'on puisse
aller faire un petit tour chez lui.
Vendredi 12 mars 1915- Belle journée épatante pour celui qui était
pas ici. Je vous assure ce matin à partir de 7 heures nous étions au petit
poste qui se tient à 5 mètres justes des Boches. C'est tout à coup une dégelé
de coups de fusil qui arrive sur le créneau qui est fait en sacs en face de
leur tranchées. Le premier coup casse mon fusil, le deuxième coup blesse un
homme, ça fait que le créneau se démontait à force que les Boches tirait
dedans. Nous voilà partis à deux, moi et un autre qui était avec nous pour
refaire le créneau. 5 ou 6 coups de fusil arrivent sur nos sacs, qui en blesse
un. Moi et mon copain qui était près de nous eu le képi enlevé par les balles.
Je vous assure que ça n'était pas gai de voir ça, aussi on aspirait que le soir
vienne pour être relevé. Tous se disaient si on va jusqu'au soir ça ira bien
car on n'était pas bien et personne, il n'y avait que moi et un camarade qui
voulaient y aller. Enfin nous sommes à 1 heures à midi, nous sommes à peu près
sauvés des eaux.
Samedi 27 mars 1915 - Nous sommes aujourd'hui au repos pour 3
jours, ça ne fera pas de mal.
Jeudi 1er avril 1915 - C'est aujourd'hui 1 avril, tous les ans on
a encore un bonne partie de plaisir, mais cette année, le plaisir et dans les
tranchées au milieu du bois de la Gruerie par un froid de chien.
2 avril - Nous avons passés une triste nuit. Nous avons été
bombardés des obus boches toute la nuit. Mise à part ça, il fait très beau. Le
pire c'est toujours la nuit, il fait un froid de chien.
Jeudi 11 avril - Nous avons descendus hier matin dans nos
tranchées d'habitude. Nous avons trouvez beaucoup de changement aussi depuis
hier matin. Nous travaillons sans arrêter puis que la tranchée est pleine
d'eau. Je vous assure que ce n'est pas gai de penser qu'il pleuve toujours
depuis que je suis arrivé, aussi on n'a pas de goût pour travailler, car à
mesure qu'il faut retirer l'eau, à mesure qu'elle revenait. Aussi depuis hier,
nous avons les pieds gelés, mort dans l'eau. Vivement que le soleil brille pour
faire sécher pour que l'on puisse travailler un peu de bon cœur. Ca ne va pas,
nous allons changer de place, ce soir ça fait que l'on va, peut être, de mieux
ou pire. Mais je crois fort que ca ne sera pas mieux, car tous savent qu'ils
ont de la boue jusqu'au genou, car le terrain va en pente. Ca fait que l'eau y
va de bon cœur. Heureusement qu'on y est resté que 24 heures chaque section. Car
c'est un poste qui n'y fait pas gai. Vivement que les 4 jours soient finis pour
aller en repos et pour boire un bon coup de vin.
Enfin nous travaillons toujours dans la merde. Vive la France.
Dans quelques jours nous aurons la paix ».
Louis-Jules Pautard disparaît le 20 juin 1915 dans le bois de la
Gruerie, sous le bombardement insensé de 80 000 obus asphyxiants. 31 officiers
et plus de 2 000 hommes sont mis hors de combat en même temps que lui. Il
avait 33 ans. Son nom figure sur la plaque commémorative de l’église d’Anduze.
A suivre…