91ème semaine
Du lundi 24 au dimanche 30 avril
1916
BATAILLE DE CHAMPAGNE - 1/3
Fernand Dugas, 75ème régiment
d’Infanterie,
mort le 25 septembre 1915 à Perthes
(Marne)
Fernand Dugas est né le 22 juillet 1890 à Vauvert. Avant d’être
incorporé en octobre 1912, il est manœuvre, ses parents vivent à Alès. Pendant
son service il se forme au maniement du tambour, il est successivement simple
tambour en novembre 1913, il deviendra caporal tambour en avril 1915. Il est
donc déjà sous les drapeaux en août 1914 quand la guerre éclate. Son régiment
est le 75ème régiment d’infanterie, basé à Romans (Drôme), dont l’effectif
est de 56 officiers et 3 615 hommes de troupes. En quatre ans il perdra 73
officiers et 3 111 hommes de troupes, soit pratiquement son effectif
entier. Seul le passage d’environ 17 000 hommes dans ses rangs compensera
les pertes au fur et à mesure de leur survenue.
Dès les premiers jours le régiment est envoyé dans les Vosges,
pour l’offensive voulue par le haut-commandement, offensive coûteuse en hommes
et suivie d’un repli général avant que les tranchées ne figent les lignes. En
juin 1915, c’est la bataille de la Somme, dans le secteur de Lihons. Déplacé le
6 juin vers le village d’Hébuterne, il doit y effectuer une attaque importante.
Mais les reconnaissances nécessaires n’ont pas pu être menées à bien, les
tranchées de départ sont encombrées par les troupes montantes, les blessés que
l’on redescend de la première ligne, les cadavres que l’on ne peut évacuer. L’attaque
est quand même lancée au petit matin. Les Allemands prennent les colonnes d’assaut
sous des feux croisés de mitrailleuses et d’artillerie, la plupart des
officiers sont tués, la confusion est totale, les grenades indispensables ont
été perdue on ne sait où. Il fait très chaud et aucun ravitaillement en eau n’est
possible. Après une journée éprouvante les unités se reforment comme elles
peuvent et reprennent leurs attaque dès qu’il fait nuit. Finalement les
objectifs fixés sont atteints, les premières lignes allemandes ont été
conquises et sommairement organisées. Le 11 juin enfin le 75 RI peut être
relevé par un autre régiment, il retourne à ses bases autour de Lihons. Peu
après il est envoyé vers la Champagne.
A la mi-août le 75 RI se trouve dans le secteur de Perthes-les-Hulus,
lieu de toutes les extravagances guerrières : bouleversé par d’énormes
trous de mines, infesté par les restes de toutes sortes d’engins (bombes,
marmites, obus de tous calibres), le terrain crayeux se dissout à la moindre
averse, les terrassements doivent y être indéfiniment recommencés. Une grande
attaque se prépare néanmoins.
L'objectif fixé par le général Joffre est quadruple : limiter le
renforcement de l'armée allemande sur le front russe et aider ainsi la Russie
qui a perdu la Pologne et dont les armées sont en retraite, convaincre
certaines nations encore neutres d'entrer en guerre au côté des alliés et en
particulier l'Italie, relancer la guerre de mouvement pour redonner le moral
aux militaires français et en finir au plus tôt avec la guerre, et enfin
permettre à Joffre de renforcer sa crédibilité auprès des autorités politiques
françaises.
Le principe est de lancer une offensive massive dans un secteur
limité à vingt-cinq kilomètres entre Aubérive sur la vallée de la Suippe et
Ville-sur-Tourbe pour obtenir la rupture et assurer une exploitation profonde
sur les arrières de l'armée allemande et forcer le repli de toute la partie
ouest de son dispositif. C'est la raison pour laquelle chaque armée est
renforcée par un corps de cavalerie. Cette attaque est coordonnée avec une
offensive commune franco-britannique en Artois qui sert de point de fixation
aux Allemands.
Ce secteur de Champagne est choisi en raison de ses
caractéristiques géographiques. Le terrain est relativement plat, il n'y a pas
d'agglomérations qui pourraient servir de point de résistance aux Allemands et
le terrain est soit ouvert, soit boisé de manière diffuse, propre à assurer une
progression fluide des vagues d'assaut. Il s'agit donc, après une préparation
d'artillerie massive, de conquérir les lignes allemandes en attaquant de face
les points de résistance et en les enveloppant par les flancs avec des troupes
d'intervalles par vagues continues jusqu'à créer la rupture et l'exploiter à
l'aide des troupes de deuxième ligne.
L'offensive est prévue dans un premier temps pour le 8 septembre
mais, à la demande du général de Castelnau qui estime avoir besoin de plus de
temps, elle est reportée au 15 puis au 25 septembre.
Voici l’historique du 75 RI, auquel appartient Fernand Dugas :
« 22 septembre. La préparation d'artillerie commence; des
bivouacs, on entend le canon gronder sourdement. Activement, le régiment se
prépare à réaliser l'équipement d'assaut tel que le prescrit l'ordre d'engagement.
Enfin, les préparatifs à peu près achevés, une revue est passée le
24 par le général de Bazelaine, commandant la 27e DI, qui prononce quelques
paroles vibrantes en annonçant l'attaque pour le lendemain. Le
lieutenant-colonel lit ensuite à chaque bataillon et compagnie de mitrailleuses
l'ordre du jour du général commandant en chef, et leur redit toute sa confiance
dans le succès.
L'attaque doit être menée avec la plus grande énergie, jusqu'à la
conquête définitive des objectifs assignés, chaque unité poussant droit devant
elle, sans s'attarder dans les tranchées et boyaux, sans s'inquiéter de savoir
si les unités voisines sont à leur hauteur. Au cours de l’attaque, les
batteries sont portées en avant par échelons. Eventuellement, la cavalerie sera
utilisée pour tenter des coups de main sur les batteries ennemies, fournir des
éléments de reconnaissance, atteindre le tunnel détruit (sur la ligne de
Challerange, entre Maure et Somme-Py). Les blessés seront évacués, selon le
cas, sur Somme-Suippes (ambulance de triage et H. O. E.), sur Saint-Remy
(ambulances) ou sur Courtisols (dépôt d’éclopés).
L'ordre du corps d’armée fixe en outre la tenue d'assaut qui
comporte :
- Le sac allégé, contenant deux jours de vivres de réserve (un
jour de vivres du jour est placé dans la musette).
- La toile de tente, un bidon de 2 litres, le masque, deux sacs à
terre, l'outil au ceinturon, 250 cartouches.
- Les grenadiers seront porteurs d’une musette spéciale pour les
grenades et d’un revolver, ils n’emportent pas le havresac.
- Les nettoyeurs de tranchée sont armés de couteaux.
- Les officiers auront une tenue et un équipement pareil à ceux de
leurs hommes.
Dans les tranchées de départ la première vague sera déployée
initialement, les autres unités étant formées par sections ou par demi-sections
dans les boyaux. Chaque vague est suivie d’un groupe de nettoyeurs de
tranchées. L'assaut doit être mené jusqu’au bout, sans arrêt, drapeau déployé,
tambours battant, la musique jouant la Marseillaise au départ ».
On a bien lu : drapeau
déployé, tambours battant, la musique jouant la Marseillaise au départ !
En septembre 1915, plus d’un an après les désastres des premières offensives françaises,
le commandement continue à considérer qu’il vaut mieux attaquer avec panache qu’avec
efficacité…
Le 22 septembre 1915, commence une préparation d'artillerie qui
dure trois jours. 1 100 pièces d'artillerie au total sont déployées.
À partir du 22 septembre, l'artillerie de campagne, principalement
les canons de 75, et l'artillerie de tranchée, employée pour la première fois
sur une grande échelle, traitent les tranchées de première ligne et détruisent
les réseaux de barbelés qui empêchent la progression des fantassins.
À partir du 24 septembre, l'artillerie lourde à longue portée
traite les lignes de ravitaillement et les nœuds de communication allemands
dans la profondeur, notamment les axes logistiques principaux et les gares de
Bazancourt et de Challerange. Les troupes sont concentrées avant l'assaut sur
de grandes places d'armes à une distance respectable des premières lignes pour
éviter que les Allemands ne les repèrent. Une de ces places d'armes prend le
nom de Place de l'Opéra. L'ensemble est soutenu par des mouvements sur des
routes et des voies ferrées spécialement construites pour l'occasion afin de
déplacer les troupes et permettre un approvisionnement continu en munitions.
Le 25 septembre 1915, les effets de l'artillerie de campagne et de
l'artillerie de tranchée sur la première ligne allemande sont évidents.
Toutefois, la progression est assez inégale en raison des fortes organisations
défensives allemandes. Les points de résistance rendent la progression très
inégale et mal coordonnée. À l'ouest, elle bute sur le dispositif de la ferme
des Wacques, ensemble de fortifications complexes faites de 7 à 8 lignes de
tranchées cachées dans des zones boisées le long de la vallée de l'Ain et bien
protégé par des réseaux de barbelés. À l'est elle déborde les positions
défensives vers Souain. Les liaisons s'étiolent. Les combats se dispersent. Le
2e corps colonial progresse sur trois axes. À l'ouest il atteint le Moulin de
Souain détruit; au centre il arrive sur la ferme-cabaret de Navarin qu'il
saisit mais il butte sur un dispositif fortifié placé en arrière des bâtiments.
Blaise Cendrars, alors légionnaire
au 2e régiment de marche y est gravement blessé. Il y perd un bras, épisode qui
donnera quelque trente années plus tard le titre de son récit de guerre, La
Main coupée. À l'est, la progression est gênée par le dispositif fortifié du
Bois Sabot qui résiste sur sa droite.
L'épreuve de la réalité, sans prendre de gants... |
Après le 25 septembre, l'offensive française continue à se
concentrer sur les points de résistance résiduels sans parvenir à entamer la
deuxième ligne. Quelques succès locaux sont obtenus, mais, le 1er octobre, le
général Pétain fait suspendre les combats en raison des pertes trop importantes
et d'une consommation de munitions insoutenable.
La seconde bataille de Champagne a fait 27 851 tués ; 98 305
blessés, 53 658 prisonniers et disparus du côté français et des pertes beaucoup
plus faibles du côté allemand. Le front a progressé de 3 à 4 km mais la rupture
n'a pas été réalisée. Les Allemands ont su faire face dans un premier temps
avec les réserves locales et, dans un deuxième temps, avec l'arrivée du 10e
corps destiné initialement à la Russie. Elle a démontré l'impossibilité de
franchir dans un seul mouvement deux lignes de défense et la nécessité de
traiter chacune des lignes séparément. Elle a aussi démontré le manque de
coopération entre les armes au sein des armées françaises, notamment entre
l'artillerie lourde et l'infanterie. Elle a vu l'introduction du casque Adrian
et l'utilisation massive de l'artillerie de tranchée. Elle a été un succès non
négligeable au plan logistique et des mouvements ; mais montre un manque de
préparation en nombre d'obus en réserve. Le 7 septembre la dotation était de 1
200 coups par canons de 75, elle fut brûlée en six jours, 1 200 000 obus ont
été consommés sur cette offensive.
Le caporal-tambour Fernand Dugas n’est pas mort dans la charge
héroïque de son régiment, drapeau
déployé, tambours battant, la musique jouant la Marseillaise au départ. Il a
sans doute fait partie de cette charge, mais c’est un peu plus tard dans la
journée du 25 septembre qu’il se fait tuer « glorieusement en traversant
sous un feu violent un terrain complètement découvert pour apporter un ordre à
son chef de bataillon » (texte de sa citation). Il reçoit à titre posthume
la Croix de Guerre avec étoile de bronze, et la Médaille Militaire. Il avait 25
ans, son nom figure sur la plaque commémorative de l’église d’Anduze.
A suivre…
PS : Cette deuxième bataille de Champagne fera chez les Anduziens une deuxième victime, Camille Malzac, le 26 septembre, nous en verrons le détail la semaine prochaine (dimanche 1er mai). Puis le 28 septembre, au même endroit, le grand écrivain Blaise Cendrars sera grièvement blessé, c’est à lui que sera consacré le billet suivant, à paraître le
dimanche 8 mai.