95ème semaine
Du lundi 22 au dimanche 28 mai
1916
POUR QUELQUES MÈTRES DE TERRAIN
Paul-Marcel-Henri Chaudesaigues,
173ème régiment d’Infanterie,
mort le 29 mai 1916 sur la cote
304 à Esnes (Meuse)
Paul-Marcel-Henri Chaudesaigues est né à Lasalle le 8 avril 1889.
Au moment de l’entrée en guerre il habite Anduze, où il est maréchal-ferrant.
Il n’est pas bien grand, avec son 1,51 mètre. Il est néanmoins incorporé au 163e
RI, où il fait ses classes de 1910 à 1912. Mobilisé en août 1914, il passe au
173e RI en février 1916, juste avant la bataille de Verdun.
Après leur attaque massive du 21 février 1916, les Allemands
essaient encore d’encercler Verdun. Ils sont sur la rive droite, avec les forts
de Douaumont, qu’ils ont pris facilement, et Vaux, qui résiste longtemps. En
avril, les lignes sont à peu près figées, mais les points dominants font l’objet
de très durs combats, et d’épouvantables tueries.
André Joubert, historien de cette guerre, ne veut pas être dupe
des racontars officiels, il publie en 1922 « La grande guerre vécue, racontée, illustrée par les Combattants, en 2
tomes » :
« Les Boches attaquèrent, le 9 avril, en vagues compactes,
précédés de flaminenwerfer, et culbutèrent nos troupes qui durent abandonner la
crête de la cote 295. La bataille avait été acharnée et les pertes de la 42e
division d'infanterie furent très élevées. Le Mort-Homme n'était plus à nous.
Et l'ennemi, dévalant la pente au pied de la cote 265 que nous tenions encore,
menaçait le ravin de Chattancourt. La situation était critique.
Derrière la ligne de défense des ouvrages Molandin, Macaire,
Chattancourt, il n'y avait plus rien que la plaine de La Claire et la forêt des
Bois-Bourrus, le Mort Homme, pleine d'artillerie, mais dépourvue d'autres
moyens de défense.
Une magnifique contre-attaque sauva la situation, en délogeant
l'ennemi des points qu'il avait réussi à occuper sur cette crête. Nos lignes
étaient rétablies à cela près que les boches conservaient les crêtes
dominantes, c'est-a-dire l'observatoire et, en fait, le Mort-Homme, qu'ils
devaient garder jusqu'en septembre 1917.
Relisez les communiqués officiels de cette époque. Ils affirment
que nous sommes toujours maîtres du Mort-Homme et, lorsqu'ils conviennent de sa
perte, ils le font en termes ambigus. Le communiqué du 14 avril (23 heures),
pour la première fois, laisse deviner la vérité en disant : « Activité des deux
artilleries dans la région du Mort-Homme ».
Le secteur que la 40e division avait quitté n'était plus
reconnaissable. Au calme qui avait précédé la grande offensive allemande avait succédé
l'agitation permanente. Il ne se passa point de nuit sans qu'il y eut attaques
ou contre-attaques, pertes et reprises d'éléments.
La 40e division d'infanterie parvint à redresser ses lignes et à
reconquérir un peu de terrain, ce qui permit au communiqué de se montrer
optimiste.
En réalité, nous n'occupâmes que du terrain neutre, où l'ennemi
n'était pas installé. A part une affaire assez chaude, sur Cumières, et qui
demeura sans résultat de part et d'autre, il n'y eut aucun grand fait dans la
période du 12 au 29 avril. A partir de cette date du 29 avril, la 165e division
d'infanterie tint les lignes dans ce secteur qui allait de la cote 304 à
Cumières et au fleuve, Dois-je écrire : « Tint les lignes? » Je devrais plutôt
dire : « Perdit les lignes ». La cote 304 était pour ainsi dire prise. Toutes nos
premières lignes appartenaient aux Boches, ainsi qu'une partie de nos secondes
lignes. Chattancourt abritait désormais les postes de secours des bataillons
d'active, alors que, trois semaines plus tôt, c'étaient les territoriaux qui
s'y trouvaient en position de soutien.
Le 23 mai, les 150e et 161e régiments d'infanterie tentèrent
vainement de réduire un saillant que les boches possédaient dans nos lignes. Le
24, nouvelle tentative, couronnée de succès cette fois. Le 25, martèlement
ininterrompu de tout le front de la division par les Allemands.
Ce bombardement continua et s'amplifia le 26, le 27, le 28 et le
29. Une grosse attaque s'apprêtait. A coup sûr, les Allemands voulaient enlever
la ligne de défense de Chattancourt.
Le 29, à 14 heures, l'offensive attendue se déclencha. Et, comme
on le prévoyait, l'effort de l'ennemi porta surtout sur Chattancourt et sur Cumières.
Une telle fumée stagnait sur ce coin du secteur que les éléments du 15e
régiment d'infanterie, qui n'étaient pas à plus de cent mètres à gauche du
154e, ne distinguaient rien de ce qui se déroulait à côté d'eux. Mais ils le
connurent bientôt, quand la sonnerie du « garde à vous » retentit pour leur
enjoindre d'entrer dans la danse. Ne croyez pas que j'exagère. Dans la guerre
de tranchées, c'est la seule fois où, au 32e Corps d'Armée, on a vu un régiment
s'élancer à la bataille au son des clairons.
Soudain, les boches s'arrêtèrent et un répit se produisit.
Pourquoi? On ne l'a jamais su. Cependant, l'ennemi n'avait réussi à s'emparer
que de très peu de terrain. A coup sûr, les objectifs qui avaient été assignés
n'étaient pas atteints. Craignirent-ils une contre-attaque?
Hélas ! Il ne restait plus grand-chose de nos régiments
d'infanterie. Ah ! L’on n'était pas fier à Chattancourt, en ce temps-là ! ».
Plus précisément voici le détail des opérations à laquelle fut
mêlé le 173 RI, dans lequel se trouvait Paul-Marcel-Henri Chaudesaigues.
Sur le front du 296e R.I., un canon de 75 mal renseigné tire trop
court et fait des victimes dans ses lignes. Témoignage du commandant, puis
colonel Roman du 358e R.I. : " L'artillerie allemande a une puissance
formidable ; son artillerie lourde est incomparable ; sa précision surtout est
aussi parfaite que possible. Il en est tout autrement de son artillerie de
campagne qui semble-t-il, n'a pas encore fait de progrès. Chez nous, c'est
l'inverse, et c'est plus triste. Pendant plus d'un an de séjour en Lorraine,
j'avais entendu la même rengaine : "C'est vrai, il n'y a pas d'artillerie
lourde ici, parce que c'est un front peu important, mais si vous voyiez
ailleurs ! " Ailleurs ? Sans doute à Verdun, par conséquent, car si le
front présente un point capital, c'est bien Verdun. Eh bien ! Non, c'était
encore un bluff. L'artillerie de campagne à Verdun est formidable, fantastique,
"roue à roue", elle fait une besogne admirable, mais la lourde ?… Il
n'y en a pour ainsi dire pas et quand il y en a, c'est pis. Elle ne règle rien,
ne vérifie rien, tire sur nous et s'entête !… Voici un fait précis. Mes
tranchées me signalent : Artillerie de 155 tire trop court. Si court, en effet,
qu'à intervalles réguliers, un obus de 155 tombe en plein sur mon abri qui est
à environ 250 mètres derrière ma première ligne. Je rends compte par coureur,
car je n'ai pas d'autre liaison possible. Pas de changement. Je rends compte
une deuxième, une troisième, une quatrième fois, en numérotant mes comptes
rendus : rien n'y fait ; on me sert régulièrement mes obus de 155. Mais le
lendemain, la réponse de la division m'arrive sous forme de note à communiquer
à tout le monde. Cette note dit en substance : "C'est à tort que
l'infanterie se plaint de recevoir des obus trop courts de notre artillerie ;
c'est inexact. On devrait réfléchir avant de propager de pareilles accusations.
On oublie que l'ennemi lui-même a des canons et des obus de 155 qu'il nous a
pris ; ce sont ces obus qu'on prend par erreur pour les nôtres." A ceux
qui se récrieront et ne pourront croire ce que j'écris ici, j'affirme sur l'honneur
que je n'exagère pas. Voilà la réponse qu'on fait aux comptes rendus successifs
et pressants d'un chef de bataillon ! Je réponds : "je considère la note
que je viens de recevoir comme une insulte personnelle ; que c'est en effet
m'insulter que de me supposer capable, après deux ans de guerre, de me tromper
aussi grossièrement sur la direction des obus que je reçois ».
16 - 17 - 18 mai - Chaque jour, le canon français tire trop court
et massacre ses fantassins. Le 18 au matin, le 3e mixte Z.T. part à l'attaque
au nord-est de la cote 304. Il parvient à reprendre la crête à 11 h. A 11 h 30,
l'artillerie allemande déclenche en représailles un violent pilonnage des positions
qu'elle vient de perdre. A 17 h, une importante contre-attaque allemande est
lancée mais elle est repoussée. Le 3e mixte est parvenu à tenir ses positions
mais ses pertes ont été très lourdes. Les compagnies ont été hachées, l'une
d'entre elles qui comptait 180 hommes le matin, n'a plus que 19 combattants le
soir.
19 mai - Au matin, l'attaque allemande reprend sur la ligne bois
Camard, nord-est de la cote 304. Le 1er Tirailleur est contraint de reculer ce
qui permet à l'ennemi d'accéder à la route Esnes-Haucourt entre le bois Camard
et la tranchée de Champigneulles, tenue par le bataillon d'Afrique. Une fois la
position renforcée, l'ennemi parvient à être contenu. Le 1er Tirailleur est
relevé dans la nuit après avoir perdu en 9 jours d'occupation 1 945 hommes et
33 officiers. La 45e D.I. épuisée est également relevée.
Témoignage de l'adjudant Salvat : " Le 19 mai, le général Nivelle signale l'état sanitaire, très défectueux de certaines des divisions retirées de la bataille et écrit : "Toute division, pour laquelle la fatigue dépasse un certain niveau, subit une dépression physique et même morale qui la rend inutilisable pour un mois au minimum." Une division a été relevée à la suite d'un fait qui semble à première vue insignifiant. Un officier d'E.-M. étant entré dans un abri de seconde ligne où se trouvaient une vingtaine d'hommes, s'aperçut avec stupeur qu'un homme était pendu au milieu de l'abri et que ses camarades ne s'étaient pas préoccupés de le dépendre. Nivelle, prévenu, estima fort justement qu'une pareille dépression morale rendait la division inapte au combat. "
20 mai - Percée allemandes sur le Mort-Homme.
Depuis la perte du fort de Douaumont, le 25 février, le G.Q.G. n'a
jamais cessé d'imaginer un plan pour le reprendre. Le général Joffre a
inlassablement réclamé cette offensive au général Pétain, mais ce dernier,
conscient de l'infériorité de l'artillerie française sur l'artillerie
allemande, a toujours tenté d'en reculer l'échéance.
Le 12 avril, le général Nivelle, qui commande alors le 3e corps
d'armée, a tout de même été missionné par Pétain pour mettre sur pied un plan
d'attaque. Mission qu'il a lui même confié à son subordonné direct, le général
Mangin.
Joffre, agacé par les réserves émises en permanence par Pétain,
parvient très subtilement à s'en débarrasser. Il ne peut pas limoger un tel
chef, qui a tant œuvré pour Verdun depuis 2 mois et dont toutes les entreprises
ont été un succès. Il éloigne donc Pétain du champ de bataille de Verdun par
une manœuvre très habille, en l'élevant en grade. De commandant de la 2e armée,
il devient commandant des Armées du centre, ou Verdun n'est plus qu'un élément.
Robert Georges Nivelle prend donc le commandement des opérations à
Verdun, tout en restant sous la dépendance de Pétain au niveau supérieur.
Rive gauche, les Allemands reprennent leurs attaques commencées la
veille. Partout, les attaques sont contenues, sauf sur le front du 287e R.I.
qui vers 14 h, est contraint à reculer sur la Hayette. Ce retrait permet à
l'ennemi d'ouvrir une brèche vers le Mort-Homme et d'occuper le sommet des 2
collines du Mort-Homme. Un formidable tir de barrage vient ensuite interdire
toutes ripostes françaises.
Vers 17 h 30, le mouvement allemand s'étend sur les tranchées
Lecointe et Marescot mais vient butter sur la tranchée des abris Netter. Dans
cette progression vers l'avant, les Allemands ont eu de lourdes pertes qui les
ont petit à petit affaiblis.
Sur la cote 304, les Français reprennent l'ouvrage 15. Le 3e bis
des Zouaves lutte toujours au bois Camard.
21 mai - Pour dégager les hauteurs du Mort-Homme perdues la
veille, trois contre-attaques sont mises sur pied. Cependant, elles ne rencontrent
pas le succès escompté car les Allemands ont eu le temps de renforcer leurs
nouvelles positions. A défaut de reconquérir le Mort-Homme, la nouvelle ligne
française est renforcée. Elle passe maintenant par la tranchée Sennois, la
ligne 1 bis, contourne le sommet sud du Mort-Homme, passe par la tranchée des
Zouaves et rejoint la tranchée dite " du Chapeau-Chinois "
22 mai - Grande offensive française pour tenter de reprendre le
fort de Douaumont (rive droite).
Rive gauche : Toute la journée, le 3e bis des Zouaves poursuit
sa lutte au Bois Camard. Le soir, l'ouvrage 15 en ruine ne semble être plus
tenu par personne. Durant la nuit, les Allemands lancent une attaque dans le
fond de la Hayette et parviennent à occuper la tranchée d'Aix.
24 mai - Perte du village de Cumière (rive gauche). Bilan de
l'offensive française sur la rive droite : l'attaque du fort de Douaumont a totalement
échoué. Les raisons sont multiples :
- Les Allemands étaient parfaitement au courant du projet
français. Dès le 13 mai, jour où le général Nivelle a rendu public le projet
d'attaque, les opérations offensives dans le secteur de Douaumont ont stoppées
et la défense du fort a été renforcée.
- La préparation d'artillerie française a été trop insuffisante. Bien que le pilonnage des lignes allemandes
ait débuté le 16 mai, ce n'est que le 20 mai que le bombardement français a
atteint une cadence soutenue. Soit seulement 2 jours avant la date prévue pour
l'assaut au lieu des 6 prévus initialement. De plus, il fut loin d'atteindre la
force qu'il devait avoir en pareille circonstance ; il ne couvrit qu'une petite
partie du secteur qu'il aurait fallu toucher avant une telle attaque ; il
laissa intactes des organisations ennemies qu'il aurait été indispensable de
détruire. Bien que le fort et ses abords soient pilonnés avec force, l'ensemble
de la structure resta en partie intacte. Témoignage du commandant P… : "
Mangin savait qu'on ne pourrait s'emparer du fort de Douaumont tant que le fort
demeurerait intact et il voulait que le fort fût anéanti. Il n'en a rien été.
Il semble bien d'ailleurs qu'il avait été trompé sur les effets de notre
artillerie. Le 21 mai, le colonel Estienne qui se trouvait à Bévaux avait dit à
l'un des officiers du général Mangin, le lieutenant Brunet : "Allez dire à
votre général que le fort de Douaumont n'est plus qu'une écumoire ! " Pétain
remarque dans sa "Bataille de Verdun" que nos tirs de destruction de
cinq jours n'avaient pas réussi à dominer nettement l'adversaire, que le temps
manquait pour aménager suffisamment les 12 kilomètres de tranchées et de boyaux
et qu'il fallait recommencer chaque nuit ce travail de Pénélope car les
bombardements allemands le démolissaient régulièrement pendant le jour. De
plus, les troupes d'assaut subissaient, à partir du 20, des pertes sensibles du
fait que nous ne possédions pas la supériorité du feu.
Mais voici qui est aussi grave : dans ses "Souvenirs de
guerre sur Verdun", Le Kronprinz (le prince héritier Allemand) insiste sur
la préoccupation du commandement allemand de créer, avant toute attaque, une
position de départ solide et des communications vers l'arrière afin que les
troupes puissent être lancées à l'attaque en pleine possession de leurs moyens
et sans avoir été dissociées avant l'assaut. Cette préoccupation a-t-elle été
la même de notre côté ? Hélas !…
Un chef de bataillon, qui, peu de temps avant l'attaque, reprenait
dans un des secteurs de Douaumont des emplacements déjà tenus par lui un mois
auparavant, s'étonnait que rien n'eût été fait pour améliorer les communications
entre le fort de Souville et le bois de la Caillette, que le secteur lui-même
de la Caillette fût demeuré dans le même état au cours de ces trente jours :
"Le chef de bataillon que je remplaçais me montra son "topo" et
les nouvelles limites du secteur. Il n'avait pu y travailler, ayant sans cesse,
suivant les ordres reçus, fait faire des reconnaissances et lancer des grenades
pour tâcher d'avancer de quelques mètres. Il regrettait, comme moi, qu'on ne
lui eût pas laissé plus de temps pour améliorer la position.
Et pourquoi ? Pour gratter un peu de terrain à l'ennemi et avoir
un secteur qualifié d' "actif"… L'aberration a été pareille, non
seulement sur toute l'étendue du front de Verdun, mais sur tous les fronts
pendant toute la durée de la guerre. Trois ans après la fin de la guerre, au
cours d'un pèlerinage en forêt d'Apremont, je fus stupéfait de ne pouvoir
retrouver des emplacements où je m'étais battu pendant plus d'un an, alors qu'à
vingt mètres plus loin, dans les lignes allemandes, tranchées, sape, boyaux,
postes de secours, tout était demeuré intact. Chez nous, la terre nue où l'on
se cachait comme l'on pouvait ; chez les Allemands, du ciment à profusion.
"
- Les effectifs mobilisés pour menée l'attaque ont été trop
insuffisants.
Dans son projet initial, le général Mangin avait prévu 4
Divisions. Le G.Q.G lui avait répondu qu'il devrait faire avec 2 car il n'était
pas envisageable de mobiliser 4 D.I. pour un " objectif local " :
" Et l'offensive de la Somme alors ! ". Tout le monde à Paris
s'accordait à dire que reprendre Douaumont était très important pour le moral
de la nation, mais aussitôt que les effectifs nécessaires étaient réclamés, ce
que fit Mangin à plusieurs reprises, le fort de Douaumont redevenait un "
objectif local ". Mangin avait donc revue sa copie à la baisse en
demandant 3 Divisions… "Impossible", dit encore le G.Q.G. Il fallut
se rabattre sur une division en 1er ligne, et une 2e en arrière. "La peau
de chagrin !", se lamentait le général Mangin désigné pour mener l'attaque
avec sa division. Il aurait fallu déjà une division de travailleurs pour
creuser les boyaux nécessaires et les parallèles de départ ! "
- Enfin, pas assez de préparation du terrain. Le temps manquait
pour que l'on pût les approfondir suffisamment et il fallait recommencer chaque
nuit ce travail de Pénelope, car les bombardements allemands les démolissaient
régulièrement pendant le jour...
Du 18 au 24 mai, la 5e D.I du général Mangin a perdu 130 officiers
et 5 507 hommes, soit la moitié de ses effectifs...
25 mai - Le 155e R.I. qui occupe la station de Chattancourt reçoit
l'ordre de contre-attaque sur le village de Cumières perdu la veille. Cette
opération est fixée pour le lendemain.
26 mai - A 21 h, la contre-attaque du 155e R.I. sur le village de
Cumières prévue la veille est engagée. Elle permet de reconquérir le village.
27 mai - Dans la soirée, les Allemands lancent une contre-attaque
sur le village de Cumières repris la veille par le 155e R.I. Elle ne donne pas
de résultat.
28 mai - Le 155e R.I. repousse 2 contre-attaques aux abords de
Cumières. Le 154e R.I. en avant du bois des Caurettes, subit un violent
bombardement qui lui cause de lourdes pertes.
29 mai - De 2 h à 6 h, le bombardement que subit le 154e R.I.
prend encore plus d'intensité.
A 7 h, les Allemands partent à l'assaut et parviennent à
s'infiltrer entre 2 bataillons du 154e. La situation est rapidement rétablie
par une contre-attaque. Dans la journée, le 2e bataillon du 173e R.I. en ligne
sur la cote 304 repousse à la grenade deux violentes attaques précédées et
suivies chacune de forts pilonnages du secteur. Dans une lettre au général
Joffre, le général Pétain signale que : "La lutte d'artillerie devant
Verdun devient chaque jour plus difficile." Il ajoute : "A supposer
même qu'il y ait égalité entre le nombre des pièces françaises et le nombre des
pièces ennemies, il n'en subsiste pas moins une sensible disproportion des
moyens, due à la plus grande rapidité du tir et à la supériorité de calibre et
de portée de ces dernières." Après plus de 3 mois de combats, la
disproportion entre les deux artilleries est encore très forte. Le moment n'est
pas venu encore où les poitrines françaises cesseront de lutter contre les
obus.
A 18 h 30, les 154e et 155e R.I. subissent plusieurs attaques du
haut du ravin des Caurettes jusqu'à Cumières. Les 1eres lignes du 154e sont
enfoncées mais les hommes résistent comme ils le peuvent pendant plusieurs
heures. A minuit, à bout de force, ils sont encerclés et faits prisonniers.
Cette résistance acharnée dont ils ont fait preuve jusqu'à la fin a permis de
limiter la progression de l'ennemi qui n'a été que de 300 m seulement.
C’est au cours de cette journée que meurt le soldat Paul-Marcel-Henri
Chaudesaigues, âgé de 27 ans. Son
nom est inscrit sur le monument aux morts d’Anduze.
En cette fin de mai 1916, les Français en 1ere ligne sont
globalement à bout de forces physiques et morales. Le général Lebrun ordonne la
relève dans le secteur de Tavannes.
Témoignage du soldat René Pigeard : " Se retrouver ainsi à la
vie, c'est presque de la folie : être des heures sans entendre un sifflement
d'obus au-dessus de sa tête… pouvoir s'étendre de tout son long, sur de la
paille même… Avoir de l'eau propre à boire, après s'être vus, comme des fauves,
une dizaine autour d'un trou d'obus à nous disputer un quart d'eau croupie,
vaseuse et sale ; pouvoir manger quelque chose de chaud à sa suffisance,
quelque chose où il n'y ait pas de terre dedans, quand encore nous avions
quelque chose à manger… Pouvoir se débarbouiller, pouvoir se déchausser,
pouvoir dire bonjour à ceux qui restent… Tout ce bonheur d'un coup, c'est trop.
J'ai été une journée complètement abruti. Naturellement toute relève se fait de
nuit, quelle impression d'avoir quitté un ancien petit bois où il ne reste pas
un arbre vivant, pas un arbre qui ait encore trois branches, et le matin suivant
après deux ou trois heures de repos tout enfiévré voir soudain une rangée de
marronniers tout verts, pleins de vie, pleins de sève, voir enfin quelque chose
qui crée au lieu de voir quelque chose qui détruit ! "
En cette fin du mois de mai, sur la rive gauche, l'ennemi a pris
le Mort-Homme mais ne parvient pas à poursuivre. Il a débordé la cote 304 par
l'ouest et s'est accroché à ses pentes nord. Les positions qu'il tient
dorénavant, mis à part des gains et des pertes de terrain locaux et minimes,
sont les positions les plus avancées qu'il parviendra à conquérir sur la rive
gauche. Il n'ira jamais plus loin et cette ligne restera inchangée durant les
mois à venir.
A suivre…