96ème semaine
Du lundi 29 mai au dimanche 4
juin 1916
AUX MARGES DE VERDUN
Eugène-Manuel Corbier,
117ème
régiment d’Infanterie territoriale,
mort le 2 juin 1916 au Bois-Haut,
les Eparges (Meuse)
Eugène-Manuel Corbier est né à La Vernarède, canton de Génolhac,
le 14 janvier 1870. Il demeure à la Grand Combe où il est mineur. Il fait son
service de 1891 à 1893, il en sort soldat de 1ère classe. Il passe
dans la réserve en 1894, puis dans l’armée territoriale en 1904, en principe à
34 ans il en a fini avec la chose militaire… En 1909, il est condamné à 10
jours de prison avec sursis à Alès, pour coups volontaires.
En août 1914, on ne rappelle pas encore cette classe de vétérans.
Mais l’hécatombe des deux premiers mois de guerre oblige à recruter plus
largement, et ceux de 1870 sont appelés à rejoindre un régiment territorial en
octobre 1914. Pour Eugène-Manuel Corbier c’est le 117ème Régiment d’Infanterie
Territoriale basé à Nîmes, il y a déjà fait une période d’exercices en octobre
1907. Ce régiment ne comprend guère que des Languedociens.
Bien vite la fiction des anciens laissés à la garde de voies
ferrées et autres tâches inoffensives vole en éclat. On a besoin de tout le
monde au front, donc tout le monde part pour le front… Et les pertes ne sont
pas moindres que dans les régiments d’active, nous avons déjà rencontré dans ce
régiment le soldat Léon Gay, 43 ans, tué le 13 mars 1915 dans la Marne (voir
semaine 89).
Pendant que l’enfer se déclenche à partir de février 1916 à Verdun,
le 117 RI reste aux Eparges, où il se trouve depuis 1915. La crête des Eparges,
au sud-est de Verdun, en bordure des Hauts-de-Meuse, est un des observatoires
les plus avancés dans la plaine de la Woëvre. Cette hauteur stratégique se
combine à une série d'autres crêtes et points avancés, hauts lieux de combats, comme
la Crête de Combres, le Mongirmont ou la Côte des Hures.
Depuis le 21 septembre 1914, les Allemands y ont développé une
forte organisation de blockhaus et de réseaux de tranchées. La tâche de la
reconquête, fixée au 17 février 1915, échoit à la 12e division d'infanterie,
unité dans laquelle sert l'écrivain Maurice Genevoix comme sous-lieutenant au
2e bataillon du 106e régiment d'infanterie. Engagé aux Eparges de février à
avril 1915, c'est au cours de ces combats les plus atroces qu'il sera
grièvement blessé. Le même jour (24 avril 1915), Ernst Jünger, grand témoin de
la guerre du côté allemand, reçoit, non loin de là, la première des nombreuses
blessures qui émailleront sa carrière militaire.
L'opération du 17 février 1915 permet de récupérer la partie ouest
de l'éperon (point C). Jusqu'au 20 février, les deux artilleries adverses
déciment les combattants sur la hauteur. Les Français se font massacrer sur
leurs nouvelles positions, mais résistent aux contre-attaques. La reconquête
française est cependant incomplète et peu exploitable car seule la partie Est,
redoutablement fortifiée et qui reste à prendre, donne des vues sur la Woëvre,
c'est le point X. L'offensive générale reprend le 18 mars, puis le 27, mais ne
marque qu'une modeste avance, pourtant meurtrière.
En même temps que l'offensive de Woëvre (avril 1915) échoue, de
nouveaux assauts français tentent de progresser aux Eparges, à partir du 5
avril. Sans pouvoir l'emporter au point X, le point C au centre de la crête est
cependant tenu malgré le feu terrible des lance-mines allemands. Les jours qui
suivent, le terrain est abandonné puis repris au gré des attaques et contre-attaques
plus violentes et sanglantes les unes que les autres. Les Allemands restent
accrochés au point X qu'ils ne peuvent dégager, et au versant sud de la
colline. Le commandant en chef Joffre met alors un terme aux attaques massives,
constatant que les gains restent trop incomplets.
A partir de la mi-avril 1915, la guerre change de visage aux
Eparges. Le général Herr ordonne de déloger les Allemands du point X par des
charges explosives souterraines. Tour à tour, chacun des deux ennemis prend
alors provisoirement l'ascendant sur l'autre. La guerre des mines se prolonge
jusqu'en septembre 1917 et décline ensuite. Elle ne procure de gain territorial
à personne, malgré l'explosion au total de 46 charges allemandes et 32
française. Sur une longueur de seulement 800 m, ces mines creusent de
spectaculaires cratères dont 18 sont toujours visibles. Les Français ont perdu
50 000 hommes dont 10 000 tués ou disparus ; les pertes allemandes sont
comparables.
Pendant l’offensive de Verdun (février 1916), les renseignements
recueillis apportent, chaque jour, des précisions sur le lieu et l’époque
probable du déclenchement d’une attaque aux Eparges. Notre artillerie effectue
de fréquents tirs de concentration sur les points où des rassemblements ennemis
sont présumés. Le carrefour français, le Bouchot, le Haricot, le ravin de
Sonvaux, le Chapeau, le saillant de Loclont sont le but de ces démonstrations
qui entraînent des tirs de représailles sur nos lignes.
Pour obtenir quelques succès partiels l’ennemi jette ses masses profondes.
Il se heurte à un mur d’airain. Chaque pouce de terrain est âprement disputé.
Les pertes des allemands sont formidables.
Dans les Hauts-de-Meuse, notre artillerie exécute des tirs de concentration.
L’ennemi répond avec violence sur Mouilly, le Bois-Haut et le Calvaire. La
lutte d’artillerie continuera de part et d’autre avec des alternatives croissantes
et décroissantes pendant la durée de la bataille de Verdun. Elle apparaîtra
même, comme un indice, chaque fois que les Allemands subiront un échec. Leur
déception se traduira aussitôt par un bombardement de nos lignes.
Le colonel de Châtelperron reprend, à la date du 13 avril, le commandement
du centre de Mouilly. A cette occasion et afin de perpétuer le souvenir du commandement
du Colonel dans le secteur, le bataillon du 128e d’infanterie, en ligne au
Calvaire, donne le nom de « tranchée de Châtelperron» à une tranchée avancée
nouvellement construite. Ému par cette belle manifestation de camaraderie, le
Colonel remercie le 128e dans un Ordre du Régiment : « Le 128e
d’infanterie, qui coopère avec le 117e Territorial à la défense du centre de Mouilly
vient de donner le nom de «Châtelperron» à la nouvelle tranchée voisine de la «
Lanterne » tranchée la plus proche de l’ennemi. Nos jeunes camarades ont voulu
ainsi, spontanément, rendre hommage à leurs vieux camarades du 117e Territorial
dont le plus grand nombre ont l’âge de leur père et qu’ils voient ici, chaque
jour, depuis plus de cinq mois, aux créneaux, sous les bombardements
quotidiens, partageant leurs dangers et se chargeant allègrement des travaux
les plus durs et les plus pénibles ».
D’autre part, une note du Général commandant la 3e D. I. déclarait
le 27 avril dernier : « les deux corps territoriaux de la D. I., notamment
le 117e territorial, sont d’une tenue, d’une attitude et d’une correction que
bien des unités actives n’égalent pas ». Le compliment d’un chef joint à la
preuve d’estime et d’amitié donnée au 117e territorial par de jeunes camarades
de combat constituent des souvenirs précieux dont le régiment a le droit de se
montrer fier. Le Colonel est certain que le 117e tiendra à honneur d’accroître
encore sa bonne réputation. » L’entrain avec lequel les hommes exécutent, en
toutes circonstances, les travaux de défense qui leur sont confiés est remarqué
du général de Guitaut, commandant le secteur de Calonne. Pour témoigner sa
satisfaction au régiment, le Général donne le nom de « Tranchée du Languedoc à une
tranchée de son secteur en l’honneur de la province à laquelle appartiennent la
plupart des militaires du 117e territorial qui ont creusé et aménagé cet
ouvrage. »
Dans ce secteur des Hauts-de-Meuse où le commandement l’avait
placé, le 117e pouvait, sans avoir pris directement part aux combats qui se
déroulaient pour la défense de Verdun, revendiquer lui aussi une part de
gloire. A Mouilly et au Bois-Haut, les soubresauts de la gigantesque bataille se
répercutaient sous forme de bombardements d'une violence extrême et continue.
Là, comme ailleurs, le régiment justifia sa réputation de ténacité et de
bravoure. Sa conduite et sa tenue furent très remarquées du commandement qui
les récompensa, en la personne de son chef. Le colonel de Châtelperron fut
inscrit au tableau spécial de la Légion d'Honneur, pour Commandeur avec la
citation suivante : « M. de Châtelperron, colonel de réserve, commandant le
117e Territorial d'Infanterie. Sortant de la Cavalerie, a demandé le
commandement d'un régiment d'infanterie territoriale. Grâce à son énergie, son
activité, sa fermeté et ses brillantes aptitudes au commandement, en a fait, en
peu de temps, une unité bien tenue et solide au feu. »
Au cours de l’un de ces bombardements constants, le 2 juin 1916, Eugène-Manuel
Corbier meurt des suites des
blessures qu’il a reçues au Bois-Haut lors de l’explosion d’une torpille allemande,
une minenwerfer. Dans l'argot des Poilus, le terme « torpille » désignait un
projectile d'artillerie venant bouleverser les tranchées. Par extension, il
était parfois donné improprement à la pièce d'artillerie qui servait à le
lancer, en général un mortier de tranchée le plus souvent de 58 mm surnommé
crapouillot, et appelé minenwerfer en allemand.
Quatre jours après sa mort, Eugène-Manuel Corbier fait l’objet de
la citation à l’ordre du régiment suivante : « Très brave soldat.
Homme de devoir, tombé glorieusement à son poste de guetteur au cours du
bombardement du 2 juin 1916 ». Il est inhumé dans la Nécropole nationale de Bras-sur-Meuse, dans la tombe 1737.
A suivre…