100ème semaine
Du lundi 26 juin au dimanche 2
juillet 1916
PRISES ET REPRISES DE LA COTE 304
César-Léon Roux, 112ème régiment
d’Infanterie,
mort le 30 juin 1916 à Barécourt
(Meuse)
En mai 1916 ce régiment est jeté dans la bataille de Verdun. Assoupie
sur la rive droite, cette bataille redoublait sur la rive gauche. Après
d’effroyables pilonnages d'artillerie, les troupes du Kronprinz avaient pris
pied sur le Mort-Homme et gravi les pentes nord et est de la cote 304. Cette
dernière était défendue par un régiment mixte de tirailleurs et de zouaves qui
décimé et épuisé, est relevé par le 3e bataillon du 112ème. Débarqué le 17 mai
à Blercourt, il est jeté dans la bataille le 19. C'est sous un intense
bombardement que, par fractions diluées, le bataillon traverse Montzéville,
Esnes, le ravin de la Mort pour arriver le soir à 304. Dans la nuit du 20 au 21
le bombardement est tel que le bataillon se trouve complètement isolé sur ses
positions. Une division ennemie, au dire d’un prisonnier, marchait sur 304 dans
la direction de l'emplacement du bataillon. Le commandant fait rassembler, en
attendant le choc, toutes les munitions éparses dans le secteur.
A 14 h. le bombardement cesse et l’ennemi attaque énergiquement à
la grenade. L'assaut avait pour objectif l’ouvrage M N attaqué à droite et à gauche.
A droite les assaillants sont arrêtés par le feu des mitrailleuses et ceux
des 9° et 10e Cies. Ils réussissent à enlever à la 10° un petit poste qui fut
repris peu de temps après à la grenade.
La Cie Maigrot reçoit le choc de l'autre masse ; elle fait une
défense acharnée mais perd plus de la moitié de son effectif. Un renfort pris à
la 9e arrive : tous les hommes sont blessés peu de temps après.
La situation devenait critique. Mais l'attaque ennemie perd de sa
vigueur et cesse avec la fin du jour. Les pertes atteignaient presque la moitié
de l'effectif.
Dans la nuit du 21 au 22 une Cie de zouaves réduite à 40 fusils et
une Cie du 173e montèrent à 304. Le bombardement recommence le 22 sans être
suivi d'attaque. Le colonel Garnier ayant été mortellement blessé la veille
ainsi que son officier-adjoint le lieutenant Joseph, c’est le commandant Thinus
qui prend le commandement du régiment. Le capitaine-major Roux prend le
commandement du 3e bataillon ; il est tué une heure plus tard dans l'ouvrage M
N. C'est le lieutenant Lieutier qui lui succède.
Dans la nuit du 22 au 23 l'ennemi attaque à gauche de l'ouvrage M
N sur le front de la Cie Davignon avec des flamenwerfer. Cette attaque est
repoussée à la mitrailleuse. Dans la journée du 23, nouvelle attaque à la grenade
qui est encore brisée.
Les vivres étaient épuisés, la soif se faisait cruellement sentir
; aussi, dans la nuit du 23 au 24, le bataillon confiait à d'autres la garde de
la Côte 304 qu'il avait si héroïquement défendue.
Sur un effectif total de 400 fusils, 237 hommes étaient hors de
combat : 1 officier. 57 sous-officiers, caporaux et soldats tués; 3 officiers, 12
sous-officiers, 156 hommes blessés; 8 hommes portés disparus. La superbe attitude
du bataillon valut au commandant Thinus les félicitations personnelles du
général de Maud’huy. Le sous-lieutenant Frémont, griėvement blessé, fut décoré de
la Légion d'honneur. Pendant ce temps le 2e bataillon se battait sur le
Mort-Homme. Le 20 mai l'ordre lui était arrivé de se porter à 304, mais le 21
mai la direction est changée, le commandant reçoit l'ordre de se porter sur le
Mort-Homme. Une heure après l’entrée en ligne, les vagues d'assaut allemandes
se ruent à l'attaque du Mort-Homme. De 14 h. à 20 h. la 6e Cie soutient le
choc. Très éprouvé le sous-lieutenant Guieu demande des renforts. Mais bientôt
les débris de la 6e et du renfort sont aux trois quarts cernés. « Rendez-vous !
» crient les ennemis. Le sous-lieutenant André s'élance revolver au poing hors de la
tranchée : « Le XVe Corps ne recule pas ! » Ces paroles électrisent
les hommes qui repoussent l'attaque. Mais une balle frappe au ventre l'héroïque
officier qui meurt dans la tranchée après une agonie de deux heures.
Dans cette nuit la 8e subit trois attaques : à 22, à 24 et à 2 h.
Au cours de ce dernier assaut l'ennemi réussit à prendre pied dans 150m de
tranchées, mais à 6 h. du matin une contre-attaque reprend tout le terrain
perdu.
Le 2e bataillon maintint intégralement nos lignes jusqu'à la
relève du 24 mai. Il avait perdu 61 % de son effectif.
Le régiment fut cité à l'ordre du C. A. dans ces termes :
« Le 112e R. I. entré tout entier et de nuit dans la bataille
dès son arrivée dans la région le 20 mai 1916, s'est porté crânement en ligne
sous un bombardement violent malgré la perte de son chef, le colonel Garnier,
tombé dès le début, et a repoussé pendant quatre jours toutes les attaques
ennemies, grâce à l'énergie et au sang-froid de ses cadres.
Du 28 juin au 2 juillet 1916 le 2e bataillon fut encore engagé à
304, aux Antennes de Barrault. L’ennemi avait pris pied dans un ouvrage sur les
pentes ouest de 304.
Le bombardement commence le 28 juin à 9 h et dure jusqu'à la nuit.
Il reprend le lendemain matin avec une intensité faisant présager une attaque
qui se déclenche vers 16 h. Précédées de flamenwerfer, les vagues d'assaut se
ruent sur les Antennes. Très éprouvés par l'explosion d’une mine qui tua le
sous-lieutenant Pinot, nos soldats tiennent ferme et repoussent les assaillants.
La nuit fut tranquille ; mais le 30 le bombardement reprit renforcé par des
minen. A 16 h. nouvelle attaque repoussée à la grenade ; la nuit du 30 au 1er
juillet fut assez agitée par suite d'une attaque ennemie à droite du secteur.
Après un violent bombardement, l'ennemi attaque le 1er juillet au
moment de la relève. L'ennemi réussit à s’emparer des Antennes et de 90 m de
tranchée. Deux sections de la 7e étaient complètement anéanties. Le sous-lieutenant
Morel (5e Cie) avait disparu ; le L. Coulomb (7e Cie) avait été blessé et
évacué. Le Lt Caire prend le commandement des débris des trois Cies et contre-attaque.
Cet officier n’avait avec lui que le sous-lieutenant Espieux et 40 fusils.
Néanmoins le 2 juillet à 5 h, il contre-attaque à la grenade. Après une lutte
acharnée nos barrages sont reportés en avant, mais peu après, celui du Pan
coupé est de nouveau débordé.
La situation est des plus critiques ; la petite troupe manque de
munitions, un groupe de grenadiers d'élite du 55e et du 255e est mis à la disposition
du lieutenant Caire, la contre-attaque part à 13 h. refoule irrésistiblement
l'ennemi, reprend tout le terrain perdu, s'empare de l'observatoire et
s'aventure si loin que le chef de bataillon la fait revenir en arrière.
Jusqu'au 11 novembre le régiment assura la garde des différents
quartiers de ce secteur. Les pertes sont de moins en moins importantes. Le
lieutenant Gleize est tué le 28 aout. Pendant le mois d'octobre les troupes
eurent surtout à lutter contre la pluie et la boue ».
Blessé au cours de l’un des combats de la fin juin, le soldat César-Léon Roux est évacué vers l’ambulance la plus proche, la 5/55, stationnée à Fontaine-Routhon commune de Souhesmes-Rampon. Nous avons la chance de pouvoir lire les lettres de la sœur Gabrielle Rosnet, de la Congrégation de la Mission, infirmière de cette ambulance. Elle y décrit ses conditions de travail :
« Quand notre ambulance a quitté Clermont sous les obus, elle
a erré cinq jours avant de dresser ses tentes à Froidos. Enfin, les travaux
d’installation ont commencé, et cet immense parc est couvert de baraques et de
tentes. Les baraques renferment trente à quarante lits, quelques-unes n’en ont
que dix.
Les tentes contiennent vingt-huit à trente lits. L’une d’elles
comprend : salle de stérilisation, salle d’opérations et salle de pansements. A
côté, une tente où se fait le triage à mesure que les voitures amènent les
blessés. Une autre où on met les blessés pansés qui peuvent partir par les
autos d’évacuation.
Figurez-vous donc une allée très longue toujours sillonnée
d’autos. De chaque côté, à 2 mètres environ de l’allée, les baraques très bien
faites et très confortables. Neuf de quarante lits et quatre de dix lits.
Derrière les baraques, six tentes de trente lits. Et on construit toujours.
C’est un vrai village. On va d’une baraque à l’autre et d’une tente à l’autre
sur des trottoirs en rondins. Ce sont des branches de la grosseur du poignet,
70 centimètres de long clouées aux deux bouts sur des traverses. Système très
pratique pour avoir moins de boue, mais sur lequel on glisse facilement quand
les chaussures ne sont pas ferrées. Enfin, c’est le village aux trottoirs
glissants, s’ils ne sont pas roulants.
Il nous passe en moyenne quatre à cinq cents blessés par jour.
Nous en avons eu jusqu’à cinq cent quatre vingt. Tous ceux qui n’ont pas besoin
d’être opérés sont pansés et évacués ; les autres sont couchés. Tout est
toujours plein, bien que les opérés soient évacués très vite. Vous voyez d’ici
la besogne: cinq cent quatre-vingts opérés ! Il y a de quoi se dépenser et se
dévouer. Que d’âmes à sauver, car il y a de si gros blessés, perdus avant
d’arriver, les pauvres chers petits ! Ils sont tous braves, courageux, résignés
et pleins de confiance dans le succès final de nos armées. Ils meurent comme
des prédestinés, sans une plainte, sans un murmure. Nous nous multiplions pour
aller partout, car nous avons ici trois ambulances fonctionnant sous une seule
direction.
Le médecin-chef des contagieux, ancien officier de l’état-major, nous
a donné une pièce de malades, qu’il a mis ailleurs, et nous y a fait installer des
lits. Je vous en fais la description: quatre lits sans rideaux, bien entendu,
entre deux une malle ou une caisse servant de table pour notre cuvette et pour
poser notre cornette. C’est primitif, dites-vous… oui! Jusque-là, mais écoutez
la fin de la description. Parquet ciré, armoires à glace, immense glace sur la
cheminée, table à jeu en guise de table à manger, chaises antiques recouvertes
de velours. Tout cela sent le poilu et le riche bourgeois dans un cadre démodé
qui veut paraître neuf. « Mais de quoi vivez-vous, mes bonnes filles? ».
Ma Mère, j’attendais encore la question… étant militarisées, nous mangeons
comme les soldats : soupe, gamelle de légumes, et bœuf. Quand nous avons bien
faim, j’ai du saucisson, du fromage que je tâche de me procurer comme je peux,
des sardines encore et nous constituons un menu princier. « Jus » tous les
jours, bien que le Coutumier n’en fasse pas mention. Parfois il nous prend une
envie folle de rire, en constatant combien le menu du poilu est varié, mais
c’est encore un assaisonnement qui nous fait trouver délicieux ce que nous
partageons avec eux.
Mais voici encore le côté princier qui reparait. Nous avons une
ordonnance pour nous trois. Le matin, pendant que nous sommes à la messe, il
prépare le couvert et nous sert à notre retour. C’est lui qui brosse le
parquet, qui nous apporte nos repas et (mettez du coton dans vos oreilles, ma
Très Honorée Mère) qui, tandis que nous sommes à table la serviette sous le
menton, rentre, nous montant de la cuisine soupe d’abord, puis « rata » et
enfin « jus ». J’ai cherché comment nous pourrions faire autrement et n’ai pas
trouvé ; le médecin-chef, d’ailleurs, m’a dit que cela simplifiait la besogne
et arrangeait les « popotiers » Nous ne sommes pas chez nous ; à la guerre
comme à la guerre!
M. le médecin-chef nous a d’ailleurs choisi un très bon garçon,
frère dans un couvent de Franciscains au Portugal. Il y a de quoi rire pourtant
quand il porte la soupière pendant que nous sommes à genoux pour l’examen, ou
qu’il vient desservir pendant que nous disons les grâces.
Tous les matins, nous avons la sainte messe, et le Dieu des forts
vient donner à nos âmes courage, patience, réconfort, abnégation de nous-mêmes
pour mener une vie pénible, très pénible au point de vue humain, mais
consolante an plus haut degré au point de vue surnaturel. Quel champ le bon
Maitre nous donne pendant cette guerre! Et comme je l’en remercie à deux genoux
!
Nous vivons au son du canon. Là-bas… dans le lointain, roulements
sourds d’un tonnerre qui ne désarme pas ; plus près, à Malancourt, Avocourt,
Esnes, départs incessants de nos pièces qui ne marchandent pas les munitions.
Et pour finir la gamme, les arrivées de projectiles sur notre pauvre Clermont,
Vraincourt, Dombasle, tout cela si près de nous que les vitres de nos baraques
tremblent à chaque coup. Joignez à tout ce vacarme, quand le temps est clair,
les bombes d’avions et vous vivrez par la pensée et a l’abri, notre vie vécue
en plein air ».
César-Léon Roux est mort dans cette ambulance le 30 juin 1916, à l’âge
de 22 ans, des suites de ses blessures. Il a d’abord été inhumé sur place, dans
le petit cimetière de Fontaine-Routhon, puis ses restes ont été transférés dans
la nécropole nationale des Islettes, où il occupe la tombe n° 274.
A suivre…
La nécropole nationale des Islettes (Meuse) |