105ème
semaine
Du lundi 31
juillet au dimanche 6 août 1916
LE BOYAU
DE SAUVE-QUI-PEUT
Marie-Joseph-Antoine
de Fréminville,
133ème Régiment d’Infanterie,
mort le 28
juillet 1916 à Etinehem (Somme)
Marie-Joseph-Antoine
de Fréminville est né à Bourg-en-Bresse le 12 avril 1895. Son registre
matricule le décrit comme ayant les cheveux noirs, les yeux bleus, le front
moyen, le nez rectiligne. Il mesure 1m72, ce qui est assez grand pour l’époque.
A ce moment-là, il est étudiant.
Il fait partie de la
classe de mobilisation 1915, normalement mobilisable le 15 décembre 1914. Mais
lorsque la guerre éclate il n’attend pas l’appel de sa classe, il s’engage
volontairement le 10 août 1914 pour une durée de quatre ans auprès de la mairie
de Bourg. Il vient d’avoir 19 ans. Il est aussitôt incorporé dans le 23e
régiment d’infanterie.
Le 23 RI, basé à
Bourg, est déjà parti pour le front, il est l’un des premiers entrés en Alsace,
dans la grande manœuvre voulue par Joffre pour marquer sa détermination à
reconquérir les territoires occupés par les Allemands depuis 1871. Mais
ceux-ci, bien préparés et munis d’une artillerie puissante, ripostent
violemment et anéantissent presque totalement leurs assaillants. C’est la
retraite… Le 23 RI se replace sur les cols des Vosges puis participe à des
attaques en Lorraine : « Le
dimanche 30 août, à 4 heures du matin, le 23e quitte Gérardmer pour prendre
part à la bataille dite de Saint-Dié ; dans le courant de la journée, il est
durement engagé dans la région à l’est de Sailly-sur-Meurthe et ne peut
atteindre, malgré ses efforts, les objectifs qui lui étaient assignés. Il
reprend l’attaque le lendemain 31, travers un terrain jonché de cadavres mais
les positions ennemies sont fortement tenues et organisées, le tir d’artillerie
de tous calibres écrase les bataillons montant à l’attaque; le Régiment doit
refluer. Il attaque encore le lendemain 1er septembre, sur la Planchette, le
surlendemain, 2 septembre, sur Mandray. Mais les forces physiques et morales de
la troupe sont épuisées ; depuis 48 Heures, les ravitaillements n’ont pu
arriver aux combattants; il n’y a, derrière le Régiment entièrement déployé et
soumis à un bombardement continu, ni renforts ni soutiens. Toutes ces attaques
échouent ».
En septembre ce sont
des combats continus et tout aussi difficiles autour de Saint-Dié, les pertes
sont terribles. Ce n’est qu’en octobre que le 23 RI part au repos, à
Saint-Michel-sur-Meurthe. Et c’est la guerre de positions qui commence, avec
ses rotations dans les tranchées.
On ignore quand
Antoine de Fréminville rejoint les troupes combattantes. Sans doute après une
brève instruction… Toujours est-il qu’il est promu caporal le 7 novembre 1914,
puis sergent le 25 janvier 1915. Ce sont encore des combats très durs : «
Le 27 janvier 1915, le 2e bataillon en
secteur à La Fontenelle attaque avec un bel entrain les puissantes lignes qui
lui font face; dans les fils de fer, décimé par les mitrailleuses, il ne peut
atteindre complètement ses objectifs et perd 230 hommes dont 130 tués ;
l’artillerie ennemie ruine par son tir de riposte nos ouvrages défensifs. Au
cours de cette attaque, la 6e compagnie s’est particulièrement distinguée. Elle
a combattu avec une énergie remarquable et a mérité une citation à l'ordre de
l’armée N°10 du 10 février. Motif : "A fait preuve, au combat du 27
janvier 1915, sous les ordres du capitaine Blanchet, d’une audace et d’un
courage qui ont soulevé l’enthousiasme général. A eu la moitié de son effectif
hors de combat sur la tranchée ennemie sans lâcher pied ». Le 10 février
1915, les Allemands attaquent à leur tour sur La Fontenelle et s’emparent d'un
élément de tranchée dont trois contre-attaques ne parviennent pas à les
déloger. A partir du mois de mars, la guerre de mine sournoise, inquiétante,
meurtrière et sans merci a commencé sur les points où les lignes sont
suffisamment rapprochées ; elle revêt un caractère d’âpreté particulière
pendant les mois d’avril et de mai (le 23e est en secteur pendant le mois
d’avril tout entier). Alternativement. Allemands et Français font jouer la mine
et se disputent avec acharnement l’entonnoir creusé par l’explosion (combats
des 10 et 13 avril). Vers la même époque, l’ennemi commence à faire usage
d’obus et de grenades chargés en gaz asphyxiants ».
En juillet-août 1915
le 23 RI participe encore à de terribles combats dans le même secteur. Chaque
fois il perd la moitié de son effectif, et il faut le reconstituer sans
relâche.
« Les combats qui se sont livrés en 1915-1916
dans les Vosges alsaciennes comptent parmi les plus pénibles et les plus meurtriers
de la guerre.
Dans cette région, les deux adversaires se sont
disputés avec un acharnement incroyable quelques pitons rocheux, quelques
crêtes dominantes d’une valeur stratégique et tactique contestables, mais dont
la possession revêtait une haute portée morale, car ces combats sanglants
synthétisaient pour la France la lutte obstinée pour la reconquête de l’Alsace,
pour l’Allemagne, la défense à outrance du « Reichsland » pierre
angulaire de l'édifice impérial construit à Versailles en 1871.
Au premier rang des observatoires vosgiens disputės
avec le plus d’acharnement figure le sommet du dernier contrefort des crêtes
qui bordent au nord la vallée de la Thur. C’est l’Hartmannswillerkopf ou Vieil Armand,
hauteur boisée située à moins de 20 kilomètres de Mulhouse, d'où l'on jouit
d'une vue merveilleuse sur toute la plaine de Haute Alsace.
Accrochés de part et d’autre au flanc de la montagne,
Français et Allemands ont livré des combats acharnés pour la possession
intégrale du sommet. Le 23e y a participé à l'époque où ces combats avaient
acquis leur maximum d’intensité et où la lutte était rendue le plus pénible par
la rudesse de la saison (décembre 1915-janvier 1916).
Le 1er janvier 1916, les Allemands attaquent sur tout
le front du Régiment et sur celui tenu plus à droite par des compagnies de
chasseurs. Sur le front du 23e les positions sont intégralement maintenues,
mais les chasseurs sont débordés à notre droite qui se trouve bientôt dans une
situation critique. La 11e compagnie, menacée d'encerclement, doit se reporter
un peu en arrière. Dans la nuit du 1er au 2 cette compagnie repart, avec une
ardeur magnifique, à la contre-attaque ordonnée par le Commandement et reprend
tout le terrain quelle avait dû céder.
Mais cette lutte opiniâtre et sans répit à épuisé le
Régiment qui n’a pas perdu moins de 24 officiers et de 907 hommes, depuis le 20
décembre. La relève est prescrite pour l’ensemble du corps; elle s’effectue
progressivement du 2 au 13 janvier. A cette dernière date, le régiment est regroupé
à Saint-Dié, où il est mis au repos pour se recompléter et se réorganiser.
Au cours de cette meurtrière bataille de l’Hartmann le
régiment a fait preuve des plus belles qualités d’endurance et de soliditė ;
toutes ses unités ont rivalisé d’ardeur et d’énergie, âpres à la défense,
fougueuses à l'attaque et la contre-attaque ».
Antoine de
Fréminville a participé à ces combats, il y est blessé par une balle avec plaie
au cuir chevelu. Cette blessure est notée sur son registre matricule, mais elle
ne semble pas lui avoir valu d’évacuation.
Début 1916 le 23 RI
se prépare, comme beaucoup d’autres, pour une grande offensive prévue sur la
Somme, mais l’attaque allemande sur Verdun le 21 février 1916 retarde cette
opération. C’est donc la vie des tranchées qui continue.
Le 1er
mai 1916 Antoine de Fréminville est promu aspirant. Il passe alors en date du
20 mai 1916 au 133e régiment d’infanterie.
Basé à Belley (Ain)
ce régiment a lui aussi participé à la reconquête de l’Alsace, puis à la
douloureuse retraite qui s’en est suivie. Puis les Vosges, Saint-Dié, les
premières tranchées… Pendant deux ans c’est la monotonie quotidienne des
alternances tranchées / repos. En juin 1915 de durs combats à Metzeral (Alsace)
permirent au 133 RI de s’illustrer et de gagner le surnom de « Régiment
des Lions ». Lorsqu’il arrive dans son nouveau régiment le nouvel aspirant
participe aussitôt aux combats de la Chapelotte (1er mai au 7 juin
1916), puis il part fin juin vers la Somme, où se prépare la grande offensive
franco-anglaise prévue de longue date. « Quel contraste entre ce paysage et celui des Vosges. On était
d'ailleurs dans la zone de bataille : villages à demi ruinés et vides
d'habitants, maisons incendiées, routes défoncées. Le bombardement avait
transformé la campagne en une terre de morne désolation ».
Journal des Marches et des Opérations (JMO) : « Le 14
juillet le régiment fête l’anniversaire de la prise de la Bastille. Le soir
retraite aux flambeaux. La musique donne de tous ses cuivres, derrière suivent
tous les officiers du régiment en bandes joyeuses, se donnant le bras ;
devant eux marche, calme, très grand, d’une allure superbe, notre doyen, le
très aimé capitaine Vicaire.
L’offensive de la Somme s’est déclenchée le 1er
juillet, nous songeons tous à la bataille future et nous espérons de tout notre
cœur concourir pour notre part à rejeter loin de nos frontières le boche
maudit. Nos espérances sont grandes pour la délivrance du pays et c’est sans
hésitation, avec l’esprit de sacrifice le plus complet, que nous allons marcher
pour l’indépendance et la gloire de notre pays ».
Le 20 juillet le 133
RI entre dans la zone de bataille. « Le
soir, avec quelques camarades, nous montons sur une crête qui domine les
environs et nous assistons là à un spectacle vraiment impressionnant. Devant
nous, à gauche, à droite, de toutes parts, dans un large et immense
demi-cercle, partent d’infinies lueurs lancées par des centaines de bouches
d’acier. Le spectacle devient féérique quand mille fusées éclairent la plaine
de leurs feux et lui donnent un aspect étrange ».
Historique du
régiment : « En fin de journée, le
21 juillet, on quitta la région de Bray-sur-Somme. Après avoir croisé des
convois d’artillerie, on traversa les ruines de Suzanne. A gauche, s’étendait
un vaste camp avec une foule grouillante d’hommes, de chevaux, de voitures, de
locomotives. Des saucisses surgissaient à droite et à gauche. De partout, en
plein bled, étaient établies des batteries d’artillerie lourde. Des tranchées,
anciennes positions de repli, zébraient le sol de leurs trainées crayeuses. On
suivit le bord assez escarpé du plateau que creuse la vallée de la Somme, et,
vers le soir, on arriva au moulin de Fargny, au milieu de batteries de 75, qui,
de tous côtés, aboyaient rageusement. Dans la nuit, le 133e releva le 11e
bataillon de chasseurs alpins sur les positions atteintes, le 21, en fin de
combat. Les renseignements sur le front exact étaient des plus vagues. Les
chasseurs, qui avaient à subir une violente contre-attaque, étaient accrochés à
hauteur d'une vaste carrière à gauche du bois de Hem. Ils tenaient, à gauche,
les deux lèvres de cette carrière ; à droite, ils n’en tenaient que la lèvre
ouest ; les Allemands occupaient l'autre partie transformée en un ouvrage que
le plan directeur a baptisé Tatoï du nom du château du roi de Grèce récemment
incendié.
La relève en pleine nuit, sous des tirs de barrage
extrêmement violents, fut très dure. La tête d'une section de la compagnie fut
écrasée par un gros obus. Les deux artilleries continuèrent à tirer jusqu’au
matin. Les Boches arrosaient sans trêve les lignes tenues par l'infanterie
française, d'où ils savaient que de nombreux assauts allaient partir. L'attaque
devait, d'après le plan primitif, être reprise au bout de deux jours, mais des
remaniements successifs dans l'ordre de bataille obligèrent à la retarder.
Cette attente prolongée dans des trous d’obus ou des carrières, sous le
bombardement continu de l'artillerie allemande, qui, après la surprise du début
de juillet, s'était ressaisie et renforcée, fut très pénible. Les pertes
quotidiennes faisaient fondre les effectifs ; les communications avec la
première ligne étaient très précaires et constamment prises sous les barrages :
aussi le ravitaillement arrivait-il assez mal ; la soif surtout, sous le soleil
que la craie réverbérait, tenaillait les hommes dont la poussière et la fumée
des explosions séchaient la gorge. On souhaitait impatiemment que la reprise de
l'attaque eût lieu le plus tôt possible. On acceptait du reste de bon cœur
souffrances et privations, car on savait qu’à l’autre aile du front, à Verdun,
les camarades enduraient de pires souffrances : ils n’avaient pas, eux, le
réconfort de se sentir soutenus par une nombreuse et puissante artillerie, qui
dominait celle de l'ennemi ; obligés de rester sur la défensive et d'attendre
anxieusement la nouvelle ruée boche, ils comptaient sur les camarades pour
obliger l'Allemand à relâcher son étreinte. Chaque obus qui tombait sur nous
dans la carrière de Hem, c’était un obus de moins pour écraser Verdun. Les
survivants se rappellent le sinistre boyau de Sauve-qui-Peut constamment battu,
jalonné de cadavres, qui s’arrêtait d’ailleurs, inachevé en plein bled,
obligeant à franchir 200 mètres, au pas de course, à découvert ».
Chaque jour, pendant
que les Français préparent leur offensive, les Allemands les bombardent. Et
chaque jour ce sont des dizaines de blessés ou de tués. On ne sait pas
exactement quel jour fut blessé Antoine de Fréminville, sans doute l’un des
jours précédant immédiatement le 28 juillet, date à laquelle, il décède à
l’ambulance 208, juste en arrière du front, « des suites de blessure de
guerre ».
Il est aussitôt
inhumé au cimetière militaire d’Etinehem, secteur 194.
Il est cité quelques
jours plus tard à l’ordre du jour de la division : « S’est fait remarquer de ses hommes par son
sang-froid et son courage. Blessé grièvement par un bombardement qui a précédé
l’attaque. Croix de guerre, étoile d’argent ».
Le lendemain, 29
juillet, ce fut l’offensive tant attendue. Elle dura 12 jours, et ne permit de
conquérir que peu de terrain aux prix d’énormes pertes.