106ème
semaine
Du lundi 7
au dimanche 13 août 1916
UN MONCEAU
DE PIERRES ÉMIETTÉES
Jean-Antoine
Cogoluègnes, 96ème Régiment d’Infanterie,
disparu le
4 août 1916 à Thieumont (Meuse)
Jean-Antoine Cogoluègnes
est né le 26 septembre 1887 à Canaules, où son père (également prénommé Jean-Antoine)
était instituteur. On note que sa mère, Marie-Nelly, est également née
Cogoluègnes, il s’agit là d’une grande famille de la Lozère sur laquelle nous
reviendrons dans un prochain billet.
Un tragique
événement entoure la jeunesse de cet homme. En 1904 un vacancier est assassiné
à Mende, une note du journal local présente l’événement :
L’année suivante se
tient le procès, au fort retentissement national :
Ainsi acquitté,
notre jeune homme passe le temps qui le sépare du service militaire. Il est
indiqué « sans profession » sur son registre matricule, alors que
tous ses frères et cousins sont indiqués comme cultivateurs ou agriculteurs.
Avec sa classe 1907 il est incorporé en octobre 1908, il passe caporal en 1910
et se rengage pour trois ans. En avril 1913 il passe sergent, puis se rengage à
nouveau en octobre 1913, seulement pour un an. Mais cela suffit pour que la
mobilisation le trouve déjà sous les drapeaux. En 1914 et 1915 il est affecté
au 122 RI, puis il passe au 96 RI à partir du 23 octobre 1916. Il n’échappera
pas à Verdun.
« La bataille
de Verdun est déchaînée et captive l'attention du monde sur un duel que le
Konprinz croit décisif. Le 14 mars, deux bataillons (1er et 2e) sont envoyés
dans le secteur de Berry-au-Bac pour y constituer une réserve en arrière du
bois des Buttes qu'un coup de main hardi a ravi à la 55e division. Le 3e
bataillon exécute des travaux de défense dans la région de Paars. Les unités,
mises à la disposition de la 55e D I, participent les 25,26 et 27 avril à une
puissante action sur le Bois des Buttes et occupent les secteurs de Beaumarais,
du bois Franco-Boche que l'ennemi inonde de projectiles. Cinq officiers tués et
100 hommes hors de combat, telles sont les pertes de ces quelques journées
d'invitation.
Le 20 mai, le
Régiment rassemblé prend possession du secteur de Chassemy au confluent de
l'Aisne et de la Vesle. Nul n'oubliera le tranquille repos goûté jusqu'en première
ligne ; sous ces grands bois touffus, tapissés de muguet, de fraises et si peu
battus.
Mais le 96e ne peut
rester à l'écart de la gigantesque lutte qui doit immortaliser l'énergie du
soldat de France. Relevé le 5 juillet par des territoriaux, le Régiment gagne
le camp de Ville-en-Tardenois et en quelques semaines d'un entraînement bien
dosé, sous la vigoureuse impulsion du colonel Pouget, retrouve sa forme des
grands jours. Le 26 juillet il se présente impeccable à l'inspection du général
Nivelle aux abords de la ferme des Marchines. « Je compte sur vous » dit le
général Pétain aux officiers rassemblés dans les ruines de Pretz-en-Argonne, et
leurs regards fermes sont une éloquente réponse.
Le 30 juillet le 96e
a les honneurs de la « voie sacrée » sur laquelle des camions poussiéreux
emportent nos soldats confiants et résolus vers la plus grande mêlée de
l'histoire. L'heure est critique. Autour de la citadelle se resserre l'étreinte
du Boche qui a réussi à faire tomber la côte Froideterre.
Le 31 juillet, le
1er bataillon, sous des barrages impressionnants, s'accroche à la côte
Froideterre et, par trois fois, attaque la tranchée des trois arbres dans le
ravin des Vignes. Les pertes sont sérieuses. Le 1er août, une contre-attaque
ennemie s'empare par surprise de la redoute PC 139, où il capture un de nos
petits groupes avec le lieutenant Laborde ; mais celui-ci, profitant du trouble
causé par notre bombardement assourdissant assomme ses deux gardiens et rejoint
nos lignes dans la journée.
Le 2 août après une
préparation soignée, la 3e compagnie et une fraction de la 5e s'emparent de la
fameuse tranchée qu'elles trouvent remplie de cadavres et y capturent une
cinquantaine de prisonniers.
Pendant la nuit,
sous un feu d’enfer, un nouvel assaut est préparé. A l'aube du 3, il se
déclenche irrésistible et donne à nos glorieux « Poilus » la ligne
Dépot-Batterie, ainsi que de nombreux prisonniers. A 18 heures, la ligne
ennemie est rompue, désorganisée, l'ouvrage de Thiaumont, un monceau de pierres
émiettées, est enlevé par la 7e compagnie (capitaine Lemaire). La nuit, seule,
arrête nos progrès. Dès 20 heures, l'artillerie lourde allemande écrase avec
une fureur croissante, le champ de bataille déjà chaotique, sur lequel nos
tirailleurs sont tapis, par trois, par quatre, dans d'énormes trous d'obus.
Le 4, au petit jour,
des troupes ennemies, fraîches, se précipitent sur nos trois bataillons épuisés
qui se raidissent sous le choc et fusillent l'ennemi à bout portant. Le
commandant Riols est tué, revolver au poing, le capitaine Bièche tombe sur ses
pièces, mortellement atteint. Nos voisins de droite cèdent sous la formidable
poussée et le 96e pour éviter un enveloppement certain, doit se reporter sur
soit objectif primitif, la ligne Dépot-Batterie. A droite, le village de
Fleury, complètement rasé, est aux mains de l'ennemi ; à gauche, malgré
l'avalanche de gros projectiles, les débris des 5e, 6e, 7e et 11e compagnies
conservent sans faiblir Thiaumont et son saillant. Le 4 au soir, une trentaine
de survivants lèguent au 81e (3e bataillon) les glorieuses ruines de l'ouvrage,
si brillamment conquises ».
Jean-Antoine Cogoluègnes, entretemps passé adjudant, ne fait pas partie de ces
survivants : il a disparu quelque part autour de l’ouvrage de Thiaumont.
Le lendemain 5 août
1916, les combats ne se calment pas : témoignage de Etienne-Justin Raynal,
sergent mitrailleur au 81e RI : « De nombreux blessés se massent près de
la redoute de l'ouvrage de Thiaumont croyant y être plus en sûreté et se font
tuer là par les obus. Près d'un blessé qui vient dans notre direction tombe un
gros obus. Un cadavre en décomposition est soulevé par l'explosion à plusieurs
mètres de hauteur et, en retombant, s'écrase sur le blessé. Le malheureux vient
vers nous en courant. Il est tout couvert de débris humains et dégage une odeur
insupportable. Nous lui crions d'aller au poste de secours, car nous n'avons
rien pour le soigner. Il passe devant nous, en hurlant et s'en va au hasard ; il
a sans doute perdu la raison. Quelques instants après, un jeune approvisionneur
de notre compagnie saisit une hache et s'en va dans la direction des Allemands
en criant : "Je veux tuer des
Boches, il faut que je tue des Boches." Le malheureux avait lui aussi
perdu la raison ».
Jean-Antoine Cogoluègnes est mort à l’âge de 29 ans, son nom figure sur la stèle
de l’église Saint-Etienne.
A suivre…