108ème semaine
Du lundi 21 au dimanche 27 août
1916
COMME DES BOUTEILLES DE CHAMPAGNE…
Albert-Louis Turc, 369ème Régiment
d’Infanterie,
tué le 26 août 1916 à Vaux-Reignier
(Meuse)
Albert-Louis Turc est né le 6 août 1880 à Anduze, il y est
cultivateur. Appelé avec sa classe en 1901 il est d’abord ajourné pour « faiblesse ».
Idem en 1902, pour la même raison. En 1903 il est affecté aux services
auxiliaires en raison d’une « faiblesse définitive ». C’est donc dans
ces mêmes services qu’il est incorporé en décembre 1914. Il y reste jusqu’en
avril 1915, date à laquelle il est versé dans un régiment combattant, d’abord
le 173ème RI puis le 369ème RI.
En août 1916 ce régiment va prendre son tour pour la défense de
Verdun. Dans ce secteur les combats sont encore très durs : il est évident
pour tous que la grande manœuvre des Allemands a échoué sur ce front, comme est
en train d’échouer celle des Alliés dans la Somme. D’immenses dégâts humains et
matériels dans les deux cas, pour d’insignifiants avantages territoriaux…
JMO du 369 RI :
« Après une période d'instruction passée au camp de Saffais,
le régiment est dirigé sur Verdun. Il monte en ligne dans la nuit du 25 au 26
août et occupe le secteur de la batterie de l'Hôpital (Vaux-Chapitre, le
Chesnois). Il tient tête, pendant douze jours, aux tentatives répétées d'un ennemi
supérieur en nombre qui veut nous arracher le fort de Souville. Par des contre-attaques
menées résolument, il réussit à conserver tout le terrain confié à sa garde et,
malgré des pertes extrêmement lourdes, il traverse glorieusement cette passe
difficile ».
Après la perte du fort de Douaumont, réputé imprenable, le fort de
Vaux était devenu un nouveau symbole des affrontements de Verdun. En voici l’histoire,
raconte aussitôt après la guerre par l’historien Hanoteaux :
« Le premier juin les Allemands reprennent l’offensive et le
fort de Vaux est écrasé par 23 600 obus. Le 2, la superstructure est occupée
mais à l’intérieur du fort, les 600 hommes du commandant Raynal résistent. Le 7
juin, à 6 heures du matin, le commandant Raynal capitule après une résistance
héroïque.
Le 21 juin les attaques partielles sont bloquées aux ailes mais
percent au centre à la Vaux- Régnier, créant un trou de 500 mètres entre le
Petit Dépôt et le bois Fumin.
Le 22 à 2 heures, une attaque en tenaille part du bois Fumin, du
fond de la Horgne, et encercle le saillant au sud du fort de Vaux. A 21h30, la
canonnade allemande s’arrête brusquement. Des milliers de bruissements passent
au-dessus des lignes mais les obus n’explosent pas. Plus de 100 000 obus
toxiques se vident comme des bouteilles de Champagne jusqu’à 3 heures du matin.
L’inefficacité du masque Tissot désorganise le camp français, son artillerie ne
répond pas pour la première fois à l’artillerie allemande et les relèves ne
passent pas.
Le 23 juin l’assaut allemand se déclenche à 6 heures. La situation
en fin de matinée semble désespérée. Pour la première fois, le front est
enfoncé aussi bien à l’ouest sur la côte de Froideterre, qu’à l’est vers le
tunnel de Tavannes. Jamais la victoire allemande n’est apparue si proche mais,
c’était sans compter sur le sublime du soldat de Verdun et son sacrifice total
qui permit de repousser l’attaque et colmater les brèches. Les forts de
Froideterre et Souville tiennent toujours et le premier juillet l’offensive
franco-britanique déclenchée sur la Somme absorbe les renforts allemands.
L’armée allemande échoue ! ».
Albert-Louis
Turc a été tué
lors de l’attaque du 26 juin, aux approches de ce qu’il restait du fort de
Vaux, aux mains des Allemands. Il avait 36 ans. Son nom figure sur le monument
aux morts de la commune. Il a été cité à l’ordre de la brigade le 14 septembre
1916 : « Très bon soldat, tué
le 26 août 1916 en se portant résolument à l’attaque d’une tranchée ennemie ».
Croix de guerre.
A suivre…
La consommation d'obus a été énorme durant les premiers mois de la
bataille de Verdun. Les Français ont envoyé 10.300.000 obus de 75mm, 1.200.000
obus de 80 à 105mm, 8.600.000 obus d'un calibre supérieur à 105mm et au 15
juillet, les pertes françaises sont déjà de 6.563 officiers et 270.000 hommes.
Une bonne partie de ces obus étaient remplis de gaz. On a lu plus
haut les phrases suivantes : « Des
milliers de bruissements passent au-dessus des lignes mais les obus n’explosent
pas. Plus de 100 000 obus toxiques se vident comme des bouteilles de Champagne
jusqu’à 3 heures du matin. L’inefficacité du masque Tissot désorganise le camp
français ». Pourtant, officiellement, les appareils Tissot étaient à l’épreuve
de tout risque.
Le docteur Tissot était l’inventeur d’un appareil respiratoire
isolant destiné aux secours dans les mines et qui servait avant guerre depuis
1907. Ces appareils seront d’ailleurs récupérés dès la fin du mois d’avril 1915
pour être envoyés aux armées. Cela resta tout de même anecdotique puisque seulement
250 exemplaires existants seront utilisés. En 1915, après l’apparition des gaz
de combat, Tissot se pencha sur la fabrication d’un nouvel appareil destiné à
la protection contre les gaz. Ses recherches aboutirent dès la fin de l’année à
un engin constitué par un masque en caoutchouc muni d’une soupape identique à
celle de son précédent appareil. La filtration était assurée par un bidon
métallique rectangulaire contenant deux couches de substance : une première
constituée par de la paille de fer sur laquelle est répartie de la potasse et
une seconde couche constituée par des copeaux de bois imbibés du mélange
ricin-ricinate. La cartouche filtrante était portée sur le dos. En haut de
celle-ci, une ouverture permettait de visser le départ du tuyau d’air reliant
la partie filtrante au masque. Sur le fond se trouvait un orifice d’arrivée
d’air obturé par un bouchon de caoutchouc. Son prototype sera donc envoyé à la
Commission et les différents membres procéderont à un essai au laboratoire de
Lebeau le 8 janvier 1916. C’est Dopter qui rentrera dans la chambre d’essai
infectée par du phosgène et du bromure de benzyle. Aucune gêne ne sera observée
et on ajoutera à l’atmosphère de la bromacétone. Ce n’est qu’au bout de 20
minutes que, sentant un léger picotement aux yeux, l’expérimentateur sortira de
la pièce ne jugeant pas nécessaire de prolonger l’essai. Le confort de
l’appareil était excellent, notamment au niveau de la vision. En effet, Tissot
avait cherché à éviter la formation de buée sur les vitres de verre en
refroidissant la face interne des oculaires par un système ingénieux : à chaque
inspiration, l’air arrivait dans le masque par deux conduits débouchant au bas
des oculaires, si bien que ceux-ci étaient périodiquement balayés par une nappe
froide. La respiration était aisée, la soupape d’expiration se trouvant
directement sur le masque de manière à réduire l’effort à l’expiration. A
l’intérieur du masque et dans sa partie inférieure, un écarteur à deux branches
empêchait l’affaissement du masque à l’inspiration. Un deuxième essai sera mené
le 14 janvier en plein air à Satory où Tissot sera convié. Celui-ci se
promènera dans une vague de phosgène, de chlore et de fumigène, à 50 mètres des
bouteilles d’émission. D’ailleurs, Lebeau souhaitant faire la comparaison avec
le tampon TN le rejoindra, muni de cet appareil, sans ressentir le moindre
problème.
De ces deux essais, il apparaissait nettement que le Tissot était
un excellent appareil. La Commission proposa donc de poursuivre la mise au
point de l’engin, non pas pour le substituer au masque, mais pour remplacer les
appareils à oxylithe ou les Draeger. Ces deux types d’engin permettent de
rester dans une atmosphère très concentrée, puisqu’ils fonctionnent en circuit
fermé. Leur principal inconvénient est leur durée d’emploi qui ne peut guère
dépasser une demi-heure. Le Tissot présentait donc un réel avantage, mais il
fallait encore vérifier qu’il répondait bien à ces attentes et aussi établir à
quels gaz s’étendait sa protection. Suivant les concentrations de gaz,
l’appareil pouvait fonctionner jusqu'à 50 heures avant d’être épuisé, et 30
heures dans des conditions extrêmes. L’appareil est donc considéré comme l’un
des meilleurs ayant été proposé, et la Commission décide la mise en fabrication
de 1 000 exemplaires afin de poursuivre les recherches et d’émettre un
avis définitif.
Le 29 avril 1916, l’avis sera tranché. A cette date, 450 appareils
avaient été fabriqués et 50 étaient à l’essai dans une compagnie Z chargée de
l’émission des gaz. Unanimement, le Tissot sera adopté. Les masques
commenceront à être livrés à partir du mois de juillet. L’appareil était rangé
dans une caisse en bois rectangulaire car il n’était pas destiné à être porté
en position d’attente par un homme. Il constituait un appareil de secteur qui
restait en place dans un poste déterminé (PC, mitrailleuse sous casemate,
guetteur sous cloche blindée…). 30 000 appareils de ce type seront produits.
Plus de 100 000 exemplaires de Tissot grand modèle furent
fabriqués jusqu'à l’Armistice en 1918. Mais son encombrement empêchait les
hommes de se déplacer avec aisance. L’idée de fabriquer un Tissot plus léger et
plus petit que l’on pourrait transporter en permanence s’imposa très rapidement,
d’autant plus que l’escalade de la guerre chimique ne cessait de progresser.
Tissot fut donc sollicité par la Commission pour fabriquer un
modèle plus petit facilitant un usage plus général de l’appareil. Fin novembre
1916, il proposa son prototype, peu différent de son grand frère, si ce n’est
par la taille de la cartouche filtrante, et par quelques détails mineurs. Le
masque se fixait au tuyau de la cartouche filtrante par une attache se fixant
rapidement grâce à un ressort canette. Le tout était protégé par une caisse en
bois triangulaire qui se portait en bandoulière.
Jusqu'à la fin de la guerre, le Tissot petit modèle prendra une
importance croissante dans l’éventail de la protection. En octobre 1918, on
décida de remplacer définitivement la production de Tissot grand modèle par
celle du petit modèle. La fabrication du premier fut stoppée et celle du second
activée. A l’Armistice, 590 000 exemplaires auront été fabriqués et toutes les
productions cesseront.