109ème semaine
Du lundi 28 août au dimanche 3 septembre
1916
UN DÉPUTÉ ET DES GRÉVISTES
Louis Mourier, député d’Alais
de 1914 à 1924
Né le 8 octobre 1873 à Vézénobres, Louis Mourier fait ses études à
la faculté de médecine de Montpellier, où il est préparateur de physiologie
après avoir obtenu le diplôme de docteur en médecine. Il exerce à Vézénobres,
son village natal, quand il est élu au Conseil général, le 24 septembre 1905.
Louis Mourier en 1914 |
Les élections législatives de 1914 ont eu lieu en France les 26
avril et 10 mai 1914. Elles se sont déroulées au scrutin uninominal à deux
tours par arrondissements (loi du 13 février 1889), comme les précédentes
élections. La durée de la législature est portée à 5 ans.
Les députés sont élus par les habitants masculins des départements
de la métropole (11 185 078 inscrits, 585 députés) ainsi que par les citoyens
français d'Algérie (128 501 inscrits, 6 députés) et des colonies (Inde,
Guadeloupe, Martinique, Réunion, Sénégal, Guyane, Cochinchine : 202 093
inscrits, 10 députés).
Les précédentes élections (1910) ayant reconduit la majorité
sortante, la France est gouvernée par la gauche républicaine. Pas moins de 9
gouvernements se succèdent de 1910 à 1914. Les nouvelles élections se déroulent
3 mois avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
Ces élections donnent la victoire à la gauche, avec notamment une
progression des radicaux et de l'Union républicaine. La SFIO gagne plus de 25
sièges et devient le deuxième groupe de la Chambre. Cependant, le déclenchement
de la Première Guerre mondiale entraine la formation de l'Union sacrée en août
1914.
A la Chambre, Louis Mourier prend diverses initiatives pour venir
en aide aux viticulteurs du Gard ; mais surtout il fait tout ce qui est en son
pouvoir pour obtenir la meilleure utilisation possible des effectifs
militaires. Il multiplie les propositions de résolution et les interpellations
en ce sens. Les longues interventions, dans lesquelles il invite le
gouvernement à réviser systématiquement la situation des sursitaires et des
affectés spéciaux, sont vivement applaudies. Enfin, il obtient en 1917 le vote
d'une proposition de loi dont il est l'auteur, qui envoie au combat tous les
hommes jeunes et valides et place dans les formations à l'arrière les mobilisés
pères de 4 enfants.
Le 12 septembre 1917, le président Painlevé l'appelle au
sous-secrétariat d'Etat à l'administration de la guerre pour appliquer cette
loi que tout le monde nomme la « loi Mourier ». Deux mois plus tard, il est
chargé par Clemenceau du sous-secrétariat d'Etat au service de santé militaire,
dont il assume la responsabilité jusqu'en janvier 1920.
L’année 1917 est une année critique. L'année des mutineries
militaires, des procès de trahison, l'année de l'entrée en guerre des USA
et de la révolution russe, est aussi l'année des grèves : 293 000 grévistes
et 696 grèves en 1917, contre 41 000 grévistes et 315 grèves en 1916.
Dans le Gard, ces grèves touchent pendant l'année 1917, de juin à
décembre, sinon toutes les professions, du moins la plupart des centres
industriels : à Nîmes, l'industrie de la confection et la bonneterie, les
employés de magasin, les imprimeurs, les employés des tramways, à Sauve la
bonneterie, à Alais les métallurgistes, à Saint- Ambroix les fileuses en soie.
Exceptions notables cependant : les mineurs et les ouvriers des chemins de fer.
A l'origine des grèves, un fait général, la hausse des prix dont les effets
étaient sensibles dès 1915, mais qui s'accentue encore en 1917, et affecte
presque tous les produits alimentaires.
La masse des ouvriers
métallurgistes gardois se trouve dans la région d'Alais. Employés par la
puissante Compagnie des mines, fonderies et forges de Tamaris et Bessèges, les
2 100 métallurgistes de Tamaris ne constituent pas une main d'œuvre homogène
; une partie d'entre eux sont des affectés spéciaux, mobilisés. De plus, et par
suite de la guerre, de nombreux ouvriers du Nord sont venus s'adjoindre à la
main d'œuvre locale, ce qui ne va pas sans provoquer parfois des dissensions.
Le syndicat qui s'était dissous au début des hostilités est reformé le 3
septembre 1916 par 70 ouvriers de la Compagnie des Forges, réunis à la Bourse
du travail. A la fin du mois de septembre, le syndicat a une centaine
d'adhérents, surtout d'ailleurs des Gardois, les affectés spéciaux du Nord
restant sur la réserve. Le bureau est alors définitivement organisé et Layre,
ouvrier métallurgiste de Tamaris, en devient président. Les mobiles de la
réorganisation syndicale sont multiples : d'abord des revendications
immédiates, le désir d'obtenir une augmentation permanente de salaire à la
place des allocations temporaires accordées jusqu'ici ; puis apparaît aussi le
désir de renforcer les organisations syndicales, instrument de défense de la
classe ouvrière. L'effort de guerre n'est pas encore contesté, mais l'union
sacrée est très nettement en question : « Pendant que beaucoup des nôtres
affrontent la mort sur les champs de bataille, nous avons le devoir de nous
élever contre la rapacité. L'heure est venue de mettre un terme à l'exploitation
dont nous sommes victimes ». Les ouvriers refusent d'être considérés comme
des privilégiés parce qu'ils sont à l'arrière; ils refusent aux patrons le
droit de leur dire : « Si vous n'êtes pas contents, allez sur le front ». A
ceux qui veulent les opposer aux soldats, ils répondent en affirmant la
solidarité des soldats et des ouvriers de l'arrière contre le capital : « Nos
camarades qui sont sur le front ne nous pardonneraient pas d'avoir laissé les
organisations ouvrières ». Il y a donc bien résurgence de la conscience
syndicale, et les ouvriers de Tamaris décident d'ailleurs de demander
immédiatement au directeur de l'Usine une augmentation de salaire à compter du
1er octobre 1916.
Les discussions sur le taux des
salaires qui s'engagent à partir d'octobre 1916 ne doivent pas être considérées
comme un épisode mineur puisque c'est dans cette négociation que le syndicat,
une fois reformé, fait ses premières armes, et conquiert par là peu à peu,
parmi les ouvriers de Tamaris, sinon beaucoup d'adhésions, du moins une large
audience. Certes, les réunions syndicales ne sont pas très fréquentées : jamais
plus de 75 syndiqués, dont quelques femmes de septembre 1916 à juillet 1917.
Pourtant à l'heure de l'action, en septembre, le syndicat représentera sans
conteste la quasi totalité des ouvriers de Tamaris. En avril 1917, quelques
succès sont obtenus : on ajoute aux salaires diverses primes de dépaysement (0
fr. 75 par jour) pour les ouvriers étrangers à la région, et pour ceux du pays
une prime de 0 fr. 50 (célibataires), 0 fr. 75 (hommes mariés), 0 fr. 40
(femmes), ainsi qu'une allocation familiale de 0 fr. 30 par enfant de moins de huit
ans. Le 1er juin 1917, la prime de dépaysement est convertie en une
bonification de salaire de 1 fr. par jour et l'on y ajoute une allocation
mensuelle de 10 fr. pour les hommes et 8 fr. pour les femmes. Enfin le 15 juin,
l'heure de travail est portée à 0,60 fr.
Ces augmentations étaient
cependant considérées comme insuffisantes par les métallurgistes. Ils
demandaient surtout que soit appliqué par la Compagnie des Forges le décret du
ministre de l'Armement A. Thomas qui préconisait l'établissement de bordereaux
de salaires. Mais les dirigeants de la Compagnie prétextaient que le décret
d'A. Thomas n'avait pas un caractère impératif, que d'autre part le bordereau
prévu par le décret devait fixer les salaires minima, inférieurs donc aux
salaires touchés par les ouvriers de la Compagnie. L'insistance du syndicat à
demander la discussion du bordereau débute cependant fort bien. C'était d'abord
le moyen de forcer la direction à reconnaître le syndicat; au delà de cette
satisfaction de principe, le bordereau garantissait aux travailleurs aux pièces
un salaire pour le cas où leur travail serait interrompu par un incident
extérieur (manque de matière première ou panne d'électricité, par exemple). De
plus la discussion du bordereau permettrait au syndicat de défendre un certain
nombre de principes : majoration des heures supplémentaires, égalité des
salaires masculins et féminins, révision des tarifs en cas d'augmentation du
coût de la vie.
Aussi la discussion du bordereau
occupe-t-elle le syndicat des pendant tout le printemps 1917. Le ministre dont
le décret restait lettre morte n'avait pas bonne presse : le 20 mai 1917, un
placard opposé dans la grande salle de la Bourse du Travail d'Alais le mettait
directement en cause. Sous le titre Le
Barème à Thomas, on y lisait : « Lorsque le camarade A. Thomas sera de
retour de Russie, au lieu d'aller refaire de grands discours à la gloire du
Creusot, il devra agir pour faire appliquer son barème des salaires dans les
usines de guerre travaillant pour la guerre. Quand on s'est dit socialiste, on
doit au moins ça à la classe ouvrière. Or les industriels ne tiennent aucun
compte des prix établis. Notre dévoué camarade Merrheim, secrétaire de la
puissante Fédération des métaux, le signale quatre ou cinq fois par jour au
ministre, mais le ministre de l'armement ne s'inquiète guère si le barème qu'il
a élaboré est appliqué ». Cependant on paraissait être sur la voie d'un
accord au début d'août 1917, après la venue à Tamaris du capitaine Hubert,
délégué du ministre de l'armement. Et pourtant la situation se dégrade très
rapidement à la fin août. Alors qu'après huit jours de discussions, le
représentant du syndicat des métallurgistes, le délégué du Ministre de
l'Armement, le contrôleur de la main-d’œuvre et le directeur de la Compagnie
des forges étaient parvenus le 28 août à un accord complet, tant sur le
bordereau que sur les salaires qui seraient effectivement payés, le directeur
de la Compagnie, Guérin, remet soudain en question l'ensemble des accords et
par là les augmentations prévues. D'après le préfet du Gard, le directeur de la
compagnie aurait cédé aux instances du délégué financier du Conseil
d'administration de la compagnie. L'échec des négociations provoque une vive
émotion. Tandis que le préfet fait pression sur le directeur de la compagnie et
demande le soutien du ministre de l'Armement, le directeur qui veut prévenir un
mouvement accorde une bonification de salaire de 0,40 fr. par jour. Quant au
syndicat des métallurgistes, il dénonce, par la plume de Layre, «
l'intransigeance et la déloyauté de la Compagnie des Forges », et il s'adresse
aux autorités civiles du département ainsi qu'au député Mourier. Mais ce qui
frappe surtout les ouvriers métallurgistes, c'est que Layre décide de profiter
du congrès de la Fédération des métallurgistes qui se tient à Paris au début de
septembre 1917 pour aller voir A. Thomas, ministre de l'Armement, et lui
exposer la situation. Grâce à Merrheim, et bien que ce ne soit pas « une chose
facile d'aborder un camarade socialiste promu ministre », il obtient
effectivement une audience dans les premiers jours de septembre. Entrevue
d'ailleurs sans résultat d'autant plus que, le 13 septembre, A. Thomas est
remplacé par Loucheur au ministère de l'Armement.
Fallait-il alors passer à
l'action ? Quelques ouvriers demandaient « un mouvement » et reprochaient au conseil
syndical son manque d'énergie. La grande majorité suivit Layre qui, « pour
le moment », se prononçait « contre l'opportunité d'un mouvement ». Mais si
l'occasion ne paraissait pas encore judicieuse, l'idée d'une grève gagnait
l'esprit des métallurgistes. Les grèves commencent à Nîmes à
la fin du mois de mai dans l'industrie du vêtement et s'étendent jusqu'à la fin
du mois de juin en gagnant de nouvelles corporations. L'objectif des grévistes
est d'obtenir l'application de la circulaire du 31 mai. Le 7 juin les patrons
s'inclinent, non sans réserves : « l'État seul », disent-ils, doit supporter
les frais des avantages accordés aux ouvriers. Cependant les ouvrières de
l'habillement qui ont fait souffler ce « vent de grèves » ont bénéficié de
circonstances particulièrement favorables. Elles travaillent pour l'État par l’intermédiaire
des confectionneurs et la circulaire du 31 mai leur a donné un solide argument.
Très différente est la situation quand la grève touche un secteur vital pour la
guerre, l'industrie métallurgique comme c'est le cas à Alais.
On a vu que la discussion portant
sur le bordereau des salaires, âprement menée tant du côté syndical que du côté
patronal, était sur la voie de l'échec en septembre 1917. C'est alors que le
ministre de l'Armement intervient et que le poids de l'État pèse soudain lourdement
dans la balance : le 17 septembre, le ministre fixe d'autorité les salaires
applicables aux usines métallurgiques de Bessèges. Quelques jours plus tard,
Layre, secrétaire du syndicat, est muté par mesure disciplinaire à Bayonne,
sans même que le préfet en soit averti. La conséquence immédiate, c'est la grève
totale aux usines de Tamaris. Le 26 septembre, trois réunions ont lieu successivement
à la Bourse du Travail. Les métallurgistes décident de composer deux
commissions, l'une pour les ouvriers l'autre pour la main d'œuvre civile. Ils
demandent audience au sous-préfet, au contrôleur de la main d'œuvre militaire,
au maire d'Alais, au député Mourier. Ils font appel également au syndicat des
mineurs et au secrétaire général de la Bourse du Travail d'Alais, Mazet. Ils
affirment qu'ils ne suivent l'influence d'aucun meneur et ils déclarent qu'ils
ne reprendront le travail que si trois conditions sont réunies : la
réintégration de Layre, l'application du bordereau syndical, l'engagement
formel de la part de l'administration qu'aucune sanction ne sera prise. Le 27,
la grève est encore presque totale : 290 ouvriers seulement (sur 2 100) ont
travaillé. Tandis que le contrôleur de la main d'œuvre militaire fait planer la
menace de sanctions, que le ministre de l'Armement demande l'arrestation de dix
mobilisés et la réquisition du personnel civil, et que la compagnie envisage,
dit- on, la fermeture des cantines aux grévistes, les métallurgistes se
réunissent à nouveau par deux fois le 27 septembre. On voit alors s'opposer très
nettement sur la tactique à suivre, l'ensemble des ouvriers d'une part, la direction
syndicale d'autre part. Tout à la fois Roques, trésorier du syndicat des
métallurgistes, Lescalié de la Bourse du travail de Nîmes, Jallet représentant
le syndicat des mineurs demandent avec instance la reprise du travail : « à
quatre reprises successives, l'assemblée est sommée de se prononcer pour la
reprise du travail ou la continuation de la grève. Chacune de ces réunit la
majorité pour la continuation de la grève ».
Mais à la demande de leurs
représentants, les ouvriers, qui auraient voulu attendre au moins l'arrivée du
général délégué par le ministre de l'Armement pour régler le conflit, doivent
finalement s'incliner. « Dans de telles conditions, la majorité, bien que
résolument opposée à la reprise du travail, doit céder aux objurgations de
Roques et aux pressantes instances de Lescalié ». La prudence de la direction
contraste avec le dynamisme de la base. Cette prudence est-elle excessive ?
Elle s'explique assurément par la crainte d'une répression massive qui
isolerait le syndicat, très minoritaire en temps normal. En tout cas c'est
l'échec : l'État et le patronat ont conjugué leurs forces pour faire plier les
métallurgistes.
A partir de ces grèves, on peut
aussi aborder, ne fût-ce que les traits originaux de la mentalité ouvrière
pendant la guerre. Car celle-ci, en modifiant les conditions de travail, a fait
apparaître des réalités nouvelles qui agissent sur la mentalité ouvrière.
Et c'est d'abord, chez les
métallurgistes, le poids d'une constante surveillance policière et la menace,
toujours présente, pour les affectés spéciaux d'être renvoyés au front. Cette
crainte explique la prudence ouvrière; fréquemment les tenants de la grève sont
présentés comme des provocateurs et des complices du patronat. La loi Mourier
qui permet de verser dans les unités combattantes les professionnels et même
les spécialistes lorsqu'ils ne sont pas reconnus indispensables est, dit Layre,
« une épée de Damoclès suspendue sur la tête de tous et de chacun ». L'on
reproche à cette loi de tolérer l'arbitraire : « elle ne touchera pas
nombre d'embusqués, avoués, clercs de notaires affectés dans les services du
contrôle », mais en revanche, pendant les années 1917 et 1918, les deux
secrétaires du syndicat des métallurgistes, Layre et Golliard, sont l'un muté,
l'autre renvoyé au front.
Pour ce qui concerne le député Louis Mourier, le Conseil général du
Gard l’appelle à sa présidence en 1918 ; il remplit cette fonction jusqu'en
1940. En tant que député, il est réélu le 16 novembre 1919, sur la liste
d'entente républicaine, par 26.191 voix sur 83.815 votants.
Louis Mourier en 1933 |
Il a succédé à Clemenceau à
l'Académie de médecine, le 3 avril 1930.
A peine déchargé de sa tâche d'administrateur, il se présente aux
élections sénatoriales dans le Gard, sur la liste radicale-socialiste, et est
élu dès le premier tour, le 23 octobre 1938, par 425 voix sur 828 votants. Au
Sénat, il dépose en 1939 deux propositions de loi, relatives : l'une à
l'organisation du corps de santé militaire, l'autre à l'utilisation rationnelle
des mobilisés. La commission de l'armée le charge de rapporter la seconde,
qu'il fait adopter après de longues discussions. Elle reprenait, en les
rajeunissant, les principales dispositions de la « loi Mourier » de 1917.
Le 10 juillet 1940, Louis Mourier vote le projet de loi accordant
les pouvoirs spéciaux au maréchal Pétain.
Il meurt le 20 février 1960 à Paris.
A suivre…
Les passages de cet article concernant les grèves de 1917 sont
extraits du travail de Raymond Huard, « Aspects du mouvement ouvrier
gardois pendant la guerre de 1914-18 : les grèves de 1917 », In:
Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France
méridionale, Tome 80, N°88, 1968. pp. 305-318.