145ème
semaine
Du
lundi 6 au dimanche 12 mai 1917
FATIGUES
ET DEPRESSIONS MORALES
Louis-Auguste
Banal,
soldat au 107ème bataillon de chasseurs à pied
Tué
à l’ennemi le 6 mai 1917 à Vendresse (Aisne)
Louis-Auguste Banal est né à Barre-des-Cévennes le 23
novembre 1895, de Louis-Auguste (il a donc reçu exactement les deux prénoms de
son père) et d’Anaïs née Saget. Il réside à Anduze où il est cultivateur. Son
registre matricule lui attribue un degré d’instruction complètement nul, ce qui
est rare. Appelé sous les drapeaux le 18 décembre 1914 au 23ème
régiment d’infanterie, il passe dans le 5ème bataillon de chasseurs
à pied le 24 août 1915 puis trois mois plus tard dans le 107ème
bataillon de ces mêmes chasseurs à pied.
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JMO : « - Journée du 28 octobre
– Nos chasseurs sont des hommes de boue, du moin par l’aspect. Plus de moyen de
les abriter, le froid pénètre ; gare aux engelures de pied. Que n’avons-nous
la pommade anti-gel de l’hiver dernier en Alsace !!! Relève le soir, il
est temps. Rentrée à Verdun extrêmement pénible ; encore des pertes sous
les bombardements, en particulier entre les carrières et Souville. Après c’est
la joie, joie d’avoir vaincu et de goûter d’un repos bien gagné mais précaire. Des
vivres chauds trouvés à l’arrière ragaillardissent, personne ne pense plus aux
misères endurées, on ne songe qu’à se refaire pour recommencer.
29 octobre et jours suivants –
Repos au cantonnement dans des baraquements.
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Le Président Poincaré passant en revue un régiment |
6 novembre – Remise de décorations
par monsieur le Président de la République, assisté des généraux de Castelnau,
Nivelle, Duparge et Passaga. Remise de la Croix de guerre avec palme au
Bataillon avec le motif suivant : « Chargé le 24 octobre 1916 d’enlever
des positions que l’ennemi avait mis huit mois à conquérir, s’est brillamment
porté à l’attaque, sous le commandement
du Chef de Bataillon Pintiaux et a atteint, dans les délais prévus, tous les
objectifs qui lui étaient assignés, surmontant avec sang-froid et bonne humeur
les difficultés d’un terrain particulièrement difficile, a fait 350 prisonniers
et pris 16 mitrailleuses ».
Pertes du 22 au 28 octobre : 35
tués, 149 blessés, 6 disparus. Il faut y ajouter plus d’une centaine d’évacués le
29 octobre pour raison médicale, Louis-Auguste
Banal en fait partie pour « pieds gelés ».
En 1917, le 107ème
bataillon de chasseurs à pied prend part aux combats du Chemin des Dames.
Selon son historique :
« Offensive du 16 avril 1917.
Le 16 avril, le bataillon en réserve de division doit progresser derrière le 32e
bataillon de chasseurs. Mais les éléments de première ligne n'ayant pu
surmonter la résistance allemande, le bataillon ne peut dépasser Vendresse, où
une dangereuse accumulation de réserve se produit et provoque de la part de l'ennemi
un bombardement meurtrier. Du 16 au 20 avril, le bataillon reste entre
Vendresse et Troyon, attendant toujours une éventuelle progression qui lui
permettrait de reprendre son mouvement en avant. Cette progression ne s'étant
pas réalisée, le bataillon est refoulé sur Moulins où il séjourne sous de
violents bombardements jusqu'au 25 avril. Pertes du 16 au 25 avril : 21 tués, 60
blessés.
En secteur devant la Sucrerie de
Cerny. Du 25 au 29 avril, le bataillon encadré à droite par le 93e R.I., à
gauche par le 32e B. C. P., tient le secteur devant la Sucrerie de Cerny. Les
1e et 2e compagnies sont en première ligne dans la tranchée de Munster, la 3e
compagnie est en réserve dans les tranchées du Hambourg et d'Eylau. Dans la
nuit du 29 au 30 avril, il est relevé par le 1er bataillon du 401e R.I., et va
bivouaquer dans les abris de la Falaise, situés au Nord-Ouest de Vendresse,
près du P.C. Paul. Il y reste jusqu'au 4 mai, participant aux travaux et aux transports
en vue de l'attaque du plateau de Courtacon. Pertes : 1 tué, 27 blessés.
Attaque du Plateau de Courtacon. Le
5 mai, le 107e en réserve de division, placé derrière la 214e brigade, est
porté à 1 h. 30 en rassemblement articulé, ses compagnies de tête dans la
tranchée de Fuleta. A 8 h. 40, il pousse la tête de son dispositif dans la
tranchée du Paradis. Mais les attaques des éléments de première ligne ayant été
arrêtées, il ne peut progresser plus avant. A 23 h. 30, en vue de la reprise
des attaques le 6 mai, il relève en première ligne, entre le boyau de la
Baleine et le boyau de Haubans, le 5e bataillon du 321e R.I. Il doit attaquer
les tranchées des Pirates et de Fiume, encadré à droite par le 4e bataillon du
321e R.I., à gauche par le 37e R.I. Cette attaque ayant été contremandée, le
bataillon prend le dispositif ci-après : 2 compagnies en premier échelon dans
les tranchées Kruger et Frieje, une compagnie en deuxième échelon dans la
tranchée du Paradis. Le 7 mai, le bataillon est relevé par un bataillon du 9e
zouaves. Pertes : 21 tués, 63 blessés, 2 disparus ».
C’est exactement dans ce secteur
et à ce moment-là que s’est produit à Vendresse un premier mouvement de révolte
de soldats, préfiguration de ce qui serait une mutinerie importante un mois
plus tard à Craonne.
Les abandons de poste et les refus
d’obéissance individuels ne sont pas rares lors des offensives. Fin avril 1917,
les premiers mouvements collectifs apparaissent au Chemin des Dames. Le «
mouvement de défection du 321e RI » est le premier vraiment important. Le 321e
RI, qui devait suivre l’attaque du 16 avril pour exploiter son succès vers
Laon, subit d’importantes pertes, dont son colonel, au sud de
Cerny-en-Laonnois. Il est mis en réserve le 25 avril dans les tranchées et
carrières de Fuleta, près de Chivy, ou dans celles de Madagascar. Le 2 mai,
l’ordre de remonter au front est accepté avec mauvaise humeur (on remet souvent
en cause la préparation d’artillerie, qui n’a pas assez affaibli l’ennemi) et
des soldats manquent lorsque les compagnies, notamment les 13 et 14e, arrivent
à leurs positions d’attaque. On complète le régiment avec une centaine d’hommes
provenant du dépôt. Des rumeurs nombreuses circulent sur des refus d’obéissance
dans des régiments voisins. Au total, il y a 122 absents lorsque le régiment
parvient à ses positions d’attaque. La plupart réapparaissent quelques jours
plus tard, quand le régiment est renvoyé au repos. Pendant ce temps le bilan
pour le 321e est lourd : 87 tués, 274 blessés et 41 disparus en deux jours, les
5 et 6 mai. Pour expliquer leur défection, la plupart des soldats mettent en
avant des raisons personnelles, même si « la dépression morale est le point commun
à tous ». Certains remettent en cause leurs sous-officiers, qui les auraient
incités à la révolte. Mais les témoignages de beaucoup de soldats révèlent
surtout leur grande détresse morale et physique (ils évoquent notamment la mort
de leurs frères ou de leurs proches, le manque de nouvelles de leur famille). Ne
pouvant juger tous les mutins, on décide de déférer ceux qui sont à l’origine
du mouvement : on arrête finalement une liste de 33 noms. On juge aussi les
sergents chargés de rechercher les fuyards, accusés de provocation à la
désertion. Les autres accusés sont souvent de « bons soldats » qui se sont
cachés pour ne pas monter en première ligne, certains ayant aggravé leur cas
par leur attitude au moment de leur arrestation ou par le délai mis pour
regagner leur compagnie. En définitive, les 31 soldats déférés devant la
justice n’ont rien de “meneurs”. La première séance du conseil de guerre (8
juin 1917) est sévère : deux condamnations à mort (la grâce est accordée). Mais
la deuxième est plus modérée : on souligne les difficultés matérielles et
morales des soldats. « Trop de fatigue, la désillusion causée par les attaques
précédentes, le sentiment d’être promis à une mort certaine, ont créé une sorte
de sentiment commun de survie qui les a conduits à se cacher. » On requalifie
les accusations (l’abandon de poste « sur territoire en état de guerre »
remplaçant l’abandon « en présence de l’ennemi »), et la plupart des accusés
sont condamnés à des peines de prison avec sursis. Lorsqu’on demande des
comptes aux juges sur leur clémence, « à mots couverts, il s’agit bien d’une
mise en cause de l’encadrement des compagnies et du bataillon concernés par les
défections. » Certains mutins sont jugés alors que ce sont de « bons soldats »,
d’autres échappent à toute punition malgré leur attitude. « Tout cela
révèle une grande confusion dans la manière dont on été choisis les soldats
déférés devant la justice militaire. Il n’y a peut-être pas eu de tirage au
sort mais le choix a souvent été incohérent. » Après la requalification des
accusations, l’enquête remonte au commandant de Contenson et au capitaine
André, qui dirigent le bataillon le plus touché et sont accusés de faiblesse,
de ne pas avoir assez utilisé la menace pour faire avancer les réticents. Ils
sont tous les deux relevés de leur commandement et envoyés au dépôt. « La
fatigue et la dépression morale, finalement admises pour les soldats, n’ont pas
valu pour les officiers. » La particularité de la mutinerie du 321e RI à
Vendresse réside donc dans le fait que le conseil de guerre « a minimisé la
faute des soldats et désigné les officiers comme principaux responsables ». C’est
pourtant ce même commandant de Contenson qui avait été promu au grade d’officier
de la légion d’honneur avec citation pour conduite héroïque lors de la reprise
du fort de Douaumont fin octobre 1916.
Les fortunes de guerre ont donc
amené deux soldats à se trouver au même endroit au même moment deux fois, avec
des sorts bien différents :
- fin
octobre 1916, fort de Douaumont : le commandant de Contenson est fait
officier de la légion d’honneur, Louis-Auguste Banal est évacué avec les pieds
gelés,
- début mai 1917 : le commandant
de Contenson est relevé de son commandement pour faiblesse, Louis-Auguste Banal
est tué.
A suivre…
Source pour Vendresse : Denis Rolland, « Révolte à Vendresse » , in N. Offenstadt (dir.), op. cit.,
pages 206 à 216, repris et enrichi sur le blog : http://dictionnaireduchemindesdames.blogspot.fr/