MOBILISATION

1ère semaine

Du samedi 1er au dimanche 9 août 1914

La guerre de 1914-1918 aura duré 223 semaines et 3 jours…


Elle commence dans une relative surprise : les Français ne s’y attendaient pas vraiment. Une population majoritairement rurale ne lisait guère les journaux nationaux, et de toute façon qui savait vraiment ce que signifiait l’assassinat à Sarajevo d’un jeune archiduc austro-hongrois ? Comment comprendre le jeu de dominos des alliances qui allait se mettre en place pour jeter l’Europe entière dans une incroyable guerre ?

Mais le 1er août les clochers sonnent le tocsin, et les affiches (imprimés depuis 1904) sont remplies à la main puis posées sur les murs des mairies et des écoles. Les habitants se rassemblent en silence, on commente seulement « Alors, ça y est ? ». Chaque homme ayant entre vingt et quarante ans doit se présenter à la caserne qui lui est indiquée dans son livret de mobilisation. Il doit se munir de deux chemises, d’un caleçon, de deux mouchoirs, d’une bonne paire de chaussures, de vivres pour un jour. Nul n’est enthousiaste, mais chacun se prépare aussitôt et rejoint son corps. En quelques jours pourtant l’ambiance nationale change : l’idée se diffuse que ce sont les Allemands qui ont voulu cette guerre, et qu’il faut bien défendre la Patrie en danger. Alors les manifestations patriotiques se multiplient, autour des casernes et des chemins de fer.


Le Gard fait partie de la 15ème région militaire, qui va d’Alès/Nîmes à l’Ouest jusqu’à Nice/Menton à l’Est. Du fait de l’organisation territoriale de l’armée française les hommes d’une même région sont inscrits dans les mêmes régiments.
Les principaux régiments d’incorporation des Anduziens sont les suivants :

- 40ème et 240ème régiments d’infanterie à Alès (caserne Toiras), Uzès (caserne Brueys) et Nîmes (caserne Montcalm),
- 55ème régiment d’infanterie à Pont-Saint-Esprit (caserne Pépin),
- 61ème régiment d’infanterie à Avignon et Privas (caserne Rampon),
- 75ème régiment d’infanterie à Romans (caserne Bon),
- 55ème régiment d’artillerie à Orange (quartier de Loye).

Le général en chef Joffre
et le ministre de la guerre
Le projet du général Joffre, commandant en chef des armées françaises, est guidé par un plan, longuement peaufiné dans les Etats-majors, c’est le 17ème depuis 1871. Celui-ci, le plan XVII donc, prévoit trois temps pour la guerre à venir :
- mobilisation en une semaine des trois premiers millions d’hommes incorporés, pendant ce temps c’est l’armée d’active et les forces territoriales qui garderont les frontières,
- concentration la deuxième semaine des troupes vers les théâtres d’opération prévus : essentiellement les Vosges vers l’Alsace, la Lorraine et les Ardennes, et la Belgique si elle est menacée d’invasion allemande malgré sa neutralité,
- offensive la troisième semaine sur deux axes principaux : d’abord l’Alsace à partir de Belfort, mais surtout la Lorraine à partir de Verdun, avec pour objectif d’encercler et de prendre Metz et Thionville, bastions des armées allemandes.


Pour l’instant, pour cette première semaine, il faut donc accueillir et équiper cette énorme masse de recrues, puis commencer à les diriger vers le Nord-est. Tout se passe en ordre et les premiers embarquements dans les trains prévus se fait sans délai à partir du 2 août. A Uzès un clairon du 40ème RI raconte que « le capitaine a fait un discours d'encouragement à la troupe et le 2 Août à 8 heures du matin, nous avons quitté la caserne Brueys, clairons et tambours en tête, les gens nous jetaient des fleurs et beaucoup de personnes âgées pleuraient, ce qui me faisait penser à ses parents. Nous partîmes donc rejoindre le gros du régiment à Nîmes ou nous sommes arrivé à 4 heures de l'après midi ». Puis à partir du 5 août les premiers éléments du 15ème corps partent rejoindre la IIème armée placée sous le commandement du général de Castelnau. L’émotion est présente, comme le note un soldat : « Le lendemain matin, à 3h on entend le sergent de semaine. D'un seul coup nous sommes tous debout, chacun boucla son sac et son fusil et nous fûmes tous rassemblés, le cœur content d'aller défendre notre pays la France... La gare était bondée de gens, de pauvres mères qui pleuraient, de filles de tout âge qui nous donnaient à boire et nous disaient au revoir en même temps ».

Vézelise :
une petite gare si tranquille
Le plan ferroviaire est parfait, c’est d’ailleurs l’une des spécialités du général Joffre. Dès le 7 août les premiers bataillons sont proches de la Lorraine qu’ils vont avoir pour mission de reconquérir. La gare de Vézelise, d’habitude si calme, est encombrée de tous ces soldats mal réveillés qui cherchent à se regrouper avant de rejoindre leur cantonnement. Chaque homme porte une lourde charge : l’uniforme d’un drap épais, la capote, le sac, l’armement, au moins trente kilos.


Mais la soudaine absence de tant d’hommes bouleverse toute l’économie du pays, dont ils étaient les membres actifs. La moitié des boulangers sont partis, le quart des chevaux a été réquisitionné. A la campagne on arrive plus ou moins à faire face, toutes les générations s’activant pour sauver les récoltes et s’occuper du bétail, mais en ville c’est la catastrophe pour beaucoup de familles privées du salaire hebdomadaire d’un père ou d’un mari. Tous les Conseils Municipaux se réunissent d’urgence pour prendre les mesures nécessaires. A Nîmes, dès le 2 août, le Maire Castan indique au Conseil Municipal que la plupart des chefs de famille ayant été mobilisés, leurs proches se trouvent sans moyens d'existence. Il y a lieu de prévoir dans quelles mesures l'administration municipale pourra leur venir en aide. Il pense que le Conseil devrait voter un crédit de 100 000 francs affecté à l'organisation de soupes populaires. Le Conseil adresse aussi un appel aux bourgeois aisés afin de récolter des dons en argent qui viendraient s'ajouter au crédit voté. Une commission municipale est chargée de l'organisation de ces soupes populaires. Un rapport indique que « certains jours du mois d'août, on a préparé jusqu'à 11000 rations de soupe ; 5500 le matin et autant le soir ; il a fallu pour cela mobiliser toute une batterie de marmites et porter à l'ébullition 5 hectolitres d'eau où l'on faisait cuire 275 kg de légumes ».


A Anduze le Conseil Municipal est convoqué le 1er août pour le lendemain. Ordre du jour : « Mesures à prendre pour ravitailler la population et secourir les malheureux pendant la durée de la guerre (très urgent). Le Maire : le docteur Gaussorgues ».
Le 2 août « le Maire expose au Conseil que la Mobilisation ayant été décrétée, il est à prévoir que la guerre sera déclarée sous peu. Or la guerre pouvant durer longtemps, il a pensé qu’il serait prudent et sage de faire des achats de farine et autres denrées pour assurer le ravitaillement de la population. Qu’à cet effet, sans s’engager définitivement, il s’est assuré la fourniture d’un certain nombre de balles de farine, et demande au Conseil ce qu’il compte faire à ce sujet. Le Conseil, après un échange d’un certain nombre d’observations, décide de faire l’achat d’un stock de farine et autres denrées pour servir au ravitaillement de la population, et autorise le Maire à faire les acquisitions nécessaires. Décide l’ouverture d’un crédit de 4000 Francs qui sera couvert par la vente des dites denrées au fur et à mesure des besoins, et demande à Monsieur le Préfet de bien vouloir ouvrir les crédits nécessaires à cet effet. Le Conseil décide d’organiser des soupes populaires, à raison de deux par jour, pour les familles des mobilisés et pour celles notoirement indigentes. Il nomme une commission de quatre membres chargés de l’organisation et de la surveillance ».

Raymond Poincaré
Pourtant beaucoup de Français, même parmi les mobilisés, ne croient toujours pas à la guerre. « La mobilisation n’est pas la guerre » répète-t-on à l’envi. Mais si elle doit avoir lieu, de l’avis de tous elle sera foudroyante et courte, on sera de retour avant Noël. Et puis le général Joffre n’a-t-il pas d’abord fait reculer ses armées de dix kilomètres pour que l’Allemagne n’ait aucun prétexte pour attaquer ? Avec un peu de bonne volonté tout pourrait encore s’arranger, veut-on croire …

L’illusion ne dure pas longtemps. La marche vers l’abîme est commencée et rien ne l’arrêtera. Le Président de la République, Raymond Poincaré, lance un solennel appel à l’Union Sacrée, appel entendu avec cœur et résolution par les Français.

Très vite il y a un début d’affrontement : dès le 4 août les troupes de la frontière s’emparent des cols vosgiens de la Schlucht (deux heures après avoir reçu la notification de la déclaration de guerre), de Bussang et d'Oderen. Le 6 août, le corps de cavalerie entre en Belgique. Le 7 août, le 7ème corps français franchit la frontière avec l'Allemagne et commence la conquête de la Haute-Alsace. Chaque camp masse ses troupes, avec la certitude qu’il est le plus fort et qu’il terrassera bien vite son ennemi.


En 1914 le département du Gard comptait un peu plus de 400.000 habitants. Ils seront 14.000 à ne pas revenir de cette guerre. Pour Anduze c’est 121 noms qu’il faudra graver sur le monument aux morts du parc des Cordeliers. 

Semaine après semaine c’est le destin tragique de ces 121 hommes que nous présenterons, d’après les documents publics concernant leurs régiments et leurs derniers jours. Une sinistre chronologie les aura jetés dans les plus terribles circonstances des champs de bataille et des combats...

A suivre...


Chronologie générale de la semaine (Source : Wikipédia) :

1er août :
L'Allemagne déclare la guerre à la Russie.
Mobilisation générale en Allemagne.
2 août :
Mobilisation générale en France.
Le Luxembourg est envahi par les troupes allemandes.
Ultimatum allemand à la Belgique, en vue d'utiliser le territoire belge pour attaquer la France. Refus belge.
3 août :
L'Allemagne déclare la guerre à la France et à la Belgique
Premier bombardement aérien à Lunéville.
Les troupes allemandes pénètrent en Belgique par la région d'Aix-la-Chapelle. Le roi des Belges lance un appel à la France et à la Grande-Bretagne, invoquant le traité de 1831 qui garantit la Belgique contre toute invasion et/ou annexion.
4 août :
En Belgique : les forts de Liège appuyés par l'armée belge combattant dans les intervalles se défendent avec acharnement.
Le Royaume-Uni répond favorablement à l'appel du roi Albert 1er de Belgique et déclare la guerre à l'Allemagne après la violation par les troupes allemandes de la neutralité belge prescrite par un traité que l'Allemagne vient de renier en le traitant de « chiffon de papier » .
La France répond favorablement à l'appel du roi des Belges, Raymond Poincaré président de la République française appelle à l'Union sacrée devant les deux chambres parlementaires qui votent les crédits de guerre à l’unanimité.
Les députés allemands sociaux-démocrates, majoritaires, votent à l’unanimité les crédits de la guerre au Reichstag malgré leurs engagements contre la course aux armements.
6 août :
L’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Russie.
Les troupes françaises font une offensive par le sud de l'Alsace.
7 août :
Thann, sous domination allemande depuis 1871, est libérée et devient, jusqu'à la fin de la guerre, la capitale d'une portion de territoire alsacien redevenue française.
8 août :
Les Français poursuivent l'offensive vers Mulhouse qui est reprise par les Allemands deux jours plus tard.
Union sacrée en Russie : la Douma vote les crédits de guerre. Division des socialistes (ralliement à l’Union sacrée, internationalisme, défaitisme).