PREMIERS COMBATS

2ème semaine

Du lundi 10 au dimanche 16 août 1914

Général de Castelnau
Les régiments dont font partie les Anduziens prennent leurs postes aux emplacements assignés par le général de Castelnau, commandant la IIème armée. Leur mission est de participer à la double offensive pour la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine.

Arrivés le 7 août par voie ferrée à Vézelise ils font mouvement vers leurs cantonnements dans les divers villages proches de la frontière. Le 40ème RI, qui compte 63 officiers et 3119 sous-officiers ou soldats dont nombre de Gardois, stationne dans les villages d’Ornes, Lemainville et St-Remimont. Après un court repos il gagne les avant-postes sur les hauteurs dominant la Meurthe (Vigneulles, Barbonville, etc.). Le 8 et le 9 août des marches le conduisent à l’orée de la forêt de Bézange-la-Grande. La chaleur est écrasante, tous ces hommes qui marchent soulèvent une poussière étouffante. Il faut faire de 20 à 30 kilomètres par jour.

Lagarde avant l'attaque des Français
En principe aucune attaque ne doit avoir lieu avant le 14 août, date fixée par Joffre pour son offensive. Une instruction très claire prescrit d’éviter tout engagement inutile. Mais c’est sans compter sur l’ambition du général Lescot qui décide de son propre chef d’attaquer le village de Lagarde, juste derrière la frontière allemande de l’autre côté de laquelle se trouve la Lorraine annexée par les Allemands depuis 1870. À part quelques rares coups de fusils entre éclaireurs, le secteur est calme. Plusieurs reconnaissances sont envoyées dans le but de préciser le dispositif ennemi.


Le Commandant Cornilliat, du 58ème RI, rend ensuite compte de son action : « Le 10 août à 15 heures notre bataillon a été désigné pour faire partie d'un détachement dont la mission est de s'emparer du village de Lagarde. Quand l'artillerie eut terminé la préparation de l'attaque, il franchit la crête frontière, les 10ème et 9ème compagnies en première ligne. La crête 283 fut franchie vers 20 heures après un feu très vif et Lagarde fut occupée vers 21 heures. Les lisières N et E furent immédiatement organisées défensivement et le Bataillon resta sous les armes toute la nuit qui se passa sans incident.
Tué : néant. Blessé : 1. Cartouches brûlées : 5.000 environ. Le Chef de bataillon est heureux de signaler la discipline et l'entrain du Bataillon dans cette affaire qui est pour lui le baptême du feu. Tous, officiers et hommes de troupe ont admirablement fait leur devoir ».

Attaque de l'infanterie à la baïonnette en rangs serrés
Selon toutes apparences les Allemands se sont repliés en hâte, laissant cinq blessés. On retrouve vingt-huit lances abandonnées et quelques chevaux. Le Général Lescot proclame qu’il a « enlevé Lagarde à la baïonnette ».

Le 11 août à 3 heures du matin, trois des batteries de 75 du Commandant Adeler rejoignent leurs emplacements mais sans se mettre en position de tir. À 5 h 30, chez les artilleurs, tout le monde somnole sur place. Au petit jour, le café pris, les travaux de retranchement recommencent, mollement semble-t-il.

En face, pendant la nuit, le général allemand Von Stetten qui commande une division de cavalerie bavaroise et le général d’une division d’infanterie ont décidé de lancer une action commune des troupes garde-frontière. Les forces allemandes locales sont bien plus importantes que les françaises.

Vers 8 h 30, le Maréchal des Logis Lavergne arrive, porteur d’ordres enjoignant d’occuper les positions reconnues car un détachement ennemi s'avance par le Nord-Est. Personne ne semble comprendre qu'il y a urgence. On imagine probablement n’avoir affaire qu’à quelques éclaireurs ennemis. La mise en batterie se fait donc sans précipitation. Malheureusement, lorsque les premiers obus français sont tirés, l'artillerie allemande entre en action, trouve tout de suite les batteries françaises et sème la panique dans leurs équipages.

A 9 h 25, le Colonel Marillier fait transmettre au Général Colle, à la division, le télégramme suivant : « 59ème Brigade toujours en soutien de 2ème Division de Cavalerie dans région Bezanges la Grande, Arracourt, Richecour, Coincourt, Parroy, Xures, Lagarde. Ce dernier point a été enlevé hier soir après combat. Quartier Général Brigade à Parroy ».

L'arrivée de la nouvelle à l'Etat-major de la 2ème Armée provoque une surprise indignée. L’initiative du Général Lescot n’est pas appréciée du tout, comme en témoigne ce document du Quartier Général : « Général Commandant 2ème DC a fait, de lui-même, attaquer le village de Lagarde par deux bataillons d’infanterie appuyés par l'artillerie. Général commandant 2ème Armée a donné instructions nécessaires pour éviter engagements inutiles ».

Vers 10 heures, l’infanterie bavaroise tourne la position de l'artillerie française en traversant le bois Chanal et s'empare des pièces, drapeau jaune à aigle noir en tête, « à l’ancienne, comme à Solferino », malgré la conduite courageuse des officiers et des artilleurs français qui se font tuer sur place. La progression allemande est rapide.

A 10 h 30, l’ordre est donné aux combattants français de se replier sur le village. Vers 11 heures, l’ennemi se trouve à 300 mètres à peine du village qu’il domine. La fusillade partant des maisons n'enraye pas la manœuvre d’encerclement. Les troupes françaises fléchissent sous le feu de l’infanterie et de l’artillerie. La résistance faiblit de minute en minute.

A 11 h 30 le commandement allemand donne l’ordre de l’assaut. Deux régiments de Uhlans, jusqu’à ce moment tenus en réserve sur le domaine de Marimont, sont appelés en renfort. Ils lancent cinq charges successives, accueillies par un tir nourri à partir des maisons et des granges. Puis les lignes françaises craquent. Les survivants se replient.

Le Général Lescot rend compte au Général Colle à 11 h 30 : « Général commandant 2ème division de Cavalerie à Général commandant 30ème Division infanterie Dombasle. La 59ème Brigade s'est emparée hier de La Garde mais ce matin devant attaque de l'ennemi en forces doit manœuvrer en retraite dans la direction générale Parroy-Valhey. Il serait évidemment utile d'être assuré d'un concours de vos forces ultérieurement si toutefois pareille décision n'allait pas à l'encontre des ordres reçus par vous de l'armée. La situation n'a au demeurant que la gravité que comporte toute manœuvre en retraite ».

Le Capitaine Callies dira que l'infanterie s’était repliée « dans une certaine panique ».

Lagarde reste aux mains des Allemands. Les troupes françaises ont subi des pertes considérables. Le Lieutenant-Colonel Oddon, blessé, tente de limiter les dégâts en ramenant vers Xures, comme le précisaient ses instructions, les derniers survivants, poursuivis par les canons allemands qui tirent de cinq cents mètres, à vue. Le Capitaine Bourrissol ainsi que 80 hommes rejoignent dans la soirée ce qui restait du bataillon. Il écrivit dans son rapport : « Sur 1.000 hommes de la 9ème compagnie, ils sont revenus 109 et 2 officiers ».

A Lagarde ce sont les soldats du 58ème RI et les artilleurs qui ont subi les plus lourdes pertes. Mais aussi le 40ème RI dont un bataillon (un millier d’hommes) a disparu sauf un adjudant-chef et 37 soldats. Indépendamment de ses conséquences matérielles (la perte de deux batteries de 75 étant considérée comme plus grave que les pertes en hommes), le combat de Lagarde a entraîné des pertes sévères tant en tués et blessés qu'en prisonniers : au total, 36 officiers (dont 1 tué, 3 blessés, 32 disparus), et 2.036 hommes (dont 321 tués, 703 blessés, 1.012 disparus).

Revenant sur cette affaire le général de Castelnau écrivit : « L'opération sur Lagarde fut organisée entièrement par l'Etat-major de la 2ème DC sans m'en référer. Je l'aurais interdite. Je ne l'appris que le 10 août vers 22 h par un compte-rendu téléphonique reçu par mon chef d'Etat-major. Je donnai aussitôt l'ordre de replier immédiatement les deux bataillons ainsi lancés en avant. Je pris moi-même le téléphone pour confirmer les instructions mais mon chef d'Etat-major me supplia d'accorder un délai pour deux motifs. En premier lieu les troupes entrées à Lagarde étaient exténuées et hors d'état d'entreprendre une nouvelle marche de nuit de trois heures environ. Elles venaient à peine d'achever leur installation et commençaient à se reposer. Ensuite un repli immédiat, après ce succès, les atteindrait dans leur moral. J'eus le tort d'accéder à cette demande, ce que je ne fis d'ailleurs que parce qu'on m'assura que les précautions les plus minutieuses étaient prises. Bref, j'accordai le délai demandé mais sous la condition expresse que le repli commençât le 11 à 4 h, dernière limite. Vous savez que cet ordre n’a pas été exécuté puisqu'à 8 h le mouvement n'était même pas amorcé et que l'attaque commença vers 9 h. Je ne me suis jamais pardonné cette concession ».

Le général Lescot, principal responsable de cette attaque prématurée, fut aussitôt relevé de son commandement par le général de Castelnau pour être ensuite mis à la retraite en avril 1915.

Le 13 août le 40ème RI reçoit l’ordre de se replier au col de Fourcray puis il est dirigé vers le village de Coincourt que les Allemands attaquent. Le 16 à 17 heures il enlève le château de Marimont d’où l’ennemi se retire. Pour l’instant il n’y a eu aucune perte parmi les Anduziens, mais ce n’est qu’un bref sursis, les semaines suivantes devant être terribles pour eux.

A suivre...


Chronologie générale de la semaine (Source : Wikipédia) :
11 août :
La France déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie.
12 août :
Mobilisation générale en Russie.
12 août :
Victoire de l'armée belge dans une bataille de cavalerie où les Belges sont appuyés par de l'infanterie. C'est une bataille d'arrêt, la bataille de Haelen, au bord de la Gette qui permet de sauver le gros de l'armée belge en retraite vers la place forte d'Anvers où elle possède ses approvisionnements en munitions et en vivres.
14 août :
En Lorraine, début de la Bataille de Morhange.
15 août :
Création de l’Office des matières premières de guerre en Allemagne dirigée par Walter Rathenau, président d'AEG.
16 août : Prise de Liège par les troupes allemandes, la ville n'étant plus défendue après la chute des forts.