PREMIERS MORTS

3ème semaine


Du lundi 17 au dimanche 23 août 1914

BATAILLE DE MORHANGE 
ASTRUC Albin Auguste – Mort le 20 août à Dieuze de ses blessures
JEAN Arsène Joseph Auguste – Mort le 20 août à Dieuze, disparu
JULIAN Émile Fernand Louis Auguste – Mort le 20 août à Dieuze, disparu

BATAILLE DES VOSGES
MICHEL Fernand Edmond – Mort le 22 août à Bourg-Bruche, tué à l'ennemi

Lundi 17 août - Le 61ème RI est installé au château de Marimont. Arrivé la veille sur place sous une pluie battante il a été accueilli par une fusillade venant du 23ème Chasseurs qui venait de les précéder et les a pris pour des ennemis… Les troupes sont épuisées. A l’Etat-major on pense que l’ennemi se retire dans le Nord, mais certains commencent à suspecter que l'on a affaire à des arrière-gardes faisant écran devant des troupes qui se dérobent et que des difficultés se préparent. En effet le terrain était préparé de longue date par les Allemands. Le Général Weygand écrira : « la région de Morhange avait été signalée par les habitants comme fortement organisée et occupée. Les reconnaissances de cavalerie signalèrent que le terrain avait été soigneusement truqué, des pylônes de bois de toutes dimensions y servaient de repères pour ajuster les tirs d’artillerie ».

Mardi 18 août : le 61ème RI va cantonner à Blanche-Eglise. Dans la journée des aviateurs constatent l'existence d'une position organisée sur les hauteurs de Morhange : « J'apercevais, écrit le capitaine Armengaud commandant l’aviation, une artillerie nombreuse en attente derrière des épaulements, des lignes de tranchées, des abattis dans les bois, des réserves dissimulées ; le tout donnant l'impression d'un piège tendu à notre armée et à la gauche de l'armée voisine ». Berthelot, Major-Général, et Gamelin au G.Q.G. affirment pourtant au Général Anthoine : « Vous n'avez rien devant vous ! ».

Mercredi 19 août, à 4h du matin, tous les régiments du 15ème Corps s'élancent. L'ambiance est lourde et tendue. Un soldat dit à son copain : « Cette fois-ci, ça y est. Tu y es, mon vieux, c'est pour de bon ! ». Pour la plupart des présents c’est en effet le premier contact avec l’ennemi, le baptême du feu.

Le 61ème RI traverse Dieuze que les Allemands viennent d’évacuer et s'achemine vers Bidestroff dans une région occupée depuis 1870 (44 ans déjà), organisée, jalonnée et signalée pour l'artillerie ennemie, avec ses observatoires et les abris de son artillerie lourde sur les hauteurs de Benestroff.

A 6 h, le 55ème RI en marche d'approche franchit la Seille sur des petits ponts organisés par le Génie, traverse Dieuze avec le 61ème RI. A la sortie de ce village s'engagent les premiers combats.

Le 55ème RI a pour objectif une ferme située entre la voie ferrée Dieuze-Vergaville et la corne Nord-est d'un bois. Sous un feu violent d'artillerie lourde, il progresse : « Arrivons à 9 h au pont du chemin de fer, les obus nous arrêtent, on les regarde tomber avec curiosité, car c'est pour la première fois qu'on les voit de si près. Les Allemands tiennent bon et arrêtent notre marche sur Berlin. Le combat est acharné. Le soir nous transportons beaucoup de blessés ».

La bataille de Morhange, par Eugène Chaperon
A 8 h l'artillerie allemande ouvre un feu violent. « Immédiatement au dessus de nous, quatre nuages très blancs se sont formés, haut situés, se détachant nettement dans le ciel très bleu. D'autres salves suivent ; de petits éclairs jaillissent, à peine visibles dans la clarté d'été ; des flocons d'un blanc éclatant, très denses, grossissent en un clin d'œil, une détonation sèche arrive jusqu'à nous, avec des débris qui tombent sur les terres labourées. Nous découvrons ce que sont les obus à shrapnells, éclatés très haut. Mais ce n'est qu'un début ! De gros " percutants ", à mélinite, croyons-nous, labourent le sol avec un bruit affreux, projetant en l'air des colonnes de terre et de fumée noire. Le tir paraît minutieusement réglé, d'après des repères exacts. L'arrosage est systématique. Les obus tombent quatre par quatre, ou six par six ».

Les soldats se plaquent dans un chaume avec les gerbes non ramassées pour couvert : « Bien groupés par sections, nous essayons de progresser par bonds. Les sections, se couchant brusquement au moment où l'obus arrive, et les hommes collés les uns aux autres, la face contre terre faisant ce qu'on appelle " la tortue " nous réussissons à faire ainsi 800 ou 1000 mètres. Bientôt nous sommes cloués au sol. La canonnade fait ses ravages sans arrêt, sans répit. La terre est labourée par des obus percutants, de tous côtés, à droite, à gauche, en avant, en arrière de nous... Quant aux obus explosifs, ils nous arrosent de leurs shrapnells... ».

A gauche de la route de Vergaville, dans une ferme au poste de secours, des brancardiers apportent les premiers blessés. D'autres passent, à pied ou en voitures réquisitionnées, se dirigeant vers Dieuze. Chaleur atroce, rien à boire. Des maisons et des meules flambent

Les hommes avancent dans la plaine bordée de collines où les Allemands sont retranchés. Pendant dix heures, c'est une pluie de fer. Sous ce bombardement ils se protègent, leur barda sur la tête, puis bondissent en avant. Les troupes progressent lentement, repoussant l'infanterie allemande.

A midi, le 112ème RI et le 141ème RI enlèvent Bidestroff en passant par la ferme Steinbach : « La compagnie s'empare de Bidestroff, malgré la mort qui fauche ses rangs ; elle se cramponne à la terre, mais vraiment ç'en est trop, le sang coule partout ; partout des morts, des blessés qui hurlent et la mitraille traîtresse taille et retaille dans cette chair déjà pantelante ou à l'agonie ».

Le 61ème RI est accueilli par un violent feu de mousqueterie dans la plaine de Vergaville. Il s’accroche et passe la nuit sur place.

Le Kronprinz
Le jeudi 20 août, encouragée par un brouillard qui règne sur tout le champ de bataille, débute la grande contre-attaque allemande. Le Kronprinz proclame : « Soldats de la VIe armée ! Des considérations d'ordre supérieur m'ont contraint de réfréner votre ardeur guerrière. Le temps de l'attente est passé. Nous devons avancer maintenant. C'est notre heure. Nous devons vaincre ! Nous vaincrons ! ».

La VIème armée allemande déclenche alors sa contre-offensive, appuyée par les tirs de son artillerie lourde. Le IIème CA bavarois, dévalant des hauteurs de Morhange, plonge sur le flanc de la 39ème DI au moment où elle se déploie dans la plaine. En moins d'une heure, il la rejette en désordre. Témoignage allemand : « A 5h30 du matin, l'ordre est donné d'attaquer les positions françaises à l'ouest de Dieuze. Les Français avaient une position avancée dans les bois de Monack au nord-ouest de Vergaville. En dépit des obstacles (l'avoine très haute en était un dans les champs), nos mitrailleuses eurent bientôt raison de ces résistances. L'attaque à la baïonnette fut ordonnée contre l'aile droite. Les Français durent regagner leurs positions principales d'où leur artillerie tâchait de nous arrêter, mais en vain. Nous avancions toujours. Les champs jonchés de cadavres français montrent l'acharnement de la lutte. Notre artillerie prit l'ennemi sous ses feux. A gauche, les Français se replient sur Dieuze. Le chemin de Vergaville à Guebling était jonché de pantalons rouges ».

Du côté français les ordres émis par le commandement ont été contradictoires.
Le général Anthoine a envoyé à 5 h 30 un messager au Q.G. de Foch, à Château-Salins, pour lui rappeler les ordres de l'armée, l'invitant à « ne pas prendre l'offensive, à s'installer fortement, à être à même de résister à une offensive venant du côté de Metz ». Mais, dans un ordre particulier daté de 6 heures, Foch demande au 20ème CA d’attaquer sur Morhange pour aider le 15ème CA : « … se rendre maître des hauteurs de Baronville-Morhange et agir ensuite par sa droite ». Le général Anthoine réagit par un message téléphoné à 6 h 20 :
« Défense absolue au 20ème CA de poursuivre aujourd'hui son offensive. Conformez-vous strictement à l'ordre d'opérations n° 27 ». Trop tard. A 6 heures l’infanterie était partie à l'attaque.

Une autre attaque à la baïonnette en rangs serrés
Le 15ème CA  attend sur ses positions : le 61ème est à droite au nord de Vergaville. Il s’accroche à la gare et à la voie ferrée Dieuze-Vergaville qu’il a conquises la veille. « Lorsque le matin arriva, nous entendîmes dans le lointain les coups de feu des éléments de sûreté qui se repliaient sur le village. C'était la formidable offensive allemande qui venait de se déclencher à son tour... Pour nous, il s'agit alors de parer au plus pressé... Nous ne restions pas inactifs, et mes hommes, abrités derrière leur mur, tiraient sans arrêt sur cette avalanche humaine ; car les troupes ennemies qui poussaient ainsi de l'avant et marchaient sur Dieuze, étaient vraiment nombreuses... ». « Bientôt, pendant que le soleil se levait, nous eûmes une vision qu'il vaut vraiment la peine d'évoquer. Environ à 800 mètres de nous se profilait une crête. A cette crête apparurent d'abord les patrouilleurs, puis les unités ennemies qui, brusquement, se déployaient lorsqu'elles arrivaient à la ligne de faîte. On voyait les fantassins grisâtres se porter en courant vers la droite et vers la gauche, et dégringoler la pente au plus vite pour aller chercher un abri dans un chemin creux, en progressant droit sur nous ». Le 61ème RI abandonne Vergaville après de grosses pertes.

Equipement français abandonné à Vergaville, diffusé en carte postale par la propagande allemande
Quant à lui le 55ème RI est à gauche dans la Forêt de Bride. A 6 h du matin, I'ennemi attaque dans la brume. La pression est terrible : « Maintenant, l'ennemi marche ; il s'avance vers nous en lignes par petits bonds. Chaque tirailleur traîne avec lui une gerbe de blé ou d'avoine qu'il met devant lui dès qu'il s'arrête. Je vois tout cela très bien ». Les Allemands progressent dans la forêt, le 55ème reflue. Ce mouvement est aggravé par la panique née dans ses rangs, en partie parce que des régiments français se tirent dessus entre eux dans la brume.

À 10 h, l'ordre de battre en retraite vers la gare de Dieuze est donné.

Les rescapés, à bout de force, retrouvant en chemin des fantassins égarés, se replient au sud et au nord de l'étang de Lindre. Toute la plaine de Dieuze est soumise à un feu formidable d'artillerie, d'infanterie et de mitrailleuses de l'ennemi qui est déjà au moulin de Bidestroff. Commencé en bon ordre, le mouvement de repli se précipite. Dans l'eau jusqu'au cou, parfois à la nage, le ruisseau et le canal des Salines sont franchis, certains se noient. A la douleur de ce repli s'ajoute la tristesse d'abandonner sur le champ de bataille des morts non encore ensevelis, et des blessés, qui, laissés après quelques soins hâtifs, sur le terrain de combat ou dans les villages voisins, allaient être capturés.

A 13h, des troupes arrivent en foule à Gelucourt, infanterie, artillerie. C'est la retraite générale du 15ème Corps.

JMO du 55ème RI : « Retraite sur Honecourt où se trouvaient plus de 6000 fuyards. Nuit à protéger les fuyards. Ordre de se replier vers l’arrière. Départ à minuit. Par une marche forcée de toute la nuit et de toute la journée le 55ème rejoint Dombasle/Meurthe ».

Une situation qu'un acteur, le lieutenant de Kerraoul du 38ème RA confirme dans sa correspondance : « Nous avons battu en retraite pendant 30 heures, et cela a été une chose épouvantable. L'infanterie décimée n'existait plus. Avec mes éclaireurs de groupe, j'ai poussé devant moi, de force, des troupeaux d'hommes dont la plupart avait jeté leurs armes et qui étaient à bout de force, et voulaient se coucher par terre et ne plus bouger. Il fallait aussi les empêcher de monter sur nos coffres, de se reposer un peu en s'asseyant sur nos canons en se cramponnant aux butées de renversement des caissons. De telles choses sont éreintantes pour les chevaux et il ne s'agissait pas de laisser désorganiser les rares éléments encore en état de combattre ».

Albin ASTRUC
Le général Espinasse, commandant le 15ème corps, recense les pertes de ces deux jours, il a perdu 9 800 hommes et 180 officiers. Son rapport indique : « Forte pertes dans tous les corps. Le moral est très déprimé chez tous, officiers et soldats. L'infanterie désespère du concours de l'artillerie, elle a subi dans certaines compagnies des pertes à 80 % par le feu d'artillerie, sans avoir pu tirer. Par suite de son état de fatigue physique et morale, la 29ème division est actuellement hors d'état de fournir un nouvel effort offensif et même de fournir une défense énergique. Repos indispensable ».

C’est au cours de cette bataille de Morhange, le 20 août à Dieuze, que sont morts les trois premiers soldats d’Anduze :
Arsène JEAN
- ASTRUC Albin Auguste, 22 ans, Soldat de 2ème classe au 61ème RI, mort de ses blessures.
- JEAN Arsène Joseph, 26 ans, Soldat de 2ème classe au 55ème RI, disparu.
- JULIAN Émile Fernand Louis, 26 ans, Caporal au 61ème RI, disparu.

Ces jours là le 55ème RI a eu 407 tués (soit 12,19% de son effectif), le 61ème RI a eu 341 tués (10,21%). Pour le seul Gard il y a eu 392 morts (11,74% des incorporés).

Cette bataille de Lorraine livrée aux alentours de Dieuze les 19/21 août a été un grand échec. D’intenses polémiques agiteront tous ses aspects pour en identifier les coupables, ou pour trouver de commodes boucs émissaires. On se contentera ici de citer le télégramme du général en chef Joffre le 21 août au ministre de la guerre, Messimy : « L'offensive en Lorraine a été superbement entamée. Elle a été enrayée brusquement par des défaillances individuelles ou collectives qui ont entraîné la retraite générale et nous ont occasionné de très grosses pertes. J'ai fait replier en arrière le 15ème Corps, qui n'a pas tenu sous le feu et qui a été cause de l'échec de notre offensive. J'y fais fonctionner ferme les Conseils de Guerre ».

Emile JULIAN
Un autre Anduzien, Fernand-Edmond MICHEL, fait partie, quant à lui, du 75ème RI, mobilisé à Romans dans la Drôme. Ce régiment arrive le 7 août à Bruyères, gros bourg de 3.700 habitants. Puis il se déplace vers le col du Bonhomme qu’il doit attaquer le 13. Il s’y installe sans trop de difficultés malgré une pluie torrentielle. Le 15 il poursuit son offensive et s’installe solidement sur les positions conquises en creusant des tranchées. Des reconnaissances sont envoyées les jours suivants vers la grand route de Colmar. L’ennemi est invisible mais son artillerie lourde commence à frapper, obligeant les Français à quitter certaines positions. Le 19 août un nouvel objectif est fixé : le col de Saales, il y arrive à midi après une pénible étape de 40 kilomètres. On creuse des tranchées, les instructions précisent : « Tranchées à construire pour tireurs debout, assez profondes pour ne laisser passer qu’une partie de la tête ».
Fernand MICHEL

Rien ne bouge jusqu’au 22 août, mais c’est alors que l’artillerie lourde allemande reprend ses tirs, les compagnies ont de nombreuses pertes et sont obligées de se retirer.

C’est ce jour-là que le soldat Fernand-Edmond MICHEL meurt à Bourg-Bruche. Or ce village n’a été occupé par les Français qu’entre le 15 et le 20 août, date à partir de laquelle il restera aux mains des Allemands jusqu’à la fin de la guerre. Il a sans doute été blessé puis fait prisonnier avant de mourir de ses blessures. Il est enterré dans la Nécropole nationale de Saales, en compagnie de 17 soldats identifiés et de 26 autres inconnus.

Ces quatre soldats sont les premiers « Mort pour la France » d’Anduze.


A suivre...


Chronologie générale de la semaine (Source : Wikipédia) :
17 août :
Offensive russe en Prusse orientale.
Victoire allemande à la bataille de Stalluponen.
19 août :
Les troupes allemandes entrent à Bruxelles.
En Alsace, les Français reprennent l'offensive autour de Mulhouse et se rencontrent à Dornach.
Échec de la percée française en Lorraine (19-20 août). Les IIIe et IVe armées se replient derrière la Meuse.
Woodrow Wilson, président des États-Unis d'Amérique, proclame la neutralité de son pays dans le conflit.
20 août :
Échec allemand sur le front russe à Gumbinnen face aux troupes du général Paul von Rennenkampf.
Chute des forts de Namur. À la suite de quoi, l’armée belge du sud ne pouvant rejoindre le corps belge principal se replie sur la France tandis que le gros des Belges continue à reculer tout en combattant pour gagner la place forte d'Anvers.
21 août :
La France perd la Bataille des Frontières (21-23 août).
Lors de la contre-attaque à Morhange, la Ire armée du général Auguste Dubail et la IIe armée françaises du général de Castelnau sont contraintes au repli.
Début de la Bataille de Charleroi.
Bataille des Ardennes : repli de la IVe armée française du général de Langle de Cary.
22 août :
Massacre de Tamines, en Belgique, où les troupes allemandes ravagent la ville, tuant et blessant des centaines de civils.
Bataille de Rossignol : bataille de rencontre entre des unités françaises et allemandes, se concluant par une victoire allemande et par la quasi destruction d'une des divisions du corps colonial français. Elle s'inscrit dans la Bataille des Frontières.
23 août :
Fin de la Bataille de Charleroi : repli de la Ve armée française du général Charles Lanrezac.
Bataille de Mons : repli des troupes britanniques.