LA SEMAINE LA PLUS MEURTRIÈRE

4ème semaine


Du lundi 24 au dimanche 31 août 1914

BATAILLE DE LORRAINE
CHARDINOUX Louis - 240ème RI - Mort le 25 août à Warcq, tué à l’ennemi

GERVAIS Alexandre - 240ème RI - Mort le 25 août à Warcq, disparu

PERSÉGOL Jules - 240ème RI - Mort le 25 août à Warcq de ses blessures

QUET Laurent - 240ème RI - Mort le 25 août à Warcq, disparu

ROUCHET Albert - 40ème RI - Mort le 25 août à Warcq, disparu

BATAILLE DES VOSGES
LAURET Aimé - 75ème RI - Mort le 28 août à Saint-Dié, disparu

BERTHEZENE Louis - 173ème RI - Mort le 29 août à Réhainvillers, disparu

GUY Jules - 55ème RA - Mort le 30 août à Xermaménil, tué à l’ennemi

Cette quatrième semaine du conflit aura été la plus meurtrière pour les Anduziens : huit tués dans les divers combats de défense sur les fronts de Lorraine ou des Vosges.

Du 15 au 19 août 1914, les armées françaises avaient entamé l'offensive en Lorraine, face aux VIe et VIIe armée allemandes. Le 20 août, devant Morhange, la IIe armée, face à des positions ennemies bien organisées et une artillerie puissante, a subi une lourde défaite en devant battre en retraite vers la Meurthe. L'information officielle est lénifiante, mais on ne peut pas cacher complètement un tel désastre.

Le 240ème RI, qui compte nombre d’Anduziens, n’a pas participé aux terribles batailles du 22 août, le jour le plus meurtrier de la guerre : 27.000 morts… Il est resté en réserve dans son cantonnement à Origny (Meuse). A partir du 23 il fait mouvement vers le front.

Le 24 août il se trouve à Braquis et reçoit un ordre verbal du général commandant la 75ème division de se porter vers les bois voisins et d’attaquer l’ennemi « où on le trouvera ». Le régiment se met alors sur une seule colonne vers Saint-Maurice et avance sur la route traversant le bois d’Hermeville. Mais la lisière du bois et le village lui-même sont battus par de l’artillerie allemande établie sur des hauteurs. Plusieurs compagnies attaquent quand même, cherchant à prendre la ligne de chemin de fer Etain-Conflans occupée par l’ennemi. Un feu violent les accueille, elles sont clouées sur place et ne peuvent progresser « en raison du manque de soutien d’artillerie, dont on ne s’est jamais aperçu de l’intervention bien que quelques salves semblent avoir été tirées ». La nuit arrête le combat, chacun restant sur ses positions.

Le 25 août l’ordre arrive à 2 h 30 de continuer l’attaque au petit jour. A 3 h 30 le Lieutenant Colonel fait lever le bivouac et donne ses ordres de mouvement, celui-ci commence à 4 h 20. JMO : « Un brouillard intense et la difficulté du passage du ruisseau de l’Orne, franchissable en quelques points seulement, fit perdre la direction au bataillon de tête qui obliqua sur Warcq ». Les autres bataillons se maintenant dans la bonne direction franchissent l’Orne et débouchent sur la voie ferrée. Malgré une forte défense des Allemands celle-ci est prise en une demi-heure. Un mouvement tournant s’amorce pour prendre à revers le village de Boinville. Mais dès que les compagnies débordent de la voie ferrée conquise, elles sont prises sous un important feu d’artillerie qui les décime et les force à reculer. 

Complètement isolé le bataillon de tête reçoit l’ordre de battre en retraite sous la protection de deux sections de mitrailleuses. Ce mouvement se fait attendre et « ce ne fut qu’à 8 h 45, devant un mouvement ennemi débordant, que des hommes de la 9ème compagnie, privée de leurs officiers, s’enfuirent dans la direction du ruisseau de l’Orne entraînant avec eux le reste de la ligne malgré l’énergie des officiers restés debout et dont quelques uns avaient mis revolver au poing pour arrêter les fuyards ». Le Lieutenant Colonel, avec le drapeau du régiment, fait établir des barrages sur la route et rassemble ce qu’il peut des restes de ses bataillons. De nouveau les affrontements se portent sur la voie ferrée est ses talus. Le brouillard s’est levé et les soldats exposés peuvent voir que des troupes de soutien font demi-tour. Le feu est de plus en plus vif et les hommes, qui n’ont plus d’officiers tous tombés, lâchent pied et se replient. Le régiment se rassemble sur ses positions de départ à Braquis. Les pertes de la journée ont été très lourdes : 12 officiers ou sous-officiers tués, soldats environ 180. Plus une centaine de disparus et 630 blessés.
Laurent Quet
Jules Perségol
Alexandre Gervais
Louis Chardinoux













Parmi ces morts et disparus l’on compte quatre Anduziens : CHARDINOUX Louis-Auguste (30 ans), GERVAIS Alexandre-Louis, sergent (27 ans), PERSÉGOL Jules-René (27 ans), QUET Laurent-Auguste (29 ans). L’âge relativement élevé de ces quatre hommes s’explique par le fait que le 240ème était censé n’être au départ qu’un régiment de réserve en appui du 40ème d’active. Mais cette distinction n’a pas tenu longtemps devant l’exigence de combler les brèches creusées par les premiers désastres.

Albert Rouchet
ROUCHET Albert-Jean (31 ans), quant à lui, fait partie d’un autre régiment d’infanterie, le 40ème, qui participe ce jour-là aux mêmes opérations. Ce régiment a été durement éprouvé les jours précédents : le 12 août, dans l’affaire de Lagarde, 956 tués, blessés ou disparus. Le 14 août, encore 50. Le 20, environ 977. Comme le précise le décompte porté sur le registre : « Ces chiffres ne sont qu’approximatifs, un certain nombre d’hommes signalés comme disparus rejoignent le corps à tout instant ». Le 25 août des attaques victorieuses refoulent les Allemands des forêts de Charmois et du Bois-Brûlé. Albert Rouchet disparaît ce jour-là.

Aimé Lauret
LAURET Aimé-Gaston (22 ans) se trouve sur un autre front de Lorraine avec un autre régiment, le 75ème RI, celui qui a vu disparaître il y a quelques jours Fernand MICHEL, autre Anduzien (voir semaine 003). La mission assignée aux régiments tenant ce front est simple : il faut à tout prix empêcher les Allemands de passer vers la plaine de Moselle, car ils menaceraient alors directement et sans obstacle majeur la région et la ville même de Nancy.

Dans ces secteurs très boisés, où la visibilité est très limitée, où les attaques et contre-attaques mélangent les assaillants, l'artillerie de campagne française n’est pas d'une grande utilité, en revanche l'artillerie lourde allemande cause des ravages sanglants. Ce sont essentiellement des combats d'infanterie, et les affrontements à l'arme blanche sont nombreux. La nuit fait cesser quasiment les combats et chaque adversaire aménage comme il le peut ses positions et recherche ses blessés ; les morts restant pour la plupart sur le terrain.

Siège de Saint-Dié par les Allemands
Le 27 août, Saint-Dié tombe aux mains des Allemands. Partout les Français reculent, mais ils s’accrochent au moindre col, dans la moindre forêt. Pour protéger Nancy il faut gagner du temps, et tenir, c’est le maître mot de toutes les opérations de ces jours-là. C'est dans la matinée du 23 qu'avait eu lieu, paraît-il, l'entrevue rapportée entre le général de Castelnau et le général Léon Durand, le premier disant: « Je vous en supplie, tenez, tenez », et le second répondant: « Nous tiendrons  ». Les régiments qui défendent Saint-Dié tentent de tenir mais sont écrasés par l’artillerie et débordés par les fantassins ennemis. Ils abandonnent la place, laissant derrière eux nombre de morts et disparus. Parmi eux Aimé LAURET (22 ans).


Les Uhlans paradant sur la place de Saint-Dié
Louis Berthézène
Cette prise de Saint-Dié le 27 a entr’ouvert la porte des Vosges aux armées allemandes. Elles sont épuisées, mais prêtes à faire encore un effort désespéré pour ouvrir le verrou qui leur permettrait d’envahir les plaines. Elles ont comme premier objectif la conquête des bois de la Mortagne et des villages qui y sont disséminés. Les combats rapprochés y sont âpres, comme le rapporte le carnet du lieutenant Ferdinand Belmont : « A peine les premiers éclaireurs étaient-ils entrés dans la forêt qu’une fusillade furieuse a commencé, accompagnée de cris, d’appels sauvages.  La fusillade part de tous côtés à la fois, des hommes tombent lourdement, sans bruit, sur la mousse. Alors le capitaine, qui était pâle et très ému, s’est dressé dans le bois en criant de toute sa voix : « A moi ! A moi ! A la baïonnette ! ». Tout de suite, au premier mouvement pour se lancer en avant, il est tombé, affalé, en arrière. A ce moment les Allemands nous fusillaient presque à bout portant, on ne les voyait pas grâce à leurs uniformes grisâtres se confondant avec les buissons de framboises et de fougères…  Cette surprise dans les sapins, cette fusillade, des cris, ces hurlements, dans lesquels j’ai distingué plusieurs fois les commandements en allemand, cette mort du capitaine, tout cela je ne pourrai jamais l’oublier ». Les Français du 173ème RI contre-attaquent et parviennent à prendre ou reprendre quelques villages, dont celui de Rehainvillers. C’est au cours de ce combat du 29 août que disparaît le soldat Louis BERTHEZENE (22 ans).

Jules Guy
L’artillerie est aussi de ces combats rapprochés. Le 55ème RA, dont fait partie l’Anduzien  Jules GUY, se met en position au-dessus du village de Xermaménil. Voici son JMO :
« 26 août – Le groupe met en batterie à 1800 mètres du village de Xermaménil et canonne le village. J’ouvre le feu à obus explosifs sur le pont et la lisière du village. Bientôt nous apercevons un drapeau blanc vigoureusement agité sur la terrasse du château. Nous croyons à un drapeau de la Croix-Rouge, nous ne tirons pas sur le château mais nous arrosons le reste du village encore pendant quelque temps. Bientôt arrive l’ordre de cesser le feu car le village allait être attaqué. Vers 18 h 30 les chasseurs alpins amènent 300 prisonniers qu’ils ont cueillis dans le château, c’est eux qui agitaient le drapeau blanc aperçu dans l’après-midi. Parmi les prisonniers se trouvaient 7 officiers. Ils ont déclaré qu’ils étaient les restes d’une brigade et qu’ils se rendaient parce qu’il leur était impossible de quitter le village sans être canonnés.
- Du 27 au 29 août – Maintien sur les mêmes emplacements et tirs sur les mêmes objectifs. Bivouac sur les positions.
- 30 août – Des obus allemands tombent ».
Jules Guy (23 ans) est tué à l’ennemi ce jour-là.

Pour bien comprendre les dangers encourus par les artilleurs dans de telles circonstances, on peut lire le récit de l’artilleur Nicolas Saunier, se trouvant très près de là le même jour : « Le 30 août au matin nous recevons l’ordre de rejoindre les deux autres batteries du groupe dont nous sommes séparés depuis deux ou trois jours ; nous quittons la position aussitôt et nous nous mettons en position de rassemblement derrière le bois où nous avons couché cette nuit, pour manger la soupe ; à ce moment nous étions survolés par un avion allemand et quelques coups de canons d’abord courts étaient exactement dans notre direction, ils se rapprochèrent de plus en plus et finalement deux coups, presque en même temps tombèrent au beau milieu de la colonne, l’un en plein sur un caisson de munitions, l’autre sur les chevaux. Il n’est pas possible de décrire ici le désordre produit dans la batterie, deux de nos caissons prirent feu et instantanément on vit une gigantesque gerbe de flamme s’élever dans l’air, les voitures fuyaient de toute part au milieu des blessés, quelques unes sans conducteur, d’autres n’ayant plus que deux ou trois chevaux. Bref après deux minutes du plus terrible émoi, chacun reprit possession de soi-même et tout le monde courut au secours des malheureux tombés sous les coups. Le spectacle était terrible, nous avions 4 morts et 6 blessés, 4 chevaux tués et 12 blessés ; des hommes ayant fui le brasier avaient les cheveux, les moustaches et les cils complètement brûlés, des chevaux étaient à moitié carbonisés et agonisaient dans tous les sens, les traits étaient coupés, le harnachement démoli. Le caisson sur lequel était tombé le premier projectile était complètement tordu, les portes avaient sauté sous la pression de la déflagration de la poudre et ce n’était plus qu’un amas de ferraille noircie. Au milieu de ces décombres se trouvaient des obus qui par bonheur n’avaient pas sauté, un autre caisson avait également pris feu. Ma grande crainte au moment de ce terrible  accident de guerre était que les obus sautent car qui pourrait croire que ces engins terribles se trouvant au beau milieu des flammes n’auraient pas bronché, il en fut ainsi, les obus explosifs n’éclatent que par suite d’un choc ou tout au moins d’une très forte chaleur concentrée ce qui ne fut pas le cas ; cet exemple nous rassura pour l’avenir. Enfin après une heure d’effort incessant nous pûmes quitter cet endroit funeste.
Nous avons fait une marche de quelques centaines de mètres mais il fallut s’arrêter, nous étions affaiblis et quelques unes de nos voitures  étaient restées à l’endroit tragique, il nous fallut nous reformer, dédoubler les attelages et enfin après quelques heures nous étions prêts à reprendre la route. Les quatre hommes tués n’ont pas été tués tous les quatre sur le coup, deux d’entre eux, les nommés Lebeau et Mexandeau n’étaient encore que blessés très grièvement. Je me rappelle avoir envoyé chercher une ambulance par un trompette, on lui a répondu que les ambulances ne se déplaçaient que sur ordre d’un officier général, il en faudrait presque autant que d’hommes si une de ces voitures devaient se déplacer à chaque blessé ; force nous fut donc de  traîner nos pauvres blessés comme nous avons pu. J’ai vu ce pauvre Lebeau au moment où le Docteur lui faisait ses pansements au bord de la route, il avait les deux jambes brisées en plusieurs endroits et les deux pieds criblés de trous, je lui serrais la main et il me demanda à boire, je lui fis boire une goutte d’eau de vie en lui disant « ça fait du bien, hein, mon vieux ». Il ne me répondit que par un sourire plus triste que la mort, il n’avait pas perdu connaissance mais il ne pouvait parler et déjà on comprenait à l’expression de son visage que sa dernière heure n’était pas loin, avant de me quitter il me tendit encore une fois la main que je serrais avec émotion, il est mort quelques heures après.
Nous voici de nouveau en route, pour sortir de notre bois nous sommes obligés de passer par une clairière vue par l’ennemi, nous y passons voiture par voiture ; vers 18 heures nous nous disposions à franchir une crête vue par l'ennemie et nous devions également la passer voiture par voiture et au trot déjà les premières voitures étaient engagées dans la côte et tout allait bien mais à ce moment l'ennemi allongea son tir au moment où les premières voitures arrivaient dans la ligne de feu ; un premier coup est tombé à 4 mètres de moi faisant sauter en l'air les 3 malheureux servants qui se trouvaient sur la voiture de devant et tuant 4 chevaux de cette voiture, quelques secondes plus tard, un deuxième coup tomba à 100 mètres plus bas également sur la colonne tuant un cheval, coupant la jambe d'un autre mais fort heureusement ne blessant personne, puis le tir cessa. Une deuxième fois, notre pauvre batterie était disloquée ; je me demande comment je ne fus pas atteint alors que les 3 servants qui se trouvaient au nez de mon cheval furent anéantis ; j'ai ressenti un choc à l'épaule droite et j'avais la bouche pleine de terre et c'est tout, le maréchal des logis qui se trouvait à ma hauteur eut la courroie de son étui musette coupée, nos deux chevaux firent un bond formidable et nous avons eu grand peine à les retenir, parmi les 3 servants qui se trouvaient sur les caissons le premier sauta d'abord en l'air puis retomba sur le coté de la route en criant "oh là là, là là" puis il mourut quelques instants après, les deux autres furent transportés à l'ambulance et moururent quelques jours plus tard des suites de leurs blessures. Notre colonne s'est rassemblée dans un champ au bas de la côte et de nouveau nous nous sommes reformés, nous avons ensuite attendu la tombée de la nuit pour franchir la crête.
Cette journée du 30 août a donc été funeste pour nous car nous avons été atteints deux fois en quelques heures d'intervalle ».

Devant la situation militaire très grave le président de la République, Raymond Poincaré, modifie le 26 août son gouvernement. René Viviani reste président du conseil, Alexandre Millerand remplace Adolphe Massimy à la guerre. Un communiqué est émis :


Un soldat mitrailleur raconte ce qu’a pu être cette semaine d’épreuves, au tout début de la guerre : « J'ai vu la bataille dans le champ de tir de mes mitrailleuses : fenêtre ouverte sur le réel, profonde mais étroite.
Que me reste-t-il ? Des souvenirs d'une intensité physique : à aucun moment je n'ai compris et je n'ai cherché à comprendre ; ce n'est pas un des moindres sacrifices du combattant.
Le 25 août, à Méhoncourt, je me souviens d'un grouillement gris dans les bois de Clairlieu. Mes pièces ont tiré pour la première fois : nous étions cachés dans les avoines hautes ; nous avons tiré sans haine et sans remords, contents parce que c'était notre premier tir et qu'il n'y avait pas d'enrayage, parce que des formes grises restaient inertes et que les obus tombaient sur notre droite. Nous avons traversé le champ de bataille jonché de morts, des nôtres et des leurs, sans philosopher, et bivouaqué le soir au milieu des bois.
Je me souviens d'une marche interminable qui s'acheva dans la nuit. Les bois sentaient la mort, on s'appelait pour ne pas se perdre : au-dessus des arbres, par place, des incendies rougissaient le ciel. Nous avons couché dans un village, parmi l'inexprimable désordre du pillage et du combat on est reparti avant le jour : je n'ai jamais su le nom de ce village...
On ne mangeait plus guère. On jetait la viande parce qu'on n'avait pas le temps de la faire cuire.
Je n'avais plus de sergent, plus de caporaux ; et quand, à une halte, au bord des routes, il faisait beau, quand on pouvait se coucher dans l'herbe et manger des mirabelles, nous étions gais comme des enfants.
Le 29, je revois Gerbéviller, brûlant à notre gauche, prolongeant le couchant. Nous étions accrochés à la rive droite de la Mortagne ; derrière nous, les obus tombaient dans l'eau en soulevant de grandes gerbes. Devant nous, l'inconnu redoutable des bois Muets où le 30, au petit jour, en plein brouillard, nous allions nous heurter aux mitrailleuses brusquement déchaînées.
Puis d'autres marches, d'autres fusillades, des nuits où l'on errait à la recherche du régiment perdu. Près de Xermaménil, tout un parc d'artillerie allemand, démoli par nos canons, était resté dans un enchevêtrement énorme. Les attelages, surpris dans leur fuite, gisaient sur la route, les chevaux éventrés et gonflés.
Les fossés des chemins étaient comblés de cadavres mis à la file et recouverts d'une couche de terre si mince que la pluie l'enlevait par endroits. La défaite allemande était dans ce désordre précipité, dans ces fosses hâtives, dans cette odeur immense de putréfaction où nous vivions, insensibles.
Le plus beau souvenir et le dernier, l'entrée à Lunéville. Le régiment était loin devant. Nous avions perdu du temps à débâter les mulets pour passer à gué la Meurthe débordée. Je marchais seul en avant de ma section dans les rues de la ville.
Aux murs, les affiches allemandes toutes fraîches. Sur le seuil des portes, les habitants encore sans joie, émus, et nous tendant des bols de café chaud, du chocolat, du pain. Humble et précieuse offrande aux libérateurs.
Un grand silence. Au loin, en avant, des sonneries de clairon, et les sabots des mulets heurtant sèchement le pavé. Appareil grandiose et austère de la victoire. Il y avait des temps indéfinis que nous avions quitté les villes, la paix et la vie des vivants : mais, ce jour-là, nous sortions du royaume de la mort et nous entrions, par cette ville étonnée, dans celui de la gloire.
Le soir, à Chanteheux, pour que je couche dans un lit, mon hôte a enlevé les draps qu'avait quittés, le matin, un officier allemand ».


A suivre...


Chronologie générale de la semaine (Source : Wikipédia) :
24 août :
Échecs autrichiens de Conrad von Hötzendorf sur le front serbe dans les monts Cer.
Bataille de la trouée de Charmes
Début de la « Grande Retraite » des alliés vers la Marne
25 - 26 août :
Première sortie de l'armée belge du camp retranché d'Anvers, retenant 150 000 soldats allemands avec une importante artillerie de siège, soulageant ainsi la pression sur l'armée française suivant le rôle assigné par le général Joffre à l'armée belge.
25 août :
Repli des Alliés sur le Grand-Couronné au nord-est de Nancy.
Bataille de Rozelieures.
Fin de la bataille de Lorraine qui se termine par un statu quo.
26 août :
Bataille de Tannenberg : les Allemands stoppent l'offensive russe (fin le 31 août).
Poursuite de la retraite de l'aile gauche française.
Constitution de la VIe armée française du général Maunoury placée au Nord-Est de Paris, à l'extrême gauche du dispositif allié.
Le général Gallieni nommé gouverneur de Paris.
Démission du gouvernement français présidé par René Viviani qui forme un ministère de Défense Nationale. L'Union sacrée se concrétise en France par l'entrée des socialistes au gouvernement avec Delcassé aux Affaires étrangères et Millerand à la Guerre.
Capitulation des troupes coloniales allemandes à Kamina au Togo.
28 août :
Début du siège de Maubeuge.
29 août :
Bataille de Guise : La Ve armée française du général Lanrezac fait face à l'aile droite allemande et évite aux troupes britanniques d'être encerclées.