LE HÉROS DE BIXSCHOOTE

14ème semaine

Du lundi 2 au dimanche 8 novembre 1914

BATAILLE D’YPRES

Louis Redortier, 5ème RCA
Mort le 3 novembre à Bixschoote (Belgique), tué à l’ennemi


Sans se laisser décourager par leur échec de la fin octobre sur l’Yser, les Allemands vont essayer de frapper un coup décisif. N'ayant pu tourner sur la côte notre flanc désormais inaccessible, ils veulent tenter de percer le front sous le choc de forces considérables et sans cesse accrues.


Ypres, la vieille cité marchande du moyen-âge, va devenir l'axe d'une lutte dont elle sera la victime. Le Commandement ennemi a massé dans la région quinze corps d'armée sous les ordres du kronprinz de Bavière, du duc de Wurtemberg, du général von Fabeck et du général von Deimling. Deux de ces corps sont composés, pour la plus grande part, de jeunes volontaires universitaires sans formation qui marchent enivrés par la certitude de la victoire. Au début de la bataille les alliés sont loin de pouvoir disposer de troupes aussi nombreuses. Cent mille hommes seulement vont résister à l’offensive de cinq cent mille. Plus tard, au cours de cette mêlée de trois semaines, désespérée et furieuse, même avec les renforts qui arriveront à Foch, l'égalité numérique ne pourra jamais être atteinte.

Foch s'est juré de ne pas céder, inaugurant ainsi cette guerre de forteresse qui va bientôt s'imposer comme une règle commune et inévitable aux deux adversaires. Forte d'à peine 49 000 hommes, ce qui reste de l'armée belge est arrivée, le 14 octobre, à Nieuport, dans un effroyable état d'épuisement. « Nous sommes des morts vivants » répètent de malheureux fantassins qui, depuis leur sortie d'Anvers, ont passé par les épreuves et les privations les plus cruelles. Maîtrisant son abattement, cette petite armée s'établit au nord et à l'extrême gauche de la ligne alliée, le long de l'Yser, de Nieuport à Dixmude. Elle se sent soutenue par le farouche esprit de résistance du roi Albert 1er.

Le général Foch raconte : « On tiendra sur l’Yser, de la Mer du Nord à Dixmude, avec l’armée belge rapidement reconstituée ; au point d’appui de Dixmude, avec la brigade de fusiliers marins ; sur l’Yperlé, plus au sud, et jusqu’à Ypres avec les troupes territoriales qui s’y trouvent déjà et que je renforce rapidement de divisions de cavalerie. On attendra dans ces conditions l’arrivée des renforts français que le général en chef nous fait espérer. Dans cet ordre d’idées j’adresse à la hâte à l’Amiral Ronarc’h une instruction lui fixant sa tâche à Dixmude : " Dans les circonstances où nous sommes, la tactique que vous avez à pratiquer ne comporte pas d’idée de manœuvre, mais simplement et au plus haut point, l’idée de résister là où vous êtes. Dans ce but, il y a lieu de préparer sans aucune réserve la mise en œuvre, dans une situation abritée, et de bonnes conditions, de tous vos moyens. Quant à la conduite à tenir, elle consiste pour vous à arrêter net l’ennemi, par la puissance de vos feux en particulier. C’est dire qu’elle est facile à tenir avec les effectifs et les moyens dont vous disposez, qu’elle vous permet d’occuper une grande étendue de terrain et que vous ne devez songer à évacuer la position que sur un ordre formel de vos supérieurs ou à la suite de l’enlèvement de « toute » la position par l’ennemi. Inutile de dire que je compte entièrement sur votre dévouement pour remplir cette mission ». L'Amiral Ronarc'h donne l'ordre suivant à ses marins : « Le rôle que vous avez à remplir est de sauver notre aile gauche jusqu'à l'arrivée des renforts. Sacrifiez-vous. Tenez au moins quatre jours ».

Les Anglais, une fois leur concentration achevée, occupent Ypres dont ils fortifient chaque maison. Les Français, eux, sont répartis un peu partout, formant les gros bataillons de résistance, étayant de tous côtés leurs alliés, prêts à se porter, à chaque instant, au secours de l'un ou de l'autre.


Le plan des Allemands tient en deux opérations : d'abord, tourner notre gauche en longeant la mer, ce qui provoquera la bataille de l'Yser ; ensuite, percer notre front en quelque endroit de la grande plaine flamande, pour essayer, aussitôt après, de déborder notre droite, ce qui déchaînera la bataille d'Ypres.

Fin octobre les troupes britanniques fléchissent gravement. La concentration germanique est opérée. Ypres devra supporter les plus âpres assauts. Guillaume II a fait savoir à ses soldats qu'il assisterait à la bataille, et qu'il entendait faire à Ypres une entrée triomphale, en attendant d’être à Calais. Aussi le kronprinz de Bavière a-t-il écrit, dans une lettre lue à ses troupes, que « le coup décisif allait être frappé ». Le général von Deimling annonce, par une proclamation, que la victoire sera aisée à remporter, car on ne combat que « des Anglais, des Hindous, des Canadiens, des Marocains et autres racailles de cette sorte ».

Le 28 octobre, les Belges inondent la rive gauche de l'Yser, faisant de Dixmude, à l'extrémité d’une lagune artificielle, une presqu'île, « un Quiberon du Nord à l'ancre sur une mer immobile, sans flux ni reflux, piquée de têtes d'arbres, de toits de fermes noyées, et promenant sur ses eaux mortes, au fil d'une insensible dérive, des cadavres ballonnés de soldats et d'animaux, de casques à pointe, des culots de cartouche et des boîtes de conserves vides... ». Ces inondations sauvent la situation sur l'Yser.

Le 29 octobre huit corps d'armée allemands se jettent impétueusement à l'assaut. Ypres, que nos troupes sont obligées de traverser, devient l’objectif d'un infernal bombardement. Dans ces conditions, notre front est percé et il semble que rien ne peut plus empêcher l'ennemi de faire sur Ypres la trouée qu'il espère si ardemment. Déjà une colonne bavaroise fonce droit sur Ypres; et, en arrière de Saint Éloi, on n'est pas encore arrivé à rétablir la ligne britannique crevée. En outre, nos contingents qui occupent l'extrême front vont être coupés de leur ligne de retraite.

Mais un chef plein de décision, le général Moussy, se trouve là. Il a été détaché en mission auprès du général Haig. Comprenant le péril et qu'il faut à tout prix repousser l'audacieuse colonne bavaroise avant qu'elle n'ait eu le temps de se retrancher, il envoie son escorte à la recherche de renforts. Ses cavaliers lui rendent compte que les unités voisines sont toutes engagées ; le général Moussy renvoie son escorte vers l'arrière, avec ordre de ramener tous les hommes valides qui seront rencontrés. Bientôt arrivent deux cent cinquante hommes portant les uniformes de toutes armes, des spécialistes, des ouvriers et employés militaires de toutes catégories : cuisiniers, tailleurs, cordonniers, secrétaires d'Etat-major, ordonnances, puisatiers, appartenant pour la plupart au service auxiliaire : « Mes enfants, leur dit le général, la situation est critique. Nous allons nous dévouer pour la sauver ».

Les cuirassiers de l'escorte prêtent leur sabre ou leur lance à quelques uns de ces singuliers combattants, presque tous désarmés, puis mettent pied à terre. A leur tête, Moussy s'élance. La petite troupe se défile derrière les ondulations du terrain, avance par bonds, se rapproche peu à peu des Bavarois. Puis, tout à coup, ceux-ci entendent une grande clameur et voient se ruer sur eux une bande gesticulante et frénétique dont ils n'ont pas le temps de reconnaître l'allure ou le nombre. Et alors une lutte disproportionnée s'engage entre les ennemis aguerris, bien équipés, bien armés, et ces fantassins d'occasion qui brandissent des armes hétéroclites. L'élan est si impétueux, le choc si violent qu'une sorte de panique irraisonnée s'empare de ceux qui tout à l'heure menaçaient la ville et qui maintenant, faisant demi-tour, s'enfuient à toutes jambes vers leurs lignes. Cette charge héroïque devait rester célèbre à l'armée de Belgique, et, le soir du 31, on disait dans les tranchées que le général Moussy avait sauvé Ypres. Notons au passage que ce général sera tué au feu le 30 mai 1915, dans une nouvelle bataille de l’Yser.


Sur presque toute l'étendue du champ de bataille, les événements continuent à donner les plus sérieuses inquiétudes. Un effroyable bombardement fait rage et vient de tuer l'un des divisionnaires de Haig et de blesser l'autre. Dans l'angoisse qui commence à l'envahir, le maréchal French songe à l'abandon de la cité. Heureusement, il rencontre Foch dont l'optimisme le réconforte. En dépit du péril et du sort contraire, on allait tenir.

Louis Redortier
Vaillamment, les Anglais contre attaquent. Haig écrit, le soir de la bataille: « Les troupes anglaises et françaises combattirent côte à côte sous le commandement de l'officier le plus élevé en grade, en union si complète qu'elles ne tardèrent pas à se trouver complètement mélangées ». Bientôt, Messines est reprise à la force des baïonnettes et notre ligne devant Ypres se retrouve intacte.

Guillaume II, découragé, regagne son quartier général de Luxembourg.

C’est dans la défense de Bixschoote que s’illustre le maréchal-des-logis Louis REDORTIER, Anduzien tué à 21 ans. Il se distingue si bien qu’il est cité à l’ordre du Corps de Cavalerie et que l’historique imprimé de son régiment gardera la mémoire de son geste :


Le 10 novembre, les défenseurs de Dixmude sont contraints, après d'âpres combats qui se terminent en de sanglants corps à corps à la baïonnette ou au couteau, d'abandonner la ville en feu et de repasser sur la rive gauche de l’Yser où ils occupent une position précédemment organisée, mais dont les tranchées ne peuvent pas avoir plus d'un mètre de profondeur tant la nappe d'eau est proche. Ils devaient tenir la ville pendant quatre jours, ils l’auront tenue plus de trois semaines.

Le 15 novembre, l'offensive allemande entamée trois mois auparavant, sera définitivement stoppée sur ce front. Les pertes, notamment anglaises, auront été très importantes : les Britanniques auront perdu près de 80% de leurs effectifs engagés dans cette bataille.

Pendant ce temps à Anduze le Conseil Municipal délibère : il reporte à plus tard le reboisement de St Julien, le personnel forestier ayant été mobilisé. Il prend connaissance d’une circulaire du Préfet du Gard, relative aux semailles d’automne : « A l’heure où la guerre affecte toutes les forces vives du pays, il importe d’assurer à l’Armée et à la Nation la majeure partie des subsistances dont elles ont besoin. Grâce à la solidarité dont tous les agriculteurs ont fait preuve, les battages de céréales et les vendanges ont été exécutés dans des conditions satisfaisantes. Mais leur tâche n’est point terminée. A ceux qui sont restés incombe l’impérieux devoir de préparer la récolte future. Il invite donc le CM à délibérer sur les mesures propres à réaliser l’exécution d’un Programme Agricole local ». Le Conseil, estimant que " la commune d’Anduze récolte très peu de céréales, assuré d’ailleurs que le peu de travail d’ensemencement se fera cette année dans les conditions normales, estime qu’il n’y a pas lieu d’élaborer un Programme Agricole ".

A suivre…

Chronologie générale de la 14ème semaine (Source : Wikipédia  et e-chronologie) :

2 novembre :
La Serbie déclare la guerre à l'Empire ottoman qui a rejoint les Allemands et les Autrichiens.
3 novembre :
L’amirauté britannique fait miner la mer du Nord déclarée « zone de guerre ». Le Royaume-Uni fait confiance à sa marine pour protéger le pays et établir un blocus économique. Il ne possède en effet qu’une armée de métier de 250 000 hommes dispersés à travers le monde dont 60 000 seulement sont partis pour la France.
5 novembre :
Les Britanniques annexent Chypre, qu'ils administraient jusque-là sous souveraineté ottomane.
La France et l’Angleterre déclarent la guerre à la Turquie.
6 novembre :
Blocus économique de l’Allemagne.