47ème
semaine
Du lundi 21 au dimanche 27 juin 1915
ENCORE SUR LE FRONT D’ARTOIS
ENCORE SUR LE FRONT D’ARTOIS
Paul-Gaston
Gascuel, 44 BCP
Mort le 19
juin 1915 à Nantes, des suites de ses blessures
Gascuel Paul-Gaston
est né le 19 janvier 1894 à Anduze. Elève de l’Ecole Normale de Nîmes, il est surveillant
d’internat au lycée de Montpellier depuis la rentrée 1913. En 1914, date
d’appel de sa classe, il est déclaré sursitaire comme étudiant à Alais. Mais
son sursis ne tient pas au moment de la déclaration de guerre, et il est incorporé
le 7 septembre 1914 au 159 RI. Il y est bientôt nommé aspirant le 25/12/1914,
passe au 158 RI le 18/01/1915 puis au 44 Bataillon de Chasseurs à Pied (BCP) le
23/03/1915.
Arrivé dans ce
nouveau corps il fait aussitôt partie des rotations dans les tranchées, qu’il
connait d’ailleurs fort bien car ses deux précédents régiments ont été de
toutes les batailles de ce premier hiver de guerre.
JMO du 44 BCP :
« 24 mars – 150 hommes de renfort
arrivés du 158 RI sont affectés au bataillon. La plupart de ces hommes sont de
classes peu anciennes mais beaucoup sont d’anciens réformés instruits
hâtivement dans les dépôts ».
Le régiment placé
dans les tranchées subit de fortes et fréquentes explosions de mines.
Récit : « Dans la matinée
du 25 mars une mine allemande explose à nouveau, en avant de nos tranchées. Le
caporal Dumont se précipitant pour dégager un chasseur est tué par une balle.
Le capitaine Vaille est fortement contusionné, il conserve néanmoins le
commandement de sa compagnie.
29 mars – A 7 h 10, deux nouvelles mines explosent en
même temps. Un caporal et trois chasseurs qui, malgré les ordres donnés, se
trouvaient dans la tranchée sont pris sous les terres et malgré le travail de
déblaiement entrepris aussitôt ils ne peuvent être dégagés que plusieurs heures
après. Tous les quatre sont morts. Un cinquième a pu être dégagé vivant après
une demi-heure de travail. Les projections de terre ont été très fortes, des
blocs énormes sont sur le bord de l’un des deux entonnoirs ».
En mai 1915 le 44
BCP est en position sur les lignes entre Carency et Souchez dans le cadre de la
grande offensive d’Artois voulue par Joffre. Entre le 9 mai et le 1er juin, la
division française qui s'est rendue maîtresse de Carency, d'Ablain
Saint-Nazaire, du moulin Malon et de Souchez a fait 3.100 prisonniers et
enterré 2.600 cadavres allemands. Elle a perdu 3.200 hommes, dont les deux
tiers sont des blessés légers.
Témoignage de
Georges Tardy, soldat du 159 RI dans sa lettre du 18 mai à sa mère :
« Depuis 3 ou 4 jours nous sommes un peu en
arrière des lignes dans un chemin creux où nous logeons dans des abris faits
avec des branches et de la paille, c'est de là que nous allons en première
ligne faire des travaux. Voilà 10 jours que nous n’avons vu des civils et que
nous n'avons pu nous laver ni nous changer, aussi sommes nous dégoûtants.
D'autre part la nourriture n'est pas toujours trop abondante, aussi je voudrais
que vous m'envoyiez, le plus tôt possible, chemise, caleçon, chaussettes,
mouchoirs, chocolat et saucisson car il est impossible de trouver quelque chose
ici.
Je vais vous raconter à peu près comment s'est passée
l'attaque de Dimanche dont les journaux ont donné le compte rendu.
Primitivement, l'attaque devait avoir lieu Samedi, et
dès Vendredi nous étions tous prêts, mais le mauvais temps a fait ajourner
l'action. Samedi soir, d'après les bruits qui circulaient, il n'y avait plus de
doute que l'affaire serait pour le lendemain. Après la soupe je monte mon sac,
puis je vais voir les camarades, je fais un tour à l'église où étaient
cantonnées 2 compagnies du 159 et un aumônier militaire (qui a été tué le lendemain)
nous a donné l'absolution générale, et à 8h tout le monde était couché. Le
lendemain Dimanche 9 Mai, à 1h du matin réveil en vitesse, on s'habille à la
hâte et à 2h nous voilà partis sac au dos pour la direction du bois de
Berthonval. Chaque section du génie était avec un régiment, nous les pionniers
du 159 avec la 1ère section, étions avec le 159e. A 5h nous étions arrivés en
première ligne, où les troupes d'attaque étaient déjà prêtes.
On distribua des sortes d'échelles, faites avec des
branches, destinées à servir de pont pour franchir les boyaux, et voici quel
était notre rôle. Au moment de l'assaut, nous devions partir après la 1ère
compagnie d'attaque, franchir sans s'y arrêter la première ligne boche,
disposer nos échelles sur la deuxième ligne afin de permettre aux troupes qui
suivaient de la franchir, et là renverser le parapet de coté, faire des
créneaux face à l'ennemi, et couper tous les fils pouvant servir de mise à feu
pour faire sauter la tranchée.
Ainsi fut fait. A 6h le bombardement commence, et
pendant 4h ce fut un bruit épouvantable, toutes les pièces, en nombre
considérable, crachaient à la fois. On sentait la terre trembler et l'on aurait
dit le tonnerre. A 10h juste, la compagnie d’assaut sort de la tranchée,
baïonnette au canon. Immédiatement après nous voilà sortis, et notre échelle,
nos outils et le fusil à la main, nous courrons vers les tranchées boches.
Quelques coups de fusils nous reçoivent, mais ne font pas trop de victimes,
nous franchissons d’un bond la première ligne, et en avant vers la 2e où je
m’arrête pour faire le travail qui nous était désigné. Pendant ce temps nos
troupes avancent encore, elles s’emparent successivement de la route de Béthune
à Arras, vont jusqu’à un chemin creux 500m plus haut, et arrivent même jusqu’à
la crête qui domine la plaine ; mais là ils ne sont pas assez nombreux et
doivent se replier sur le chemin creux, où ils font une tranchée qui est encore
notre première ligne. Il était à peine 11h.
Pendant ce temps, avec mes camarades, je coupe les
fils électriques en nombre considérable qui garnissaient la 2e ligne boche,
copieusement minée. Puis nous avons visité la tranchée, 2 de mes camarades du
génie, un type du 159 et moi, le fusil à la main. Nous visitons les cagnas, car
ces messieurs ont l’habitude, pour ne pas trop souffrir des bombardements, de
creuser dans leurs tranchées des tanières à 3 ou 4m au dessous du sol, où ils
se réfugient en cas de bombardement, ne laissant que quelques guetteurs dans la
tranchée. Quelques uns de ces abris, ceux des officiers, sont très
confortables, celui du colonel était tout tapissé avec des cartes postales.
Nous avons donc fait la rafle dans une dizaine de ces abris et nous en avons
extrait 40 à 50 boches dont plusieurs officiers. Nous les désarmions, et je
vous assure que, mon fusil aidant, ils comprenaient fort bien le peu d’allemand
que je sais. Ils nous donnaient tout, couteaux, armes, porte monnaie, cigares,
etc... et levaient les bras en l’air en criant Kamarad. J’ai visité la cabane
d’un officier supérieur où il avait téléphone, lit, et accrochée à un râtelier,
j’ai vu une superbe pipe que j’ai fourrée dans ma poche ; malheureusement je
l’ai perdue depuis. J’ai désarmé le propriétaire de la maison et ai gardé son
revolver, d’ancien modèle avec cartouches à broche, mais je voudrais le
conserver quand même car c’est moi qui l’ai pris. J’ai aussi un poignard, je
tacherais de vous faire parvenir tout cela si je peux.
Pendant ces visites 2 de mes camarades ont été
blessés, et j’ai essuyé un coup de revolver (celui que je possède) mais il m’a
manqué. Après avoir débarrassé la tranchée, nous avons suivi le boyau boche et
avons été jusqu’à la route de Béthune où nous nous sommes mis de suite à faire
des tranchées. Nous avons aussi travaillé toute la nuit en première ligne. Depuis
lors, jusqu’à samedi nous avons logé dans une vieille tranchée où nous avions
creusé des trous, et depuis samedi nous voisinons ici en compagnie des poux et
attendons vainement d’aller au repos ».
Suite du JMO du 44
BCP : « 26 et 27 mai 1915 – Les
tirs d’infanterie de l’ennemi sont peu importants, par contre l’artillerie ne
cesse de nuit comme le jour, de montrer une grand activité. Les obus de 77 et
de 105 tombent sur les boqueteaux et sur le boyau Gloxin. Les pertes du
Bataillon en ces deux journées sont de 6 tués (...) et 9 blessés, (dont l’aspirant Gascuel), tous atteints par des
projectiles d’artillerie ».
Paul-Gaston Gascuel,
21 ans, est évacué, d’abord vers les ambulances proches du front puis vers
l’hôpital complémentaire n°21 à Nantes, installé dans le lycée de garçons. Il y
décède le 19 juin.
Cet hôpital,
consacré aux opérations de chirurgie post-traumatiques, comporta de 398 à 915
lits, on y mourait beaucoup du fait de la gravité des blessures traitées. Mais
on y faisait aussi des efforts pour distraire les blessés : le journal Le
Populaire, du 3 janvier 1915, relate : « Une
charmante petite fête a eu lieu le 1er janvier, à l’hôpital temporaire n° 21,
au Lycée de garçons. En témoignage de gratitude, les blessés de la division des
opérés ont remis, aux dames infirmières, parmi lesquelles se trouve Mme Tallon,
femme du préfet de la Loire-Inférieure, une magnifique gerbe de fleurs et une
poésie que l’un des blessés, M. Leroy, a composé à cette occasion… »
En voici la
première strophe :
«
Les enfants à leur mère en ce jour de janvier
Offrent avec tendresse et piété leurs vœux,
A
vous qui êtes ici l’image du foyer
Nous
apportons ces fleurs hommage respectueux
».
« Gascuel
Siméon Victor - Numéro d'ordre : 11757 - Numéro dossier : 254
Lieu de naissance :
Anduze (Gard) - 22 ans - marié
Domicile : Anduze -
Gard - Profession : Instituteur
Antécédents : 1849,
3 mois de prison, rébellion.
Décision de la
commission mixte du Gard : Transporté en Algérie à Sétif, province de :
Constantine.
Observations en
liste générale : A organisé l'insurrection et commandé une bande nombreuse
d'insurgés. A désarmé violemment des gendarmes et pénétré dans la demeure du
juge de paix. Intelligent, actif, dangereux.
Motifs et
observations dans l'Etat de la commission mixte : Attendu que cet inculpé est
notoirement considéré comme le chef de la société secrète établie à Anduze;
qu'il a, le 5 décembre organisé l'insurrection dans ce canton, commandé une
bande nombreuse d'insurgés, désarmé violemment deux gendarmes à la Madeleine,
pénétré violemment dans le domicile du juge de paix de Lédignan voulant forcer
ce magistrat à livrer les armes qu'il pouvait avoir chez lui; que cet inculpé
exerce une influence d'autant plus dangereuse sur l'esprit des populations,
qu'il est doué d'une vive intelligence et pourvu d'une certaine instruction
ayant été élève de l'école normale et exerçant la profession d'instituteur;
qu'il a été condamné le 27 juillet 1849 par le tribunal correctionnel d'Alais à
trois mois d'emprisonnement pour rébellion envers la force publique. (Registre
des décisions rendues par la Commission mixte du Gard, SHD, 7 J 70) ».
A suivre…