LUTTES FÉROCES POUR UN CIMETIÈRE

46ème semaine

Du lundi 14 au dimanche 20 juin 1915

LA DEUXIEME BATAILLE DE L’ARTOIS

Mort de Fernand-Louis Noguier, 159 RI,
Tué le 17 juin 1915 à Souchez (Pas-de-Calais)


Au printemps 1915 le généralissime Joffre décida d'une vaste offensive destinée à crever le front de l'ennemi. Le général Foch fut chargé de la superviser. Cette offensive devait engager 15 divisions d'infanterie, 3 de cavalerie, 1000 canons et 125 mortiers de tranchées. 
Ce fut la deuxième  " bataille de l'Artois ".
Le bombardement visant à démolir les positions ennemies débuta à 6 h. le 9 mai 1915. A 10h. l'assaut à la baïonnette et à la grenade démarra. Il fallut un mois et demi de combats acharnés pour s'emparer d'une partie seulement du périmètre fortifié allemand. Les Français employèrent mal leur artillerie qui manquait de canons lourds et leur infanterie fut massacrée par les mitrailleuses et par les obus.
Le 10 mai, les Français continuèrent leurs attaques contre Carency, Neuville Saint Vaast et Le Labyrinthe, subissant de très lourdes pertes. Le lendemain, une lutte féroce continua sur le plateau, et la chapelle Notre Dame de Lorette fut prise au corps à corps. Le 12, les Français emportèrent d'assaut les ruines de Carency.
Durant des semaines, la bataille s'éternisa en une multitude de combats acharnés.
La résistance allemande étant trop forte, le général Foch arrêta l'offensive le 24 juin.
Du 9 mai au 24 juin, pour conquérir 20 km2, les Français perdirent 102 500 hommes blessés, tués, disparus dont 609 officiers y compris le général Barbot tué par un obus.


Le 159 RI, appartenant à l’infanterie alpine, dont fait partie Fernand-Louis Noguier, est de tous ces combats. Anduzien de naissance et de résidence, ce jeune homme de 21 ans y était employé de commerce. D’abord incorporé en décembre 1914 au 86 RI, il fait partie des renforts affectés au 159 RI le 23 mai 1915, il y arrive le 25 mai, en pleine bataille. Il y est tué à la mi-juin, mais une incertitude plane sur la date de cette mort.

Voici le récit des événements, extrait de l’historique de ce régiment :
« L’histoire du 159° pendant toute cette douloureuse période qui va de novembre 1914 à mai 1915 est assez difficile à écrire. Les jours se ressemblent à peu près tous. Toujours la même vie dans la boue immonde, toujours les mêmes bombardements des pièces allemandes de tous calibres, canons, obusiers, minenwerfer s’acharnent sur ce pauvre coin d'Artois, hier encore riant et animé d’une vie intense et maintenant lugubre. Que ce soit la Maison Blanche, Berthonval, devant Neuville Saint Waast ou à Mont Saint Eloy, les mêmes faits se reproduisent avec une régularité désespérante. Derrière leurs créneaux où sans trêve, sifflent les balles ennemies, les Alpins tiennent, à moitié enlisés parfois dans la boue sanglante. Ils montrent que leur endurance égale leur courage. Le 15 décembre, le 159° reçoit un ordre d’attaque. On exécute des travaux préparatoires. Le génie vient même essayer d’ouvrir des brèches dans les réseaux ennemis. Puis finalement l’attaque est reportée à une date ultérieure. Ce n'a été qu’une alerte, et la vie de la tranchée reprend comme auparavant. On s’organise, on essaie de faire des tranchées convenables, mais dans ce terrain mouvant, continuellement ravagé par les obus, boyaux et tranchées s’effondrent sous la pluie. Qui dira jamais les souffrances de ces hommes qui, la nuit, montent la garde aux créneaux ou péniblement remuent la terre et, le jour, s’entassent pour y chercher quelque repos dans de misérables abris, tous boueux d'où s’exhale une odeur empestée ? Les bataillons alternent entre eux pour le service aux premières lignes et le seul repos qu’on connaisse est un séjour de quatre jours de temps en temps à l’arrière, à 25 kilomètres de la ligne de feu. Cet hiver 1914-1915 est comme un enfer nouveau où les hommes ont à souffrir du froid, du feu et de l'eau. Enfin, le 28 avril le régiment tout entier est au repos. Ce repos doit être utilisé à préparer le régiment pour une opération offensive. Mais il est de courte durée : dès le 3 mai, un bataillon est envoyé aux tranchées pour y assurer la garde et y faire les travaux nécessaires à l'attaque prochaine. Le reste du régiment quitte ses cantonnements le 5 mai et se rapproche de la première ligne. Enfin, la date de l'attaque est fixée. Ce sera le 9 mai et les troupes doivent être en place à 7 heures...


A l’heure dite, les bataillons sont en place. Après une préparation d’artillerie de 4 heures, l’attaque débouche magnifiquement. Ces soldats qui, depuis de longs mois, dans leurs trous boueux, ont subi les morsures du froid, du vent, de la pluie, de la faim parfois, retrouvent d’un seul coup tout l’élan des premiers jours pour s’en aller debout, en terrain libre, les poitrines largement offertes, chercher la Victoire dans les lignes ennemies au mépris des obus et des balles. Il n'y a pas pourtant d’électrisantes sonneries de clairons, plus de drapeau claquant au vent, mais il y a des chefs sublimes qui montrent la route, des Alpins sans peur qui savent ce qu’est le devoir. Les deux premières lignes de tranchées sont bientôt franchies. L’ennemi, surpris, n’a pas eu le temps de sortir de ses abris et les pertes sont pour l’instant légères. A 10h40, la route de Béthune est atteinte, puis le Cabaret Rouge, l’ouvrage 123. Mais l’ordre est de progresser sans répit dans la direction de l'objectif final en enlevant de haute lutte les obstacles successifs que l’ennemi peut opposer à l'attaque. En avant donc vers la cote 119. Le front semble rompu, l’ennemi désorganisé. Mais l’artillerie, dont la portée a été dépassée par la progression de l’infanterie, est obligée de se déplacer et, dans ce terrain bouleversé et coupé de tranchées, son mouvement est forcément très lent. L’infanterie ne peut se passer de son appui et doit en conséquence ralentir sa marche : ce répit permet à l’ennemi de se ressaisir. Le 10 mai, ordre est donné de reprendre la marche en avant. Le contre-ordre suit de près, mais il est trop tard. Le bataillon a déjà commencé sa progression et à sa tête, le commandant tombe frappé d’une balle au cœur. L'ordre de s’arrêter lui parvient cependant. Cette journée du 10 mai fut une journée de deuil pour le 159° et pour la division tout entière. Son chef le général Barbot, le premier général tué pendant la guerre, tombait mortellement atteint d'un éclat d’obus.
Les 12 et 13 mai, la situation ne change pas. Pendant ces quatre journées, le régiment a perdu 23 officiers tués ou blessés dont deux chefs de bataillon, et 1045 hommes de troupe dont 351 tués ou disparus. Les jours suivants sont consacrés à l'organisation des nouvelles positions. Le 24 mai, le 159 est relevé et va cantonner à Frévillers, puis Caucourt ».

Ces jours-là le lieutenant Paul Tuffrau écrit : « Maintenant, c’est la relève, les chevaux qu’on recharge dans Carency, et la marche au clair de lune vers Villers au Bois, où la compagnie se reforme. Nous arrivons à Caucourt à 4 heures du matin, avec le soleil levant. Village adorable de fraîcheur, de calme, eaux claires et vives. J’installe la section dans le moulin, et c’est une détente pour tous que d’avoir autour de soi tant de paix, et rien qui rappelle les misères de Carency ».

Reprise de l’historique : « Les renforts sont insuffisants pour que le 159 soit à effectif complet, suffisants pourtant pour en refaire un régiment capable d'un nouvel effort. On va donc recommencer... Dans la nuit du 6 au 7 juin, il vient occuper, avec deux bataillons en première ligne, le sous secteur du Cabaret Rouge, avec mission de préparer le terrain pour une action offensive. L’ennemi mis en éveil, aperçoit les nouvelles tranchées qui se creusent et les diverses modifications que subit la ligne. Il soumet alors le secteur du régiment à des tirs incessants d’artillerie qui causent des pertes sensibles. Cependant le travail se fait en certains endroits, on l’a recommencé vingt fois, vingt fois il a été détruit par l’ennemi ; on le reprend encore... Du 10 au 14, le 159e cantonne à Cambligneul, aux Quatre Vents et à la ferme de La Vache. Il revient prendre ses emplacements le 15. L’attaque est fixée au lendemain. Les objectifs successifs sont : les deux premières lignes de tranchées ennemies qui font face à notre front entre le carrefour du chemin ouest du bois des Ecouloirs à droite, et le saillant sud est du cimetière de Souchez à gauche. Le 159 débouche de ses tranchées à 15h. Les premières vagues sont à peine sorties des parallèles de départ qu’elles sont soumises à un violent tir de mitrailleuses et de fusils provenant de la tranchée D. Elles sont clouées sur place à 30 mètres de cette tranchée, insuffisamment battue par le tir de notre artillerie. Le 4ème bataillon, qui est immédiatement derrière, tente de se porter en soutien des éléments arrêtés au réseau de la tranchée D. Il subit des pertes considérables en traversant le barrage ennemi et ne réussit qu'à progresser de quelques mètres sans pouvoir aborder la tranchée. Le bataillon viendra à son tour se briser contre cet obstacle. A 12h30 le colonel qui commande le régiment, est tué dans la parallèle de Carency. Le bombardement fait rage, les mitrailleuses boches tuent sans cesse, ce serait folie de vouloir pousser plus avant.
C’est à notre tour d'être attaqués, et, par suite du manque de grenades, quelques mètres de tranchées nous sont repris. Toute la nuit, le combat à la grenade se poursuit. A 1 heure du matin, une nouvelle attaque nous donne une centaine de mètres de tranchées, dont les défenseurs sont tués sur place. Le jour arrive sans que d’autres résultats aient été obtenus. L'attaque doit être reprise à 17 heures, mais l’ennemi, vraisemblablement prévenu par un avion qui a vu nos mouvement dans les boyaux, exécute un tel tir de barrage qu’il est inutile de songer à se rendre définitivement maîtres de la tranchée D pour l’instant. Cette opération a montré nettement qu’une action de jour n’avait plus aucune chance de réussir sur cette tranchée ».

La fiche individuelle de Fernand-Louis Noguier précise : « Mort pour la France le 17 juin 1915, sur le champ de bataille à Souchez (Pas-de-Calais) ». La date en recouvre une autre, rayée : « dans le courant de juin 1917 ». La précision de lieu et de date ne choque pas, le 159 RI a en effet subi de lourdes pertes le 17 juin en attaquant le cimetière de Souchez. On pourrait donc accepter l’idée d’une surcharge (néanmoins rarissime) destinée à préciser un élément de date.

Mais d’autre part le Registre Matricule de notre soldat porte la mention d’une blessure et d’une décoration : « Médaille militaire DN 3-7-1920, JO 18-7-1920. Brave soldat, Mort pour la France, des suites de blessures reçues le 2 juin 1915 à Souchez dans l’accomplissement de son devoir. Croix de guerre avec étoile de Bronze ».

Or le JMO du 159 RI est formel : le 2 juin ce régiment cantonnait à Caucourt, l’aimable village décrit plus haut, loin des combats.


Il faut en conclure que la citation accordant la Médaille militaire à Fernand-Louis Noguier porte une date erronée, et que c’est sa fiche individuelle de décès qui précise bien la date exacte de sa mort : le 17 juin 1915. Il a été inhumé dans la Nécropole nationale Notre-Dame de Lorette, à Ablain-Saint-Nazaire (Pas-de-Calais), à l’emplacement suivant : Carré 85, rang 4, tombe 17069.


A suivre…