45ème
semaine
Du lundi 7
au dimanche 13 juin 1915
Mourir de
typhoïde dans un Palais
Ernest
Ducros, 2ème Zouaves,
Mort le 17
juin 1915 à l’hôpital n°15 de Compiègne
Né à Anduze en 1892,
Ernest Ducros se trouve en Algérie lorsqu’il a 20 ans. Il est alors incorporé
dans un régiment local, le 2ème Zouaves. Dès le début de la guerre ce régiment
embarque à Oran pour la métropole, où il est complété au camp de Sathonay par d’autres
effectifs. Puis il est immédiatement jeté sur le front du Nord-Est, où il
participe à toutes les principales batailles, avec un nombre exceptionnellement
important de pertes.
En septembre 1914 le
régiment se trouve dans l’Oise, après le terrible recul de la fin d’août.
Zouaves en campagne |
Extraits du
témoignage d’un membre de ce régiment :
« Le 15
septembre, le 2ème Zouaves traversait Carlepont abandonné par l'ennemi et
recevait l'ordre d’attaquer Mont-Choisy et Cuts. Il le fit avec succès, mais un
événement imprévu allait imposer des sacrifices nouveaux et des pertes
sanglantes : Maubeuge était tombée et les Corps d'Armée qui l'investissaient
étaient descendus rapidement par la vallée de L'Oise.
Toute la nuit, une
pluie fine et glacée, s'était abattue sur le bivouac des Zouaves ; l'avance de
la veille n'avait pas permis aux vivres d'arriver. Les hommes, fatigués, par
deux mois de combats incessants, n'avaient pas mangé depuis l'avant-veille.
A 10 heures, après
une préparation d'artillerie intense, l'ennemi attaquait et était repoussé.
D'heure en heure, il recommençait ses assauts, toujours en vain. C'est sur
Laigle qu'il concentre tous ses efforts. A 17 heures, le Commandant Fabre
n'avait plus sous ses ordres que 200 à 300 hommes, Zouaves, Tirailleurs et
Fantassins ; une attaque nouvelle se dessinait, plus violente, encore que les
précédentes, car des troupes fraîches ne cessaient d'arriver. Le combat fut
terrible : pouce par pouce, il fallut défendre le terrain ; cette puissante
attaque ne réussit qu'à s'emparer de quelques maisons. Malheureusement, il ne
restait presque plus personne ; le Commandant Fabre, blessé, venait d'être fait
prisonnier. Pendant que les quelques survivants organisaient, durant la nuit,
les maisons du village, le Général Commandant les troupes allemandes se faisait
conduire auprès du Commandant Fabre et le félicitait de l’héroïsme de ses troupes
: « Vous aviez devant vous, Commandant, toute une Division ». Le Médecin-chef
de l'ambulance ajoutait qu'il avait déjà soigné plus de 1.200 blessés
allemands.
Le lendemain, 17
Septembre, la situation était de plus en plus critique. Les Allemands avaient
pris Choisy, Cuts, et, derrière la 37ème Division, Carlepont venait de tomber à
son tour. La route était fermée, et il fallait tenter un effort suprême pour ne
pas laisser aux mains de l'ennemi les Drapeaux glorieux de quatre Régiments. La
« Brigade Marocaine » se dévoua pour ses camarades d’Afrique et fut sublime.
Elle s'élança sur Carlepont ; après plusieurs tentatives infructueuses et
sanglantes, finit par y pénétrer, livra dans la nuit un horrible combat de
rues, permit à la 37ème Division d'échapper à la tenaille allemande et de se
replier sur Tracy le mont et Tracy-le-Val.
Pendant ces trois
journées de combats ininterrompus le 2ème Zouaves venait de barrer la route de Paris
et de briser tout l'effort de l'ennemi ».
Mais un autre ennemi,
plus sournois et très meurtrier aussi, menace à ce moment-là les troupes
françaises : la typhoïde…
La fièvre typhoïde,
due au bacille salmonella typhi identifié en 1879 et isolé en 1884, transmise
par les eaux contaminées, est au début du XXe siècle communément considérée
comme le mal inévitable des troupes en campagne. Elle est de fait la première,
et la seule, épidémie critique à laquelle sont confrontés les services de santé
militaires occidentaux au début de la Grande Guerre. L’extension des « fièvres
typhoïdes » est tout particulièrement catastrophique en France : près de 100
000 cas déclarés parmi les troupes du front pendant les quatorze premiers mois
du conflit, avec un taux de mortalité de 12,2 %. Durant cette période, dans
certaines armées, on évalue à 20-25 % les décès parmi les malades identifiés.
En outre, la gravité des atteintes met durablement hors de combat les soldats
touchés et pose un problème stratégique majeur au commandement.
Face à cette
situation de crise, l’armée française abandonne la voie strictement prophylactique
qu’elle privilégiait traditionnellement pour entreprendre la vaccination
antityphoïdique systématique des troupes. Le tournant vaccinal se traduit
institutionnellement par la création, en 1910, par le ministère de la Guerre,
du Laboratoire de vaccination antityphoïdique du Val de Grâce, à la tête duquel
est placé le médecin militaire Hyacinthe Vincent missionné pour conduire des
essais d’inoculation sur les troupes d’Afrique du Nord. À la suite de ces
expérimentations à grande échelle menées de 1911 à 1913, la loi Labbé du 28
mars 1914 rend obligatoire dans toute l’armée française la vaccination
antityphoïdique. Celle-ci n’en est toutefois qu’à ses débuts au déclenchement
du conflit. À partir de la fin octobre 1914, l’inoculation est régulièrement
pratiquée sur les jeunes recrues lors de leur mobilisation, mais tout reste à
faire dans les dépôts et à l’avant, sur les hommes mobilisés depuis l’été qui
n’ont pas encore été vaccinés. La production du vaccin et sa distribution sont
confiées au Val de Grâce et à l’Institut Pasteur. Au-delà d’un moyen de
prévention, il s’agit de juguler l’épidémie en marche. L’obligation vaccinale prend
pour cible environ huit millions d’hommes, et suscite plusieurs dizaines de
millions d’injections.
La campagne
systématique d’inoculation sur le front à partir du printemps 1915 produit ses
effets : de 118 décès pour 100 000 hommes d’effectifs à la fin 1914, elle
aboutit à une quasi-disparition de la mortalité par typhoïde dans l’armée
française dès 1917 (0,3 décès pour 100 000 soldats).
Au printemps 1915
Ernest Ducros, qui fait sans doute partie de ces soldats non encore vaccinés
puisque jeté dans les combats dès les premiers jours, est atteint par cette
maladie. Il est alors évacué vers l’hôpital temporaire n°15 de Compiègne,
spécialisé dans l’accueil de ce type de malades.
Initialement,
l’Hôpital temporaire 15 était situé dans la cour de l’Orangerie du Palais de
Compiègne mais son médecin-chef Hilarion Ligouzat émit rapidement un avis
négatif sur ces locaux : « Il est évident que les salles réservées aux malades
ne seraient pas habitables l’hiver, à cause de leur humidité, de leur pavage
grossier, des difficultés de chauffage etc…Enfin cet hôpital ainsi aménagé n’était
pas susceptible d’extension ». Il obtient alors l’autorisation de transférer
son service dans le palais lui-même « au rez-de-chaussée les couloirs de l’aile
droite, de chaque côté de l’escalier d’Apollon, ainsi que dans le grand hall où
s’amorce l’escalier d’honneur, au premier étage, la presque totalité des pièces
qui ouvrent sur la cour d’honneur, la galerie des fêtes et quelques chambres
lui faisant suite, la salle à manger qui donne accès sur la terrasse ». Le
transfert commença le 27 octobre.
Quelques précautions
furent prises : « La plupart des
tapisseries et des tableaux de réelle valeur artistique avaient été enlevés, il
resta donc à refouler dans les petits appartements non occupés et dans les
locaux du second étage tous les meubles précieux ». « En temps normal le
hall était orné de statues, quelques-unes, certes, étaient d’un aimable modèle
!... Il fallut cependant les cacher, les protéger contre les graffiti que le
troupier croit indispensable à l’esthétique des marbres comme les tatouages à
la blancheur de la peau ».
Lits des typhoïdiques au Palais de Compiègne |
« Le médecin-chef de
la Place recueillit alors par réquisition les lits des grands hôtels en nombre
suffisant pour compléter à 300 le nombre des places disponibles. Et comme ce
mobilier était luxueux, il se trouva en quelque manière assorti à son cadre ;
ainsi fut réalisée une installation hospitalière presque riche en tous cas
d’une esthétique indiscutable. On ne pouvait manquer d’admirer que les cuivres
vernis des lits placés dans la salle des fêtes fussent précisément en harmonie
avec les dorures des colonnades. Qu’ailleurs l’acajou fut mis près des tentures
les plus sombres. Combien de fois le souvenir de la gravure représentant
l’installation d’une ambulance dans le foyer de la Comédie française pendant le
siège de Paris n’a-t-il été évoqué par les visiteurs de l’Hôpital 15 ? ».
L’Anduzien Ernest
Ducros, 23 ans, ne survécut pas à sa maladie, dont il mourut le 17 juin 1915.
Ses derniers jours se déroulèrent sans doute dans un cadre moins misérable que
celui où venait de mourir son « pays » Germain Jaussaud, mort le 6
juin précédent au lazaret du camp de Cassel, en Allemagne (voir semaine 44 de
ce blog). Mais leur mort fut cependant la même.
A
suivre…