LES VÉTÉRANS, COMME LES AUTRES

51ème semaine

Du lundi 19 au dimanche 25 juillet 1915


La guerre d’Alphonse-Paul Plantier
Cultivateur à Monoblet

Nous poursuivons ici le récit de la participation de quelques uns des jeunes gens de notre région à cette guerre meurtrière. Eux s’en sont sortis, mais eux seuls ont assumé le poids de ce à quoi ils avaient survécu. Le temps n’était pas aux épanchements. Et puis la France et les Français ne voulaient qu’oublier. C’est donc dans le secret des archives familiales que sont longuement restés enfouies les traces de ces durs moments. Aujourd’hui c’est à Madame Annie Thérond que nous devons les éléments personnels qui suivent.

Alphonse-Paul Plantier est né le 21 février 1876 à Monoblet. Au moment de l’appel de sa classe, en 1896, il exerce la profession de cultivateur.
Il s’engage volontairement pour trois ans, et se trouve incorporé au 20ème RI à compter du 19 mars 1897. Libéré en 1900, il est versé dans la réserve territoriale en 1910. En 1916, à l’âge de 40 ans, il serait normalement libéré de toute obligation militaire. Mais la guerre éclate le 2 août 1914, et il part rejoindre son affectation dès le lendemain au 117ème RIT à Nîmes.

Alphonse-Paul Plantier
Voici comment l’historique du 117 RIT décrit ces premières opérations :
« Quittant leurs foyers, nos braves Languedociens répondent avec empressement à leur ordre d'appel et gagnent le dépôt à Nîmes où s'effectue la concentration. Sous l'impulsion active du Commandant PROVENT, les opérations de mobilisation sont terminées le 6 août. A cette date, le régiment, sous le commandement du Lt-Colonel MOUSTARDIER embarque à Nîmes à destination de la frontière italienne. Son effectif est alors de 41 officiers, 212 sous-officiers, 2956 hommes de troupe. A son départ de Nîmes, le 117e est chaleureusement applaudi par la population, accourue sur son passage pour le saluer.
Le régiment débarque à Nice et entre dans la constitution des troupes du camp retranché. Cette situation est de courte durée. La déclaration de neutralité de la part de l'Italie permet aussitôt d'alléger la couverture de la frontière alpine. Les corps territoriaux, primitivement désignés pour la défense des ouvrages du camp retranché, sont rendus disponibles. Ils en profitent pour mettre au point leur instruction.
Pendant que le 117e se perfectionne et s'entraîne, la France, après les journées de crise d'août, connaît enfin, sur la Marne, l'orgueil de la victoire. Le succès n'a pas été, cependant, atteint sans sacrifices. Il faut combler les vides des régiments actifs par prélèvement des plus jeunes classes des corps territoriaux. C'est ainsi que 1.800 hommes sont enlevés, le 17 septembre, du régiment et versés dans des corps actifs. Ceux-ci, sont remplacés par des hommes des classes anciennes, venus de différents dépôts de la 15e Région. Ces apports n'enlèvent rien au 117e de son caractère essentiellement régional ».

Si l’on décrypte ces propos, la vérité qui s’est imposée à l’armée française dès les premières semaines de la guerre est la suivante : les pertes sont énormes, il faut chaque jour combler d’énormes brèches dans les premières lignes. Aussi, très rapidement, l’écart qui séparait les régiments territoriaux, composés de soldats plus âgés, des autres régiments ne tient plus, les rotations au front ne peuvent épargner personne.

« En septembre 1914 s'achève également la mission du 117e à la frontière italienne. Le commandement lui réservant un rôle moins effacé que la garde des Alpes, l'envoie sur les lieux où se joue la destinée du pays ». Et c’est à ce titre que ces vétérans, dont Alphonse-Paul Plantier, 38 ans, participeront à toutes les grandes batailles pendant les quatre ans de guerre. Dès les premiers mois de la guerre de position ils font l’admiration de leurs jeunes camarades, qui donnent leur nom à certaines tranchées : « Nos jeunes camarades ont voulu ainsi, spontanément, rendre hommage à leurs vieux camarades du 117e Territorial dont le plus grand nombre ont l’âge de leur père et qu’ils voient ici, chaque jour, depuis plus de cinq mois, aux créneaux, sous les bombardements quotidiens, partageant leurs dangers et se chargeant allègrement des travaux les plus durs et les plus pénibles ».

D’autre part, une note du Général commandant la 3e D. I. déclare le 27 avril 1915 : « Les deux corps territoriaux de la DI, notamment le 117e territorial, sont d’une tenue, d’une attitude et d’une correction que bien des unités actives n’égalent pas. Le compliment d’un chef joint à la preuve d’estime et d’amitié donnée au 117e territorial par de jeunes camarades de combat constituent des souvenirs précieux dont le régiment a le droit de se montrer fier. Le Colonel est certain que le 117e tiendra à honneur d’accroître encore sa bonne réputation. Pour témoigner sa satisfaction au régiment, le Général donne le nom de « Tranchée du Languedoc » à une tranchée de son secteur « en l’honneur de la province à laquelle appartiennent la plupart des militaires du 117e territorial qui ont creusé et aménagé cet ouvrage ».

Alors les années passent, quatre longues années d’épreuves, de boue et de sang, à Verdun entre autres en 1916, ce qui vaudra à Alphonse-Paul Plantier la médaille de cette ville pour sa présence aux combats du bois des Corbeaux à Malancourt.

Jusqu’à ce printemps 1918 qui verra le plus haut fait d’armes du 117 RIT, dans lequel s’illustrera particulièrement le soldat Alphonse-Paul Plantier.

C’est la bataille de l’Oise. Une offensive allemande vient d'éclater, le 21 mars, sur le front anglais. Écrasée par des masses énormes, l'armée britannique se replie précipitamment. A tout prix, les Allemands veulent s’ouvrir de nouveau la route de Paris. La poussée sur Noyon devient irrésistible.

L’ennemi a largement mordu cette partie du front. Un grand vide se produit qu’il faut boucher hâtivement à coups de divisions françaises. Progressivement la ruée allemande se ralentit et finit par s’arrêter, le 28 mars, bloquée par les troupes françaises. Débarqué, le 117e occupe, durant 3 jours, Favières, Bécart, Morandru et le Limon, puis il est transporté dans la région d’Attichy, le 4 avril. De jour en jour, le front est l’objet d’une activité croissante de l’ennemi. Une attaque est imminente. Le 9 juin, alerte générale. Les bataillons se portent à leur emplacement de combat.

Chars anglais en 1918
Vers 15 h des fractions ennemies ayant réussi à s’infiltrer dans le ravin Élincourt – Écouvillon débouchent sur le plateau du Moulin, sur le flanc gauche de la 3e Cie. Au fur et à mesure de leur arrivée, la 4e Section de mitrailleuses les prend sous son feu et les empêche de progresser.
A 17 h 30, la pression ennemie devient de plus en plus forte. Les défenseurs du plateau sont débordés par le sud. Les Allemands ont réussi à prendre pied sur le chemin Élincourt – Écouvillon et dans la sapinière du Moulin. Après avoir épuisé ses munitions, la section de mitrailleuses continue la lutte, les hommes tirant avec leur mousqueton. Sur le point d’être encerclée, elle se replie. Sous un effroyable bombardement, la 3e Cie en liaison avec des éléments du génie résiste et empêche l’ennemi de descendre les pentes Est, vers la ferme de la Cense. Les autres Compagnies qui n’ont pas eu à intervenir directement, sont prises sous un violent bombardement.

Le 10 juin, la bataille continue. Le 117e n’est pas engagé mais, sur leurs positions, les unités supportent toute la journée un bombardement des plus sévères. A 19 h, le 1er Bataillon organise le village de Mélicocq, tandis que le 2e Bataillon, regroupé à 14 h. à Machemont, reçoit la mission de s’installer sur les pentes N. E. d’Antoval. Il ne peut y arriver, des forces ennemies supérieures en nombre le serrant de près.

Le 11 juin, le 1er Bataillon, organisé dès la veille dans Mélicocq, est relevé par des troupes actives. Il prend position sur le chemin Mélicocq – Longueil – Armel. A 16 h, les troupes actives n’ayant pu tenir dans Mélicocq se replient et dépassent le bataillon qui se trouve de nouveau au contact de l’ennemi.

Sa mission est de tenir coûte que coûte. Les vagues ennemies continuent à déferler. Elles se brisent sur la résistance opiniâtre opposée par le bataillon. A 17 h, une contre-attaque ayant pour but de reprendre Mélicocq se déclenche menée par des régiments actifs auxquels est adjoint la 1re Cie. La bataille sur ce point est acharnée. Mélicocq, malgré la vaillance de nos fantassins, demeure aux mains des Allemands. Les éléments de contre-attaque se replient en arrière de la ligne tenue par le bataillon qui passe la nuit sur sa position. Mélicocq est repris le 12 au matin.

Général Mangin
Une histoire générale de la guerre s’est attardée sur cet épisode : « Fayolle, qui suit avec attention les péripéties de la lutte, appelle Mangin à son Quartier Général de Noailles. Foch est là, qui assiste à l'entrevue.
Une masse de manœuvre de cinq divisions a été constituée dans la région de Maignelay, il y a aussi quatre groupes de chars d'assaut. Il s'agit de réunir ces forces et de les pousser en une vigoureuse contre attaque vers Méry et Cuvilly, dans le flanc de l'ennemi. Il y a urgence. « Quand comptez-vous attaquer ? » demande Fayolle. « Demain », répond sans hésitation Mangin.
 « Demain », le 11 juin, dès l'aube, les Allemands précipitent leurs attaques, mettant tout en œuvre pour obtenir un succès décisif. Mais à 11 heures, tandis que sous un soleil de feu la bataille fait rage et que l'ennemi groupe ses disponibilités en vue d'un effort décisif, voici que les premières lignes allemandes refluent sur un front de 11 kilomètres, depuis l'Aronde jusqu'à Rubescourt.
Une furieuse charge de chars d'assaut, d'avions, de fantassins pleins d'enthousiasme, déferle subitement de ce coté, sans préparation préalable d'artillerie, alors que les Allemands croyaient n'avoir affaire qu'à notre 35e Corps épuisé.
C'est Mangin qui exécute sa mission. Les régiments engagés rivalisent d'ardeur et d'élan. En un instant Méry, Belloy, le bois de Genlis, la ferme Porte, Antheuil sont enlevés. Deux divisions allemandes se massaient pour se porter sur Compiègne ; elles sont bousculées par nos chars d'assaut, et fuient en déroute. La nuit, qui interrompt le combat, permet à l'adversaire de se ressaisir, de s'organiser et de faire affluer des renforts; mais la XVIIIe Armée allemande a reçu un choc terrible. Puis la bataille s'éteignit à l'est comme au nord. L'offensive sur Compiègne était définitivement enrayée ».

Le rôle joué par le 117e au-cours des journées des 9, 10, 11 et 12 juin a été des plus actifs. Engagé dans la bataille, il a contribué à endiguer la poussée ennemie. Aussi, après la bataille, le régiment recueille de toutes parts le tribut dû à sa vaillance. C'est le chef d'État-Major KIEFFER qui transmet au régiment les félicitations officielles du général PHILIPPOT, nouvellement à la tête du IIe CA. C'est le général lui-même qui, plein de sollicitude pour les combattants, vient les visiter et leur témoigner sa vive satisfaction. C'est enfin le Sous-Secrétaire d'État à la Guerre, M. ABRAMI, qui apporte au 117e les félicitations du Ministre de la Guerre et qui adresse ses compliments aux hommes rassemblés.


Le IIe Corps a magnifiquement donné au cours de ces dures journées. Dans un ordre du jour, son chef lui fait part de son admiration : « Placé à la tête du IIe Corps d’Armée, en pleine bataille, le général remercie les troupes placées sous son commandement de l'effort considérable qu'elles ont fourni pour enrayer la marche d'un ennemi supérieur en nombre. Si le premier objectif du boche était Compiègne son objectif final était Paris. Grâce à votre bravoure, sa marche est arrêtée. Il ne faut pas qu'une nouvelle avance permette de frapper la France au cœur. Votre passé me répond de l'avenir. Le boche ne doit pas passer, il ne passera pas ! ».

A son tour, le général HUMBERT, commandant la 3e Armée se faisant l'interprète du haut commandement félicite ses vaillantes troupes.
« Soldats de la IIIe Armée !
La bataille engagée par l'ennemi le 9 juin et terminée le 13 a été pour lui un dur échec. Il comptait nous écraser en un jour et être le soir même à Compiègne. Les ordres trouvés sur les prisonniers le prouvent. Vous avez ruiné son dessein. La gauche de l'Armée (général JACQUOT), grâce à ses énergiques contre-attaques, n'a pas perdu un pouce de terrain ; au centre et à droite une résistance acharnée dans laquelle il a subi des pertes énormes a réduit son avance de quelques kilomètres. Si nous avons perdu du terrain, comme il arrive presque fatalement dans la défensive, lui, il a perdu la bataille. Il voulait aller à Paris une seconde fois, comme au mois de mars, vous lui en avez fait claquer la porte au nez. Il n'ira pas ! ».

Couronnée de succès, la brillante conduite des bataillons et compagnies de mitrailleuses, pendant les journées des 9 et 10 juin, vaut au régiment d'élogieuses récompenses. Le 1er bataillon est l'objet d'un ordre du IIe Corps d’Armée, le 2e bataillon est cité à l'Armée et la 4e section de la 1re C. M. obtient une citation au Corps d’Armée

Pour sa part le soldat Alphonse-Paul Plantier est cité personnellement le 4 juillet à l’ordre de la Brigade : « Excellent soldat sur le front depuis le début des hostilités, a toujours eu une belle attitude au feu. S’est courageusement comporté pendant les journées du 10 et 11 juin au cours d’une contre attaque ». Il reçoit la croix de guerre.

C'est le dernier fait d’armes du régiment dont la dissolution est prononcée. La date du 15 août 1918 marque sa fin et clôt sa belle carrière. En lui faisant ses adieux dans un éloquent ordre du jour, le général PHILIPPOT, commandant le IIe C. A. rend un hommage ému au régiment :
« A la date du 15 Août 1918, le 117e régiment d'infanterie territoriale est supprimé en tant que régiment pour être transformé en deux bataillons de pionniers et un bataillon de mitrailleuses. Bien que dispersé dorénavant, ce brave régiment ne pourra manquer de survivre à lui-même dans ses souvenirs glorieux et ses traditions de discipline et de dévouement. Partout et toujours, en effet, au combat comme dans les travaux les plus durs et les plus ingrats, le 117e R. I. T. n'a cessé de donner le plus bel exemple et a mérité, sous les commandements de ses chefs successifs, d'être considéré comme un modèle de bon esprit, de bonne tenue et d'entrain. Tout récemment encore, ses deux bataillons, dans un moment de danger pressant, ont fait tête à l'ennemi avec une vaillance qui a été couronnée de succès ; ils ont été cités à l’ordre, après avoir écrit une page d'histoire dont ils conservent une juste fierté. A tous les braves du 117e territorial, officiers, sous-officiers, caporaux et soldats, le général commandant le IIe Corps d’Armée adresse l'expression de sa reconnaissance pour tout ce qu'ils ont déjà fait et celle de sa confiance dans leur patriotisme pour leur demander de persévérer dans leurs efforts qui contribueront à arracher à l'ennemi la victoire finale et décisive ».

Conclusion de l’historique du 117 RIT : « Nouveaux grognards de la Grande Épopée, les soldats du 117e diront aux générations qui montent que l’âge ne compte pas et qu'il n'est rien d'impossible à un cœur vaillant. Honneur à ces héros ! Gloire aux morts couchés dans cette terre désormais sacrée de l'Argonne, de Champagne, de Verdun, de la Somme et de l'Oise. Leur geste est à l'Histoire, leurs noms à l'Immortalité ».

Alphonse-Paul Plantier ne survivra pas longtemps à la fin de la guerre, il meurt à Saint-Félix de Pallières le 4 août 1919, à l’âge de 43 ans.

A suivre…