MORT-HOMME

100ème semaine

Du lundi 26 juin au dimanche 2 juillet 1916

PRISES ET REPRISES DE LA COTE 304

César-Léon Roux, 112ème régiment d’Infanterie,
mort le 30 juin 1916 à Barécourt (Meuse)


César-Léon Roux est né à Alès le 5 novembre 1894, en 1914 il habite à Anduze avec ses parents César Roux et Eugénie-Léonie née Maurin. Il est boulanger. Il est incorporé avec sa classe en décembre 1914 dans la section des commis et ouvriers, sans doute comme boulanger, mais il passe en février 1915 au 40 RI puis en mars 1915 au 112 RI.

En mai 1916 ce régiment est jeté dans la bataille de Verdun. Assoupie sur la rive droite, cette bataille redoublait sur la rive gauche. Après d’effroyables pilonnages d'artillerie, les troupes du Kronprinz avaient pris pied sur le Mort-Homme et gravi les pentes nord et est de la cote 304. Cette dernière était défendue par un régiment mixte de tirailleurs et de zouaves qui décimé et épuisé, est relevé par le 3e bataillon du 112ème. Débarqué le 17 mai à Blercourt, il est jeté dans la bataille le 19. C'est sous un intense bombardement que, par fractions diluées, le bataillon traverse Montzéville, Esnes, le ravin de la Mort pour arriver le soir à 304. Dans la nuit du 20 au 21 le bombardement est tel que le bataillon se trouve complètement isolé sur ses positions. Une division ennemie, au dire d’un prisonnier, marchait sur 304 dans la direction de l'emplacement du bataillon. Le commandant fait rassembler, en attendant le choc, toutes les munitions éparses dans le secteur.


A 14 h. le bombardement cesse et l’ennemi attaque énergiquement à la grenade. L'assaut avait pour objectif l’ouvrage M N attaqué à droite et à gauche. A droite les assaillants sont arrêtés par le feu des mitrailleuses et ceux des 9° et 10e Cies. Ils réussissent à enlever à la 10° un petit poste qui fut repris peu de temps après à la grenade.
La Cie Maigrot reçoit le choc de l'autre masse ; elle fait une défense acharnée mais perd plus de la moitié de son effectif. Un renfort pris à la 9e arrive : tous les hommes sont blessés peu de temps après.
La situation devenait critique. Mais l'attaque ennemie perd de sa vigueur et cesse avec la fin du jour. Les pertes atteignaient presque la moitié de l'effectif.
Dans la nuit du 21 au 22 une Cie de zouaves réduite à 40 fusils et une Cie du 173e montèrent à 304. Le bombardement recommence le 22 sans être suivi d'attaque. Le colonel Garnier ayant été mortellement blessé la veille ainsi que son officier-adjoint le lieutenant Joseph, c’est le commandant Thinus qui prend le commandement du régiment. Le capitaine-major Roux prend le commandement du 3e bataillon ; il est tué une heure plus tard dans l'ouvrage M N. C'est le lieutenant Lieutier qui lui succède.
Dans la nuit du 22 au 23 l'ennemi attaque à gauche de l'ouvrage M N sur le front de la Cie Davignon avec des flamenwerfer. Cette attaque est repoussée à la mitrailleuse. Dans la journée du 23, nouvelle attaque à la grenade qui est encore brisée.
Les vivres étaient épuisés, la soif se faisait cruellement sentir ; aussi, dans la nuit du 23 au 24, le bataillon confiait à d'autres la garde de la Côte 304 qu'il avait si héroïquement défendue.



Sur un effectif total de 400 fusils, 237 hommes étaient hors de combat : 1 officier. 57 sous-officiers, caporaux et soldats tués; 3 officiers, 12 sous-officiers, 156 hommes blessés; 8 hommes portés disparus. La superbe attitude du bataillon valut au commandant Thinus les félicitations personnelles du général de Maud’huy. Le sous-lieutenant Frémont, griėvement blessé, fut décoré de la Légion d'honneur. Pendant ce temps le 2e bataillon se battait sur le Mort-Homme. Le 20 mai l'ordre lui était arrivé de se porter à 304, mais le 21 mai la direction est changée, le commandant reçoit l'ordre de se porter sur le Mort-Homme. Une heure après l’entrée en ligne, les vagues d'assaut allemandes se ruent à l'attaque du Mort-Homme. De 14 h. à 20 h. la 6e Cie soutient le choc. Très éprouvé le sous-lieutenant Guieu demande des renforts. Mais bientôt les débris de la 6e et du renfort sont aux trois quarts cernés. « Rendez-vous ! » crient les ennemis. Le sous-lieutenant André s'élance revolver au poing hors de la tranchée : « Le XVe Corps ne recule pas ! » Ces paroles électrisent les hommes qui repoussent l'attaque. Mais une balle frappe au ventre l'héroïque officier qui meurt dans la tranchée après une agonie de deux heures.
Dans cette nuit la 8e subit trois attaques : à 22, à 24 et à 2 h. Au cours de ce dernier assaut l'ennemi réussit à prendre pied dans 150m de tranchées, mais à 6 h. du matin une contre-attaque reprend tout le terrain perdu.
Le 2e bataillon maintint intégralement nos lignes jusqu'à la relève du 24 mai. Il avait perdu 61 % de son effectif.
Le régiment fut cité à l'ordre du C. A. dans ces termes :
« Le 112e R. I. entré tout entier et de nuit dans la bataille dès son arrivée dans la région le 20 mai 1916, s'est porté crânement en ligne sous un bombardement violent malgré la perte de son chef, le colonel Garnier, tombé dès le début, et a repoussé pendant quatre jours toutes les attaques ennemies, grâce à l'énergie et au sang-froid de ses cadres.


Du 28 juin au 2 juillet 1916 le 2e bataillon fut encore engagé à 304, aux Antennes de Barrault. L’ennemi avait pris pied dans un ouvrage sur les pentes ouest de 304.
Le bombardement commence le 28 juin à 9 h et dure jusqu'à la nuit. Il reprend le lendemain matin avec une intensité faisant présager une attaque qui se déclenche vers 16 h. Précédées de flamenwerfer, les vagues d'assaut se ruent sur les Antennes. Très éprouvés par l'explosion d’une mine qui tua le sous-lieutenant Pinot, nos soldats tiennent ferme et repoussent les assaillants. La nuit fut tranquille ; mais le 30 le bombardement reprit renforcé par des minen. A 16 h. nouvelle attaque repoussée à la grenade ; la nuit du 30 au 1er juillet fut assez agitée par suite d'une attaque ennemie à droite du secteur.
Après un violent bombardement, l'ennemi attaque le 1er juillet au moment de la relève. L'ennemi réussit à s’emparer des Antennes et de 90 m de tranchée. Deux sections de la 7e étaient complètement anéanties. Le sous-lieutenant Morel (5e Cie) avait disparu ; le L. Coulomb (7e Cie) avait été blessé et évacué. Le Lt Caire prend le commandement des débris des trois Cies et contre-attaque. Cet officier n’avait avec lui que le sous-lieutenant Espieux et 40 fusils. Néanmoins le 2 juillet à 5 h, il contre-attaque à la grenade. Après une lutte acharnée nos barrages sont reportés en avant, mais peu après, celui du Pan coupé est de nouveau débordé.
La situation est des plus critiques ; la petite troupe manque de munitions, un groupe de grenadiers d'élite du 55e et du 255e est mis à la disposition du lieutenant Caire, la contre-attaque part à 13 h. refoule irrésistiblement l'ennemi, reprend tout le terrain perdu, s'empare de l'observatoire et s'aventure si loin que le chef de bataillon la fait revenir en arrière.
Jusqu'au 11 novembre le régiment assura la garde des différents quartiers de ce secteur. Les pertes sont de moins en moins importantes. Le lieutenant Gleize est tué le 28 aout. Pendant le mois d'octobre les troupes eurent surtout à lutter contre la pluie et la boue ».

Blessé au cours de l’un des combats de la fin juin, le soldat César-Léon Roux est évacué vers l’ambulance la plus proche, la 5/55, stationnée à Fontaine-Routhon commune de Souhesmes-Rampon. Nous avons la chance de pouvoir lire les lettres de la sœur Gabrielle Rosnet, de la Congrégation de la Mission, infirmière de cette ambulance. Elle y décrit ses conditions de travail :
« Quand notre ambulance a quitté Clermont sous les obus, elle a erré cinq jours avant de dresser ses tentes à Froidos. Enfin, les travaux d’installation ont commencé, et cet immense parc est couvert de baraques et de tentes. Les baraques renferment trente à quarante lits, quelques-unes n’en ont que dix.
Les tentes contiennent vingt-huit à trente lits. L’une d’elles comprend : salle de stérilisation, salle d’opérations et salle de pansements. A côté, une tente où se fait le triage à mesure que les voitures amènent les blessés. Une autre où on met les blessés pansés qui peuvent partir par les autos d’évacuation.
Figurez-vous donc une allée très longue toujours sillonnée d’autos. De chaque côté, à 2 mètres environ de l’allée, les baraques très bien faites et très confortables. Neuf de quarante lits et quatre de dix lits. Derrière les baraques, six tentes de trente lits. Et on construit toujours. C’est un vrai village. On va d’une baraque à l’autre et d’une tente à l’autre sur des trottoirs en rondins. Ce sont des branches de la grosseur du poignet, 70 centimètres de long clouées aux deux bouts sur des traverses. Système très pratique pour avoir moins de boue, mais sur lequel on glisse facilement quand les chaussures ne sont pas ferrées. Enfin, c’est le village aux trottoirs glissants, s’ils ne sont pas roulants.
Il nous passe en moyenne quatre à cinq cents blessés par jour. Nous en avons eu jusqu’à cinq cent quatre vingt. Tous ceux qui n’ont pas besoin d’être opérés sont pansés et évacués ; les autres sont couchés. Tout est toujours plein, bien que les opérés soient évacués très vite. Vous voyez d’ici la besogne: cinq cent quatre-vingts opérés ! Il y a de quoi se dépenser et se dévouer. Que d’âmes à sauver, car il y a de si gros blessés, perdus avant d’arriver, les pauvres chers petits ! Ils sont tous braves, courageux, résignés et pleins de confiance dans le succès final de nos armées. Ils meurent comme des prédestinés, sans une plainte, sans un murmure. Nous nous multiplions pour aller partout, car nous avons ici trois ambulances fonctionnant sous une seule direction.



Le médecin-chef des contagieux, ancien officier de l’état-major, nous a donné une pièce de malades, qu’il a mis ailleurs, et nous y a fait installer des lits. Je vous en fais la description: quatre lits sans rideaux, bien entendu, entre deux une malle ou une caisse servant de table pour notre cuvette et pour poser notre cornette. C’est primitif, dites-vous… oui! Jusque-là, mais écoutez la fin de la description. Parquet ciré, armoires à glace, immense glace sur la cheminée, table à jeu en guise de table à manger, chaises antiques recouvertes de velours. Tout cela sent le poilu et le riche bourgeois dans un cadre démodé qui veut paraître neuf. « Mais de quoi vivez-vous, mes bonnes filles? ». Ma Mère, j’attendais encore la question… étant militarisées, nous mangeons comme les soldats : soupe, gamelle de légumes, et bœuf. Quand nous avons bien faim, j’ai du saucisson, du fromage que je tâche de me procurer comme je peux, des sardines encore et nous constituons un menu princier. « Jus » tous les jours, bien que le Coutumier n’en fasse pas mention. Parfois il nous prend une envie folle de rire, en constatant combien le menu du poilu est varié, mais c’est encore un assaisonnement qui nous fait trouver délicieux ce que nous partageons avec eux.
Mais voici encore le côté princier qui reparait. Nous avons une ordonnance pour nous trois. Le matin, pendant que nous sommes à la messe, il prépare le couvert et nous sert à notre retour. C’est lui qui brosse le parquet, qui nous apporte nos repas et (mettez du coton dans vos oreilles, ma Très Honorée Mère) qui, tandis que nous sommes à table la serviette sous le menton, rentre, nous montant de la cuisine soupe d’abord, puis « rata » et enfin « jus ». J’ai cherché comment nous pourrions faire autrement et n’ai pas trouvé ; le médecin-chef, d’ailleurs, m’a dit que cela simplifiait la besogne et arrangeait les « popotiers » Nous ne sommes pas chez nous ; à la guerre comme à la guerre!
M. le médecin-chef nous a d’ailleurs choisi un très bon garçon, frère dans un couvent de Franciscains au Portugal. Il y a de quoi rire pourtant quand il porte la soupière pendant que nous sommes à genoux pour l’examen, ou qu’il vient desservir pendant que nous disons les grâces.
Tous les matins, nous avons la sainte messe, et le Dieu des forts vient donner à nos âmes courage, patience, réconfort, abnégation de nous-mêmes pour mener une vie pénible, très pénible au point de vue humain, mais consolante an plus haut degré au point de vue surnaturel. Quel champ le bon Maitre nous donne pendant cette guerre! Et comme je l’en remercie à deux genoux !
Nous vivons au son du canon. Là-bas… dans le lointain, roulements sourds d’un tonnerre qui ne désarme pas ; plus près, à Malancourt, Avocourt, Esnes, départs incessants de nos pièces qui ne marchandent pas les munitions. Et pour finir la gamme, les arrivées de projectiles sur notre pauvre Clermont, Vraincourt, Dombasle, tout cela si près de nous que les vitres de nos baraques tremblent à chaque coup. Joignez à tout ce vacarme, quand le temps est clair, les bombes d’avions et vous vivrez par la pensée et a l’abri, notre vie vécue en plein air ».

César-Léon Roux est mort dans cette ambulance le 30 juin 1916, à l’âge de 22 ans, des suites de ses blessures. Il a d’abord été inhumé sur place, dans le petit cimetière de Fontaine-Routhon, puis ses restes ont été transférés dans la nécropole nationale des Islettes, où il occupe la tombe n° 274.

A suivre…

La nécropole nationale des Islettes (Meuse)