123ème
semaine
Du
lundi 4 au dimanche 10 décembre 1916
L’ENTRÉE EN GUERRE
Joseph
Joffre, de l’Alsace à la Marne (2/5)
Le 1er août 1914, l'Allemagne et
la France décrètent la mobilisation générale. Le 3, l'ambassadeur d'Allemagne
von Schoen se présente au président du Conseil René Viviani pour lui remettre
la déclaration par laquelle l’Allemagne déclare la guerre à la France. Le 3
août, l'Allemagne lance un ultimatum à la Belgique d'avoir à laisser passer ses
troupes (qui vont attaquer la France suivant le plan Schlieffen). Le 4 août, le
roi des Belges Albert 1er et le gouvernement belge soutenus par le Parlement,
rejettent l'ultimatum et annoncent que la Belgique se défendra. Le Royaume-Uni
annonce le lendemain son intention de se battre aux côtés de la Belgique pour
honorer sa garantie de la neutralité belge. Le 5 août, la 1ère armée de von
Kluck déferle sur Liège où l'armée belge de campagne résiste à un contre trois
en manœuvrant par contre-attaque dans les intervalles des forts. Le 8 août,
Joffre, qui ne vole pas au secours des Belges, laisse les Allemands dérouler
leur stratégie et ordonne aux 1re et 2e armées françaises de passer à
l'offensive en Lorraine, en Alsace et dans les Ardennes pour attaquer de front
les troupes allemandes : c'est la bataille des Frontières. Quant aux Anglais,
ils entrent en Belgique et placent à Mons leur armée limitée à quatre divisions
car ils ne sont pas en force pour s'aventurer plus à l'Est et au Nord pour
aider les Belges.
Joffre confie le commandement de
l'armée d'Alsace à l'un de ses proches collaborateurs, le général Pau, dont
l'objectif est de libérer en quelques semaines la province perdue. Une partie
de la 1re armée dirigée par le général Auguste Dubail entre en Alsace par
Belfort puis s'établit sur le bord du Rhin le 4 août 1914. Le VIIe corps
d'armée entre à Thann le 7 et à Mulhouse le 836. À Paris on félicite Joffre : «
Mon général, l'entrée des troupes
françaises à Mulhouse, aux acclamations des Alsaciens, a fait tressaillir
d'enthousiasme toute la France. La suite de la campagne nous apportera, j'en ai
la ferme conviction, des succès dont la portée militaire dépassera celle de la
journée d'aujourd'hui. Mais, au début de la guerre, l'énergique et brillante
offensive que vous avez prise en Alsace nous apporte un précieux réconfort. Je
suis profondément heureux, au nom du Gouvernement, de vous exprimer toute ma
gratitude. » M. Messimy, ministre de la Guerre, au général Joffre, août
1914.
Cependant, la contre-offensive
allemande est terrible et rapide, le général Pau est contraint d'évacuer
l'ensemble de l'armée d'Alsace le 25 août. Seules Thann et sa région restent
françaises jusqu'à la fin de la guerre. Cette nouvelle provoque un vent
d'inquiétude dans toute la France.
La Lorraine française est quadrillée
d'un réseau de places fortifiées conçu par le général Séré de Rivières au
lendemain de la guerre de 1870 (places de Verdun, de Toul, d'Épinal et de Belfort).
Joffre ordonne à la 3e armée d'avancer jusqu'à Sarrebruck puis de lancer une
offensive sur le Luxembourg. La 2e armée dirigée par Castelnau s'engage sur le
secteur de Morhange le 19 août. C'est un véritable carnage : l'infanterie
française perd 8 000 hommes en deux jours (bataille de Morhange). Le 20 août,
Castelnau ordonne le repli sur Lunéville.
L'autre partie de la 1re armée de
Dubail est impliquée dans la bataille de Sarrebourg, où le commandant parvient
à maintenir ses positions ; mais faute de renfort à l'ouest par la 2e armée, il
doit se replier également. Forts de leurs contre-offensives, les Allemands se
lancent sur Nancy, où ils sont repoussés par le 20e corps d'armée dirigé par le
général Foch.
Lorsque Joffre apprend que les
troupes allemandes pénètrent en Belgique, il réoriente la 5e armée du général
Lanrezac vers le nord pour couvrir les autres armées du mouvement tournant
sud-sud-ouest prévu par le plan Schlieffen. Joffre ordonne à la 5e armée
d'attendre devant Mézières et d'affronter la IIe armée de von Bülow à son
arrivée. Plus à l'ouest, le corps expéditionnaire britannique affronte la Ire
armée allemande de Moltke à Mons. Cependant manquant d'hommes, Lanrezac fait
appel à une division de réserve, qui arrive trop tard. Le 14 août, Lanrezac
rencontre Joffre en personne et lui expose une seconde fois sa crainte d'une
grosse offensive allemande sur l'ouest. Le généralissime rétorque : « Nous avons le sentiment que les Allemands
n'ont rien de prêt par là. » (J. Joffre, 14 août 1914). Les Belges, quant à
eux, qui ne peuvent compter, à ce stade de la guerre, sur l'arrivée des Anglais
et des Français, se replient le 19 août après avoir retenu 150 000 Allemands
devant les forts de Liège puis en les battant lors d'une bataille d'arrêt dite
bataille de la Jette. Quant aux Anglais, n'étant pas en nombre suffisant pour
participer offensivement à la bataille commune avec quatre divisions, ils
tentent d'affronter l'armée allemande à Mons le 23 août. C'est au soir de ce
même jour que Lanrezac ordonne, de son propre chef, la retraite de son armée
vers Maubeuge pour éviter un « nouveau Sedan », c'est-à-dire un enveloppement
complet de son armée par l'ennemi. Joffre est furieux.
Le bilan à la fin du mois d’août
1914 est lourd pour l'État-Major français. Ses différentes attaques se sont
révélées inutiles et surtout désastreuses : on estime les victimes à plus de
100 000 morts côté français, des soldats en capote bleue et au pantalon rouge
qui attaquent de front face aux mitrailleuses allemandes. Quasiment toutes les
armées françaises battent en retraite et sont dans l'ensemble désordonnées.
Joffre ordonne qu'on pourchasse et qu'on exécute non seulement les fuyards mais
également tout officier faisant preuve « d'insuffisance et de faiblesse, mais
encore d'incapacité ou de lâcheté manifeste devant l'ennemi ». Depuis le 3
août, le gouvernement autorise le commandement militaire à faire exécuter les
sentences de mort. Devant ce qui peut laisser augurer une défaite française,
l'État-Major allemand décide de se diriger sans tarder sur Paris, pensant que
la prise de la capitale pourrait entraîner l'effondrement de la France. « Nos troupes si visibles avec leurs culottes
rouges, nos officiers plus visibles encore avec leur tenue différente de celle
de la troupe et l'obligation que leur faisait le Règlement de se tenir
nettement hors du rang, s'étaient aventurées sur des polygones parfaitement
repérés, où artillerie et infanterie tiraient à coup sûr. » Capitaine
Georges Kimpflin.
« L'erreur
de nos états-majors dirigeants a été de ne croire qu'à la guerre de mouvement
et de nier la guerre de siège, de la nier non seulement avant, mais pendant la
guerre elle-même. » Général Rouquerol.
Joffre ordonne à la 5e armée de
Lanrezac le lancement d'une offensive de flanc contre la IIe armée allemande
autour de Guise afin de soulager d'une part le corps expéditionnaire anglais
épuisé et d'autre part pour reprendre Saint-Quentin. Le 28 août, le général
Douglas Haig fait savoir que son corps ne pourra pas renforcer Lanrezac à
Saint-Quentin.
À l'est, les hommes du général
Langle de Cary (4e armée) se battent héroïquement face aux Allemands. Le
commandant en chef vient en personne au QG de Lanrezac ; il est très optimiste
et il espère une belle offensive sur Saint-Quentin : « Pousser l'attaque à fond, sans s'inquiéter de l'Armée anglaise. » J.
Joffre, 28 août 1914.
Le 29 août, Bülow lance une grande
offensive sur Guise. Le 10e corps d'armée et la 51e division de réserve sont
contraints de reculer. L'attaque sur Saint-Quentin est désormais impossible,
sinon la 5e armée risque d'être prise en écharpe. Joffre revient au QG de
Lanrezac qui doit modifier l'avancée. Au lieu d'attaquer Saint-Quentin, le 3e
corps d'armée oblique sur la droite pour attaquer Guise par l'ouest. Ce dernier
est aidé par le retour du 10e corps qui attaque par le sud. La supériorité
numérique allemande est écrasante, et Bülow est maître de l'Oise.
Le 1er corps du général Franchet
d'Esperey est dépêché sur place. Il dirige l'assaut contre les troupes et les
ponts : le Xe corps allemand est arrêté puis l'ensemble de l'armée allemande
bat en retraite vers le nord. Le 18e corps français s'arrête aux portes de
Saint-Quentin. Le commandant allemand appelle alors son homologue von Klück
afin qu'il vienne en renfort à la tête de sa Ire armée. Cette dernière, qui se
dirigeait sur Paris, change sa direction et bifurque vers le sud-est, offrant
son flanc aux armées françaises. C'est à ce moment que manquent les 150 000
hommes retenus en Belgique par le siège de la place forte d'Anvers, la plus
grande du genre en Europe avec ses trois ceintures de forteresses, depuis
laquelle les Belges lancent trois sorties successives entre la fin août et la
mi septembre, empêchant le commandement allemand de renforcer ses armées qui
marchent sur Paris et dans l'Est de la France.
Le 1er septembre 1914, Joffre
esquisse la nouvelle situation stratégique. Il a la bonne idée de déplacer
l'aile gauche de la 5e armée sur Paris, puisque les Allemands ont pour objectif
la capitale française et l'enveloppement des armées. Le commandant en chef en
profite pour rencontrer Lanrezac au QG de la 5e armée à Sézanne. Accompagné du
commandant Maurice Gamelin, il lui annonce qu'il est obligé de lui enlever le
commandement de l'armée, où il sera remplacé par Franchet d'Esperey : « Vous faites des observations à tous les
ordres qu'on vous donne ! »
Le généralissime prépare un piège
à l'ennemi :
- Si les Allemands attaquent Paris
et Verdun, ils affaiblissent leur centre.
- S'ils négligent au contraire ces forteresses
et qu'ils attaquent les lignes françaises, ils exposent leurs flancs à une
double manœuvre enveloppante préparée entre Paris et Verdun.
Joffre met son plan en marche : Le
3 septembre, Franchet d'Esperey arrive à proximité de la Marne avec sa 5e
armée. Le général Maunoury dirige la protection de la capitale extra muros
pendant que la protection intérieure est organisée par le général Gallieni,
gouverneur militaire de Paris. Sarrail s'apprête à enrayer la Ve armée du
Kronprinz. Quant à Joffre, qui transfère son Quartier général de
Vitry-le-François à Bar-sur-Aube, il organise l'ensemble avec un calme
imperturbable.
Face à la menace, le gouvernement
a quitté Paris pour Bordeaux. Durant la journée, un avion d'observation de la
6e armée décèle un changement important dans la marche des armées allemandes :
une colonne ennemie se détourne de Paris pour se rabattre sur Meaux. Gallieni,
qui vient de comprendre la manœuvre d'enroulement allemande en informe le GQG et
demande l'autorisation de lancer la 6e armée dans le flanc de cette armée
ennemie.
Le 4 septembre, après plusieurs
heures de réflexion et un problème de coordination avec Gallieni, le général
Joffre est décidé : il va attaquer. Le 6 au matin, il lance toutes les armées à
l'attaque. « Gallieni me demandait au
téléphone. Il venait de rentrer de son quartier général. Il avait trouvé mon
télégramme lui prescrivant de porter la 6e armée sur la rive gauche de la
Marne, au sud de Lagny. Cette prescription venait modifier les ordres que
Gallieni lui-même avait donnés à Maunoury pour le lendemain après-midi. Je le
rassurai en lui faisant connaître que, depuis l'envoi de mon télégramme de
treize heures, j'avais pris la résolution d'engager une offensive générale à
laquelle la 6e armée devait participer ».
La tactique de Joffre est claire :
les ailes gauche (6e armée, appuyée par la 5e armée et l'armée anglaise) et
droite (3e armée) ont pour mission d'envelopper les armées allemandes et le
centre (9e et 4e armées) de les déstabiliser par des offensives frontales. Le 5
septembre, dans l'après-midi, le général Maunoury lance ses hommes dans une
attaque enveloppante entre l'Ourcq et Château-Thierry. Les hommes de French, de
Franchet d'Esperey et de Foch appuient cette attaque. Le commandant en chef
prend le soin d'envoyer un message aux troupes : « Au moment où s'engage une bataille d'où dépend le salut du Pays, il
importe de rappeler à tous que le moment n'est plus de regarder en arrière. Une
troupe qui ne peut plus avancer devra coûte que coûte garder le terrain
conquis, et se faire tuer sur place, plutôt que de reculer. Dans les
circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée ».
L'ensemble des armées lance
l'offensive le lendemain à l'aube. Sur l'aile gauche, von Klück, occupé avec le
mouvement enveloppant de Maunoury, n'arrive pas à venir à bout de l'armée de
Foch pourtant épuisée mais qui tient bon. Sur l'aile droite, Sarrail est en
mauvaise posture entre Paris et Verdun, ses corps sont durement touchés, le
chef de la 10e division est mort au combat. Le 7 septembre, les Allemands
arrivent même à ouvrir une brèche entre la 3e et la 4e armée. La situation est
critique pour Sarrail. Le lendemain, le 15e corps de la 2e armée lui arrive en
renfort. Au soir du 8, les armées sont épuisées et le bilan est un statu quo.
La clé de la victoire vient de
l'arrière français : l'armée de French et la 5e armée de Franchet d'Esperey
sont encore fraîches alors que les Allemands n'ont plus de réserves pour le
moment. Le 9, von Klück lance des assauts désespérés contre Maunoury, qui est
mis à mal mais qui obtient des renforts en hommes et en matériels de Gallieni
par le biais des fameux taxis de la Marne. De son côté, Foch est appuyé par le
10e corps de la 5e armée et par la division marocaine du général Humbert. Les
Allemands entament leur retraite. Le 9, Franchet d'Esperey envoie alors
l'ensemble de ses lignes à la poursuite de l'ennemi et libère Château-Thierry
et Montmirail.
Le 13 septembre, Joffre annonce la
victoire au gouvernement : « Notre
victoire s'affirme de plus en plus complète. Partout l'ennemi est en retraite.
À notre gauche, nous avons franchi l'Aisne en aval de Soissons, gagnant ainsi
plus de cent kilomètres en six jours de lutte. Nos armées au centre sont déjà
au niveau de la Marne et nos armées de Lorraine et des Vosges arrivent à la
frontière. »
La paternité de la victoire de la
Marne est complexe. À la base elle a été permise grâce au général Lanrezac, un
officier de génie non reconnu par Joffre qui, par sa victoire à Guise, a
neutralisé en partie l'armée de von Bülow qui devait rejoindre von Klück sur
Paris. Bien entendu, elle a découlé des conceptions de l'État-Major général, à
la base de la création des 6e et 9e armées qui ont eu un rôle majeur, mais elle
n'a pas suivi la tactique d'enveloppement de départ préparée par Joffre. Les
généraux Gallieni et Maunoury, véritables artisans sur le terrain de la
victoire, ont obligé l'ennemi à découvrir son centre droit, où une brèche s'est
ouverte pour les hommes de French et de Franchet d'Esperey.
La bataille de la Marne couvre de
gloire le général Joffre qui, aux yeux de tous, est le véritable vainqueur.
Face aux quelques polémiques, le général Pétain dit : « Que cela plaise ou non, Joffre est à jamais le vainqueur de la Marne.
» Le commandant en chef a permis de sauver Paris et d'éviter à l'Armée
française l'anéantissement. Dans tout le pays ainsi que chez les Alliés, Joffre
jouit d'une très grande popularité. Le « vainqueur de la Marne » fait l'objet
d'un véritable culte qui va se maintenir jusqu'à sa mort. Une certaine «
joffrolâtrie » s'installe en France. De nombreuses images d'Épinal montrent le
chef comme le vainqueur ayant écarté le danger. Des poèmes, des assiettes, des
statuettes à son effigie mettent en avant sa gloire. Des centaines d'enfants
sont prénommés « Joffre » ou « Joffrette » tant en France qu’au Canada ou aux
États-Unis. Il incarne le « Père » tranquille et protecteur qui tient dans ses
bras la République (allégorie du journal Le Rire rouge, automne 1914).
A suivre…
Merci
Wikipédia !