MINE



122ème semaine

Du lundi 27 novembre au dimanche 3 décembre 1916

LA GUERRE DES SOUTERRAINS

Louis-Pierre Amat, soldat au 15ème Régiment d’Infanterie
Tué le 3 décembre 1916 au ravin de la Fille-Morte, Argonne


Louis-Pierre Amat est né le 12 novembre 1891 à Sainte-Enimie (Lozère), de Jean-Pierre Amat et de Marie Malafosse. En 1911, date du recrutement militaire du jeune homme, la famille est installée à Anduze et il y exerce la profession de cultivateur. Il est grand pour son époque, 1m74, il est peu instruit. Incorporé le 9 octobre 1912 il est encore sous les drapeaux en 1914, il y reste… Affecté d’abord au 10ème régiment d’artillerie à pied, il est transféré en février 1915 au 15ème régiment d’infanterie, juste à temps pour participer à la grande offensive en Champagne.

Récit dans l’historique officiel du 15 RI : « Le 6 mars 1915 mis à la disposition de la 160e D.I de réserve, le 15e reçoit pour le lendemain, l’ordre d’enfoncer les premières lignes ennemies, de s’emparer du Bois Sabot au nord de la route de Souain à Perthes. Il devra ensuite avec le 143e R.I., exploiter et élargir ses gains, et poursuivre son avance jusqu’au trou Bricot qui est désigné comme objectif ultérieur de l’attaque. Le 7 mars, après une préparation inaccoutumée en ces temps- là, le 15e donnait l’attaque au Bois Sabot. Les troupes étaient placées à cent cinquante mètres des lignes ennemies dans une tranchée nouvelle creusée en hâte, les nuits précédentes. A 10 heures précises, sur le front des deux bataillons, les clairons que l’on n’a plus entendu depuis de nombreux mois de cette guerre sourde, sonnent la charge ; d’un bond, les sections s’élancent d’un même mouvement, hors de la tranchée ; les compagnies du 1er bataillon atteignent rapidement la corne ouest du Bois Sabot, et s’y maintiennent ; celles du 2e bataillon franchissent lestement les réseaux de fil de fer, désorganisés par le bombardement ; d’un bord, elles atteignent la première tranchée allemande. Les Allemands, culbutés nous laissent des prisonniers et s’enfuient poursuivis par les nôtres qui s’avancent vers la deuxième ligne allemande, s’en emparent et l’organisent.
L’ordre donné par le commandement venait d’être rapidement exécuté avec un brio de haute allure. Malgré des pertes nombreuses et cruelles en tués et en blessés, les compagnies d’attaque et les compagnies de renfort, privées de la plupart de leurs chefs, s’étaient offertes à la mort d’un élan magnifique.
Dans la nuit du 7 au 8 mars, les compagnies qui occupaient la partie ouest du bois Sabot eurent à résister à plusieurs attaques allemandes débouchant des boyaux de communication ennemis.
Au lever du jour, une compagnie allemande attaque le front est du bois, pendant qu’une autre compagnie attaque le front nord-ouest, cherchant à tourner le bois Sabot par la corne ouest.
Quelques hommes, manquant de munitions (ils avaient tiraillé toute la nuit), se replient entraînant le reflux de deux compagnies. Ce ne fut que pour un instant ; le 3e bataillon est immédiatement porté en avant, et à sa droite, les deux compagnies qui avaient rétrogradé se dirigent vers la corne ouest du bois.
Une attaque à la baïonnette, menée de façon brillante, sur toute la ligne, non seulement arrête la contre-attaque allemande, mais la culbute hors de l’extrémité du bois Sabot. Poursuivant son action, par un mouvement de conversion vers la droite, le 15e régiment d’infanterie rejette dans le grand bois l’ennemi battu et désemparé, et enlève, après une énergique progression à la baïonnette, une nouvelle tranchée ennemie située à la lisière nord du bois Sabot. Seule, l’extrême fatigue des hommes ne permet pas de songer à pousser plus en avant.
Le 10 mars, le 15e régiment d’infanterie relève le 142e R.I. ; ordre lui est donné, le 13 mars, d’attaquer la tranchée allemande entre l’angle rentrant du bois Sabot, à l’ouest de la clairière, située à l’est du même bois. Pour garder les bénéfices de la surprise, l’artillerie ne devait ouvrir son feu qu’à 5h30 ; quand l’attaque déboucha des tranchées allemandes, les moyens de résistance s’accentuaient de jour en jour, un feu terrible de mousqueterie et de mitrailleuses accueillit les sections de tête.
Celles de gauche furent fauchées, celles du centre et de droite parvinrent à une vingtaine de mètres des tranchées allemandes, mais durent s’abriter dans les trous d’obus et les moindres aspérités du sol, et pour la nuit rentrer dans les lignes. Le courage des troupes fut admirable ; sur deux cents hommes engagés ce jour- là, les pertes furent de quatre-vingt-quinze hommes et deux officiers ».

D’autres combats suivent, notamment autour de la fameuse « Main de Massiges » en septembre 1915. En juillet 1916 le 15 RI s’installe dans la région de Verdun, puis en Argonne. C’est là qu’il se trouve encore à la fin de l’année, dans un secteur où se livrent d’épouvantables combats de mines et contre-mines, celui de la Fille-Morte.


Il existe en effet sur ce secteur tout un réseau de souterrains et de galeries de mines tant du côté allemand que français.
Il convient néanmoins de dissocier :
- les souterrains dus à la guerre des mines (des deux côtés)
- les souterrains liés à la circulation des troupes et du matériel vers les premières lignes (surtout côté français).
- les souterrains liés à l'hébergement des troupes (surtout coté allemand).

Petite anecdote pour commencer : le nom du secteur "La Fille Morte" n'est pas dû comme on pourrait le penser à une jeune filler assassinée dans la forêt (comme c'est le cas notamment pour le secteur de Marie Thérèse, qui porte le nom d'une jeune fille du pays retrouvée morte en pleins bois). Il semble que l'appellation "la Fille Morte" soit une déformation de "la Feuille Morte". Ce nom avait été en effet donné au secteur et plus particulièrement au ravin partant de la route forestière et descendant vers Lachalade où s'accumulaient, en automne, les feuilles mortes tombées des arbres alentours...

Des ouvrages à trois niveaux s'appellent les abris Dürer. Ce sont probablement les plus impressionnants souterrains du secteur. Il semble que ces ouvrages aient servi, comme souvent coté allemand, tant à la guerre des mines, qu'au cantonnement des troupes (présence de nombreuses chambres sur le 1er étage)

L'intérieur d'une sape en Argonne en mai 1916
Côté français, et sur l'autre versant de la cote 285, les tunnels sont également nombreux. Ceux-ci servaient d'avantage au transport des troupes et du matériel des lignes arrière vers les premières lignes. On était ainsi à l'abri du feu. Leur configuration est simple : ouvrage rectiligne, souvent sans pièces de cantonnement, dotés selon les cas de voies étroites pour wagonnets, et de portes blindées. Leur pente était relativement faible (semblable à celle du Kaiser Tunnel côté allemand). 

Cette guerre des mines est très éprouvante pour les soldats. Maintenus à leur poste, même en cas d’explosion reconnue comme imminente, ils ne peuvent qu’espérer être relevés avant la minute fatidique. Sinon c’est une épouvantable explosion, les débris de toutes sortes, y compris humains, projetés en l’air, et la terreur de l’ensevelissement…

Plan des tranchées autour de la Fille-Morte, et lieu de l'explosion de la mine allemande
Début décembre les explosions se succèdent, dans un camp ou dans l’autre, sans entraîner de quelconques gains territoriaux. 
JMO du régiment : « Journée du 3 décembre 1916 – Entre 6h30 et 7h une mine allemande a sauté devant le centre du secteur en face la corne Sud-Ouest de l’ouvrage Dürer, faisant des dégâts considérables.
Deux explosions et un camouflet (conduit de mine oblique), presque simultanés, ont déterminé deux entonnoirs dont un surtout énorme. Le premier entonnoir englobe une partie de l’ancien, le second, plus à l’Est, prolonge le précédent.
Les lèvres N. de l’entonnoir dominent (comme précédemment) l’ouvrage Dürer, mais nos positions sont cachées par les lèvres Sud que nous occupons depuis onze heures.
Les dégâts sont importants. L’ouvrage 16K Ouest, 16bisB, une partie de la tranchée Bourgeois, ainsi que la tranchée de doublement (boyau central Bourgeois prolongé) ont été presque nivelés ou comblés par les chutes des terres provenant des mines. L’ouvrage 16bisA a beaucoup souffert du bombardement qui a suivi, ainsi que 16L.
Sitôt les explosions, tout le monde a été alerté, chacun a fait son devoir avec le plus grand sang-froid, le plus grand courage et le moral le plus élevé.
Le Capitaine Adjt-Major de Hénaut est parti aussitôt malgré le bombardement intense pour se rendre compte ; il a reconnu que les dispositions prises par M. le Capitaine Maviel (6ème Cie B1) à droite et M. le Ss-Lieut Curvalle (5ème Cie B2) à gauche étaient des plus judicieuses et des plus énergiques.
Malgré le bombardement des plus intenses, qui a suivi les explosions, tout le monde n’a cherché qu’un but : « Prendre la supériorité s’il y avait lieu, rétablir les communications et dégager les ensevelis ».
Le travail d’installation s’est poursuivi toute la journée. Il en a été de même les jours suivants et le travail énorme conduit à bonne fin valait au Régiment, le 4 janvier 1917, les félicitations du Colonel Commandant provisoirement la Division, en ces termes : « Le 15ème Régiment a organisé les lèvres de l’entonnoir fait par l’ennemi en avant de son secteur d’une façon parfaite. Le commandement a été assuré remarquablement. Le Colonel Commandant provisoirement la 32ème Division adresse au 15ème ses félicitations.
Les pertes ont été de 7 tués et 22 blessés ».

Victimes de l'explosion d'une mine
Louis-Pierre Amat fait partie de ces tués. Son nom figure sur le monument aux morts de la commune.

A suivre…