125ème
semaine
Du
lundi 18 au dimanche 24 décembre 1916
D’OFFENSIVE
EN OFFENSIVE
Joseph
Joffre, après un an de guerre (3/5)
Après la victoire de la Marne de
septembre 1914 entièrement créditée à Joffre, l'ennemi renaît rapidement de ses
cendres sur l'Aisne. L’État-Major français comprend alors que la guerre, qu'on
pensait conclure en quelques semaines, risque d'être plus longue que prévue.
Une seconde responsabilité incombe à Joffre : préparer la France à une guerre
longue et éprouvante. Il commence par envoyer à Limoges et à assigner à
résidence cent trente-quatre généraux qui lui semblent incompétents (de là
naîtra le verbe « limoger » et le nom « limogeage »), il multiplie les
inspections sur le terrain, il renforce les contacts avec les forces alliées
pour constituer différents fronts d'attaque et enfin il tente de résoudre des
problèmes proprement militaires.
Joffre continue de veiller aux
progrès de l'aéronautique, qui a une place à part entière dans le conflit. Le 8
octobre 1914, il affirme : « Ces
résultats montrent que l'aviation est à même de rendre les plus grands services
et de justifier la confiance que le commandement place en elle. » Il doit
aussi faire face à une crise des munitions, à un manque de canons lourds, à
l'absence de l'artillerie qui se font sentir au cours de la bataille de
l'Aisne.
Après leur défaite sur la Marne,
les divisions allemandes se replient vers le nord, sur l'Aisne, entre le 10 et
le 14 septembre. Quant à Joffre, il veut profiter de sa posture de vainqueur et
ordonne aux armées françaises et britanniques d'attaquer les armées ennemies le
13. Encore une fois, il préconise la tactique d'enveloppement du flanc droit
allemand. Sur le Chemin des Dames, déjà en 1914, le corps expéditionnaire et la
6e armée ne parviennent pas à venir à bout d'un ennemi équipé d'une puissante
artillerie lourde.
Le 17, la manœuvre de Joffre est
un échec, les Allemands renforcent leur droite avec la VIIe armée de von
Heeringen venue en renfort. Mais décidé à en finir en enveloppant par le
nord-ouest, il appelle une partie des troupes de Castelnau, stationnées en
Lorraine. Le 20, une énergique offensive française est lancée entre Noyon et
Péronne. En vain. Les lignes françaises manquent de matériel pour lancer des
offensives efficaces (munitions, stocks divers, nourriture, artillerie lourde).
Le commandant des forces allemandes, von Bülow, a imaginé un efficace
retranchement de ses troupes et lance à son tour des contre-manœuvres qui
obligent l'armée française à s'allonger sans cesse vers le nord. Cet étalement du
front jusqu'à Dunkerque, c'est le début de la Course à la mer qui réunit les
Belges du roi Albert aux Français de Ronarc'h. Le roi accepte de placer son
armée sous le commandement de Joffre qui dirige, dès lors, une stratégie
globale réunissant les franco-anglo-belges.
À partir du 18 septembre, les
combats continuent autour du massif de l'Aisne ; l'armée anglaise essuie de
lourdes pertes. Trois jours après, le général Castelnau fait son entrée à
Noyon, mais il ne peut s'y maintenir longtemps. Cependant, les lignes
allemandes sont contenues. Le 22, il faut désormais déloger l'ennemi de ses
positions : la 4e brigade du Maroc (tirailleurs sénégalais et algériens)
se lance avec beaucoup de courage dans les bois et permet de gagner du terrain.
Les attaques suivantes se révèlent infructueuses.
La 2e armée subit un
ralentissement de son avancée de jour en jour. Joffre rappelle Castelnau à
l'ordre : « Rectifiez la marche de vos
deux corps de gauche orientée trop à l'est, et redressez-la franchement vers le
nord ! » En effet, c'est toujours plus vers le nord que tout se joue.
Là-bas, la cavalerie allemande du général von Marwitz harcèle les lignes
françaises dans le secteur de Ham. Le 24, Joffre prend connaissance du fait que
les Allemands ont amené toutes les forces qu'ils avaient en Belgique après
avoir échoué à écraser l'armée belge. Il écrit au ministre de la Guerre
Alexandre Millerand : « Le moment est
venu pour l'armée belge d'agir sur les communications de l'ennemi. ».
Mais c'est ce que les Belges
faisaient depuis le mois d'août en adoptant la tactique de l'avant-garde
générale, chère à Napoléon, qui consiste à manœuvrer sur les flancs et les
arrières ennemis en les attaquant pour gêner ses communications et, surtout,
pour l'empêcher de réunir ses forces en un seul corps. C'est cela qui a fait
que 150 000 hommes, ainsi que de l'artillerie lourde, manquèrent aux
Allemands lors de la bataille de la Marne.
À partir du 26 septembre,
l'ensemble des divisions françaises se heurtent à des forces ennemies
considérables. Il faut des renforts autour d'Amiens. Joffre organise
efficacement la venue de nouvelles divisions par camions et par trains en
provenance de Compiègne. Le général Castelnau se maintient péniblement dans le
Sud. Il organise plutôt efficacement la situation sur le long terme, mais il
n'a pas assez de moyens matériels et d'hommes pour lutter contre von Bülow. Le
2 octobre, les combats font rage au nord d'Arras vers Lens et Béthune.
L'objectif du commandement allemand est d'empêcher la remontée des troupes françaises
vers le nord avec l'arrivée de nouveaux renforts.
Le 3 et le 4 octobre, le 10e corps
d'armée de Castelnau subit plusieurs échecs en Artois. Il prévoit de reporter
ses troupes en arrière. Mais Joffre lui ordonne d'aller de l'avant, car sinon
cela « donnerait l'impression d'une
défaite ». Le corps est bombardé dans les faubourgs d'Arras. Joffre précise
aux commandants français qu'ils doivent veiller à ce que l'inviolabilité du
front soit maintenue. Il télégraphie aux généraux d'armée : « Fortifiez-vous le plus possible sur tout
votre front. Agissez avec le maximum d'énergie. Nous étudions les moyens de
vous amener des renforts. »
Le commandant en chef envoie des
renforts, surtout des troupes anglaises et belges dans les Flandres. Les Belges
ont pu quitter Anvers après un mois de siège en évitant l'encerclement,
rejoignant la côte avec le concours d'une unité française, les fusiliers marins
de l'amiral Ronarc'h. Le roi Albert Ier déclare même qu'il est prêt à recevoir
les instructions de Joffre. L'objectif est d'aider les Belges à se maintenir
sur l'Yser afin d'empêcher toute offensive allemande contre Dunkerque et
Calais. Au début de novembre 1914, la sécurité de l'armée française dans le
Nord est consolidée surtout avec l'arrivée de la 42e division puis du 9e corps
d'armée.
L'État-Major allemand ordonne la
prise de Calais. Les alliés Français, Anglais et Belges mettent tout en œuvre
pour défendre la région. C'est le début de la guerre de tranchées. Les Belges organisent
des inondations en ouvrant les vannes qui protégeaient la plaine de Flandre de
la mer. Les premières lignes d'assaut allemandes s'enlisent et reculent en
catastrophe, on se bat pour des îlots de boue, des positions sont disputées
pendant des jours et des jours, des villages sont ravagés et, à Ypres, les
Anglais prennent, perdent et reprennent plusieurs fois la ville qui est
ravagée. C'est le général d'Urbal qui commande les troupes françaises et son
armée devient l'armée de Belgique. Au GQG, les généraux Belin et Berthelot,
adjoints de Joffre, organisent admirablement les mouvements de troupes entre
les divers points du front.
Finalement, l'Allemagne est
vaincue dans les Flandres. La seule bataille d'Ypres lui coûte plus de 150 000
hommes. Dunkerque et Calais ne sont plus menacés. Après la victoire de la
Marne, celle des Flandres popularise davantage le général Joffre. Mais la
guerre n'est pas finie…
À partir de l'hiver 1914-1915, le
front occidental se stabilise de la mer du Nord à Belfort sur près de 750 km.
Le conflit a déjà occasionné la perte de 850 000 hommes aux différents
belligérants, que ce soit en morts, disparus, blessés ou prisonniers. Depuis
l'épisode de la Marne, Erich von Falkenhayn remplace Moltke à la tête de
l’État-Major allemand et en novembre 1914, les lignes allemandes sont en
difficulté sur le front russe. Falkenhayn ordonne l'envoie de renforts sur le
front oriental. Joffre, qui a connaissance de ce transfert, veut une percée sur
le front ouest pour déstabiliser l'ennemi. Le 8 décembre 1914, il met au point
deux offensives principales : en Artois et en Champagne ; les opérations
seront exécutées par la 4e armée de Langle de Cary et la 10e armée de Maud'huy.
En prévision, le généralissime garde à sa disposition deux divisions à
Compiègne, une à Soissons, une autre à Bar-le-Duc et enfin les divisions du
Gouvernement militaire de Paris. Pour Joffre, il « les grignote » et encore une
fois l'année 1915 est marquée par la volonté d'obtenir la « rupture ».
Il prévoit également des
offensives secondaires en Flandres, en Argonne et en Meuse. Le but est de
détourner l'adversaire des zones principales d'attaque d'Artois et de
Champagne. L'offensive artésienne a pour but de « libérer définitivement le
territoire national envahi ».
Le général Maud'huy, qui est
installé à Cambligneul, lance l'attaque le 17 décembre 1914. Ses objectifs sont
Vimy et la route Arras-Souchez. Pour désorienter l'ennemi, on commence
l'offensive sur La Bassée. Le général Foch, le commandant du groupe du Nord,
arrive le 17 pour prendre les opérations en main. Le 21, il lance une attaque
sur Carency, mais le terrain se révèle très difficile, les tranchées sont
inondées, les hommes épuisés et les fusils enrayés : les pertes françaises sont
lourdes. Finalement, l'artillerie française tient tête aux attaques allemandes.
Après de nouvelles attaques meurtrières et inutiles, le général Joffre décide
de limiter l'action de la 10e armée à des entreprises ponctuelles et de mettre
au repos les troupes le 15 janvier 1915.
Il est à noter que cette opération
artésienne n'est mentionnée ni dans les Mémoires de Joffre ni ceux de son
adjoint Foch. Pour le général Fayolle : « Ce
projet me paraît stupide, insensé. »

En Argonne, le général Dubail
dirige la 1re et la 3e armée. Du 7 au 12 décembre, l'offensive ne rencontre
aucun obstacle et s'empare des tranchées ennemies. Mais une contre-attaque
provoque 250 morts. Le 13, le terrain est également impraticable dans la Woëvre
; comme ailleurs aucune offensive n'est possible. Le 20, l'infanterie prend
avec beaucoup de difficultés Boureuilles, mais menacée d'enveloppement, elle
doit se retirer. Globalement, les opérations sont un échec.
Enfin, les armées défensives
subissent elles aussi de graves revers. Dans l'Aisne, la 6e armée de Maunoury
attaque le plateau de Loges, mais elle subit de lourdes pertes (1 600
morts). À Reims, les hommes de Franchet d'Esperey doivent maintenir les forces
allemandes pour soulager la 4e armée française mais aucune offensive ne réussit.
En Artois comme en Champagne, les
offensives sont stériles, aucune avancée marquante en cet hiver 1914-1915.
Joffre persiste, le plan est maintenu pour le printemps 1915.
Au 1er janvier 1915, Joffre a, de
nouveau, limogé de nombreux généraux. Depuis le début de la guerre on en est à
162 dans la zone des armées (dont 3 commandants d'armée, 24 de corps d'armée,
71 de division, etc.). Les raisons sont multiples : soit le commandant a échoué
dans sa mission, soit il est incapable d'assumer ses fonctions, soit encore il
fait partie des nombreux officiers généraux républicains placés par le général
Louis André lorsqu'il était ministre de la Guerre (1900-1902), au cours d'une
époque très anticléricale.
En ce début d'année 1915, la
situation militaire est nouvelle : les deux armées sont bloquées face-à-face ;
aucune manœuvre n'est possible. Les généraux sont formés à l'attaque mobile,
aux manœuvres mais pas à une guerre de tranchées. Joffre, qui dispose désormais
de 2 250 000 hommes, de 286 000 Britanniques et de 110 000 Belges, ordonne la
reprise de l'offensive pour percer le front allemand et revenir à une guerre mobile
comme au début du conflit. Certains de ses subordonnés, tel le général
Gallieni, proposent plutôt la défensive, plus appropriée à ce type de conflit.
Le lieutenant-colonel Messimy, ancien ministre de la Guerre (1911-1912) devenu
chef de corps sur le front, écrit : « Ces offensives prises partout au hasard,
sans idée d'ensemble, sans plan stratégique ! »
Joffre n'en démord pas. Il est
hanté à l'idée d'une défaite russe sur le front oriental. Pourtant, malgré des
moyens énormes en Champagne, la 4e armée essuie échec sur échec. La percée est
ratée en décembre 1914, de nouveau en janvier 1915, de nouveau en mars. Les
pertes françaises sont au total de 92 000 morts. En mai, Foch conduit en vain
la deuxième offensive artésienne avec sept corps d'armée, appuyés par 780
pièces d'artillerie légère, 213 d'artillerie lourde et plusieurs escadrilles
aériennes.
En Artois, une nouvelle offensive
est lancée le 9 septembre 1915 entre Loos-en-Gohelle et Arras contre la VIe
armée du prince Rupprecht. Malgré l'aide des Anglais, les violentes offensives
françaises restent stériles : deux semaines plus tard, à peine 600 mètres de
terrain sont conquis. Le 16 septembre, une dernière offensive généralisée est
lancée, mais les soldats sont épuisés et les pertes sont une nouvelle fois
énormes : au total, 2 260 officiers et 100 300 soldats y laissent la vie.
Joffre ordonne la suspension de l'offensive. Le commandant en chef est sévèrement
critiqué à Paris.
Après l'échec en Artois, zone trop
« étroite », Joffre veut concentrer ses attaques sur la Champagne qui
semblerait être le secteur de prédilection de l'armée française. On se bat
également en Argonne, où la 3e armée de Sarrail prête main forte sur l'aile
droite de la 4e armée. Ici aussi, une seconde fois, les combats sont sanglants.
Le 24 septembre, Joffre donne à lire une déclaration à tous les soldats : « Soldats de la République ! Après des mois
d'attente qui nous ont permis d'augmenter nos forces et nos ressources, tandis
que l'adversaire usait les siennes, l'heure est venue d'attaquer pour vaincre
et pour ajouter de nouvelles pages de gloire à celles de la Marne et des
Flandres, des Vosges et d'Arras. Derrière l'ouragan de fer et de feu déchaîné
grâce au labeur des usines de France, où vos frères ont nuit et jour travaillé
pour vous, vous irez à l'assaut tous ensemble, sur tout le front, en étroite
union avec les armées des Alliés. Votre élan sera irrésistible. Il vous portera
d'un premier effort jusqu'aux batteries de l'adversaire au-delà des lignes
fortifiées qu'il nous oppose. Vous ne lui laisserez ni trêve ni repos jusqu'à
l'achèvement de la victoire. Allez-y de plein cœur pour la délivrance du sol de
la patrie, pour le triomphe du droit et de la liberté. Joffre. »
L'attaque est lancée le 24 septembre
1915 à 9 h 45. Les soldats portent le nouvel uniforme bleu horizon et un
casque. Joffre a nommé le général Castelnau responsable de la manœuvre. Ce
dernier dirige la 2e armée du général Pétain et la 4e de Langle de Cary. Pétain
commence par lancer le corps colonial, mais les réserves arrivent avec du
retard. Les pertes sont lourdes. Langle de Cary attaque à gauche, mais la
situation est encore pire. Le 27, la situation n'a progressé que de quelques
mètres. Pétain suspend l'attaque. Castelnau la relance le 28 mais l'élan est
brisé par les gaz asphyxiants. Pris d'urgence, Castelnau doit abandonner
l'offensive le 29. Les munitions manquent toujours terriblement : « En définitive, la lutte sur le front
franco-anglo-belge pendant l'année 1915 apparaît comme une course entre notre
matériel offensif chaque jour grandissant, et les organisations défensives
allemandes de jour en jour plus solides. »
A suivre…