ON LES AURA !

126ème semaine

Du lundi 25 au dimanche 31 décembre 1916

BLOCAGES PARTOUT

Joseph Joffre, les Balkans, Verdun, la Somme (4/5)


Les opérations en Orient (mars - octobre 1915)

En février 1915, le président de la République Raymond Poincaré, déçu des échecs à répétition, propose une percée ailleurs qu'en France, en Serbie par exemple. Joffre y est catégoriquement opposé et menace de démissionner. Poincaré cède. Pourtant l’objectif des Dardanelles revient sur le tapis et c'est Winston Churchill qui en est l'artisan. Il prévoit de rétablir la liaison avec la Russie, de porter un coup contre l'Autriche-Hongrie, d'influencer les Balkans et l'Italie et enfin d'installer l'Angleterre sur les détroits. Joffre ainsi que French et Wilson ne sont pas du même avis. La mission a néanmoins lieu le 18 mars. C'est un échec sanglant pour les Alliés et l'Angleterre : 20 000 tués sur les 28 000 soldats britanniques partis au front.

À la suite de nombreux échecs en Argonne et aux rapports houleux entre les deux hommes, Joffre retire à Sarrail le commandement de la 3e armée. Il est accusé de dissimuler ses erreurs de manœuvre et de ne pas avoir fortifié suffisamment les forteresses dont il avait la charge ; il est remplacé par le général Humbert. Sarrail traite Joffre de « dictateur en puissance ». Cependant, l'ancien commandant a de nombreuses relations au Parlement : on lui propose l'armée de Lorraine ; mais Joffre refuse. Commence une furieuse campagne contre le commandant en chef : Clemenceau, Viviani, Lyautey, Doumer, Painlevé lui sont hostiles. En août 1915, Sarrail accepte de prendre le commandement de l'armée d'Orient dont l'objectif est d'entrer à Salonique. L'opération échoue dès novembre. Le 16 janvier 1916, Joffre est contraint de confier à Sarrail le commandement des troupes interalliées de Macédoine.

Le généralissime reste optimiste et rassure le ministre : « Nous devons avoir la conviction que, en augmentant nos ressources en munitions, en perfectionnant notre organisation matérielle, en donnant plus d'ampleur encore à nos attaques, nous parviendrons à briser les lignes allemandes que nos dernières opérations ont réussi à entamer si largement. Contraints de lutter sur deux fronts, nos adversaires ne pourront pas se constituer des disponibilités aussi fortes que les nôtres, tant que nous n'aurons de notre côté qu'un front à alimenter. » J. Joffre, 3 octobre 1915.

Verdun et la Somme : l’épuisement du chef

Joffre avec Haig et French
Les principaux chefs alliés se réunissent d'abord à Calais sous la direction du président du Conseil Aristide Briand. La France prévoit l'envoi de renforts à l'armée d'Orient à Salonique, mais la Grande-Bretagne déclare qu'elle retire ses troupes avant de revenir sur ses positions. Il est aussi décidé d'évacuer la zone des Dardanelles où au total, 225 000 Britanniques et 40 000 Français ont péri pour rien. Enfin le général Joffre souligne qu'à son goût, la coopération interalliée est nettement insuffisante et il réclame une aide majeure dans la guerre économique.

Les jours suivants, ces mêmes chefs se retrouvent à Chantilly pour superviser les plans militaires de l'année à venir. Joffre défend le projet d'une nouvelle offensive — décisive — sur la Somme. Depuis quelques jours, il a une autorité plus importante. Il dirige désormais l'opération de Salonique, il a été nommé commandant de tous les fronts français et il se proclame chef interallié.

Une nouvelle fois, le président Poincaré met en garde Joffre sur les offensives à venir. Il serait selon lui plus sage de lancer des attaques sûres et non plus au hasard. Car au 1er janvier 1916, les pertes françaises depuis le début de la guerre sont de 600 000 hommes. L'opinion continue de gronder. Le général Joffre se défend : sans offensive, Falkenhayn en aurait déjà fini avec les Russes ; on ne peut laisser la France immobile et être envahie ; durant l'offensive de Champagne, les Allemands étaient prêts à lâcher. Foch a la responsabilité de préparer une vaste offensive dans la Somme au moyen de trois armées durant l'été 1916.

Sur les conseils des généraux Pétain, Fayolle et Maud'huy, le généralissime tire les leçons des échecs de 1915 et présente une nouvelle tactique d'attaque. Il faut profiter de la guerre immobile pour reprendre son souffle, dit-il. Désormais on va chercher « l'usure de l'ennemi » ; une attaque frontale le déstabilisera, l'artillerie lourde attaquera ses points faibles. D'autre part, on établit également « la décision » : l'effort n'interviendra que si l'usure semble suffisante. Ces nouveautés entraînent une réorganisation totale de l'artillerie à l'échelle de la France. Trois centres de formation pour officiers ouvrent même leurs portes à Châlons, Amiens et Toul. En un an, la production de canons lourds est passée de 740 à plus de 2 000 et celle d'obus de 4 000 à 11 000 par jour. Joffre reconnaît ses erreurs et ne souhaite plus les réitérer.

Le 15 décembre 1915, le général Gallieni met en garde Joffre : « Toute rupture du fait de l'ennemi survenant dans ces conditions engagerait non seulement votre responsabilité mais celle du gouvernement ! » J. Gallieni, 15 décembre 1915.

Le généralissime trouve scandaleux que de telles craintes circulent sans son consentement. Le 5 août 1915, le GQG avait trouvé nécessaire de désarmer en partie les forts de la Meuse pour y transférer les canons sur la Somme. Il ne manque pas de rappeler à Gallieni qu'il a, lui seul, la conduite des opérations. À ceux qui trouvent cela risqué il répond : « Mais non ! Les Allemands n'attaqueront pas dans ce secteur ! ». Le lieutenant-colonel Émile Driant, député et commandant des 56e et 59e bataillons de chasseurs à pied, est l'un de ceux qui sont réputés alarmistes : Joffre menace de le déférer en Cour martiale. Driant sera tué sur le font de Verdun…

De son côté, Falkenhayn se rend compte que la situation est critique pour l'Allemagne, dans les domaines militaire comme économique : il faut « saigner » l'ennemi à tout prix. Dans un premier temps, il choisit Belfort, puis redoutant la réaction helvétique, il se concentre sur Verdun. C'est une place forte stratégique française mais qui manque de communications : il sait qu'une partie du chemin de fer est de l'autre côté du front, les renforts français n'arriveront que par une petite voie au compte-gouttes. En parallèle, la 2e armée s'engagera en Champagne et la 3e sur la Somme. L'attaque est lancée le 21 février 1916.

Joffre et Foch, très occupés à la préparation de l'offensive sur la Somme, sont totalement pris au dépourvu. Les Allemands bombardent Verdun sans arrêt pendant trois semaines. Le fort de Douaumont est pris le 23 février et en quelques jours, les pertes françaises sont hallucinantes : 25 000 soldats hors de combat, 150 pièces d'artillerie détruites, une bande de 7 km perdue. Pourtant les Poilus tiennent le coup. À son tour, le fort de Brabant est pris le 24 et le général Herr, responsable de la région fortifiée, est débordé. Le général Langle de Cary, qui commande le groupe d'armées du Centre, ordonne le repli sur la rive gauche de la Meuse. Le généralissime reste calme et ordonne fermement de ne pas abandonner la rive droite de la rivière.

Joffre nomme le général Pétain commandant de la défense de Verdun et il envoie Castelnau sur place pour diriger les opérations. Dès le 27 février, Pétain organise ses forces afin de prendre en tenaille l'avance allemande ; le lendemain, la 3e armée du général Humbert est même placée sous son commandement direct. Le général en chef télégraphie à Pétain : « Tout chef qui dans les circonstances actuelles donnera un ordre de retraite sera traduit devant un Conseil de guerre ! » J. Joffre, février 1916.

Enfin il ordonne à Pétain une contre-offensive et à Dubail une attaque par le flanc sud. Le 1er mars, Pétain frappe avec 660 pièces d'artillerie lourde. La Voie sacrée permet l'acheminement de 23 000 tonnes de munitions et de 190 000 soldats. Le 6, nouvel assaut de Falkenhayn qui provoque de grosses pertes côté français. Joffre est critiqué au Parlement. Gallieni, ministre de la Guerre entre en conflit avec le généralissime et évoque publiquement les erreurs commises à Verdun. Pourtant Briand ne le suit pas et il doit démissionner. Le général Roques, un ami personnel de Joffre, le remplace. Le haut commandement allemand échoue, ses attaques sur la rive droite de la Meuse sont endiguées et ne donnent pas de meilleurs résultats sur la gauche. Pétain s'exclame : « Courage, on les aura ! » Le 11 mars Joffre écrit à ses soldats : « Soldats de l'armée de Verdun ! Depuis trois semaines, vous subissez le plus formidable assaut que l'ennemi ait tenté contre vous. L'Allemagne escomptait le succès de cet effort qu'elle croyait irrésistible et auquel elle avait consacré ses meilleures troupes et sa plus puissante artillerie. Elle espérait que la prise de Verdun raffermirait le courage de ses alliés et convaincrait les pays neutres de la supériorité allemande. Elle avait compté sans vous ! Nuit et jour, malgré un bombardement sans précédent, vous avez résisté à toutes les attaques et maintenu vos positions. La lutte n'est pas encore terminée, car les Allemands ont besoin d'une victoire. Vous saurez la leur arracher. Nous avons des munitions en abondance et de nombreuses réserves. Mais vous avez surtout un indomptable courage et votre foi dans les destinées de la République. Le pays a les yeux sur vous. Vous serez de ceux dont on dira : « Ils ont barré aux Allemands la route de Verdun ». J. Joffre, 11 mars 1916.

Au mois de juillet 1916, Joffre trouve Pétain finalement trop défensif et il décide de le remplacer par le général Robert Nivelle. Le 15 juillet, le général Mangin lance sa 37e division et approche de Douaumont. Globalement chacun reste sur ses positions. Le 13 septembre, le généralissime se rend à Verdun pour planifier avec Nivelle et Mangin une nouvelle attaque. L'assaut est donné le 24 octobre, tout se passe comme prévu. On progresse de trois kilomètres et le 2 novembre, le général Mangin parvient à reprendre le fort de Vaux. Joffre est ébloui : « Magnifique, incomparable Mangin ! » Le 15 décembre, huit divisions reprennent le haut de la Meuse et 25 000 Allemands sont mis hors de combat. La bataille de Verdun est terminée.

L’offensive sur la Somme

"Il ne dit rien, mais chacun l'entend"
Les plans ont été mis au point par les généraux Foch, Joffre et Haig. Il faut attaquer sur les deux rives. Joffre est irrité par les renforts toujours croissants demandés par Pétain à Verdun. Foch qui voulait 42 divisions et 1 700 pièces d'artillerie lourde aura finalement 22 divisions et 540 pièces. Bien entendu, en terrain découvert, la préparation n'échappe pas au haut commandement allemand. Foch envisage deux attaques : une « à cheval » sur la Somme pour appuyer une offensive britannique. Le général Fayolle rappelle qu'il faut mener un assaut organisé et conduit d'objectif en objectif, précédé d'une préparation de l'artillerie lourde. Le généralissime abandonne définitivement l'offensive à outrance.

Le 1er juillet, l'attaque est lancée à l'aube. La 6e armée de Foch avance de dix kilomètres et fait 8 000 prisonniers, en revanche les Britanniques peinent à franchir les premières positions allemandes. Le général Haig ordonne leur repli ce qui rend Joffre furieux : « Vous attaquerez ! Je le veux ! » crie-t-il. Finalement, les Anglais sont renvoyés sur le front et Falkenhayn doit transférer des batteries de Verdun à la Somme. Le 15 juillet, les chars blindés sont utilisés. En août 1916, Joffre écrit à ses soldats : « Le moment approche où sous la poussée commune s'effondrera la puissance militaire allemande. Soldats de France, vous pouvez être fiers de l'œuvre que vous avez accomplie déjà. Vous êtes décidés à l'accomplir jusqu'au bout ; la victoire est certaine. » J. Joffre, août 1916.

Rapidement un conflit naît entre les commandements français et britannique. Haig conteste les ordres de Joffre. Le généralissime lui demande de se reprendre, en vain. La grande bataille prévue n'aura pas lieu. Dès septembre, les combats ralentissent et le mois suivant, la bataille est quasiment terminée. Joffre et Foch sont déçus, ils ont aéré Verdun, ils ont saigné les Allemands (Falkenhayn est remplacé par Paul von Hindenburg), mais ils n'ont pas brisé l'énergie ennemie. Les Britanniques estiment que le coût est encore une fois lourd pour de faibles résultats : 140 000 morts et 210 000 blessés. Durant le mois d'octobre, les armées françaises combattent seules, mais sans Londres rien n'est possible.

Bien qu'en certains endroits le front ait progressé d'une dizaine de kilomètres à l'avantage des Alliés, l'enlisement de la Somme reste globalement un échec, tout comme Verdun, une victoire « amère ». À l'est, les Roumains déclarent la guerre aux Empires centraux et Joffre leur envoie le général Berthelot. Cependant, la Roumanie est rapidement écrasée. À Salonique, l'armée de Sarrail ne donne aucun résultat. À Verdun, les Allemands recadenassent la ville. On estime le bilan des batailles : au moins 170 000 Français morts à Verdun, 216 000 blessés et autant sur la Somme. Joffre est sérieusement critiqué.

A suivre…