CARTON

140ème semaine

Du lundi 1er au dimanche 7 avril 1917

SANS DOUTE DANS UN OSSUAIRE ANONYME

Emile-Louis Richard, soldat au 3ème Régiment de Zouaves
Disparu le 4 avril 1917 à Cormicy-la-Neuville (Marne)


L’année 1917 a commencé de manière plus clémente que les précédentes pour les Anduziens. Deux morts seulement, si l’on ose dire, en trois mois… Mais à partir du début avril de nouveaux orages vont se lever, et la longue litanie va reprendre, les généraux ayant décidé qu’il était temps d’en finir par une formidable offensive pour percer le front allemand. Ce sera l’offensive du Chemin des Dames, déclenchée le 16 avril, on y reviendra largement dans les semaines prochaines. En attendant on meurt quand même, les fronts s’agitent en essayant de bouger.

Emile-Louis (ou Emile-Marius, selon les documents) Richard est né le 15 mai 1896 au Vigan, d’Armand et de Louise-Eloé née Barry. Quand il est mobilisé il n’a pas de profession. Affecté au 3ème régiment de Zouaves, il arrive au corps le 11 avril 1915, il n’a pas encore 19 ans.

Deux Anduziens appartenant à ce même régiment, le 3ème Zouaves, sont déjà morts au combat :
- Alfred-Maurice Fesquet, mort des suites de ses blessures le 19 octobre 1914 à Saint-Germain-en-Laye (voir semaine 012),
- Edouard-Achille Donzel, tué à l’ennemi le 31 décembre 1914 à Roclincourt (voir semaine 022).
Ce régiment avait mal commencé sa guerre : au moment de son embarquement à Philippeville vers la métropole il avait été bombardé par un croiseur allemand, le Goeben, tranquillement embossé dans la rade : dix morts, vingt blessés, pertes matérielles importantes. Arrivé au front de Lorraine le 12 août 1914 il est aussitôt mêlé à de rudes combats et doit reculer, après avoir perdu 17 officiers et 936 hommes. C’est une retraite douloureuse : « Sur les routes, brûlées par le soleil d'Août, c'était l’exode des Français fuyant devant l'envahisseur. Tous les chemins étaient encombrés de leurs troupes misérables qui allaient, sans but précis, vers le Sud, poussant devant eux leurs troupeaux et traînant dans des véhicules de toutes sortes, les hardes et les bagages qu'ils avaient pu hâtivement y entasser. C’est au milieu de toute cette misère que se poursuivait la retraite de nos soldats : bien qu’épuisés, par la longueur des étapes, le dos brisé par le sac et les pieds en sang, les zouaves marchaient en bon ordre gardant malgré la tristesse de ces spectacles, les désillusions et les épreuves de chaque jour, une force de résolution invincible, qu’ils puisaient dans une obscure et intime certitude de la victoire. »


Puis ce sont toutes les grandes batailles des premières années de cette guerre : contre-offensive de la Marne (septembre 1914), enlisement et combats de tranchées (1915). C’est à ce moment-là qu’Emile-Louis Richard participe à son premier combat le 6 juin 1915. Historique du régiment : « Pour soulager le front d'Artois, une attaque est décidée sur le plateau de Quennevières. Différentes troupes sont désignées à cet effet, dont le 3e Zouaves. Ce régiment est mis au repos pour quelques jours, puis remonte en ligne dans la nuit du 5 au 6 juin. A 3 heures du matin, la préparation d'artillerie, commencée discrètement depuis plusieurs jours, s'accentue brusquement. Les pièces font rage, détruisent les réseaux allemands, bouleversent les tranchées et les abris.
Anéanti par l’intensité formidable de ce feu, l'ennemi ne peut tenir aux créneaux. Les zouaves, hissés sur les parapets, applaudissent à l'adresse de nos artilleurs, et, certains du succès, s'équipent résolument.
La mission du bataillon est d'atteindre le rebord du ravin de Moulin-sous-Touvent, tout en couvrant le flanc droit du secteur d'attaque.
A 10 heures, les sections se glissent dans les sapes russes et occupent les parallèles de départ. A 10 heures 15, l’artillerie allonge son tir, mais déjà le bataillon, devançant l’heure de l’attaque était sorti en rampant hors de la tranchée et, inaperçu avait gagné une trentaine de mètres à travers les hautes herbes qui avaient poussé dans le « No man’s land ».
Puis, d'un élan, la ligne kaki soudainement dressée franchit les première, deuxième et troisième tranchées ennemies, méprisant le feu de mousqueterie et les rafales de mitrailleuses qui causent cependant des pertes sérieuses. De nombreux Allemands sont surpris et tués à la grenade dans leurs abris ; une batterie de 77 est prise avant d'avoir pu ouvrir le feu, tant l’affaire a été vivement menée. Entraînés par leur élan, les zouaves dépassent l’objectif et s'abandonnent à la griserie de courir librement dans les prés émaillés de marguerites. Ils remontent la berge opposée du ravin, marchent vers Puisieux et s'emparent de trois pièces de 150. C'est à ce moment que tombe glorieusement le Sous-Lieutenant Courtois qui entraînait ses hommes en chantant la Marseillaise, aux côtés du père Edouard, aumônier du Bataillon qui malgré ses 56 ans, chargeait en tête du bataillon, une chéchia sur la tête et son crucifix à la main. En cours de route, le Lieutenant Guillemier avait été tué en franchissant une tranchée au moment où il criait « En avant ! En avant ! Vive la France ! » La vague victorieuse continuait à avancer. Il n'y avait plus aucun ennemi devant elle. Le terrain, à perte de vue, était libre. Le moral de tous était exalté au plus haut degré car la trouée était faite ; malheureusement, aucune réserve ne se trouvait à pied d’œuvre pour en profiter.
Le Commandant Charlet, jugeant qu’il serait imprudent de s’engager plus avant, donne l'ordre de se reporter sur la berge Ouest du ravin. On fait sauter les trois pièces prises, et, revenu à hauteur de l'objectif fixé, le bataillon organise la position conquise.
A 15 heures, l'ennemi réagit avec violence; ses obus viennent de l'Est et du Nord. Une contre-attaque presse vivement les bataillons disposés au Nord du secteur, obligeant le bataillon à se mettre sensiblement à l’alignement de ses voisins. La nuit se passe sur cette position : plusieurs autres attaques ennemies sont repoussées. La journée du lendemain est marquée par une très violente réaction d'artillerie ennemie. Puis, le soir, le bataillon est relevé. Ce beau succès nous avait coûté soixante tués et deux cents blessés. »

En septembre 1915 c’est la terrible bataille de Champagne, pour laquelle le 3e Zouaves est cité à l’ordre de la IVème armée : « Sous les ordres du Lieutenant-Colonel Louis, le 25 septembre 1915, s’est rué à l'assaut des positions allemandes avec un élan et un enthousiasme qui confinent au sublime. Bien que pris de tous côtés par un feu formidable d’artillerie et d'infanterie, s'est enfoncé comme un coin dans les lignes ennemies qu'il a crevé sur une profondeur de plus de deux kilomètres, s'est emparé de 11 pièces d’artillerie et de 9 mitrailleuses, a fait 400 prisonniers et ne s'est arrêté, bien qu’ayant perdu son chef et presque tous ses cadres, que lorsqu’il a été à bout de souffle. Dans toutes les circonstances où il a été engagé depuis le début de la campagne, s'est montré à la hauteur des vieux régiments de Zouaves. En Champagne, il les a dépassé ». Signé GOURAUD.

En février 1916 c’est Verdun, le 3e Zouaves y joue son rôle sanglant, notamment autour de Douaumont, au prix de 3 500 hommes tués ou disparus.

Suite de l’historique du régiment : « Le 28 Janvier 1917, le régiment quitte le camp de Mailly pour gagner Reims, où il arrive le 15 Février. Ces étapes sont rendues pénibles et par un froid rigoureux de quinze à vingt degrés, et par le mauvais état des cantonnements.

Plaine de La Neuville, dans la Marne
Du 15 Février au 14 Mars, on confie à nos troupes la garde du secteur de Betheny-Le-Linguet. Pendant cette période, toutes les tentatives ennemies pour forcer nos lignes sont déjouées. Une fois de plus, le 3e Zouaves montre qu'il ne se laisse ni entamer, ni surprendre.
Le 5 Mars, un de leurs groupes d’assaut ayant fait irruption à la faveur d'un intense bombardement dans le secteur de la 43e Compagnie, un groupe ennemi se présente en arrière de nos sentinelles doubles, se saisit de deux zouaves avant qu'ils aient pu donner l'alarme, les désarme et se fait conduire auprès de nos mitrailleuses pour s'en emparer. Les zouaves font semblant de les guider, puis en arrivant près de nos tranchées, ils se dégagent dans un corps à corps, où ils déploient une grande bravoure, et, aussi héroïques que jadis le chevalier d'Assas, ils crient à nos mitrailleurs : « Tirez, ce sont les boches ! »
Après une courte détente dans la région d’Hermonville, le régiment occupe les bords du canal de l'Aisne, vers Cormicy La Neuville. Là encore, nous avons à endurer bien des souffrances physiques ; la neige, la pluie tombent chaque jour. Détrempées par l'eau, bouleversées par les obus, les pistes sont presque impraticables et les tranchées sont transformées en ruisseaux de boue.


C'est dans de telles conditions matérielles que nos zouaves vont, non seulement faire face aux Allemands, mais encore préparer la grande offensive qui est imminente.
Nos travaux d'approche inquiètent l'ennemi qui, pour recueillir des renseignements est prêt à tous les sacrifices.

Le canal et le moulin de La Neuville
Le 4 Avril, après une sérieuse préparation d'artillerie, le front français est rompu sur les deux flancs du régiment ; les allemands s'infiltrant par ces brèches, arrivent dans le dos de nos compagnies de première ligne et le combat s'engage dans un violent corps à corps. Le poste de commandement du Chef de Bataillon complètement isolé est défendu avec acharnement par la section de l'adjudant Canivez : un fléchissement et elle est rejetée dans le canal. Les Allemands sont à quinze mètres et couvrent le poste de grenades. Derrière ses hommes qui combattent et cramponnés au talus, tirent sur l'ennemi à bout portant, l'adjudant se promène et d'une voix qui domine le fracas crie : « Un carton, Messieurs ! 10 centimes le carton ». Grâce à l'esprit de décision du Lieutenant-colonel Philippe et au dévouement de tous, une contre-attaque reprend le terrain occupé et délivre les défenseurs des flots de résistance qui n'avaient pas voulu se laisser submerger : l'ennemi regagne son point de départ ».

C’est au cours de ce jour que disparait Emile-Louis Richard, un mois avant son 21ème anniversaire.

Son corps n’a pas été identifié, mais il repose sans doute parmi les 3 025 inconnus que comporte un des ossuaires de Cormicy-la-Neuville, Nécropole nationale La Maison Bleue. Ce n’est que le 14 juin 1922 que son décès sera officiellement enregistré par le tribunal d’Alès. Son nom figure sur le monument aux morts de la commune.

A suivre…
 
Cimetière militaire de Cormicy, avant sa transformation en Nécropole Nationale