151ème
semaine
Du
lundi 17 au dimanche 23 juin 1917
LA MORT DEVALORISEE DES GRANDS MALADES
André-René Roux
sous-lieutenant au 216ème régiment d'artillerie
mort à son domicile le 17 juin 1919
des suites d'intoxications aux gaz
Le monument aux morts d’Anduze porte l’indication de deux morts pour la France s’appelant ROUX-PLANTIER, Pierre et René. En fait ces deux frères s’appelaient, selon l’état-civil officiel, tout simplement Roux, mais ils avaient adopté en ajout le patronyme de leur mère Suzanne-Marguerite, née Plantier.
Pierre-François Roux est le plus
âgé, il est né le 20 juillet 1889 à Anduze. Nous avons vu son histoire dans le
billet précédent (voir semaine 150).
André-René Roux est né quatre ans plus tard, le 3
juillet 1896 des mêmes parents. En 1915 il est encore étudiant. Il a sans doute
voulu marcher dans les pas de son frère ainé, car il s’engage volontairement le
23 décembre 1914 dans le même régiment d’artillerie, le 38ème, basé
à Nîmes. Il y reste jusqu’en mai 1917, soit à peu près au moment où son frère
Pierre-François est évacué vers les hôpitaux de l’arrière pour cause de
tuberculose, il va mourir à Châtel-Guyon le 12 juin.
Au 38ème régiment d’artillerie de
campagne André-René est d’abord 1er canonnier conducteur puis il est
nommé successivement brigadier le 4 juillet et maréchal-des-logis le 18 octobre
1915. Le 1er mai 1917 il change de régiment pour être affecté en
tant que sous-lieutenant au 216ème régiment d’artillerie de campagne.
La menace des gaz plane constamment
sur les régiments. Aucun n’est épargné. L’historique du 216ème régiment d’artillerie
de campagne comporte les indications suivantes :
- 15 juillet 1916 : La division
toute entière occupe le secteur de Fraize, secteur de montagnes élevées et
d'observatoires splendides. Le bon air des Vosges ne tarde pas à remettre
d'aplomb les hommes fatigués par les gaz. Le secteur est très calme à part
quelques coups de main. On voit toute la plaine d'Alsace jusqu'au Rhin.
- Le 31 juillet 1917, un
bombardement violent accompagné d'obus à gaz cause des dommages aux 1er et 2e
groupes. Le début d'août est marqué par une lutte d'artillerie qui va croissant
tous les jours.

- Novembre 1917 : A la fin du
mois, le personnel est très fatigué. Pendant toute cette période, le courage et
la conscience des gradés et des canonniers, mis à une rude épreuve, furent
remarquables. Souvent des hommes exténués, ayant subi un commencement
d'intoxication, pouvant à peine parler, refusèrent de se laisser évacuer pour
tenir jusqu'au bout avec leurs camarades, sur ce sol qu'ils avaient contribué à
défendre et à reconquérir, en juin et en novembre 1916.
Ce dernier passage correspond bien
à la situation d’André-René Roux. Le
6 décembre 1917 il est cité à l’ordre de la Division : « Jeune
officier ayant un très haut sentiment du devoir militaire. S’est déjà distingué
dans le rang sous Verdun en 1916. Intoxiqué par les gaz au début de novembre
1917, a tenu à rester à son poste jusqu’à la limite de ses forces et a été
évacué après une nouvelle atteinte le 12 du même mois ».
Le lieutenant David Brava,
documentaliste à l’ECPAD, a publié en 2011 une étude (*) sur l’utilisation des
gaz de combat en 1914-1918, dont voici de larges extraits :
« 22 avril 1915, à 17 heures,
saillant d’Ypres en Belgique, un lourd nuage jaune et verdâtre, poussé par un
vent de nord-est, progresse rapidement en direction des lignes françaises
situées entre le canal de l’Yser et le village de Poelcappelle. Immédiatement
pris de nausées et ne pouvant plus respirer, les soldats français, totalement
démunis face à ce nuage mortel, s’effondrent devant leurs camarades présents en
seconde ligne, propageant ainsi un effet de panique dans les lignes alliées. Au
cours de cette journée, 5 000 soldats périssent dans l’attaque, alors que
15 000 ont subi les effets des gaz.
Cette première attaque, préparée
pendant de longs mois par les troupes allemandes, marque le début de l’emploi
massif des agents chimiques et toxiques issus des progrès de l’industrie.
L’utilisation de ces nouvelles
substances à des fins militaires suscite au sein des états-majors l’espoir
d’une percée fulgurante du front, permettant de redonner au conflit sa mobilité
perdue dans l’enlisement de la guerre des tranchées.
Entre 1915 et 1918, les tonnages
produits quotidiennement par les usines pour confectionner les obus au phosgène
ou à l’ypérite deviennent colossaux. Entre juillet 1917 et novembre 1918,
l’Allemagne produit plus de 6 millions d’obus à l’ypérite. Chaque mois, un
million d’obus à arsine sortent de ses usines, provoquant l’épuisement total
des stocks d’arsenic à la fin du conflit.
Du côté de l’Entente, la France et
la Grande-Bretagne mobilisent également leur industrie. Plusieurs usines voient
le jour en France, notamment dans les vallées du Rhône et de l’Isère, bassin de
l’industrie chimique française depuis le XIXe siècle. En mars 1916, la société
du Chlore liquide, dans l’Isère, commence à produire le chlore, corps
nécessaire à l’élaboration d’obus chimique, ainsi que du chlorure de chaux
destiné à la décontamination des lieux infestés par les agents pernicieux.
Après l’apparition de l’ypérite allemande sur le front, en juillet 1917, la
réponse française intervient dès octobre 1917, se concrétisant en janvier 1918 par
la confection d’une ypérite moins chère et plus rapide à produire. La Société
chimique des usines du Rhône passe d’une production de 7 tonnes en avril 1918,
à 500 tonnes en octobre de la même année, permettant à l’armée française de
fournir les autres nations alliées, notamment les États-Unis et l’Italie.
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Dessin de Jules Zingg (1882-1942), collection Musée de la Guerre. |
Confrontés aux terribles effets de
cette nouvelle arme, les soldats doivent vivre quotidiennement avec la crainte
de l’attaque chimique, les obligeant à adopter de nouveaux réflexes nécessaires
à leur survie sur le champ de bataille. Les belligérants développent alors,
souvent dans l’urgence, différents moyens et procédures pour protéger leurs
combattants, qui sont au fil du temps de mieux en mieux équipés contre les
effets des gaz de combat.
Au lendemain de l’attaque chimique
allemande sur Ypres en avril 1915, les autorités françaises et britanniques
commandent ainsi des milliers de masques rudimentaires, qui ne forment qu’un
simple barrage avant les voies respiratoires. Au fil des mois, plusieurs autres
types de protection apparaissent, notamment sous la forme de cagoules ou de
simples tampons imprégnés de solution neutralisante. Sommaires et peu
efficaces, ils sont ensuite remplacés par des protections qui englobent
l’ensemble du visage.
La France se dote en février 1916
d’un masque capable de stopper la plupart des agents chimiques. Entièrement
cousu, fait d’une toile cirée qui englobe aussi le visage des combattants, ce
masque baptisé M2 est fabriqué à plus de 29 millions exemplaires. Il est remplacé
en février 1918 par l’ARS (appareil respiratoire spécial) copié sur le modèle allemand.
Des stratégies pour tromper
l’adversaire et l’intoxiquer à son insu sont élaborées par chaque camp. La
méthode la plus répandue consiste à mêler dans une salve d’artillerie les obus explosifs
conventionnels aux obus chimiques. Les explosions des obus classiques doivent masquer
l’arrivée des munitions au gaz, qui, au moment de percuter le sol, produisent
un son étouffé que chaque combattant apprendra rapidement à reconnaître.
Tout au long de la guerre,
différents moyens d’alertes voient le jour, des plus rudimentaires aux plus
sophistiqués. Allant de la sirène à air comprimée ou à manivelle, de la cloche
d’église récupérée à la douille d’obus frappée à l’aide d’un bâton, ils sont
déployés sur l’ensemble du front, agencés selon des distances précises, et cela
sur plusieurs zones allant de la première ligne à l’arrière du front. Toutes
les consignes édictées par les commandements visent à empêcher l’effet de
surprise et de panique, tant redouté par les combattants.
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Gravure de Otto Dix |
Or les gaz de combat ne tuent pas
forcément en foudroyant les combattants sur leur position. La mort entraînée
par les agents chimiques est avant tout déterminée par la durée d’exposition des
soldats aux agents nocifs. Il apparaît clairement que les doses d’agents
chimiques déployées sur le terrain, pour être mortelles, doivent atteindre des
seuils de concentration par mètre cube très élevés, ce qui incite les belligérants
à se lancer dans une véritable course à la production. Les troupes britanniques
développent une méthode radicale pour lancer leurs attaques au gaz. Appelée Projector
Livens, du nom de leur inventeur le lieutenant Livens, cette arme consiste à
projeter à l’aide de mortiers des bombes remplies de gaz. En arrivant dans les
lignes ennemies, elles libèrent une grande quantité de substances chimiques sur
une zone précise. Entre les mois d’avril 1917, date de la première utilisation
de ce type de vecteur lors de la bataille d’Arras, et le mois de novembre 1918,
plus de 197 000 bombes Livens sont tirées, créant un sentiment d’insécurité
dans les lignes allemandes.
L’emploi des gaz de combat ne
permet pas d’apporter une solution décisive sur le champ de bataille. Les
pertes subies pendant la guerre seront « minimes » en comparaison des 23 millions
de blessés et des 8 millions de morts principalement dus à l’artillerie ou aux
tirs de mitrailleuses. En effet, sur les 495 000 victimes françaises,
britanniques, allemandes et américaines des gaz de combat, « seulement » 20 000
d’entre elles ont succombé à la suite d’inhalation d’agents chimiques ou
toxiques. La plupart des soldats tués par les gaz sont ceux qui ne portaient
pas de masque, souvent par mégarde. Les séquelles liées à la guerre des gaz marqueront
pourtant profondément les anciens combattants, et seront largement soulignées
dans les récits postérieurs à la guerre, dans la littérature, la peinture et le
cinéma ».
André-René Roux, intoxiqué au moins deux fois par
les gaz en novembre 1917, ne s’en remettra pas. Semblable à nombre de ses
camarades il a fini par revenir chez lui, dans la maison familiale d’Anduze. A
l’écart de la vie joyeuse retrouvée par la plupart des Français, il a subi les
séquelles douloureuses de son atteinte, il met un peu moins de deux ans à en mourir
le 17 juin 1919. Juste deux ans après son ainé Pierre-François.
Pour bien montrer qu’ils ne l’ont
pas oublié, les rédacteurs de l’historique du 216ème régiment d’artillerie de
campagne ont tenu à ce que son nom figure sur la liste des morts du régiment,
rare exemple d’une même considération pour les morts glorieux sur le champ de
bataille ou pour les longues agonies dans une chambre obscure.
André-René Roux, a été fait chevalier de la légion
d’honneur à titre posthume en 1925 (JO du 18/10/1925).
Un mot encore à propos des frères
Roux-Plantier : ils furent deux officiers, dans un village où il n’y en
avait pas beaucoup, ce qui fut certainement un motif de fierté pour leurs
parents. Mais leur mort fut particulièrement cruelle : dans l’ombre des
chambres où agonisent les moribonds, lieu dont personne ne voulait plus
entendre parler après la Victoire…
Sur 113 Anduziens morts pour la France
dont nous connaissons le grade, il y eut :
- 5 officiers
- 22 sous-officiers
- 86 soldats
A suivre…