MUTINERIES

152ème semaine

Du lundi 24 au dimanche 30 juin 1917

PÉRIODE PÉNIBLE SURTOUT AU POINT DE VUE MORAL

Participation du 15ème Régiment de Chasseurs à Cheval
à la répression des mutineries de Missy-aux-Bois


L’année 1917 est restée dans les mémoires comme celle des mutineries ayant éclaté sur le front après le désastre du chemin des dames.

1917, imaginez ces soldats, dans la boue, le froid, sous les bombardements des obus ! La même routine incessante et horrible, en quatre ans les terrains d’affrontements ont changés, les équipements également mais pas leurs conditions de vie. De plus, les permissions sont suspendues : le soldat n’a plus aucun lien avec l’arrière, mêmes les lettres sont ouvertes et censurées. Les soldats se trouvent livrés à eux mêmes avec un commandement défectueux qui ne contribue pas à remonter le moral des troupes, un sentiment d’oubli vis-à-vis de l’arrière naît. Par-dessus cela s’ajoute l’échec désastreux de l’attaque du chemin des dames, la troupe n’y voit plus que massacre et attaques inutiles : les soldats n’ont plus aucune perspective de voir la guerre s’arrêter. Tous ces facteurs s’additionnent, provoquant une montée de la grogne parmi les hommes au front.

Mémoires du soldat Lavy
La principale forme de mutinerie observée est le refus par la troupe de monter au front malgré les ordres émanant de l’état major.  Les soldats acceptent de conserver les positions, mais refusent obstinément de participer à de nouvelles attaques vouées à l’échec ou ne permettant de gagner que quelques centaines de mètres de terrain sur l’adversaire. Il y a également des contestations sous formes de chansons : les soldats se manifestent à plusieurs reprises en chantant l’internationale ou en brandissant des drapeaux rouges. D’autres désertent ou se mutilent dans l’espoir d’échapper au front.

Le premier de ces actes d’indiscipline collectifs éclate dans un régiment engagé devant les monts de Champagne, le 17 Avril 1917. Puis, douze jours plus tard, sur le même front, un nouvel incident touche une autre unité. Cependant, l’incident le plus grave se déroule dans la 41ème division, où, les 1er et 2 juin 1917, 2 000 hommes insultent le général qui tentent de les calmer et lui arrachent ses étoiles aux cris de « Assassin ! Buveur de sang ! A mort ! Vive la révolution ! ».

Selon le témoignage de J. Jolinon (avocat de profession) présent sur place, qui sera appelé appelé à servir comme défenseur au conseil de guerre, voici le déroulement des événements :
- 1er juin : les soldats des 36e et 129e RI qu’on transporte vers Roye traversent le village en chantant l’Internationale, en criant à bas la guerre etc…
- 2-8 juin : mutinerie (dite de « Cœuvres » ou « Grande mutinerie » de Missy-aux-Bois du 2 au 6 juin, car c’est finalement là que les mutins se retrancheront et subiront un siège). Le 2 juin, le 370e RI reçoit l’ordre de quitter son cantonnement pour gagner Bucy-le-Long : refus des 17e (à Laversine) et 23e (à Cœuvres) compagnies, notamment parce qu’ils redoutent le moulin de Laffaux dont ils ont entendu parler. La 17e comp. rallie la 19e et un cortège de 150 à 200 hommes passe à droite et à gauche du colonel sans s’arrêter pour aller provoquer à Cœuvres le ralliement de la 23e comp. Manifestation en soirée. Dès le 3 juin, l’essentiel du 370e est parti comme prévu et, selon Rolland, c’est ce qui permet au commandement de minimiser les événements, mais il reste quand même 20% du régiment qui n’est pas monté.
400 mutins s’installent dans les bois autour de Cœuvres puis vont le 3 juin à Missy-aux-Bois où ils sont vite bloqués par la 5e brigade de cavalerie (ils voulaient ensuite rejoindre le 17e à Soissons). Ils ne se rendent que le 8 à 4h du matin. Il semble qu’il y ait eu un vrai meneur (Pernin) d’après une note contenue dans un dossier de demande de révision du procès.
Selon Castex, le colonel Zopff, chef de la sûreté aux armées, aurait reconnu que la mutinerie de Cœuvres aurait été montée par des agents de la sûreté aux armées envoyés déguisés en colombophiles et faisant boire les soldats.
150 soldats sont emmenés dans un camp de prisonniers, Jolinon atteste que les plus irréductibles sont envoyés aux colonies) et 23 meneurs incarcérés à la prison de Soissons (sur 400 mutins : conditions du tri peu claires…). Finalement 31 conseils de guerre (23-25 juin à Soissons) et 17 condamnations à mort (1 seule exécution). Jolinon fait le récit des conditions peu normales du procès avec interventions pour le moins déplacées du président et droits de la défense malmenés. Précisions Rolland (214-215) : le conseil de révision de la 6e armée rejette le recours en révision et le général Maistre demande l’exécution des sentences mais l’affaire est venue aux oreilles des députés, évoquée en comité secret le 2 juillet avec la question de l’intervention possible de la sûreté (sera repris ensuite en accusation contre Malvy d’avoir fomenté les mutineries…). Même s’il n’y est plus obligé depuis le 14 juin, Pétain transmet les recours en grâce à Poincaré qui commue toutes les peines sauf celle de Ruffier, exécuté le 6 juillet à St-Pierre l’Aigle (lourd dossier disciplinaire selon Rolland).
Selon Aristide Jobert en comité secret le 30 juin, qui insiste sur le comportement digne et pas du tout révolutionnaire des hommes pendant la mutinerie, et dénonce la méthode de désignation arbitraire des coupables sans enquête, lors de la mutinerie de « Missy-au-Bois » ce sont 700 hommes du 298e RI qui s’organisent dans leur cantonnement et restent 5 jours sans être ravitaillés.

Daniel-Ernest Rieu, maréchal-des-logis au 15ème Régiment de Chasseurs à Cheval, grièvement blessé le 3 juin 1917, est mort des suites de ses blessures le 4 juin 1917 à l’ambulance de Mourmelon. Sans doute n’a-t-il pas fait partie des manœuvres organisées pour la répression des mutins que raconte le JMO de son régiment :
« - 30 mai : dans la nuit du 29 au 30 le régiment est alerté pour venir prendre un service d’ordre contre des régiments d’infanterie mutinés (129e, 36e, 74e, 274e). Le régiment reçoit l’ordre de se trouver à 5h à 1200 m au sud du village de Jaulzy. En arrivant au point indiqué les escadrons organisent un barrage de manière à interdire aux mutins les routes de Paris et de Compiègne. Les ordres les plus sévères sont donnés pour la répression de ce mouvement.
- du 1er au 3 juin : retour au cantonnement, maintien du dispositif s’alerte.
- 4 juin : le régiment reçoit l’ordre de venir fermer un barrage autour du village de Missy-aux-Bois, occupé par les soldats mutinés du 370 RI, en nombre assez grand, environ 4 à 500. Le régiment monte aussitôt à cheval et vient s’établir à l’Est et au Sud de cette localité. Une section de mitrailleuses est mise en place pour barrer la route Missy-Creveçon. Les escadrons portent en avant des postes de surveillance qui encerclent le village de Missy, jusque vers 150 ou 200m de la ferme occupée par les mutins. Les ordres les plus sévères sont donnés pour intercepter toute communication du village avec l’extérieur : on ne doit ni en sortir ni y entrer. La consigne est de désarmer et arrêter tout isolé qui cherchera à franchir le barrage, d’entourer et de canaliser sur la route toute troupe qui sortirait, de repousser par les armes toute agression.
- 5 et 6 juin : même situation. Le barrage est encore reserré, les consignes deviennent plus sévères. Les habitants du village qui le désirent sont ravitaillés par le régiment et viennent prendre leurs repas au bivouac. Dans la nuit vers 23h, les mutins envoient un habitant du village au Lieutenant-colonel pour entrer en pourparlers. Le Lieutenant-colonel reçoit deux soldats représentant leurs camarades, leur dicte ses conditions et leur impose leur reddition pour le lendemain à 4h : les armes seront déposées à la sortie du village, ainsi que les munitions. Les équipements, le sac, seront conservés. Les hommes seront formés en colonnes par fraction de 10, encadrées par le régiment.
- 7 juin : à 4h les mutins sortent du village et font leur soumission suivant les conditions imposées la veille au soir. Ils sont immédiatement embarqués en camion auto par les soins du 21 CA. Le régiment reste au bivouac. Mais à 12h il reçoit l’ordre de se rendre à Soissons en prévision de troubles possibles pendant les conseils de guerre qui vont fonctionner.
Pendant toute cette période pénible surtout au point de vue moral, l’attitude des cadres et des cavaliers a été parfaite de correction et de sérieux, tous se rendant un compte exact de l’importance pour la discipline de la mission imposée au 15ème Chasseurs ».


Dès la fin de l’offensive du chemin des dames, Nivelle est remplacé par Pétain. Ce dernier parvient à calmer en partie les contestations : Il améliore le sort des soldats en rétablissant les permissions et adopte une stratégie défensive qui limite les pertes en hommes. Pétain ordonne l’arrêt des coûteuses attaques de consolidation qui avaient suivi l’offensive Nivelle. Dans le même temps il s’applique à améliorer la vie quotidienne du soldat.
Cependant afin de réprimer ces mutineries, de nombreux poilus sont sanctionnés : 3 500  condamnations dont 1 381 condamnations aux travaux forcés ou à de longues peines de prison et 554 condamnations à mort dont une cinquantaine sont effectives.

A suivre…

Témoignage du caporal Damiron