TRAVAUX DE CANONNIER

159ème semaine

Du lundi 13 au dimanche 19 août 1917

LA BATAILLE DES FLANDRES (JUIN-NOVEMBRE 1917)

François-Marius Arnaud,
canonnier au 55ème régiment d’artillerie de campagne
mort le 12 août 1917 à Boesinghe de ses blessures multiples


Au fur et à mesure que cett
e énorme guerre s’est développée, l’artillerie a joué un rôle de plus en plus considérable : le nombre des pièces engagées, leur calibre, leur rapidité de tir, furent des éléments essentiels de toutes les attaques aussi bien que de toutes les défenses.

La vie des artilleurs était éprouvante, tant les travaux exigés par la moindre batterie étaient  importants. Placer et déplacer les pièces faisait partie du quotidien des servants, sous le danger constant d’être eux-mêmes pris pour cible par les batteries ennemies.

François-Marius Arnaud est né le 10 février 1891 à Anduze, de François-Perin et d’Anna-Alix Fayet. Au moment de son premier appel en 1909 il est cultivateur. Incorporé en octobre 1910 il est déjà versé dans l’artillerie, au 38ème régiment. Il a signé un engagement volontaire de trois ans. En juillet 1911 il rejoint le 55ème Régiment d’Artillerie de Campagne (RAC) qu’il ne quittera plus. Libéré en octobre 1913 il ne jouit pas longtemps de la vie civile : moins d’un an plus tard il est rappelé à l’activité et retrouve son régiment.

Evidemment mêlé à toutes les batailles de 1914 à 1916, le 55 RAC se trouve début 1917 au repos près du littoral belge quand il doit retourner dans la zone des combats des Flandres, car une grande offensive s’y prépare.

L’historique de ce régiment, publié après la guerre d’après les journaux de marche et d’opérations (JMO), n’est pas ordinaire : beaucoup plus lyrique, voire même parfois poétique, ce texte met en scène la saga de ce groupe d’artilleurs. Nous lui laissons donc la parole…

« Le 2 juillet, le général NOLLET, commandant le 36e C. A. auquel est rattachée la 29e D. I., réunit à Vieille-Église les officiers du 55e et leur esquisse en quelques mots la dure tâche qu'ils vont avoir à remplir et la part glorieuse qui leur est réservée dans la bataille des Flandres. Le repos est terminé, le 55e RAC va reprendre sa place parmi les unités combattantes.

Le lendemain 3 juillet, le colonel, les trois commandants de groupe, les commandants de batterie partent reconnaître les positions que le régiment doit occuper aux environs de Woesten. Ils sont suivis par un fort détachement de travailleurs, car il ne s'agit pas de relever purement et simplement les batteries belges qui jusqu'à ce jour assuraient la défense du secteur, il faut aménager les positions de toutes pièces. Une artillerie formidable viendra prendre place dans cette région et les emplacements de batterie existant sur le terrain sont en nombre trop restreint pour les recevoir toutes. Il est nécessaire de suppléer le plus rapidement possible à cette insuffisance. C'est à cette lourde et pénible tâche que vont s'adonner avec ardeur et ténacité, servants et conducteurs du régiment.


Le théâtre où vont se dérouler les phases successives de la bataille des Flandres est constitué, en ce qui concerne le 55e RAC, par cette partie de la région des Flandres qui s'étend à l'est et à l'ouest du canal de l'Yser entre deux lignes perpendiculaires à ce dernier, passant l'une par le village de Boesinghe, l'autre par la Maison du Passeur, région pleine de souvenirs glorieux où les noms de Dixmude, Bixschoote, Hetsas rappellent les exploits légendaires des fusiliers-marins aujourd'hui incorporés à la 2ge D. I. Ce que chacun voit d'abord du pays, ce sont les abords du canal où les nombreuses luttes d'engins de tranchée entre Belges et Allemands ont laissé des traces ineffaçables. Privés de vie à tout jamais, les grands arbres qui longent les berges dressent vers le ciel leurs moignons déchiquetés et l'on croirait voir une ligne de squelettes conviés à un macabre monôme.


Au delà du canal le terrain se relève en glacis où apparaissent de formidables lignes de tranchées flanquées, de loin en loin, de solides blockhaus. Plus loin est une série de petits bois désignés par des numéros (14, 15, 16, 37). Ces bois sont autant de points d'appui sérieux pour le Boche et constituent l'avancée de la forêt d'Houthulst.

Insolente dans sa force mystérieuse, traîtresse dans tout ce qu'elle recèle de pièges, celle-ci étale au loin ses sombres futaies. Elle constitue pour la 1ère armée, dont nous faisons partie, le premier objectif important à atteindre. En deçà du canal, le terrain se relève pareillement jusqu'à la première ligne de crêtes derrière lesquelles sont nos batteries. Et des deux côtés c'est le domaine de l'eau, celle-ci apparait au moindre coup de pioche.

Les Belges ont dû aménager tous leurs moyens de défense en superstructure. Les abris sont posés sur le sol, les boyaux de communication sont constitués par des couloirs aux parois sorties de terre, au fond desquels des caillebotis disposés convenablement permettent à l'eau de ruisseler sans gêner la circulation. Des piles de sacs à terre disposés sur les berges du canal de l'Yser forment le parapet de la tranchée de première ligne. Par endroits, des blockhaus à mitrailleuses et quelques abris bétonnés complètent cette organisation.

Les lignes de soutien sont conçues de la même manière. Les positions de batteries sont derrière des haies ou à la lisière des boqueteaux. Elles comprennent généralement des casemates légères et des abris bétonnés très bas pour être masqués par le feuillage. Les P. G. sont ordinairement aménagés dans des maisons en ruines, ce qui permet de leur donner de plus grandes dimensions et de les rendre plus confortables.

Les servants des batteries entreprennent courageusement la construction des batteries; debout dès l'aurore, ils construisent les plates-formes qui bientôt recevront leurs pièces. Rapidement, ils aménagent les abris à personnel et à munitions, avec les matériaux que, la nuit, leur apportent les conducteurs. Pleins d'entrain et de gaieté, ils poursuivent leur pénible tâche jusqu'à la nuit, en ne s'accordant que quelques instants de répit pour réparer leurs forces par un repas frugal. Les cuisiniers ne peuvent se distinguer, car la fumée de leurs foyers aurait bientôt révélé nos positions aux observateurs ennemis. Il faut se contenter de peu. Le soir venu, les canonniers se réunissent sous les tentes qu'ils ont dressées aux pieds des haies et tombent harassés de fatigue, s'endormant sans se soucier des tirs ennemis qui deviennent de plus en plus nourris. C'est que l'animation subite du secteur n'est pas passée inaperçue aux yeux des observateurs allemands. Ils ont vite repéré les pistes nouvelles, les positions qui se multiplient chaque jour. Prévenus par le trafic intense, ils sentent venir une attaque et cherchent à l'enrayer par des tirs de contre-préparation. Rien ne peut modérer l'ardeur magnifique des servants du 55e, ni les veilles, ni les pertes qui sont déjà sensibles. C'est à qui montrera le plus bel entrain et le plus profond mépris du danger.

Le 12 juillet, les positions de batteries sont définitivement prêtes à recevoir les pièces et le 55e RAC quittant définitivement ses cantonnements des environs de Guemps vient bivouaquer aux alentours de Crombecke. C'est autour de ce village que désormais resteront groupés les échelons des batteries. Dans la nuit du 15, les canons montés en position occupent les emplacements de combat qui leur ont été préparés, et dès le lendemain, les commandants de batteries commencent à effectuer les réglages et accrochages nécessaires. Les observatoires utilisables sont peu nombreux; tantôt, comme l'observatoire Robinson, une échelle disposée dans la cheminée encore debout d'une ferme à moitié ruinée permet à l'observateur de remplir utilement sa mission; tantôt des crampons permettent de grimper péniblement au faîte des arbres les plus haut d'où l'on domine les ouvrages ennemis. Ce dernier procédé jouissait d'une faveur telle qu'à un moment donné tous les arbres étaient devenus de véritables nids d'observateurs.

Le secteur, si calme au début du mois de juillet, connaît une animation de plus en plus grande à partir du 23, date du commencement de la préparation d'artillerie. Aux détonations sèches des 75 se mêlent sans discontinuer les sourds grondements des canons de 155, 220, 270, 280 qui alignent leurs gueules béantes en arrière, tandis que plus loin en arrière les frères de l'A. L. G. P. accompagnent de leurs mugissements ce concert assourdissant. De toutes les haies, de tous les bois, de toutes les maisons jaillissent des jets de flammes.

Les obus de tous calibres se croisent dans l'air en froufroutant et se répandent sans discontinuer sur les ouvrages ennemis. D'énormes torpilles de 240 bouleversent sans interruption les premières lignes allemandes, escamotant de leur souffle puissant les abris bétonnés et les blockhaus de mitrailleuses les plus solides. Un nuage de fumée noire masque le terrain au delà de l'Yser, enlevant aux observateurs la possibilité de voir le travail accompli par leurs coups. Accablé sous cette avalanche de feu, l'ennemi réagit peu le jour, évitant de dévoiler ses batteries aux innombrables observateurs en avions qui de l'aube au crépuscule surveillent avec vigilance le secteur allemand. Les batteries sont peu contre-battues en général. Mais une fois la nuit venue, l'ennemi sort de sa torpeur et retrouve toute sa vigueur. Des tirs à obus toxiques arrosent sans arrêt toute la région occupée par les batteries françaises. Les carrefours, les pistes sont battus en permanence par des obus de 150. La maison des mitrailleurs où se trouve le PC du 1er groupe devient un véritable carrefour de la mort; le médecin aide-major Vautrain y installe un poste de secours et prodigue avec un dévouement inlassable ses soins éclairés aux nombreux blessés qui y affluent toute la nuit.


Dédaigneux de ces tirs, malgré les lourdes pertes qu'ils subissent, les canonniers accomplissent leur tâche avec un entrain digne d'éloges. Continuellement autour de leurs pièces, souvent le masque sur le visage, exécutant sans relâche, le jour les brèches dans les fils de fer barbelés, la nuit les tirs de harcèlement et d'interdiction, les servants des batteries surmontent courageusement leurs fatigues, ne consentant à abandonner leurs canons que blessés ou intoxiqués par les gaz délétères que les Allemands leur prodiguent chaque nuit. Le Boche vient d'innover l'emploi de l'ypérite. Le 2e groupe et la 7e batterie souffrent plus particulièrement de ces tirs. Nombreux sont les officiers et les hommes évacués, atteints par ce gaz dont les effets sont encore peu connus.

Parties à la nuit tombante pour ne rentrer qu'à l'aurore, les colonnes de caissons alimentent les dépôts de munitions des batteries. Pénible est leur mission, car les échelons sont à plus de 16 kilomètres des positions, les routes sont encombrées à l'arrière et les pistes d'accès, violemment « marmitées», deviennent bien vite des fondrières où s'enlisent chevaux et voitures. Malgré la grande consommation d'obus, les batteries' ne manqueront jamais de projectiles grâce à l'endurance et à l'énergie de nos vaillants conducteurs.

Le 28 juillet, le tir de démolition diminue d'intensité, le rideau de fumée se lève et découvre le bouleversement des lignes allemandes. Nos canons avaient transformé en paysage lunaire cette campagne si verte et si riante quelques jours auparavant, Les bois n'existent plus et les blockhaus qu'ils renfermaient apparaissent chavirés ou éventrés ; les tranchées sont nivelées.

Aux abords du canal les engins de tranchée ont eu raison des abris solides et des casemates masquées. Les occupants de la première ligne, terrorisés par les formidables destructions de nos mortiers, sont venus se rendre à nos hommes des batteries de tranchée. C'est le signal du déclenchement des reconnaissances de l'infanterie et de l'artillerie de l'autre côté du canal. Le terrain est nettoyé. Nos fantassins vont pouvoir partir à l'assaut.

Le 30 juillet au soir, les batteries reçoivent les plans d'accompagnement qu'elles auront à exécuter le lendemain à partir d'une heure H.

Le 31 juillet, à 3h 50, une canonnade d'une intensité inouïe vient apprendre aux Allemands que l'heure de l'attaque a sonné. Les 75 rageusement tonnent sans discontinuer, accompagnant  nos fantassins de leur barrage roulant. L’artillerie lourde avec ses projectiles puissants muselle les défenses ennemies et arrose les pistes d'une véritable pluie pour disperser les troupes de contre-attaque, l’artillerie française est déchaînée. Dans les batteries les officiers font allonger les hausses de minute en minute, de façon à déplacer devant l'infanterie le mur de fer, de flamme et de fumée qui la sépare de l'ennemi. Le pointeur, les mains rivées à ses volants, contrôle sans cesse la direction de sa pièce. Par moment, une main sur le manchon du canon, il vérifie l'état d'échauffement du tube. Tous les bras restent alors en suspens, les regards se fixent sur lui. Soudain son visage s'éclaire d'un sourire : « Vous pouvez y aller, s'écrie-t-il, pas de danger qu'il flanche. » C'est qu'il l'aime, ce canon auquel il prodigue ses soins et il veut pouvoir être fier de lui. Véritables automates, les tireurs ouvrent et ferment les culasses, tirant sans arrêt sur le cordon tire-feu. Les chargeurs, les muscles des jambes tendus, les bras raidis, introduisent les cartouches dans les tubes béants jamais rassasiés. Oubliant les fatigues de la veille, les pourvoyeurs puisent sans arrêt dans les abris à munitions. Pendant cinq heures, le tir se poursuit sans interruption, malgré la contrebatterie ennemie et les rafales d'obus toxiques. Vers 10 heures du matin, un message parvenu des lignes d'infanterie annonce que nos fantassins ont atteint tous les objectifs, sauf sur la droite où quelques mitrailleurs boches résolus offrent une résistance acharnée au Cabaret Korteker.

Le village de Bixschoote a été enlevé de haute lutte. Le tir diminue d'intensité et progressivement s'arrête. Seules quelques batteries continuent un barrage lent devant nos nouvelles premières lignes. Les servants profitent de cette accalmie pour ranger dans les abris à munitions les obus qui leur ont été apportés pendant l'attaque (ravitaillement important, car les batteries ont tiré plus de 2.000 coups); puis, harassés de fatigue, ils s'étendent à côté de leurs canons pour essayer de réparer leurs forces par un moment de repos de courte durée, car il faudra souvent reprendre les tirs et bientôt préparer les batteries à leur marche en avant. Une action de détail effectuée le lendemain, avec préparation d'artillerie, nous rend maîtres du centre de résistance de Korteker auquel l'ennemi s'était cramponné.

Le plan d'emploi de l'artillerie avait prévu le transport du 1er groupe au delà du canal de l'Yser dans la nuit du jour J. Dans la nuit suivante les deux autres groupes devaient effectuer un déplacement analogue. Mais des reconnaissances faites la veille du jour de l'attaque avaient démontré nettement que ces mouvements étaient impossibles. Les ponts étaient à peine amorcés et le terrain aux abords nord du canal était si bouleversé, si chaotique à la suite du tir de l'artillerie de tranchée sur les premières lignes boches, qu'il fallait au préalable exécuter des travaux gigantesques pour rendre ces déplacements possibles.

Le 1er groupe se contente de se rapprocher du canal et les 2e et 3e groupes restent en place.

Le matin du 1er août le régiment au complet se trouve prêt à reprendre sa mission. Mais subitement le mauvais temps se met de la partie et contre nous. Le soleil, qui jusqu'à ce jour avait favorisé nos opérations, disparaît derrière un rideau de nuages noirs et une pluie torrentielle transforme rapidement toute notre zone d'action en un vaste marécage. Fraîchement labouré et retourné par les obus, le terrain qui venait d'être enlevé à l'ennemi est envahi par une boue liquide dans laquelle on s'enfonce jusqu'à mi-jambe : la circulation devient presque impossible, la liaison avec les premières lignes très difficile à établir, les lignes téléphoniques disparaissent en un clin d'œil dans la boue et ne peuvent être entretenues convenablement. L'infanterie organise bien des relais de coureurs, mais ceux-ci mettent si longtemps à transmettre les ordres qu'il ne faut pas songer à les employer pour des plis urgents. Fort heureusement, la T. S. F. rend de grands services en permettant la transmission des demandes de tirs et quelquefois même la réalisation de réglages.

Le rôle de l'artillerie de campagne durant la période qui suit se borne à des tirs de barrage et d'arrosage à la demande de l'infanterie. Les batteries profitent de cet instant de répit pour reconstituer leurs stocks de munitions et perfectionner leurs abris.

Le 12 août, commence une nouvelle préparation d'artillerie en vue d'une action prochaine. L'infanterie doit enlever les lignes du Stembeck et du Broenbeck, objectifs peu éloignés ne demandant pas un long pilonnage. L'artillerie lourde réduit en morceaux les abris bétonnés que les Allemands ont multipliés et qui servent de refuges à de nombreuses mitrailleuses.

Le 2e groupe du 55e, pour se rapprocher des lignes, réussit à franchir l'Yser et à mettre ses canons à l'est du bois 14, position critique que l'ennemi ne tarde pas à repérer et à « marmiter » copieusement. Chaque jour des pièces sont mises hors d'usage. Chaque jour aussi de nouvelles victimes viennent augmenter les rangs des canonniers du 55e qui reposent dans le cimetière de Crombecke. Mais les vides se comblent à mesure qu'ils se créent et le 2e groupe continue ses feux et malgré ses pertes ne faillit pas à sa tâche ».

Ambulances à Boesinghe
François-Marius Arnaud a participé à ces combats, et il en meurt le 12 août des suites de ses blessures multiples provoquées par des obus allemands. Il est immédiatement cité à l’ordre du régiment dans les termes suivants : « Brave canonnier. Mort au champ d’honneur à son poste de combat ». Il est décoré de la croix de guerre avec étoile de bronze. Inscrit sur le monument aux morts d’Anduze il est officiellement reconnu comme mort pour la France.

 A suivre...