164ème
semaine
Du
lundi 17 au dimanche 23 septembre 1917
Ce blog se poursuit sur un double plan temporel :
- avec une correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
- avec un chronologie reprise depuis le début 1914 pour les Tornagais
LES
DEUX FRÈRES LACOMBE
Léonce-Emile
Lacombe,
soldat au 4ème régiment d’infanterie coloniale
Tué
à l’ennemi le 6 octobre 1914 à Massiges (Marne)
Léonce
Lacombe, soldat au 76ème régiment d’infanterie
Tué
à l’ennemi le 19 avril 1917 à Le Choléra
près Berry au Bac (Aisne)
Léonce Lacombe, de Tornac, a eu
deux garçons de son épouse Louise Clément : Léonce-Emile l’ainé est né le 15
septembre 1893 à Tornac, Léonce le cadet est né le 29 mai 1896 à Tornac. Une
fois de plus on note la répétition du même prénom masculin de génération en
génération…
Léonce-Emile Lacombe est appelé sous les
drapeaux quand il a 20 ans en novembre 1913. Il est domestique, doté d’une
assez bonne instruction. Puisqu’il est à l’armée quand éclate la guerre il y
reste, affecté au 4ème régiment d’infanterie coloniale. Sa guerre ne
dure que deux mois, il est tué à Massiges le 6 octobre 1914. En fait il a
disparu, puisque son avis de décès ne sera officiellement inscrit qu’en mai
1916.
Voici comment l’historique de ce
régiment décrit les premiers mois de guerre : « Lorsque parvint au 4e
Colonial l’ordre de mobilisation générale et la nouvelle de la déclaration de guerre,
officiers et soldats étaient prêts. La deuxième manche de la partie commencée
en 1870 allait se jouer ; les Prussiens allaient nous payer Bazeilles.
Soldats de métier, ayant déjà
bataillé sous toutes les latitudes, les marsouins n’avaient qu’une idée ; être
là au premier coup de canon. Chacun avait dans la victoire une foi inébranlable
; elle se lisait sur tous les visages de nos soldats lorsque le train les
emportant vers la fournaise quitta Toulon. A leur départ, la population de
cette ville, à la tête chaude et à l’enthousiasme facile, leur fit une magnifique
ovation et les couvrit de fleurs.
Les premières opérations
auxquelles le régiment prend part se déroulent dans la vallée de la Meuse vers
Stenay et en Belgique où il est employé, au prix de pertes souvent sévères, à
retarder la progression de l’ennemi. Mais obligé de se conformer à l’ordre de
retraite générale, il se replie par la Lisière Est des Ardennes, et la bataille
de la Marne le trouve en position vers Saint-Rémy en Bouzemont au sud de
Vitry-le-François. Il prend ensuite une part très active à la poursuite de l’ennemi.
Enfin commence pour lui la longue
période de stabilisation dans les tranchées de Champagne où, malgré des
souffrances inouïes et des pertes terribles, son moral reste parfait ».
Début octobre 1914 le 4 RIC se
trouve devant les formidables contreforts de « la main de Massiges ».
Après leur défaite sur la Marne les troupes allemandes ont beaucoup reculé mais
restent en territoire français. Elles sont solidement établies sur des
positions qu’elles ont eu le temps et les moyens de choisir et de fortifier.
L’une des positions les plus fortes est la main de Massiges. Forteresse
naturelle dominant la vallée de l'Aisne, cette colline située au nord du
village doit son nom aux courbes de niveau qui dessinent sur le terrain et sur
les cartes une main gauche. Les doigts en sont séparés par de profondes
échancrures.
La Main de Massiges marque la
limite Est du front de Champagne à la jonction du front de l'Argonne. Dès leur
repli début septembre 1914, les Allemands se sont retranchés sur cette hauteur
naturelle dont chaque doigt forme un bastion. Son point culminant, le Mont
Têtu, que les Allemands appellent Kanonenberg, est truffé de formidables
défenses, sans cesse renforcées. « La main », comme disent les soldats,
deviendra l’un des sites les plus redoutés par les régiments chargés d’en
donner l’assaut, à juste titre puisqu’il restera imprenable jusqu’à la toute
fin de la guerre.
C'est sur cet obstacle que butent
dès le 13 septembre 1914, les troupes du Corps d'Armée colonial de la 4e Armée
française, qui participaient à la contre-offensive succédant à la première bataille
de la Marne. Le 4ème Régiment d’Infanterie Coloniale fait partie de cette
armée.
L’un des régiments voisins, le 8
RIC, écrit dans son JMO : « 17 septembre – Tout mouvement en avant
est interdit aux bataillons, ils ont toujours devant eux un ennemi très
vigilant soutenu par une nombreuse artillerie à laquelle nos 75 ne répondent
que très faiblement. Vers 14 h des salves d’artillerie ennemie balayent nos
crêtes pendant 20 minutes. Les pertes sont de 6 hommes hors de combat ».
L’Anduzien Paul Bernard, 27 ans,
fait partie de ces hommes (Voir semaine
007 de ce blog).
Un peu plus tard, le même JMO
précise : « 21 septembre – L’ordre de l’armée est d’attaquer aujourd’hui
l’ennemi. L’attaque sera préparée et soutenue par la grosse artillerie. Heure
du commencement des attaques : pour toute l’armée à 11 h. Cette heure est celle
du franchissement de la ligne de résistance par les premiers éléments de
l’attaque. Le mouvement en avant sera prononcé par le 22ème colonial à la
droite duquel marcheront deux Cies du 8ème qui se dirigeront vers la cote 199.
Ces unités marcheront sur un très grand espace de manière à offrir le moins de
prise possible aux feux de l’ennemi, et leur première ligne sera formée de
tirailleurs à 3 ou 4 pas ; celle-ci marchera très lentement de manière à
pouvoir rester toujours alignée et à n’offrir aucun point saillant aux
contre-attaques ennemies. Elle se portera par bonds de position en position, en
se défilant le mieux possible et en ne repartant que lorsque les hommes auront
largement repris haleine. L’artillerie préparera l’attaque en couvrant d’obus
tous les terrains en avant de l’infanterie et en déplaçant peu à peu son tir
vers le Nord. L’infanterie avancera à mesure que les projectiles auront nettoyé
le terrain devant elle.
Réalisation : les deux compagnies
du 8ème prennent leurs dispositions d’attaque à 11 h : objectif cote 199. Ces
deux compagnies progressent lentement, peu soutenues par l’artillerie. Le 22ème
ne se trouve pas à l’emplacement qu’il devrait occuper. Vers 14 h les deux
compagnies sont arrêtées par des tranchées fortement occupées par l’ennemi. A
la nuit tombante le bataillon rentre avec 50 hommes hors de combat. La nuit est
calme.
« 22 septembre – A 4 h le général
communique au 8ème que les mouvements d’attaque doivent reprendre : vous ferez
remarcher dans la direction du 199 le bataillon du 8ème colonial qui a commencé
ce mouvement hier ; il se portera à l’attaque des tranchées allemandes qui sont
en face, à la pointe du jour, ou avant le jour si c’est possible, de façon à ne
pas être en butte au feu de l’artillerie et à soutenir le flanc du 22ème. Vous
me rendrez compte d’heure en heure de ce mouvement en usant du téléphone ».
Réalisation : les compagnies
partent en première ligne, elles gagnent du terrain en avant mais elles sont
peu soutenues par l’artillerie et les autres régiments ne sont pas aux
emplacements prévus. Tout l’effort des Allemands se portent contre elles. Après
s’être maintenues sur place elles décrochent et regagnent leur point de départ.
Environ 200 hommes hors de combat, parmi lesquels un capitaine et deux
lieutenants. Ainsi que deux Anduziens, Meynadier
Louis César, 28 ans, tué à l’ennemi, et Séquier
Fernand Albert, 28 ans aussi, disparu (Voir
semaine 008 de ce blog).
Le 4 RIC n’a pas subi un meilleur
sort. Sous les bombardements incessants il s’est terré entre deux vaines offensives.
Léonce-Emile Lacombe fait partie le 6 octobre 1914 des
victimes de ces bombardements, son corps n’a pas été identifié. Il avait à
peine plus de 21 ans.
Léonce Lacombe le cadet n’est
incorporé qu’en avril 1915, avec un an d’avance comme toute la classe 1916. Il
est marchand de bois. Il est d’abord affecté au 111ème RI, puis
passe au bout d’un an au 76 RI, très précisément le 17 avril. Il y mourra juste
un an plus tard, le 19 avril 1917, lors de l'offensive lancée par le général
Nivelle au Chemin des Dames..
L’offensive dans laquelle ce jeune
homme succombe n’est pas une attaque parmi d’autres, comme les autres :
elle voit pour la première fois l’usage du char d'assaut français, nouvelle
arme blindée motorisée montée sur chenilles. Il s'agit des modèles Schneider et
Saint-Chamond.
![]() |
Le premier char Schneider |
Lors de la première offensive, le
16 avril 1917, 128 chars Schneider, répartis en deux groupements, ont pour
mission de percer le front sur sa partie orientale, au carrefour dit du
Choléra, entre Corbeny et Berry-au-Bac.
Trop lourds, les engins
s'embourbent rapidement, et trop vulnérables, leur réservoir n'étant pas
protégé, ils sont des cibles faciles pour l'artillerie allemande. Cette journée
est aussi cruelle et sanglante pour ces pionniers de l'artillerie d'assaut.
Sur les 720 officiers et hommes
d'équipage, 180 sont tués, blessés ou portés disparus. Parmi les tués, le
commandant de ces groupes de braves, le chef admiré Pierre Bossut, dont le char
est touché par un obus, est inhumé par ses hommes, le 18 avril, dans le petit
cimetière de Maizy.
52 chars sont touchés par
l'artillerie ennemie (35 ont pris feu) : 15 par tir direct et 37 par tir
indirect. Et 21 appareils sont immobilisés par panne, qu'elle soit mécanique ou
de terrain (enlisement).
Historique du 76 RI au début avril :
« Dès lors, c'est la préparation intensive de l'attaque avec transport de
munitions et de torpilles en première ligne, travaux de terrassement. Les
bombardements, si rares en hiver, deviennent de plus en plus violents. L'ennemi
répond vigoureusement, et commence à inonder le bois de Beaumarais d'obus à
gaz.
Enfin, l'attaque est décidée ; le
jour J est le 16 avril.
La préparation d'artillerie, qui a
commencé depuis plusieurs jours, s'accentue dans la nuit du 15 au 16, pour
atteindre son maximum le 16, à 6 heures, heure H.
Les bataillons de tête, marchant
dans les traces du 89ème, à l'ouest du Ployon, atteignent, sousun feu nourri,
nos premières lignes, le P.C. du régiment s'installant au centre « Marceau ».
Les tanks débouchent du bois en
colonne par un. Un avion ennemi signale leur apparition, et aussitôt, un feu
d'enfer est dirigé sur eux, causant de très grosses pertes au 2ème bataillon.
Les tanks, sous ce feu, continuent leur avance, se dispersent, tournoient,
brûlent et s'arrêtent désemparés, avant d'avoir atteint la première ligne
ennemie.
Les Allemands se cramponnent à la
route 44, au bois de l'Enclume et au bois en T. Le plateau de Craonne, attaqué
par des unités du 1er corps, résiste ; l'ennemi nous prend de flanc sous ses feux
nourris de mitrailleuses. Les premières vagues n'avancent plus. Le 89ème fait
savoir qu'il est arrêté sur la route 44. Dès lors, les compagnies restent sur
les emplacements atteints, s'y organisent, en vue d'une contre-attaque
probable.
La nuit vient. Le régiment reçoit
l'ordre de se replier et de reprendre les anciens emplacements dans le bois de
Beaumarais et château de Pontavert. Le mouvement s'exécute à la lueur des tanks
qui continuent à se consumer.
Dans la nuit du 17 au 18, le
régiment fait mouvement à nouveau. Il s'installe d'abord en arrière du bois des
Boches et du bois des Buttes, puis est acheminé, par l'ouvrage « Jeanne d'Arc »
et le boyau « Tirpitz », sur les nouvelles positions, en face de Juvincourt.
Ainsi se terminait cette attaque
du 16 avril 1917, qui s'annonçait comme irrésistible, et pour laquelle on était
parti plein de confiance. L'avance avait été faible, les pertes sensibles, mais
le moral n'en était nullement atteint : on avait attaqué, on avait gagné du
terrain, on avait senti la puissance grandissante de notre armement, on pensait
que la percée n'était qu'une partie remise ».
Le JMO du régiment, écrit sur le
vif, ne dit pas autre chose :
Les jours suivants les bombardements
allemands sur les positions françaises se poursuivent.
C’est sous ces bombardements que Léonce Lacombe est tué le 19 avril 1917, trois ans après
son frère mais au même âge, tout juste 21 ans.
A suivre…
![]() |
Les noms des deux Lacombe sur le monument de Tornac, hélas bien effacés... |