EXCESSIVEMENT PÉNIBLES

Semaine 177

Du lundi 16 au dimanche 22 décembre 1917

Ce blog se poursuit sur un double plan temporel :
- avec une correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
- avec une chronologie reprise depuis le début 1914 pour les Tornagais

L’ECHEC D’UN COUP DE MAIN

Féline-Pierre Aubanel
Soldat au 24ème Bataillon de Chasseurs Alpins
Disparu le 28 novembre 1914 à Oosthroek (Belgique)


Féline-Pierre Aubanel est né le 22 décembre 1875 à Boucoiran, de Jean et de Marie née Janvier. En 1895, date de son service militaire, il est cultivateur et réside à Tornac. Il ne mesure que 1,61 mètre, ce qui ne l’empêche pas d’être incorporé dans les Chasseurs Alpins (ou Chasseurs à pied) qui ne prennent en principe que des hommes de grande taille capables d’assurer la mise en place des pièces de canon sur le bât des mules.


Au moment de la déclaration de guerre, il a déjà 39 ans, ce qui fait de lui un de ces anciens surnommés « pépères ».  Cela explique qu’il reste d’abord dans la réserve, mais comptenu des hécatombes d’août 1914 il rejoint le 20 septembre le 24e bataillon de Chasseurs Alpins. Après avoir terminé ses manœuvres dans les Alpes, celui-ci avait été rapidement dirigé sur la frontière de l'Est. Il a participé aux premiers combats de Dieuze, avec des pertes sensibles (plus de 600 tués, blessés et disparus).

Soldats du 24 BCA au repos
En septembre, c’est la bataille de la Marne. Puis le 24 BCA est dirigé dans le secteur de Verdun, où les Allemands ont réussi à percer le front au niveau de saint-Mihiel. C’est à ce moment-là que Féline-Pierre Aubanel rejoint son bataillon.

Le 24 BCA occupe successivement Beauzée, Bulainville, Saint-André, Ippécourt, Vadelaincourt, Nixéville, Fromeréville, Germonville, le bois Bourrus et s'établit dans la soirée du 15 sur les pentes sud du « Mort-Homme ».

Le 23 septembre, vers 17 heures, le lieutenant-colonel commandant le bataillon reçoit l'ordre de porter quatre compagnies vers le nord-ouest du bois de Cheppy, devant la ferme de Neuves-Granges. Les quatre compagnies restantes tiennent le Pont-des-Quatre-Enfants.

Grâce à leur supériorité numérique écrasante, les Allemands réussissent à rompre nos lignes à notre droite, vers le bois de Malancourt et, suivis de leur artillerie, ils s'avancent sur la forêt de Hesse. La situation du demi-bataillon des Neuves-Granges devient dès lors très critique, sa retraite pouvant être coupée vers le Pont-des-Quatre-Enfants. Malgré cette menace, deux de nos compagnies (lre et 3e), ayant surpris des détachements allemands avec leur artillerie se dirigeant vers Avocourt, les arrêtent à la ferme des Neuves-Granges. Après avoir essayé à trois reprises de nous chasser de la lisière du bois de Cheppy, les Allemands cessent toute opération d'infanterie et se contentent de bombarder le bois.

Deux des compagnies du Pont-des-Quatre Enfants (4e et 8e) sont envoyées par le général Gouraud à Avocourt, pour barrer la route à l'ennemi qui avait réussi à franchir nos lignes dans le bois de Malancourt. Elles se font hacher sur place par un ennemi très supérieur en nombre, laissant 450 hommes sur le terrain.

La bataille s'arrête vers 20 heures. Le 24e maintenait intégralement toutes ses positions. Il venait d'arrêter net la marche de l'ennemi sur Verdun.

Le combat du 23 septembre fut le plus sanglant que le bataillon ait soutenu depuis le début de la campagne. C'est l’une des pages les plus glorieuses de son histoire. Le 1er octobre 1914, le général Sarrail, commandant la IIIE armée, cite à l'ordre de l'armée les officiers du 24 BCA pour le motif suivant : « Se sont particulièrement distingués le 23 septembre dans le combat où deux compagnies du 24e bataillon de chasseurs ont arrêté net l'offensive ennemie en perdant les quatre cinquièmes de leur effectif. »

Le 29 octobre, vers 15 heures, le 24e reçoit l'ordre de pousser en avant pour s'emparer du bois de Forges. Trois de nos compagnies se portent sur le moulin de Ruffecourt et passent successivement sur la rive nord du ruisseau de Forges. A 16h 30, les 6e et 24e reçoivent l'ordre de se porter à la baïonnette à l'attaque des tranchées allemandes, situées à 10 mètres du bois de Forges. A la sonnerie de « En Avant » donnée par le 6e, le 24e s'élance avec un courage admirable à l'assaut des retranchements ennemis. Le bataillon est immédiatement pris à partie par un feu violent d'artillerie lourde et de mousqueterie. Le bataillon se reforme au sud du bois du moulin de Ruffecourt, prêt à toute éventualité. La nuit arrive et arrête toute opération.

Image de propagande du Petit Journal
En Belgique - Du 15 au 22 novembre, le bataillon fait le service des tranchées dans les avancées d'Ypres, dans des conditions extrêmement pénibles par suite du froid, de la neige, de la pluie et des bombardements qui atteignent parfois une intensité considérable. Le 28 deux compagnies tentent un coup de main sur les tranchées adverses, éloignées de 40 mètres. Arrivée sur l'objectif, la lre compagnie est décimée par le feu des mitrailleuses ennemies. Elle perd la moitié de son effectif. 150 disparus.

Plus précisément, le JMO retrace ces jours-là :
« Le 24 BCA, avec ses 1520 hommes, débarque à Bailleul le 13 novembre 1914.  Le 14 il part occuper des tranchées dans le secteur d’Oosthroek. Cette installation se fait « dans des conditions excessivement pénibles par suite de la pluie, du froid et de la neige, séjour sans relève dans des tranchées non couvertes et sans abri. Il est soumis les 15 et 16 à un bombardement d’une violence inconnue jusqu’à ce jour.
22 novembre – relève à 2 heures, départ pour un cantonnement à Kruistraat à l’asile des aliénés. Le 24 il reçoit un détachement de 430 chasseurs, dont 350 jeunes soldats.


25 novembre – Retour aux tranchées. Tous les jours et en particulier le matin vers 9 h et le soir de 16 à 17 h les Allemands bombardent nos tranchées sans grands dommages (2 tués, 8 blessés).
28 novembre – Tentative d’un coup de main sur les tranchées allemandes. Les compagnies se lancent dans un dédale de tranchées et de boyaux, sans aucune possibilité de déploiement. Les hommes de la 1ère compagnie, supérieurement entrainés par leurs officiers et sous-officiers, s’élancèrent à l’assaut des tranchées allemandes éloignées d’environ 40 mètres. Ils rencontrèrent dans leur course folle, et en avant des tranchées proprement dites, un fossé très large et très profond dans lequel ils sautèrent pensant être dans les tranchées elles-mêmes. Dans ce fossé seuls quelques hommes veillaient. Les Allemands qui n’avaient pas encore bougé ouvrirent alors un feu étagé, de haut en bas et d’enfilade qui eut pour résultat d’anéantir en quelques minutes tous nos hommes encagés dans le fossé. Le feu était accompagné du jet de nombreuses grenades à main. La nature du terrain empêchant de continuer le mouvement en avant avec quelques chances de succès, le capitaine commandant le secteur, témoin de la tournure des événements et comprenant qu’il eût été fou d’essayer de continuer l’opération, le bénéfice de la surprise s’imposant en pareil cas, étant perdu, décidé d’arrêter le mouvement. Le coup de main avait échoué en raison des difficultés du terrain et de l’importance des retranchements ennemis, et malgré les pertes importantes subies par la 1ère compagnie (environ 50% de ses effectifs) et l’énergie et la vigueur déployées par son commandant le capitaine Fautrière dont la conduite a été ce qu’elle avait toujours été, au dessus de tout éloge.
Tous les blessés purent, au prix de pénibles recherches, être ramenés en arrière, et quelques uns de nos morts retirés des tranchées reçurent les honneurs dus à tous ceux qui tombent glorieusement à leur poste pour la défense du drapeau ». Dans cette affaire le bataillon perd 4 tués dont  le capitaine Fautrière, 24 blessés et 126 disparus.

Féline-Pierre Aubanel fait partie de ces disparus. Son décès ne sera officiellement acté qu’en 1920. Il figure sur le monument aux morts et sur le livre d’or de Tornac.

A suivre…