LA MORT AU CHAMP DU SEIGNEUR


195ème semaine

Du lundi 22 au dimanche 28 avril 1918

Ce blog se poursuit sur un double plan temporel :
- avec une correspondance exacte de cent ans pour les Anduziens
- avec une chronologie reprise depuis le début 1914 pour les Tornagais

LA JOURNÉE LA PLUS MALHEUREUSE

Maurice THOMAS
Sergent au 170ème Régiment d’Infanterie
Tué à l’ennemi le 4 mai 1917 au Champ du Seigneur (Marne)


Maurice-Philippe-John-Louis THOMAS est né le 6 septembre 1885 à Tornac, de Louis-Amédée et de Césarine-Delphine-Mathilde Hillaire. En 1905, il est commis de banque. Il fait son service dans le 40 RI à Nîmes entre 1905 et 1908. Il est promu caporal le 19 juillet 1907. Réincorporé le 4 août 1914 dans ce même 40 RI, il y passe sergent le 14 décembre. Puis il est transféré au 170 RI le 26 septembre 1916.

Le sergent THOMAS
Voici le parcours, malheureusement classique, de ce 170ème régiment jusqu’en mai 1917 :
1913 ; Casernement : Épinal
Affectations: Défense de la forteresse d'Epinal
1914
Opérations d'Alsace : Mulhouse (13 août)
Premier engagement le 24 septembre à Merviller (Meurthe-et-Moselle). Le régiment perd le premier de ses 2816 tués de la Grande guerre
1915
Champagne : Cote 196 (début mars), Le Mesnil-les-Hurlus - Bois Jaune Brûlé (13 mars)
Meuse : Les Eparges (fin avril-début mai). Artois : Notre Dame de Lorette (mai), Angres et Vingré (juin à septembre). Champagne : Souain, Somme-Py (28 septembre au 23 novembre)
1916
Bataille de Verdun : Eix, Douaumont (25 février), Bois de la Caillette, Thiaumont (27 avril). Bataille de la Somme : ferme de Monacu (juillet), Cléry-sur-Somme, bois des Berlingots (octobre-novembre).
1917
Aisne : Loivres, bois de Séchamp

Surnom de ce régiment,
donné par les Allemands :
Les hirondelles de la mort
Fin avril 1917, le régiment se trouve dans l’Aisne, du côté du Chemin des Dames. La ligne allemande le sépare des villages de Loivre et de Berméricourt, il faut franchir un canal pour y parvenir.
JMO du régiment :
« Les balles de mitrailleuses battent fréquemment les passerelles trop rares jetées sur le canal. L'ennemi nous surveille ; il s'attend à l'attaque. Aussi bien ne tardera-t-elle pas. Divers mouvements entre bataillon ou compagnies du 170e, du 174e ou du 409e la font prévoir, notre circulation étant vue des lignes ennemies.

Le 3 mai, ce bataillon remonte en ligne ; tout le régiment se met en position d'assaut. C'est le 4 mai, à 6h50 (ordre du 3 mai 1917, 20 heures) que le régiment sort des tranchées.

En première ligne, deux bataillons sont disposés du nord au sud. 1er bataillon (capitaine Grivaz), avec les 3e et 2e compagnies en tête, la 1ère en soutien. 2e bataillon (commandant de La Baume), avec les 7e et 6e compagnies en tête, la 5e en soutien. En deuxième ligne, le 3e bataillon (bataillon de Lavergne) en réserve sur la rive nord du canal. Le P.C. de Lamaze est transporté pour l'attaque au P.C. de Lavergne (bastion Jemmapes). Le colonel de Lamaze, commandant le sous-secteur, a encore un peloton du 123e R.I.T. chargé de la police des tranchées et de la conduite des prisonniers ; un peloton du génie de la compagnie 13/62 (capitaine Hirchener), dont une section chargée de la réfection des tranchées conquises. Une section employée à l'entretien des passerelles sur le canal ; enfin la section routière du 170e, destinée aux corvées et aux travaux de sous-secteur.

A 6h20 environ, un avion ennemi survole nos lignes et lance des fusées ; il fait, à 6h40, déclencher un violent tir de barrage sur nos premières lignes et le canal. Néanmoins, à 6h50 (heure H), le régiment sort de ses tranchées avec entrain et marche sur ses objectifs. Les premières vagues progressent, mais à gauche du 1er bataillon, un blockhaus non détruit (64-23) prend de flanc la ligne d'assaut. A gauche également du 1er bataillon, notre 75 fait barrage sur la lisière du Champ du Seigneur au moment où la première vague a déjà pénétré dans ce bois. A la droite du 1er bataillon, les fils de fer n'ont pas été suffisamment détruits et la progression se ralentit pendant que les mitrailleuses non détruites se révèlent.


Au deuxième bataillon, le détachement Sicard et la 6e compagnie échelonnés la droite en avant, progressent d'abord facilement, puis sont pris à partie par des mitrailleuses tirant du bois du Seigneur et de la tranchée de Transylvanie. Malgré ces tirs le détachement Sicard arrive devant son objectif (triangle Pola) en liaison avec le 363e. Le lieutenant Eudes, avec des éléments de la 6e compagnie, arrive jusqu'aux abords du boyau de Pola et s'installe dans les trous d'obus. La progression de la 7e, partie en liaison avec la 2e compagnie, se heurte dès le début aux fils de fer non détruits dans la tranchée de Blume ; obligée d'engager une lutte dans la tranchée, elle ne peut en déboucher que vingt minutes après. Cependant, elle réussit à atteindre par certains éléments la lisière du bois à la hauteur de la 2e compagnie, mais déjà il n'y a plus de liaison avec la 2e ni avec la 6e compagnie. Le bataillon n'est plus dirigé pendant une dizaine de minutes, le commandant de La Baume ayant été blessé vers 7h10, le capitaine adjudant-major Malpas tué vers 7h15. Ce n'est qu'à 7h20 que le lieutenant Jonet put être prévenu et prendre le commandement du 2e bataillon. Quand au 3e bataillon, il progresse sous un violent tir de barrage. Il atteint à 7h10 la lisière sud-ouest du Champ du Seigneur et commence le nettoyage des abris dépassés par le bataillon de première ligne.

Soudain, à partir de 7h20, des contre-attaques fortement organisées et menées avec ordre débouchent du bois au nord du blockhaus 64-23 ; elles sont menées de front et de flanc. D'autres partent de la voie ferrée étroite vers 62-20. Elles agissent également de front et de flanc. Le capitaine Grivaz disparaît ; le capitaine adjudant-major de Ponchalon est tué ; L'infanterie ennemie enfin part du boyau de Pola et du Triangle.

La ligne de combat est engagée à ce moment à réduire des nids de mitrailleuses ; des abatis et des fils de fer reliant entre eux les arbres tombés l'ont empêchée de marcher à la vitesse des tirs de barrage. Elle n'est donc plus protégée par l'artillerie ; le brouillard et la poussière empêchent que nos artilleurs aperçoivent les fusées. L'ennemi a profité de cette situation critique pour nous assaillir par le côté et par derrière avec des troupes habilement dissimulées sous bois.

Nos soldats s'efforcent de tenir tête mais l'isolement dans le bois et la menace d'encerclement jettent le trouble dans les différents groupes qui refluent en arrière, entraînant dans leur repli jusqu'aux tranchées de départ les éléments du bataillon de Lavergne qui n'ont pas le temps de se constituer en ligne d'arrêt.


Ce n'est que vers 8h30 que la situation se stabilise dans les tranchées de départ et dans la tranchée de Blume où nous gardons la cote 81. Des éléments, en outre, sont restés dans les trous d'obus et font face à l'ennemi avec un admirable courage ; c'est ainsi qu'une partie de la 9e compagnie, avec le lieutenant Moricet, reste jusqu'à la nuit devant la lisière sud-ouest du bois ; le lieutenant Eudes et quelques hommes de la 6e compagnie se sont maintenus devant le boyau de Pola ; Sicard, avec son détachement s'incruste devant le Triangle et ne se repliera que lorsque le 363e R.I., à sa droite aura rejoint ses tranchées de départ. Par l'effort de tous ces braves, la poussée allemande est arrêtée, la liaison rétablie ; le régiment se réorganise dans les positions qu'il occupe dès 8h30.

A 23 heures, le bataillon de Lavergne et le 3e bataillon (Laugier) du 409e relèvent nos 1er et 2e bataillon qui, épuisés, redescendent le 1er au bastion Jemmapes, le 2e aux avancées de Cauroy. Le régiment avait eu, au cours de cette journée qui fut pour lui la plus malheureuse de la guerre, 65 tués dont 5 officiers, 327 blessés dont 7 officiers, 148 disparus dont 6 officiers.

En dépit de ces pertes et de la violence de la résistance ennemie aidée par la préparation défectueuse de l'attaque et la connaissance qu'eut l'ennemi de l'heure H, le régiment à conquis du terrain et fait 186 prisonniers dont un lieutenant commandant de compagnie et dix sous-officiers (90e régiment d'infanterie et 6e régiment d'infanterie de la Garde) ».

C’est ce jour-là, 4 mai 1917, que meurt Maurice THOMAS dans le bois dit « Champ du Seigneur ». Un tel nom, peut-être, fut une consolation pour ce protestant en ses derniers moments…


Capitaine Malpas
Le même jour, au même endroit, mourut le capitaine Malpas. Il était Adjudant-major du 2è bataillon du 170è RI sous les ordres du Commandant de la Baume. Au matin du 4 mai 1917, le Commandant de la Baume est blessé à 7h10 et le Capitaine Malpas est tué vers 7h15. Il reçoit une citation à titre posthume publiée sur le Journal officiel en 1920 : « Officier brave et consciencieux, qui s'était déjà signalé par sa belle conduite devant Verdun. Mort pour la France en Champagne le 4 mai 1917 ». Et il bénéficie d’un monument personnel, sur le territoire de la commune de Loivre.

Maurice THOMAS figure sur le Monument aux morts de Tornac mais pas sur son Livre d’Or. Il figure aussi sur le Monument aux morts d’Arpaillargues-et-Aureillac (Gard) ainsi que sur son Livre d’Or.
A suivre…