56ème
semaine
LES
FUSILLÉS DU 163 RI
Fabre
Eloi-Félix-Eugène, passé par les armes le 26 août 1915
Quatre
Gardois ont été fusillés entre 1914 et 1918. Nous avons déjà vu le destin de Joseph-Louis
Eymonet, de Villeneuve-les-Avignon, 61ème RI, fusillé le 11 septembre 1914 à
Trémont (Meuse) (voir semaine 025), et d’Alfred Loche, de Bessèges, passé par
les armes le 11 novembre 1914 à Montzéville (Meuse), (voir semaines 031 à 034).
Voici maintenant l’histoire du troisième d’entre eux.
Non loin des frontières
avec l'Allemagne et la Belgique, au croisement des routes reliant Saint-Mihiel
à Pont-à-Mousson, se situe la petite commune de Flirey qui se révélera comme
une position stratégique dès les premiers mois de la première guerre mondiale.
En septembre 1914 de violents combats se déroulent dans la région et les
villages jusque-là épargnés seront ravagés par les bombardements. Une ligne de
front de 16 km s'établit entre Flirey et Apremont.
Le 163e régiment
d'infanterie, originaire des Alpes-Maritimes, s'est illustré dans les combats
dans la zone de Flirey de mars 1915 à mars 1916 et va subir de nombreux assauts
allemands lors de l'offensive de la Marne. Placé devant le bois de Mortmare, il
tient la ligne de défense en direction de Toul et de Verdun. Pendant 11 mois le
régiment niçois s'y fait massacrer afin de contenir l'ennemi.
La campagne de
Flirey compte parmi les combats les plus pénibles du fait de sa longueur, de
son intensité et des pertes provoquées par une artillerie monstrueuse. La
souffrance des poilus atteignit son apogée dans cette guerre des tranchées au
point que des mutineries éclatèrent. Le régiment perd 40 officiers. 3600 hommes
sont tués, blessés ou disparus, soit la quasi-totalité de son effectif.
Un épisode tragique
va marquer l'histoire de Flirey. Afin d'enlever les derniers 200 m de tranchées
occupées par les Allemands au cœur de cette première ligne de front devant
Flirey, une attaque devait avoir lieu le 19 avril 1915 au niveau du bois de
Mortmare. Tiré au sort, le deuxième bataillon du 163e régiment d'infanterie
devait mener la charge, malgré la fatigue et sa participation aux combats du
début du mois d'avril lors de l'offensive de la Woëvre. Au signal de l'attaque,
les 250 hommes de la compagnie refusent d'attaquer. Ce refus d'obéissance
entraîne la constitution d'un conseil de guerre. Deux caporaux et trois soldats
comparaissent, deux ont été tirés au sort et trois désignés par leur hiérarchie
parce qu’ils sont, dit-on, affiliés au syndicat de la CGT dans le civil.
Le 20 avril 1915,
quatre des cinq inculpés sont fusillés près de Manonville. Il s'agit du caporal
Antoine Morange, du soldat Félix François Louis Baudy, du soldat Henri Jean Presbot,
du soldat François Fontanaud. Ils seront réhabilités en juin 1934.
Cette affaire laisse
évidemment des traces sur le moral de ce régiment.
Le 11 août 1915 le
163 RI se trouve toujours dans le secteur de Flirey, où les combats sont
toujours aussi durs. En moins d’un an il aura perdu l’équivalent de son
effectif total.
Les compagnies se
relaient au front, l’un des secteurs les plus redoutés est appelé « le
chapeau de gendarme ». Marius Malavialle, soldat au 163 RI, raconte :
« Tu connais la nouvelle ? — Quelle
nouvelle, répond l'interpellé ? - Ce soir, relève au « Chapeau de Gendarme. » —
« Non, sans blague, y a pas huit jours qu'on occupait le secteur, et voilà
qu'on y retourne alors ? » — « Cherche pas à comprendre, tu n'y changerais rien
? -
C'est ainsi que nous apprenons notre place dans le
secteur, ce soir à minuit.
A cette annonce, la section est pétrifiée, sachant par
avance qu’au retour il y aura des manquants, c'est une partie de secteur très
dangereuse, formant un triangle dont l'ennemi occupe deux faces : le troisième
nous étant réservé, nous nous trouvons pris entre deux feux.
A chaque relève, le total des pertes en tués ou
blessés, égale 60 à 70 pour cent pour un séjour de quatre jours, c'est la
raison pour laquelle la section désignée pour ce poste, ne jouit pas d'une faveur.
Les consignes sont très sévères : défense expresse
d'abandonner poste sous peine de Conseil de Guerre. Et le séjour y est très
déprimant par les ruses employées par l'ennemi pour démoraliser l'occupant.
Parfois, quarante huit heures s'écoulent, sans que
l'ennemi se manifeste, puis, subitement, il déclenche un feu nourri d'engins de
toutes sortes, faisant des pertes sévères dans nos rangs.
Par contre, d'autres fois, ils sont agressifs pendant
une heure, s'arrêtent, nous laissant dans l'incertitude
Autrement dit : les allemands mènent la danse à leur
guise
Parfois aussi, des sentinelles de chez nous
disparaissent sans coup de feu, laissant sur le sol des traces de sang. Nous
sommes donc assiégés dans l'impossibilité de nous défendre, les nerfs craquent
il n'est pas rare que certains des nôtres frisent une crise de dépression
nerveuse ».
C’est à cet endroit
précisément qu’est affecté le 11 août 1915 le soldat Fabre Eloi, Félix, Eugène,
né le 27 février 1894 à Aulas (Gard).Il était cultivateur, il sait lire et écrire.
Son registre matricule le décrit : 1m56, cheveux noirs, nez busqué, yeux
châtains, front moyen et visage ovale.
Le rapport d’enquête
énonce les faits suivants :
« Les soldats Fuzier et Miquel étaient de
faction à la sape dite « le chapeau », trente mètres plus loin les
soldats Peyre et Fabre montaient eux aussi la faction. Vers cinq heures et
demie Fuzier entendit les bruits d’une conversation entre Peyre et les soldats
allemands, il le vit échanger des signes avec ces derniers qui se trouvaient à une
distance de trente à quarante mètres. A la suite de cette conversation par
gestes et paroles, Peyre déclara à Fuzier, à Fabre et à Miquel, qu’il allait
déserter à l’ennemi ; il quitta son équipement, franchit le parapet de la
tranchée et en courant gagna la tranchée allemande où il fut recueilli à son
arrivée par ceux qui l’occupaient. Quelques instant après, Miquel, appelé par
Peyre, quitta à son tour son équipement, demanda sa musette à Fuzier qui la lui
fit passer, sortit de la tranchée et gagna les lignes allemandes. Des soldats
français ont tiré quelques coups de feu sur les déserteurs ou sur les Allemands ».
Dans le JMO pas de trace des désertions. Mais deux disparus... |
Rapport du
lieutenant Georges Bourgeon, commandant la 10ème compagnie du 163
RI : « Le 11 août 1915 entre 5
heures et 5 heures 15 les soldats Peyre et Miquel désertaient à l’ennemi. Cette
désertion s’opérait en présence des nommés Fabre Eloi et Fuzier Albert.
Loin de faire quoi que ce soit pour mettre entrave à
cette désertion, loin de s’emparer de son arme pour faire feu sur les
criminels, Fabre Eloi assistait avec une coupable bienveillance aux derniers
préparatifs, y mettant même la dernière main.
La matérialité des faits a été reconnue par Fabre
devant le lieutenant commandant la 10ème compagnie, après bien des
difficultés d’ailleurs. Il a tout d’abord prétendu qu’il ne se trouvait pas à
côté des déserteurs lorsque ces derniers mirent à exécution leur projet, puis
pressé de questions il se troublait, reconnaissait qu’il avait assisté à la
scène, sans rien dire. Fabre a même eu la franchise de reconnaître que si son
camarade Fuzier lui avait promis de le suivre et si les nôtres n’avaient pas
tiré sur les déserteurs, il les aurait suivis.
L’attitude de cet homme est sans excuse. Il n’est plus
un soldat. Au cours de ses aveux il a donné l’impression d’une lamentable loque
humaine capable de se laisser entraîner par le premier criminel venu, n’ayant
gardé au cœur aucun sentiment élevé, pas même le respect de sa personne de
soldat.
Si Fabre n’a pas déserté, c’est par suite des
circonstances indépendantes de sa volonté ; il est incapable de se
racheter ». (NB : Décédé en
1969 à l’âge de 82 ans, cet officier devenu capitaine de réserve a reçu la
légion d’honneur et la croix de guerre 1914-1918).
Fabre et Fuzier sont
arrêtés, et passent devant le conseil de guerre le 26 août.
Gravure de Cérésole |
On interroge les
prévenus. Déclaration de Fabre : « J’étais en sentinelle avec Peyre dans la tranchée, lorsque vers six heures
du matin les allemands, distants de trente mètres environ appelèrent Peyre. Ce
dernier me déclara « Moi, j’en ai plein le dos, je m’en vais ». Il
quitta son équipement et partit en courant, non sans nous avoir invités à le
suivre, ce à quoi je répondis « je viens pas ». Les allemands
reçurent Peyre dans leur tranchée. Dix minutes après environ Miquel quitta son
équipement et disparut, mais je ne l’ai pas vu partir. Des sentinelles ont tiré
sur lui ».
Fuzier précise que
Peyre, une fois arrivé chez les Allemands, avait crié « je suis bien ».
Là se pose le
problème de la musette : Fuzier a-t-il remis sa musette au déserteur
Miquel ou non ? Fuzier nie le fait, Fabre dit qu’il croit bien que cela
s’est fait, mais qu’il n’en n’est pas sûr.
Fuzier
reprend : « Je n’ai pas tiré
sur Miquel parce qu’il était mon camarade le plus intime. Mais je lui ai dit
« tu veux partir, mais penses donc à ta femme et à tes enfants ».
Le sergent le plus
proche qui avait vu les équipements abandonnés avait demandé ce qu’ils
faisaient là. Fabre et Fuzier avaient répondu que sans doute leurs
propriétaires étaient aux feuillées.
Autre question :
pourquoi Fabre et Fuzier n’ont-ils pas immédiatement signalé le fait ?
Fuzier déclare en avoir informé le sous-lieutenant, venu sur place. Mais
celui-ci nie, disant que les deux soldats n’ont fait de déclaration qu’après
qu’il les ait conduits au lieutenant. Fabre déclare alors que s’il n’est pas
parti c’est qu’il avait peur des balles françaises…
Fuzier ajoute :
« Je demande instamment de pouvoir
faire oublier ma faute, en tentant l’impossible dans ce but à l’avenir ».
Deux questions sont
posées au conseil de guerre :
« Fabre est-il coupable d’avoir, à la tranchée
dite « le chapeau », le 11 août 1915, sciemment favorisé la désertion
à l’ennemi du Soldat Peyre du 163ème régiment d’infanterie ?
Fabre est-il coupable d’avoir, à la tranchée dite
« le chapeau », le 11 août 1915, sciemment favorisé la désertion à
l’ennemi du Soldat Miquel du 163ème régiment d’infanterie ? »
Questions semblables
pour Fuzier.
Réponse : oui à
l’unanimité, les accusés sont coupables, ils sont donc condamnés à mort. Ils
sont en outre condamnés aux dépens, à savoir 12,55 francs chacun, à être
récupérés sur leurs biens présents et à venir.
JMO à la date de l'exécution : les 2 tués sont-ils les deux exécutés ? |
Le lendemain l’exécution
a lieu devant les troupes rassemblées en armes. Un piquet d’infanterie s’est
approché et a fait feu sur les condamnés, qui sont tombés morts ainsi que l’a
constaté le médecin major commis à cet effet. Constat : 11 plaies par
balle dans la région thoracique, une fracture de la main droite par balle, et
une fracture du crâne par balle ayant pénétré par la région temporale droite
(coup de grâce).
A
suivre…