83ème semaine
Du lundi 28 février au dimanche 5
mars 1916
PREMIÈRE DÉFENSE A VERDUN
Jean-Louis-Maurice Malbos, 153ème
régiment d’infanterie,
disparu à Verdun (Meuse) le 5 mars
1916
Au début de la Première Guerre mondiale, l'état-major français ne
croit plus aux fortifications fixes car il pense que seule l'offensive peut
procurer la victoire. La destruction des forts franco-belges de la Meuse en
1914 par les mortiers géants allemands et les habiles manœuvres de
désinformation renforcent cette idée et le 5 août 1915 est signé un décret
autorisant le retrait des garnisons, de l'armement, des munitions et des vivres
des forts. Pire encore : des travaux de minage en vue de faire sauter les
ouvrages sont entrepris, et des charges de démolition sont posées.
C’est dire que l’offensive de février 1916 contre Verdun et sa
région est une surprise totale pour l’Etat-major français. Et pourtant : plusieurs
rapports ont fait état des préparatifs de l’offensive, des photos aériennes ont
montré les concentrations de troupes et la multiplication des voies de chemin
de fer.
Conçue par le général Erich von Falkenhayn, commandant en chef de
l'armée allemande, d'après la version qu'il en donna dans ses Mémoires, comme une
bataille d'attrition pour « saigner à blanc l'armée française » sous un
déluge d'obus dans un rapport de pertes de un pour deux, elle se révélera en
fait presque aussi coûteuse pour l'attaquant : elle fit plus de 700 000
morts, disparus ou blessés, 362 000 soldats français et 337 000 allemands, une
moyenne de 70 000 victimes pour chacun des dix mois de la bataille. On peut
noter que selon les travaux historiques récents, notamment ceux de l'historien
allemand Holger Afflerbach, l'objectif allemand était plus simplement de
prendre le saillant de Verdun, la version d'une bataille d'attrition étant une
justification inventée après coup par Falkenhayn pour masquer son échec.
C'est la plus longue et l'une des batailles les plus dévastatrices
de la Première Guerre mondiale et de l'histoire de la guerre. Verdun apparaît
comme le lieu d’une des batailles les plus inhumaines auxquelles l’homme se
soit livré : l'artillerie y cause 80 % des pertes, le rôle des hommes y
consiste surtout à survivre – et mourir – dans les pires conditions sur un
terrain transformé en enfer, tout cela pour un résultat militaire nul.
Un déluge de fer et de feu s’abat le lundi 21 février 1916 vers 7
heures sur un front de quelques kilomètres (le bombardement est perçu jusque
dans les Vosges, à 150 km). Deux millions d’obus — un obus lourd toutes les
trois secondes — tombent sur les positions françaises en deux jours.
Sur la partie centrale, au long de 15 kilomètres, les Allemands ont
installé 800 canons. Au bois des Caures durant cette journée, 80 000 obus
tombent la même journée.
À 16 heures, le même jour, 60 000 soldats allemands passent à
l’attaque sur un front de six kilomètres au bois des Caures, croyant s'attaquer
à des troupes à l'agonie, totalement désorganisées. L’infanterie allemande
effectue une progression limitée, aménage immédiatement le terrain afin de
mettre l’artillerie de campagne en batterie. La portée ainsi augmentée, les
canons allemands menacent directement les liaisons françaises entre l’arrière
et le front.
Les forces françaises sont écrasées par cette pluie d’acier. Les
défenses sont broyées, disloquées, écrasées. En quelques heures, les massifs
forestiers disparaissent, remplacés par un décor lunaire. Les massifs de
Haumont, de Herbebois et des Caures sont déchiquetés, hachés, nivelés. Derrière
le feu roulant, le 7e corps rhénan, le 18e hessois et le 3e brandebourgeois
avancent lentement.
Contre toute attente, les Allemands trouvent une opposition à leur
progression. Chose incroyable, dans des positions françaises disparues, des
survivants surgissent. Des poignées d’hommes, souvent sans officiers, s’arment
et ripostent, à l’endroit où ils se trouvent. Une mitrailleuse suffit à bloquer
une colonne ou la tête d’un régiment. Les combattants français, dans un piteux
état, résistent avec acharnement et parviennent à ralentir ou à bloquer
l’avance des troupes allemandes.
Le 25 février 1916, les Allemands attaquent en direction du Fort
de Douaumont dans le but de porter leurs lignes à environ 600 mètres du fort.
Étonnés par le calme régnant dans la région du fort et poussant en avant, ils
réussissent à descendre dans le fossé et à rentrer dans les galeries. Les 57
soldats qui occupaient le fort, pour la plupart de la territoriale, sont faits
prisonniers. La perte du fort, important point d'appui, observatoire et abri de
premier ordre, entraîne pour les Français des conséquences matérielles et
morales considérables. Les Allemands organisent tout de suite la défense du
fort de Douaumont. Le fort devient le pivot de la défense allemande sur la rive
droite de la Meuse (près du fort de Vaux).
Un semblant de front est reconstitué. Les 270 pièces d’artillerie
françaises tentent de rendre coup pour coup. Deux divisions françaises sont
envoyées rapidement en renfort, le 24 février 1916, sur ce qui reste du front.
Avec les survivants du bombardement, elles arrêtent la progression des troupes
allemandes. Joffre fait appeler en urgence le général de Castelnau à qui il
donne les pleins pouvoirs afin d'éviter la rupture des lignes françaises et une
éventuelle retraite des troupes en catastrophe. Le général donne l’ordre le 24
février de résister sur la rive droite de la Meuse, du côté du fort de
Douaumont, au nord de Verdun. La progression des troupes allemandes est ainsi
stoppée grâce aux renforts demandés par Castelnau jusqu'au lendemain, jour de
la prise du fort de Douaumont.
C’est la fin de la première phase de la bataille de Verdun.
Manifestement, les objectifs de Falkenhayn ne sont pas atteints. Un front trop
limité, un terrain impraticable et la hargne du soldat français semblent avoir
eu raison du plan allemand.
Le 153ème régiment d’infanterie, dont fait partie le
soldat Paul Malbos, est l’un des premiers à être jeté dans la bataille de
Verdun. Transporté d’urgence en autos, il est porté avec toute la division
au-devant de l'ennemi, avec la mission de tenir coûte que coûte. Encore en
réserve le 26 février, au sud du fort de Froideterre, il se porte le 29 en
première ligne devant Douaumont (bois Albin), il brise net les plus furieuses
attaques ennemies. Malgré des bombardements violents il va se mettre en
position dans la nuit du 29 de part et d’autre de la redoute de Froideterre. Et
bien que les pertes soient quotidiennement importantes, le JMO du régiment
commence imperturbablement chaque jour par « Journée calme, état sanitaire
satisfaisant »…
La redoute de Froideterre au bout de quelques jours de bombardement |
Les premiers jours du mois de mars n’entraînent aucun changement :
il faut tenir et s’incruster dans le moindre repli de terrain, autour de la
redoute de Froideterre, au fort Saint-Michel. Les morts et les blessés s’accumulent,
les disparus sont nombreux. Avant ce combat le 153ème régiment d’infanterie
comptait une cinquantaine d’officiers et 2 800 hommes de troupes. Les
combats de fin février lui font perdre 1 200 hommes, ceux de début mars 1 300 :
en quinze jours il devra être presque complètement renouvelé.
Parmi ces disparus se trouve le 5 mars le soldat Jean-Louis-Maurice Malbos. Il était né le
23 février 1894 à Aurillac (Cantal), mais demeurait à Anduze. Disparu à l’âge
de 22 ans, il figure sur le monument aux morts de la commune.
A suivre…