FERMES ET CIMETIÈRES

8ème semaine


Du lundi 21 au dimanche 27 septembre 1914

BATAILLE DE MASSIGES
MEYNADIER Louis César – 8ème RIC
Mort le 22 septembre 1914 à Massiges (Marne), tué à l’ennemi

SEQUIER Fernand Albert – 8ème RIC
Mort le 22 septembre 1914 à Massiges (Marne), tué à l’ennemi

BATAILLE DE PRUNAY
DUGUA Léon – 7ème RIC
Mort le 23 septembre 1914 aux Marquises (Marne), disparu

BATAILLE DE LIHONS
FAÏSSE Émile – 75ème RI
Mort le 25 septembre 1914 à Lihons (Somme), tué à l’ennemi

BATAILLE DE SAINT-MIHIEL
FELGEYROLI Fernand – 240ème RI
Mort le 26 septembre 1914 à Malimbois-Rupt (Meuse), tué à l'ennemi 

TRAVIER Julien Paul – 240ème RI
Mort le 26 septembre 1914 à Chauvoncourt (Meuse), tué à l'ennemi


Le 8ème Régiment d’Infanterie Coloniale se trouve toujours au pied de la « Main de Massiges », imprenable forteresse naturelle de la Marne solidement tenue par les Allemands. Ce régiment a déjà eu là de fortes pertes, notamment la semaine précédente au cours de laquelle a été tué l’Anduzien Paul Bernard (voir semaine 007).

Le village de Massiges, où les unités sont en réserve à tour de rôle, est quotidiennement bombardé par l'artillerie ennemie, aussi finit-il par être abandonné et les hommes couchent en permanence dans les tranchées qui sont approfondies et aménagées en conséquence : banquettes de tir, niches individuelles, créneaux.

Pendant quelques jours les pertes occasionnées par le tir de l'artillerie allemande, continuent cependant à être fortes, en raison du manque de boyaux et de l'insuffisance des tranchées hâtivement construites avec les outils portatifs. La distribution des outils de parc et l'organisation des travaux sous la direction des gradés du génie permettent d'améliorer la situation.

JMO du 8ème RIC:
« 21 septembre – L’ordre de l’armée est d’attaquer aujourd’hui l’ennemi. L’attaque sera préparée et soutenue par la grosse artillerie. Heure du commencement des attaques : pour toute l’armée à 11 h. Cette heure est celle du franchissement de la ligne de résistance par les premiers éléments de l’attaque. Le mouvement en avant sera prononcé par le 22ème colonial à la droite duquel marcheront deux Cies du 8ème qui se dirigeront vers la cote 199. Ces unités marcheront sur un très grand espace de manière à offrir le moins de prise possible aux feux de l’ennemi, et leur première ligne sera formée de tirailleurs à 3 ou 4 pas ; celle-ci marchera très lentement de manière à pouvoir rester toujours alignée et à n’offrir aucun point saillant aux contre-attaques ennemies. Elle se portera par bonds de position en position, en se défilant le mieux possible et en ne repartant que lorsque les hommes auront largement repris haleine. L’artillerie préparera l’attaque en couvrant d’obus tous les terrains en avant de l’infanterie et en déplaçant peu à peu son tir vers le Nord. L’infanterie avancera à mesure que les projectiles auront nettoyé le terrain devant elle ».
Louis Meynadier
Réalisation : les deux compagnies du 8ème prennent leurs dispositions d’attaque à 11 h : objectif cote 199. Ces deux compagnies progressent lentement, peu soutenues par l’artillerie. Le 22ème ne se trouve pas à l’emplacement qu’il devrait occuper. Vers 14 h les deux compagnies sont arrêtées par des tranchées fortement occupées par l’ennemi. A la nuit tombante le bataillon rentre avec 50 hommes hors de combat. La nuit est calme.
« 22 septembre – A 4 h le général communique au 8ème que les mouvements d’attaque doivent reprendre : vous ferez remarcher dans la direction du 199 le bataillon du 8ème colonial qui a commencé ce mouvement hier ; il se portera à l’attaque des tranchées allemandes qui sont en face, à la pointe du jour, ou avant le jour si c’est possible, de façon à ne pas être en butte au feu de l’artillerie et à soutenir le flanc du 22ème. Vous me rendrez compte d’heure en heure de ce mouvement en usant du téléphone ».
Fernand Séquier
Réalisation : les compagnies partent en première ligne, elles gagnent du terrain en avant mais elles sont peu soutenues par l’artillerie et les autres régiments ne sont pas aux emplacements prévus. Tout l’effort des Allemands se portent contre elles. Après s’être maintenues sur place elles décrochent et regagnent leur point de départ. Environ 200 hommes hors de combat, parmi lesquels un capitaine et deux lieutenants. Ainsi que deux Anduziens, MEYNADIER Louis César, 28 ans, tué à l’ennemi, et SEQUIER Fernand Albert, 28 ans aussi, disparu.

Un peu plus loin dans le même département de la Marne se trouve le 7ème Régiment d'Infanterie Coloniale du Maroc. A l'encontre de ce que pourrait faire supposer sa dénomination, il n'est pas composé d’originaires d’Afrique du Nord. Son contingent est uniquement constitué d'hommes venant des diverses régions de la France. Il a été constitué en août 1914 à l'aide de bataillons se battant déjà au Maroc. Ce fut donc en ses débuts un régiment exclusivement composé d'officiers et de soldats coloniaux de carrière. Mais ses pertes ont été telles en août qu’on y a incorporé beaucoup de très jeunes recrues, en pensant que leur inexpérience serait compensée par le savoir-faire des survivants encore présents.

La jolie villa des Marquises, avant la guerre
Le régiment se trouve en face d’un village nommé Prunay. Avant la guerre, ce site était immense et comprenait entre autres une cité ouvrière ultra-moderne pour l'époque, une grande ferme avec une bergerie exceptionnelle (elle possédait l'un des plus grand troupeaux de moutons de la région) et deux pavillons de maître magnifiques : Le chalet des Marquises et la Villa Champagne.

Dès la fin Août, avec l’annonce de l’avancée ennemie, quelques habitants avaient évacué, mais le plus grand nombre était resté. Quand ils se décident à partir, ils se font dépasser par  les troupes allemandes dont l’avancée est fulgurante et ne sera arrêtée que sur la Marne. Le 3 septembre, les habitants reviennent au village resté intact puisque les Allemands ne s’y sont pas arrêtés.

Le 8 septembre, les Allemands réapparaissent mais dans l’autre sens. Ils ont décidé d’établir une ligne de défense sur les hauteurs au nord de Prunay. Les portes, les volets, tout ce qui est en bois est enlevé et transporté aux lieux où ils ont décidé de s’installer pour arrêter l’avance française. Ces préparatifs de défense terminés les Allemands se retirent du village le 12 septembre et se replient sur leurs lignes. Avant de se retirer de Prunay, ils ont barré avec des charrettes les accès du village et le pont de la Vesle. Les troupes françaises après avoir forcé ces défenses au prix de pertes sensibles, réoccupent le village le 13 septembre vers midi.

Léon Dugua
Dès le village réoccupé, les bombardements allemands commencent, d’abord avec des canons de campagne, ensuite avec de l’artillerie lourde. L’artillerie française établie en arrière du canal et de la Vesle, commence à riposter, mais faiblement, les munitions manquent. Les habitants s’abritent comme ils le peuvent. Les plus nombreux partent se cacher dans les bois et les marais alentours. Le soir tout redevient calme, on peut rentrer, c’est encore le temps où on ne se bat que le jour.  Mais le lendemain dès l’aube, c’est à nouveau l’enfer. De nombreux soldats sont écrasés dans les bombardements. Les attaques et contre-attaques se succèdent. Le 23 septembre disparait Léon DUGUA, 18 ans, le plus jeune des Anduziens tués jusqu’à cette date.

Ruines d'Herleville
Plus à l’Ouest, aux lendemains de la Bataille de la Marne, les armées cherchent à avancer en dépassant les positions conquises. Il en résulte une course de vitesse qui se prolongera jusqu'à la Mer du Nord. C'est durant cette période appelée "Course à la Mer", qui dura de septembre à décembre 1914, qu'Herleville dans la Somme fut le théâtre de terribles combats. C’est là que se trouve le 75ème RI à la fin septembre.

JMO du 75ème RI :
« 24 septembre – A 13 h, ordre du général de division d’occuper le Bois-Etoilé et de marcher par le Bois-Madame sur le Sud et Vermandovillers. Avant que le mouvement soit achevé l’ennemi, qui l’a devancé au Bois-Etoilé, attaque. Au même moment la tête du bataillon débouchant vers le cimetière de Lihons est aux prises avec une colonne ennemie. Ordre est alors donné de se porter tout entier vers Lihons. Sous un feu violent le bataillon est très sérieusement accroché. A la tombée de la nuit on se trouve au cimetière de Lihons et dans le Bois-Madame, avec ordre d’y tenir coûte que coûte.
Emile Faïsse
25 septembre – Le combat reprend à la pointe du jour. Dans la brume l’ennemi s’avance en colonne par quatre à courte distance des tranchées dont il ne soupçonne pas l’existence. Il est fauché par un feu à bout portant et bat précipitamment en retraite. Remarquable repérage de nos troupes par l’artillerie ennemie. Le 1er bataillon résiste énergiquement, le 2ème bataillon essaie en vain de déboucher en direction de la ferme Lihu. Après un premier bond il est aux prises avec un tir de 77 fusant parfaitement ajusté qui l’ébranle, il bat en retraite en désordre, encadré sur 500 m par un tir efficace. Les pertes dans les tranchées sont énormes, tous les gradés sauf l’adjudant sont tués, les munitions sont épuisées, un homme qui lève la crosse en l’air est aussitôt abattu par son caporal. Enfin à 12 h 30, complètement entourés par l’ennemi, les survivants, au nombre de 50 environ, pour la plupart blessés, sont faits prisonniers ».
On compte parmi les disparus de ce jour-là le soldat Anduzien Emile FAÏSSE, 23 ans.

Un autre soldat du même régiment, Frédéric Charignon, âgé de 34 ans,  a décrit ce que fut cette journée :
« 25 septembre 1914 – Ferme de Lihu - Vers les 2 heures nous nous dirigeons vers Lihu, dont nous apercevons, bientôt le clocher. Nous quittons la route et traversons un champ de betteraves ; nous entrons, carrément, dans la fournaise, l’artillerie boche nous bombarde fortement. « Faites abriter vos hommes » crie le commandant, en les faisant avancer par bonds. Nous avançons, ainsi, le capitaine nous dit en riant : « Oui, abritez vous derrière les feuilles de betteraves ». Enfin, nous arrivons, sans trop de mal, à proximité du cimetière, nous creusons, à la hâte, une petite tranchée, avec nos outils portatifs et vite, nous nous blottissons, dans ce modeste abri. Les boches attaquent furieusement, balles et obus pleuvent à outrance, nous ripostons du mieux que nous pouvons, je tire mes premières cartouches ce jour-là. L’ennemi se dissimule, en avançant derrière les gerbassons de blé ou en rampant avec des gerbes sur le dos. Nous redoublons nos feux, la fusillade devient vive, déjà les premiers boches atteignent les abords du cimetière ; deux de nos mitrailleuses y sont braquées, les mitrailleurs sont sur le point de flancher, quand, tout à coup, le sergent bondit de derrière une tombe et excite ses hommes à tenir bon ; ils se ressaisissent et grâce aux mitrailleuses qui égrainent des nuages de balles, l’ennemi est contenu sur ce point et ne peut plus avancer. Le choc a été rude, la nuit arrive, notre compagnie n’a pas eu trop de mal, ni notre bataillon non plus, mais le 2ème et le 3ème, qui se trouvaient vers la ferme Lihu, ont été assez éprouvés. Nous passons la journée dans notre tranchée que nous avons un peu approfondie, dans la nuit, le village de Lihu a été fortement bombardé. Vers midi, le clocher est démoli, au 2ème obus, l’église et les maisons voisines s’effondrent sous la mitraille. Au dessus de notre tranchée, les balles sifflent avec rage, surtout vers le soir ; notre lieutenant est tué à l’angle du cimetière. Les boches s’étant aperçu que le cimetière était occupé le bombardent fortement, les tombeaux sont brisés, les caveaux entrouverts ; c’est affreux. Au Bois-Madame la 12ème compagnie fut anéantie ou faite prisonnière et à la ferme Lihu, les autres compagnies furent fortement éprouvées…


26 septembre - Au jour, nous avons devant nous, l’immense plaine, quelques boches circulent au loin ; nous leur tirons dessus avec entrain, en nous montrant, imprudemment, au-dessus de la tranchée en enfilade ; des boches, cachés dans les arbres feuillés et bien dissimulés, nous canardent, ainsi que nous le sûmes, dans la suite, mais impossible de rien voir, pour l’instant. D’ailleurs, pris en enfilade, nous n’avions pas la facilité pour tirer ; de temps en temps, nous regardions si l’ennemi n’arrivait pas ; c’est ainsi que le sergent qui était à côté de moi, prit une balle qui lui traversa la figure. Il tombe sur moi, tout ensanglanté, je lui fais son pansement, sa blessure n’est pas mortelle, mais il a de la fièvre et souffre d’une soif dévorante. Il veut s’en aller au poste de secours qui est à la ferme, « Attends la nuit, lui dis-je, tu ne peux pas t’en aller à présent ». Il prend patience un moment, puis il s’énerve, il trouve qu’il y a trop de temps à passer ainsi, ce n’est que 9 h du matin. « Je vais au bout de la tranchée, me dit-il, puis j’essaierai de gagner la ferme en rampant ». Impossible de le retenir, il n’a pas fait 2 ou 3 m hors de la tranchée qu’il reçoit une autre balle dans la cuisse, il revient, mais ayant perdu beaucoup de sang, il expire vers les 3 h. Quelle triste journée nous passâmes, blottis dans notre tranchée ! A tour de rôle, nous regardions, au-dessus, mais en vitesse, car les balles sifflaient. Enfin, la nuit arrive, nous sommes relevés, en partant je passe à côté de Dragon qui me supplie de l’emmener, il est blessé à l’épaule, il est si faible qu’il ne peut pas marcher seul, je le sors de la tranchée ; comme nous arrivons à la ferme, une vive fusillade crépite, ce sont les boches qui attaquent. Je dépose mon blessé dans une écurie de la ferme, où les infirmiers font nos pansements, la fusillade dure toujours, les balles pleuvent dru comme grêle contre le bâtiment de la ferme. Le lieutenant nous rassemble pour partir à la contre attaque ; enfin, la fusillade cesse, nous buvons au puits de la ferme, car la soif nous dévore ».

Nous retrouvons maintenant dans la Meuse le 240ème RI qui compte nombre d’Anduziens, parmi lesquels cinq ont déjà été tués (voir semaine 004 et 007).

Vers la fin de septembre, l’armée allemande avait occupé les Hauts-de-Meuse sans opposition de l’armée française, et pris Saint-Mihiel, point avancé dans les lignes qui devait ensuite être connu sous le nom de « Saillant de Saint-Mihiel ». La Meuse séparait les belligérants, avec sa rive droite escarpée et boisée, occupée par les Allemands qui pouvaient tenir aisément sur des positions maîtresses avec des effectifs réduits, confortablement installés dans de bons abris secs, en utilisant les casemates du fort du Camp des Romains. La rive gauche marécageuse est restée aux mains des Français. Les troupes du secteur y ont beaucoup travaillé, souffert de l’humidité, de l’invasion des rats, d’une installation souvent mauvaise ; elles n’ont subi ou livré aucun combat sérieux. Mais les pertes, principalement par les bombardements, ont été journalières. Dans ces conditions, les relèves étaient rares sur la rive gauche. Le 131ème territorial y a fait un très long séjour. Le commandant de ce régiment disait à ses hommes : « Vous n’êtes pas des héros parce que vous n’avez pas gagné de batailles ; mais vous êtes des demi-héros parce que vous savez garder la bonne humeur dans cette purée ».

JMO du 240ème RI :
Fernand Felgeyroli
«  23 septembre – On reçoit à 7 h l’ordre de la Division de se porter sur la droite pour défendre les approches de la colline Ste Marie dominant St Mihiel. En première ligne dans des tranchées improvisées. Tout le monde couche sur ses positions malgré le bombardement des lignes.
Passerelle de Saint-Mihiel
24 septembre – Le bombardement reprend. A 7 h ordre de passer la Meuse vers la rive gauche et de se replier sur Dompierre. On passe la Meuse sur la passerelle de St Mihiel. Ordre de se porter pour y cantonner sur Fresnes-au-Mont. On y arrive à 23 h par suite d’une erreur de parcours.
Julien-Paul Travier
25 septembre – Réveil à 2 heures. Départ à 3 h pour appuyer une attaque combinée sur St Mihiel. L’arrivée tardive sur les positions prévues empêche l’exécution de cet ordre et on bivouaque sur place.
26 septembre – Au lever du jour brouillard très intense. L’attaque générale de St Mihiel est ordonnée. Les régiments sont reçus par une violente fusillade partant des tranchées ennemies solidement établies dans toutes les directions. Des compagnies arrivent jusqu’à 400 m de ces tranchées, mais devant l’importance des pertes qu’elles subissent elles sont obligées de se replier ».
Les soldats Anduziens Fernand FELGEYROLI, 30 ans, et Julien Paul TRAVIER, 36 ans, comptent parmi ces pertes.

Le saillant de Saint-Mihiel restera encore aux mains des Allemands pendant trois ans, malgré d’innombrables tentatives des Français pour les en déloger.

A suivre…


Chronologie générale de la 8ème semaine (Source : Wikipédia et carto1418) :

21 septembre 1914 :
Poursuite de l'offensive allemande dans les Hauts de Meuse
22 septembre 1914 :
Le 16ème Corps d’Armée arrive dans la Woevre pour contrer l'offensive allemande
23 septembre 1914 :
La 2ème Armée se déploie dans la Somme
74 civils sont fusillés par les Allemands à Gerbéviller (Meurthe et Moselle)
24 septembre 1914 :
Dans la Meuse, les Allemands forment le saillant de Saint Mihiel
25 septembre 1914 :
Le groupe de divisions territoriales se porte en couverture de la 2ème Armée
26 septembre 1914 :
Début de la course à la mer, par laquelle chacun des deux adversaires cherche à déborder l’autre par le Nord
27 septembre 1914 :
Les 10ème et 11ème Corps d’Armée se portent vers le Nord