L'IMPRENABLE MAIN

7ème semaine


Du lundi 14 au dimanche 20 septembre 1914

BATAILLE DE MASSIGES
BERNARD Paul – 8ème RIC
Mort le 17 septembre 1914 à Massiges, tué à l’ennemi

BATAILLE D’ATTONCHATEL
AGUILLON Bertin – 240ème RI
Mort le 20 septembre 1914 à Hattonchâtel des suites de ses blessures


Après la victoire de la Marne les troupes allemandes ont beaucoup reculé mais restent en territoire français. Elles sont solidement établies sur des positions qu’elles ont eu le temps et les moyens de choisir et de fortifier. L’une des positions les plus fortes est « la main de Massiges ». Forteresse naturelle dominant la vallée de l'Aisne, cette colline située au nord du village, doit son nom aux courbes de niveau qui dessinent sur le terrain et sur les cartes une main gauche. Les doigts en sont séparés par de profondes échancrures.

La Main de Massiges marque la limite Est du front de Champagne à la jonction du front de l'Argonne. Dès leur repli début septembre 1914, les Allemands se sont retranchés sur cette hauteur naturelle dont chaque doigt forme un bastion. Son point culminant, le Mont Têtu, que les Allemands appellent Kanonenberg, est truffé de formidables défenses, sans cesse renforcées. « La main », comme disent les soldats, deviendra l’un des sites les plus redoutés par les régiments chargés d’en donner l’assaut, à juste titre puisqu’il restera imprenable jusqu’à la toute fin de la guerre. 


C'est sur cet obstacle que butent dès le 13 septembre 1914, les troupes du Corps d'Armée colonial de la 4ème Armée française, qui participaient à la contre-offensive succédant à la première bataille de la Marne. Le 8ème Régiment d’Infanterie Coloniale fait partie de cette armée.

Voici le texte de son JMO pour ces jours-là :
« 15 septembre – le régiment cantonne dans le village de Virginy
Paul Bernard
16 septembre – le régiment doit relever  le 24 colonial. Le mouvement commence vers 9 h. Aussitôt arrivées sur leurs positions les patrouilles envoyées en avant du front signalent de nombreux cadavres et de nombreux blessés. La crête en face est fortement occupée par l’ennemi abrité dans des tranchées. A 10 h la position est menacée par un fort détachement d’infanterie ennemie. Dès que l’ennemi apparaît il est reçu par des feux de face. A ce moment 3 batteries allemandes très bien dissimulées arrosent pendant un quart d’heure nos positions, il devient presque impossible de faire un mouvement. Malgré les nombreux shrapnells ennemis nous résistons à l’attaque de l’infanterie qui s’est avancée à 150 m et nous l’obligeons à se retirer sans avoir perdu un pouce de terrain. Vers 14 h 30 les feux d’artillerie et d’infanterie diminuent d’intensité et la soirée s’achève relativement calme. Les bataillons dorment sur leurs positions.
17 septembre – Tout mouvement en avant est interdit aux bataillons, ils ont toujours devant eux un ennemi très vigilant soutenu par une nombreuse artillerie à laquelle nos 75 ne répondent que très faiblement. Vers 14 h des salves d’artillerie ennemie balayent nos crêtes pendant 20 minutes. Les pertes sont de 6 hommes hors de combat ».
L’Anduzien Paul BERNARD, 27 ans, fait partie de ces hommes.

Plus loin à l’Est, dans la Meuse, le 240ème Régiment d’Infanterie comporte de nombreux Anduziens.  Quatre d’entre eux sont déjà morts au combat le 25 août (voir semaine 004).
Voici le texte de son JMO pour ces jours-là :
Bertin Aguillon
« 19 septembre – le régiment se porte vers Hattonchâtel par la tranchée de Calonne. Répartition des secteurs entre les compagnies.
20 septembre - le régiment cantonne à Hattonchâtel. Vers 10 h les Allemands commencent à bombarder le village avec leur artillerie lourde. Le Colonel prescrit aux diverses unités d’occuper leurs tranchées respectives. L’intensité et la précision du tir ennemi (plusieurs maisons démolies, un commandant tué) empêchent l’exécution de cet ordre. Pertes de ce jour : Officier : 1 tué, Sous-officiers ou soldats : 6 tués, 5 blessés ».
Parmi ces tués se trouve l’Anduzien Bertin AGUILLON, 29 ans. 

Né près de Valleraugue, Bertin Aguillon était, lorsqu’il a été mobilisé, pasteur méthodiste à Anduze depuis quatre ans. Il y a exercé son ministère de façon remarquée puisque c’est lui qui a été chargé le 16 juin 1914 de prononcer un discours devant le synode de l'Église évangélique méthodiste de France. Son titre était « Le ruisseau de Dieu ». Appelé aux armées dès le début août il préside un dernier culte le 3 août puis quitte son épouse en lui disant : « Au moins, fais de notre fils un pacifiste ». Il réussit à être incorporé comme infirmier et brancardier, ce qui convient mieux à sa conscience que le service armé. Dans son journal il écrit : 
« 22 août – Les champs sont couverts de riches moissons, les arbres sont chargés de fruits. Que c’est triste de penser que sur ces visions de paix et d’abondance, la guerre vient jeter son voile d’horreur, de carnage !
24 août – Quel spectacle de voir ces files interminables d’hommes qui viennent se grouper dans la plaine et de se dire que toutes ces forces vives vont à l’abattoir !
27 août – Cette fois-ci nous avons été au champ de bataille. Il a été en réalité un champ de carnage… Nous avons relevé des blessés toute la soirée, toute la nuit et une partie de la matinée. A certains moments de la nuit je dormais debout en portant le brancard. Tout cela éclairé par la lueur sinistre de quelques villages en flamme. Cette vision a de quoi vous rendre fou.
17 septembre – J’ai eu l’occasion de parler du Sauveur aux médecins ; j’ai prêté mon Nouveau Testament à deux d’entre eux et je dois le leur prêter encore. L’un d’eux est protestant, c’est le chef de service, major à trois galons. L’autre est d’origine catholique, en réalité incroyant. Que ce serait beau si le résultat en était quelques conversions ! J’ai peur de m’habituer à cette douce atmosphère de sympathie. Sans doute Dieu m’enverra bien quelques difficultés pour que je ne me laisse pas attiédir ! ».


Le 20 septembre Bertin Aguillon se trouve dans le village d’Hattonchâtel. Un obus lui fracasse la jambe. On lui administre de la morphine et c’est sans trop souffrir qu’il meurt une heure plus tard. Ses dernières paroles ont été : « Dites à ma chère femme de faire de mon fils un pacifiste… Je meurs et suis heureux, je vais vers Dieu… ».

Quelques mois plus tard sa veuve publiera à Anduze un petit ouvrage de 64 pages : « Bertin Aguillon, pasteur méthodiste, tombé au champ d'honneur au service de Dieu et de la France, à Hattonchâtel (Meuse), le 20 septembre 1914 », rédigé par Matthieu Lelièvre.

A Anduze le Conseil Municipal se réunit le 20 septembre. L’une de ses délibérations porte sur le sujet suivant : « Sur la proposition de l’un de ses membres, le Conseil vote des félicitations et des remerciements à M. le Dr Gaussorgues, Maire, pour la peine qu’il a prise dans l’organisation d’un hôpital auxiliaire militaire à Bel-Air, où sont soignés des militaires blessés, et pour les soins intelligents et dévoués qu’il ne cesse d’apporter tous les jours à ces défenseurs de la Patrie ».

A suivre…

Chronologie générale de la 7ème semaine (Source : Wikipédia et carto1418) :

14 septembre 1914 :
Les armées françaises se heurtent à des positions solidement tenues
15 septembre 1914 :
Début de la bataille de l'Aisne
16 septembre 1914 :
Le front se fige sur l'ensemble des armées
19 septembre :
La cathédrale de Reims est incendiée par les bombardements
20 septembre 1914 :
Début de l'offensive allemande dans les Hauts de Meuse