LES NUITS DES RUSES

6ème semaine


Du lundi 7 au dimanche 13 septembre 1914

BATAILLE DE LA MARNE
CASTANET Marcel-Jules – 38ème RIC
Mort le 7 septembre 1914 à Deux Nouds (Meuse), tué à l’ennemi
AGNOLINI Louis – 55ème RA
Mort le 10 septembre 1914 à Vaux-Marie (Meuse), tué à l’ennemi

Soldats du 38ème RIC
Le 38ème Régiment d'Infanterie Coloniale (RIC) a subi ses premiers combats autour de Verdun. Venu de Toulon où il a suivi un entrainement jusqu’à la fin août, il se porte le 1er septembre à travers champs devant Chaumont, en formation de combat. Au passage du plateau de Beaumont, le 5ème Bataillon qui est en tête reçoit les premiers obus de gros calibre ; ils ne font aucune victime, ce qui inspire aux hommes une belle confiance. Ce Bataillon gagne le bois des Caures sans pouvoir aller plus loin. Plusieurs compagnies, par les couverts, viennent border le bois à l'ouest du village qu'elles dominent. A leur tour elles ne peuvent progresser. Une section est déployée en plein champ et, pendant plus de dix minutes, reçoit des centaines d'obus de tous calibres. Elle n'a cependant aucun blessé lorsqu'elle rentre sous le couvert du bois, ce qui, de plus en plus, confirme les hommes dans l'idée que chaque obus ne porte pas. Il n'en va pas de même au 4ème Bataillon. Amené à découvert à cause du terrain, il subit, en peu de temps, de grosses pertes ; son commandant est blessé. De toute la journée, le 38ème RIC reste immobilisé, la nuit arrive en même temps que l'ordre de repli. Les pertes du 1er septembre sont lourdes : 9 officiers blessés,  troupe : tués 13, blessés 220, disparus 47. Ces derniers ne sont pas disparus au sens propre du mot,  la nuit très noire et le départ précipité n'ont pas permis de relever tous les morts et les blessés, ce qui a été fait le lendemain par un autre régiment.
A deux heures du matin, après quelques heures aux avant-postes, la Division se retire sur Louvemont, appelée à prendre part à la bataille de la Marne. Embarqué à Charny le 3 septembre, le régiment débarque par voie ferrée à Bannoncourt le même jour. Il cantonne à Lamorville (précision du JMO : « Issues gardées »).

Les 4 et 5 septembre, il est en marche et arrive à Issoncourt le 6.

6 septembre – Départ du régiment vers Pierrefitte, Neuville. A midi il est placé en position d’attente dans un ravin, puis il s’engage dans la vallée Mondrecourt / Deux Nouds. Il subit quelques tirs d’artillerie lourde, une dizaine de blessés.

Croquis de la position du 38ème RIC
JMO du 7 septembre : « Rassemblement à 4h30. Le régiment va se porter vers la croupe 294 et doit l’occuper. Le 4ème bataillon est en tête. Il dépasse Deux Nouds sous le feu de l’artillerie lourde et de l’artillerie de campagne ennemies et gravit la  crête et l’occupe. Mais le feu ennemi l’empêche de progresser. Le régiment se maintient sur ses positions jusqu’au soir. Plusieurs tentatives d’offensive ont été arrêtées net par les nombreuses mitrailleuses ennemies placées dans des tranchées. A 18 h les deux régiments d’infanterie qui l’appuyaient sur ses flancs se replient vivement en arrière. Le 38ème RIC resté seul en flèche en face de la ligne ennemie est menacé sur ses flancs et reçoit  l’ordre verbal de se replier et de se rassembler. Cela se fait en très bon ordre. Officiers : tué 1, blessés 2. Troupe : tués 14, blessés 210, disparus : 47 ».

Marcel Castanet
Parmi les tués de cette journée figure l’Anduzien Marcel CASTANET, 28 ans.

Trois jours plus tard les mêmes hommes subiront une attaque qui les surprendra : « A 2 h le parc du Train de Combat est attaqué au grand étonnement des défenseurs de la croupe Est du Bois Blandin. Les conducteurs, ordonnances et hommes de garde du train de Combat résistent énergiquement à l’attaque allemande sous la direction d’un Sous-lieutenant qui est blessé grièvement. Une certaine confusion et des hésitations se produisent, d’autant plus que des cris (poussés par des Allemands, la certitude en fut donnée plus tard) de « Amis » « Français » « Cessez-le-feu » se font entendre. Il fait nuit noire, il pleut, et cette attaque brusque est très meurtrière. Au début presque tous les officiers sont atteints, tués ou blessés, le Lieutenant-colonel est tué. Pourtant la lutte continue, décousue, menée par des groupes différents. Le combat dure jusqu’à 10 h du matin, heure à laquelle le groupe se replie avec le drapeau du régiment ».

Trois semaines plus tard, le régiment revenu à quelques kilomètres de là apprenait que 600 Allemands étaient morts sur le terrain. Détail particulier montrant l'acharnement de la lutte, un homme du régiment et un Allemand furent retrouvés embrochés réciproquement sur leurs baïonnettes et encore debout, face à face. Pendant quelques jours, la Division se maintint dans la vallée de l'Aisne et apprit la victoire de la Marne et la retraite des Allemands.

Au même moment le 55ème Régiment d'Artillerie (RA) que nous avons déjà croisé (voir semaine 004) fait mouvement dans la Meuse.

1er septembre - JMO du régiment, tenu par un officier : « Je reçois l’ordre d’aller occuper avec mes 2 pièces une position en pleine forêt. Le maréchal des logis me conduit à l’emplacement et m’indique le chêne gigantesque qui doit me servir d’observatoire. Une section du génie est mise à ma disposition pour opérer le déboisement nécessaire et construire un abri blindé car la position sera dangereuse dès que nous serons repérés. J’essaie de grimper à l’arbre mais arrivé à la première branche (6 m de hauteur) je ne puis me rétablir et à bout de forces suis obligé de redescendre. Nous confectionnons alors une échelle de cordes avec les cordes à chevaux. Le maréchal des logis chef, dont je me plais à citer le dévouement en cette circonstance, monta à l’arbre pour installer cette échelle qui me permit d’arriver à mi-chemin de l’ascension que j’avais à faire. Avec beaucoup de difficultés, car les branches étaient très espacées, je parvins au sommet du chêne d’où j’avais une vue admirable. Le maréchal des logis chef, au risque de faire une chute sûrement mortelle, m’organisa du mieux possible l’observatoire ; il coupa à l’extrémité des branches les rameaux qui gênaient la vue, courba et fixa horizontalement avec son ceinturon une branche qui devait servir de siège. Vers 16 h je pus commencer à tirer ».
Le lendemain la position est exploitée pour des duels avec des batteries allemandes et l’arrosage des tranchées ennemies. Mais la position est repérée : « Un aéroplane est passé au-dessus de nous vers 14 h 30 et avait dû apercevoir le déboisement et mon grand chêne. A 15 h le feu de 2 batteries allemandes s’est concentré sur mon observatoire et les coups tombaient tous dans un rayon de moins de 50 mètres. J’ai fait abriter les hommes et je suis descendu de mon perchoir qui devenait par trop périlleux à 20 m au-dessus du sol. De 15 h à 19 h le feu ennemi n’a pas cessé, nous avons essuyé plus de 500 coups dont quelques uns sont tombés à moins de 3 m de l’abri. A la nuit nous avons pu nous replier sans avoir éprouvé la moindre perte en hommes ni en chevaux ».

4 septembre – « Après avoir marché toute la nuit, arrivée à Torcelles à 6 h du matin et on s’attend à repartir à 7 h. L’ordre arrive de se reposer et se tenir prêt à partir à 20 h. A 19 h arrive l’ordre de se coucher ».

7 septembre – L’infanterie attaque la station de Rembercourt et la ferme de la Vaux-Marie à 16 heures. A 18 h 30, les objectifs sont atteints et le bataillon d’artillerie s’installe le long de la voie ferrée où il s’organise en dépit des tirs de l’artillerie ennemie. Il met en place ses pièces de campagne.


8 septembre – « Reçu quantité d’obus sans aucun mal. Changé 4 ou 5 fois de position ».

Attaqué dans la nuit du 9 au 10 septembre , le bataillon, par une résistance acharnée, brise les élans de l’adversaire qui, le 10 au matin, revient à la charge sans plus de succès. Mais les munitions diminuent et les effectifs fondent. C’est alors que le commandant, atteint de deux balles, ordonne la retraite. Le soir le lieutenant commandant provisoirement le bataillon parvient à rassembler 650 hommes et 4 officiers, seuls survivants valides des 1400 hommes qui avaient combattu trois jours sur la ligne Rembercourt-Vaux-Marie.

Louis Agnolini
C’est ce 10 septembre que meurt à Vaux-Marie l’Anduzien Louis AGNOLINI, 24 ans.

Sur cette bataille de Vaux-Marie on peut lire le journal d’Emile Guérin, soldat au 29ème BCP : « Nous étions en pleine bataille de la Marne. Les Allemands avaient tellement progressé que Verdun était dans un saillant qui se rétrécissait chaque jour comme une peau de chagrin. La situation était d’autant plus grave que les autres armées allemandes qui avaient déferlé en Champagne arrivaient avec toutes leurs forces. C’est pourquoi nous avons traversé la Meuse et remonté sa rive gauche. Nous attaquions leur flanc gauche, on suivait les Allemands dans leur progression vers le Sud-est afin de leur barrer la route. Tout au long du chemin, nous croisions des réfugiés qui se dirigeaient vers le Sud avec leurs familles, leurs carrioles et ce qu’ils avaient pu prendre de leurs biens. Leurs yeux hagards nous étalaient pitoyablement leur misère.
Nous n’avions pas encore fini de marcher, car le 3 septembre, par une chaleur torride, nous nous dirigeons pour Dombasle en Argonne à 18 km plus au Sud où nous cantonnons à nouveau quelques heures. Nous ne faisons que reculer. Nous avions marché une bonne centaine de kilomètres et ne devions pas présenter un aspect avenant. Nos uniformes poussiéreux, maculés de taches et de boue, nous privaient de tout panache et, faute de nous être lavés pendant tout ce temps, nous exhalions un fumet qui aurait incommodé le moins difficile.
Bien qu’exténués par ces marches continuelles, nous ne nous étions heurtés qu’aux éléments avancés de l’ennemi. Les nouvelles reçues depuis les unités de première ligne étaient loin d’être bonnes. Nous croisions des convois de blessés évacués vers l’arrière. Un lieutenant nous révéla combien nos forces étaient insuffisantes car nous avions devant nous les huit régiments bavarois du treizième corps d’armée, alors que nous ne disposions que d’un faible rideau de troupes.
Nous sommes parvenus le 7 septembre à 18 h 30 sur les objectifs qui nous ont été assignés à Erizé la Grande. Nous nous déployons derrière la voie ferrée et la gare de la Vaux-Marie sur la voie du Chemin de fer Meusien allant de Bar-le-Duc à Verdun. L’ennemi est proche de nous. Il est vingt heures et les balles commencent à siffler. Nous nous emparons de la petite gare de Rembercourt, grimpons la colline et occupons la ferme de la Vaux-Marie. Avec ses quatre bâtiments, un ravin et un bouquet d’arbres, elle représentait un point stratégique dominant les environs. En bas se trouve la source de l’Aisne.
L’ennemi avait profité de l’obscurité pour se mettre à l’abri de notre artillerie. Par malchance il pleut à torrents. Nous contre-attaquons le 8 septembre dans la boue crayeuse qui colle aux semelles et ne nous quitte plus. Nous parvenons cependant à rétablir la situation un moment compromise. L’ennemi nous bombarde et prépare une attaque. Nous creusons des créneaux individuels dans le talus de la voie ferrée.
Au soir du 9 septembre, nous occupons la ligne de défense entre Fontaine-Saint-Louvent et la station de la Vaux-Marie. Nous attendons l’attaque. Elle se produit dans la nuit du 9 au 10 septembre à minuit. La bataille de la Vaux-Marie venait de commencer. Les unités d’assaut de leur cinquième armée s’étaient formés en colonnes parallèles, très proches l’une de l’autre et précédées d’un rideau de tirailleurs. La nuit était opaque et l’ennemi utilisait toutes les ressources du camouflage. Une sentinelle du 106ème RI, bien qu’ayant du mal à garder les yeux ouverts, s’était rendue compte que des gerbes de blé ne se trouvaient plus à la même place qu’auparavant, mais se déplaçaient peu à peu en notre direction. Il était temps qu’il alerte son chef de section, car les Allemands étaient arrivés à peu de distance de nos postes avancés.
Ferme de Vaux-Marie
Ils nous attaquèrent en même temps qu’ils faisaient sonner le clairon du cessez le feu français pour brouiller davantage notre situation. A gauche on réussit à contenir le choc allemand. Par contre, à droite, on est débordé. Les Allemands occupent alors la ferme de la Vaux-Marie à laquelle ils mettent le feu. Nous nous battons à la lueur de l’incendie, éclairés par les flammes qui fusent vers le ciel, éparpillant leurs flammèches qui retombent comme des lucioles.
Nous n’aurions jamais imaginé une nuit aussi sanglante, ni être la victime des ruses de l’ennemi. Nous avions entendu la sonnerie d’une charge vers Rembercourt, puis une marche funèbre suivie du cri: « Français, ne tirez pas ! ». Pensant nous troubler davantage encore, les Allemands franchissaient nos tranchées en pleine nuit en criant: « France 106 ! ». C’était le régiment qui luttait à nos côtés. Mais nous n’avions pas le temps de nous indigner de leur duplicité, bien trop occupés que nous étions à faire des cartons sur eux quand ils sautaient au dessus de nos tranchées. Dans de telles conditions, que nous reste-t-il sinon de tirer sur tout ce qui bouge ?
Nos compagnies qui défendaient la voie ferrée avaient lutté toute la nuit avec acharnement. Leurs deux capitaines y trouvèrent la mort. Le dernier, blessé et épuisé, avait demandé à l’un de ses hommes de lui préparer un fusil et une baïonnette, n’ayant plus la force de la fixer lui même. On l’a retrouvé le lendemain, crispé sur son arme.
Notre quatrième compagnie a vu l’incendie de la ferme sur sa droite avant que l’ennemi ne réussisse à s’infiltrer entre elle et les autres unités. Nous fusillons à bout portant les vagues d’assaut de l’ennemi. Certaines de nos compagnies s’étaient trouvées encerclées par suite de la fatigue, des ruses allemandes et de l’obscurité. Le jour s’étant levé, nous pouvions voir ce qu’avait donné le carnage de la nuit. Les ravins étaient remplis de morts, certains tombés assis les uns sur les autres. Sans doute ai-je tout au moins tué l’Allemand tombé à mes coté. Parmi tous ces morts anonymes, la mort que je lui avais donnée me le rendait tout à coup plus proche de moi. Ses traits reflétaient encore sa surprise devant la mort brutale qui le faucha en pleine jeunesse. Il avait néanmoins le visage serein et ses yeux grands ouverts visaient quelque vague image dans l’infini des cieux. C’était un uhlan wurtembergeois. Un petit livre noir sortait de sa poche. C’était un livre de prières et de chants religieux protestants que j’ai ramassé machinalement. Ne sachant pas l’allemand, il ne pouvait me servir à quoi que ce soit, sinon à me causer un certain remords. Nous avons au fond le même Dieu. La guerre était terminée pour lui. Il n’en était pas de même pour moi ».
A suivre…

Chronologie générale de la 6ème semaine (Source : Wikipédia) :

7 septembre :
Von Kluck replie son centre sur l'Ourcq. Une brèche se forme entre lui et la IIe armée de Von Bülow. Von Kluck doit faire face à Maunoury sur sa droite, à Franchet d'Esperey sur sa gauche. Von Bülow est attaqué au centre et sur sa droite par Franchet d'Esperey et menacé sur son aile gauche par la IXe armée de Foch.
8 septembre :
Victoire allemande des lacs Mazuriques en Pologne sur les Russes, qui confirme la victoire allemande de Tannenberg (Stębark) (fin le 15 septembre). Les Russes se replient vers la frontière russo-allemande originelle.
Maubeuge est prise par les troupes allemandes.
Les Russes écrasent les Autrichiens à Lemberg (fin le 12 septembre).
9 septembre :
Le général Von Moltke ordonne la retraite des armées de l'aile droite allemande et l'arrêt de l'offensive contre le Grand-Couronné où Castelnau résiste depuis le 5.
10 septembre au 13 septembre :
Retraite générale des armées allemandes jusqu’à l’Aisne, la Vesle et la Suippe.
La première bataille de la Marne est gagnée par les Français.