29ème semaine
Du lundi 15 au dimanche 21 février 1915
LA GUERRE DES MINES EN ARGONNE
Emile-Félix Gascuel, 7ème régiment du Génie,
mort le 19 février 1915 au bois de Malancourt (Meuse)
Emile-Félix Gascuel a 20 ans en février 1915. Il n’aura 21
ans que dans un mois, le 11 mars. Né à Anduze il habite à Montpellier, où il
est jardinier, au moment de la mobilisation. Avant même l’appel de sa classe
1914 il s’engage volontairement le 24 août pour une durée de quatre ans, il est
affecté comme sapeur-mineur de 2ème classe au 7ème régiment du Génie, basé en
Avignon.
Le rôle des sapeurs-mineurs était simple et dangereux :
il s’agissait d’aller creuser sous les lignes ennemies des sapes pour y faire sauter des mines juste avant l’assaut
des fantassins, de façon à bouleverser ses lignes de défense, tuer un maximum
de défenseurs et assommer les autres sous l’effet de l’explosion.
L’effet d’une mine sous une tranchée pouvait être
effroyable. En voici le récit fait par un soldat se trouvant près d'une explosion : « Un tremblement se produit sur notre gauche. C’est comme un geiser qui
fuse dans les airs, avec la différence qu’au lieu d’être de l’eau, c’est une
pluie de boue et de matériaux de toutes sortes, ainsi que des êtres humains
saisis par l’avalanche. C’est une mine allemande, juste au-dessous de notre
première ligne, que l’ennemi vient de faire sauter. Dès la fin du
bouleversement causé par la mine, un cri d’horreur sort de nos poitrines. Dans
ce décor hallucinant, des corps hachés, des têtes horribles à voir, un liquide
noirâtre de sang coagulé a jailli sur tout ce qui se trouve dans ce cratère,
les outils de terrassement sont réduits à leur plus simple expression, rien n’a
subsisté, le fer a fondu, le bois a brûlé, les chairs sont calcinées, la terre
elle-même n’a plus de couleur ».
L’article suivant
est paru en juin 1915 dans le journal Le Matin :
« Tout au long de la tranchée, ce sont
maintenant les coups cadencés des pioches et le bruit de la terre que les
pelles projettent. Soudain, de chantier en chantier, un ordre court : Cessez le
travail. C’est l’heure de l’écoute. L’écoute ! Heure impressionnante entre
toutes dans cette guerre de mines, moment où l’on va tâcher de discerner
l’avance sournoise des autres vers nous ; où l’on va, au bruit souterrain de
leurs outils, déterminer leur marche, leurs projets, la minute, peut-être, où
ils tenteront de nous faire exploser. Dans cette guerre sans merci, ce n’est pas
seulement du ciel sillonné d’obus que vient la mort ; ce n’est pas seulement à
la surface du sol qu’elle rampe parmi le crépitement sec des mitrailleuses ;
c’est encore là, à 12 ou 15 mètres du sol, qu’elle vous guette et traîtreusement vous frappe en pleine sécurité, parfois en pleine victoire. La
mine souterraine, la sape, c’est un peu pour nous ce qu’est le sous-marin pour
l’équipage du navire !
- Venez ! Le lieutenant de génie qui, dans notre
secteur, dirige, depuis de longues semaines, les travaux de sape et de
contre-mine, m’entraîne à sa suite dans les méandres de la tranchée. A nos
pieds, sous un abri, un puits s’ouvre, sombre, profond, à l’haleine fétide. Un
treuil le chevauche, où s’enroule un cordage qui remonte les seaux de terre et,
au besoin, les cadavres. A côté ronfle un ventilateur. C’est l’entrée de la
sape. L’orifice mesure 1 mètre de diamètre et, du haut en bas de la paroi,
c’est-à-dire sur une profondeur de 15 mètres, court une échelle de corde que
fixent, de distance en distance, des fils de fer. Par cet escalier de fortune
on ne peut descendre qu’un à un, et encore faut-il que les mains se cramponnent
fortement, tandis que les pieds mal assurés recherchent les échelons inégaux.
A côté du lieutenant, me voilà maintenant au fond de
la mine. Dans la galerie qu’éclairent faiblement des lampes à huile, les hommes
attendent, l’outil au poing, et ils écoutent. Ils écoutent, à travers cette
terre, les coups sourds et rythmés des pioches et des pelles, tous les bruits
que fidèlement elle leur transmet et qui leur dévoilent le travail qui
s’exécute et le danger qui vient. A mon oreille, pourtant ardemment tendue,
tous ces sons paraissent vides de sens, confus, lointains. Mais eux, les hommes
d’écoute, ils savent. Ils travaillent, murmure le lieutenant. Il n’y a point de
doute. Ces gens sont d’une admirable persévérance. Les voilà qui reprennent à
pied d’œuvre une sape que nous leur avons, il y a quinze jours, complètement
démolie. A ce moment, nous avancions à la contre-mine, c’est-à-dire non pas pour
arriver jusqu’à leur tranchée, mais plutôt pour protéger la nôtre. A l’écoute,
nous en avions eu la certitude, ils avançaient sur nous très rapidement. La
direction exacte, la profondeur, à cause de certaines difficultés locales, nous
ne pouvions les savoir très exactement. Malgré tout, on travaillait ferme, on
travaillait avec, au cœur, ce sacré petit pincement qui vous prend lorsqu’on se
demande : « Pourrons-nous, à temps, leur barrer la route ? » Et cela,
voyez-vous, la responsabilité de toutes ces vies humaines, cela vous fait le
bras rudement fort et donne à votre oreille une incomparable finesse. Nous
n’avions plus le temps de passer en dessous, on décida de passer à côté. Ne
pouvant les faire sauter de bas en haut, nous allions leur flanquer un « camouflet
», c’est-à-dire, sacrifiant une partie de notre sape, écraser la leur. On les
entendait maintenant avec une prodigieuse netteté, on ne les entendait pas
seulement travailler, on les entendait tousser. La victoire allait appartenir à
celui qui, une minute avant l’autre, prendrait la décision suprême. En ces
moments dramatiques, je vous l’affirme, j’aurais voulu que vous puissiez voir
mes hommes. Chaque coup de pioche qu’ils donnaient pouvait être le dernier,
chaque seconde de retard pouvait être employée par l’ennemi à préparer sa mine
; et c’est avec méthode, avec sérénité que tous ces hommes travaillaient. Ce
fut un magistral « camouflet ». Ce mur que vous voyez, nous avons dû l’élever
pour calfeutrer dans le boyau de sape les gaz délétères dont l’explosion
l’avait empli. Malgré tous nos efforts, il se fait parfois des fissures et
alors, comme l’autre jour, en dépit des ventilateurs, en dépit de toutes les
précautions, c’est un pauvre « bonhomme » qui succombe. Il n’y a pas que
vous, là-haut, qui ayez les gaz asphyxiants ».
Explosion d'une mine |
Il arrive aussi que
les sapeurs-mineurs soient chargés d’établir d’urgence des ponts pour permettre
à l’infanterie le passage des rivières. C’est ainsi que l’une des compagnies du
régiment a gagné une citation à l’Ordre de l'Armée : « A pu assurer, du 4 au 13 janvier 1915, par
un travail constant et des plus pénibles, nécessitant souvent l'immersion des
sapeurs jusqu'à la ceinture, en raison d'une crue persistante et exceptionnelle
de l'Aisne, la conservation des ponts et passerelles sur supports flottants. A
lancé le 13 une passerelle sous un feu violent d'artillerie ».
En fait un régiment
de Génie n’était jamais rassemblé au même endroit, pour accomplir la même
tâche. Il était composé de près d’une centaine de compagnies, chacune d’une
centaine d’hommes, qui allaient là où l’on avait besoin d’eux.
A la mi-février 1915
la compagnie du 7ème Génie dont fait partie Emile Gascuel travaille au bois de
Malancourt (Meuse) en Argonne.
Dans ces bois et sur
ces collines, comme nous l'avons vu précédemment, les combats n’ont pas cessé
de se montrer particulièrement féroces. Dans cette région les Allemands avaient
disposé des unités d'élite, et une forte proportion de pionniers et de sapeurs
très bien dotés en matériel, rompus aux procédés de la guerre de siège et
animés d'un esprit offensif extraordinaire menaient la vie dure aux troupes
françaises, souvent réduites à la défensive. Si nous avions perdu relativement
peu de terrain dans ces attaques presque quotidiennes, en revanche nous avions
subi de très lourdes pertes.
Fin janvier, une
puissante attaque allemande avait rompu notre première ligne sur une largeur de
500 mètres, entre la lisière ouest de l'Argonne et la route de Bagatelle. Nous
n'arrivions pas à reconquérir le terrain perdu. Le général Sarrail estima que
seule l'offensive reprise à bref délai par son armée pouvait redonner aux
troupes le moral que les échecs précédents lui avaient enlevé. Il proposa une
double action offensive dans les zones libres qui encadrent l'Argonne à l'est et
à l'ouest. Mais l'attaque à l'est fut seule approuvée par le Généralissime
Joffre, en raison de la faiblesse des réserves dont il pouvait disposer.
Cette attaque est
lancée le 17 février sur Vauquois. Après l'explosion de nombreux fourneaux de
mine, le 31e régiment d'infanterie réussit à pénétrer dans le village, mais il
est refoulé par une contre-attaque ; le 76e est arrêté dès sa sortie des
tranchées par le feu des mitrailleuses ennemies. Finalement l’offensive est un
échec, les lignes étant restées à peu près là où elles se trouvaient
auparavant.
La compagnie 15/1 a
été citée pour son action lors de travaux de mines effectués dans les bois de
Malancourt : « grâce à l’activité de
tous les sapeurs dans l’exécution des galeries creusées à travers un terrain
difficile ils ont enrayé les projets de l’ennemi par les explosions provoquées
en temps opportun ». On ne sait si le sapeur Gascuel faisait partie de
cette compagnie, mais c’est bien au bois de Malancourt qu’il est mort le 19
février 1915.
A
suivre…