30ème
semaine
Du lundi
22 au dimanche 28 février 1915
L’EXPLOSION
DU TORPILLEUR DAGUE
Emile-Auguste
Boudouric, matelot-chauffeur de 2ème classe,
Mort le 24
février 1915, dans le naufrage de son navire
Emile-Auguste
Boudouric, né le 18 mai 1894 à Saint-Sébastien d’Aigrefeuille, est orphelin
très tôt. Il a pour tuteur Louis Pellet, domicilié à Anduze. Il est plutôt
petit (1m57), et travaille comme agriculteur. Dès qu’il a 18 ans, il se rend à
Toulon et signe un engagement de 5 ans dans la marine. Il se forme rapidement
comme apprenti-électricien, puis il est affecté sur le contre-torpilleur Dague comme
matelot-chauffeur de 2ème classe.
Cette spécialité est
l’une des plus rudes et probablement les plus ingrates à bord. Le matelot
soutier ou chauffeur travaille principalement dans les entrailles des navires à
maintenir constant le niveau de charbon pour alimenter les machines à vapeur et
à écouter les « bruits » du navire. De longues heures s’écoulent ainsi sans
voir la lumière du jour et dans une chaleur infernale.
Le 24 février 1915
la Dague se trouve dans la mer Adriatique, à Antivari, près du royaume du Monténégro.
C’est déjà là qu’avait eu lieu le 16 août 1914 une première bataille navale
entre la flotte austro-hongroise et les flottes alliées. Un navire autrichien a
été coulé, le croiseur léger Zenta. Depuis, le rôle des navires français
consiste surtout à protéger le trafic des marines marchandes.
La Dague est un
navire récent (1912), il est équipé de 2 canons de 100, 4 pièces de 65, et de 4
tubes lance-torpilles. Son équipage est de 94 hommes, plus 5 officiers.
Marins de la Dague au repos à Toulon |
Le navire est
commandé par le lieutenant de vaisseau Bouquet. Voici son rapport sur la perte
de son navire :
« C’est
au cours d’une expédition faite à Antivari pour protéger le bâtiment de
commerce WHITBREAD, porteur de matériel pour le gouvernement monténégrin, que
le DAGUE a péri.
DAGUE et FAULX étaient plus spécialement chargés
d’assurer le passage du cargo à travers
les mines du large et de faciliter son accostage à la jetée.
Aucun navire autrichien n’avait été signalé et aucun
projecteur ennemi n’était visible sur la côte. Les conditions paraissaient
d’autant plus favorables que l’approche se faisait de nuit, par ciel couvert.
05h30 nous
avons suivi l’alignement ordinaire d’entrée Pointe Volovion – Villa du roi de
Montenegro
06h00 DAGUE
était devant le WHITBREAD à 6 nœuds et FAULX assez éloigné devant pour draguer.
Les torpilleurs de soutien restaient par tribord arrière.
07h30 nous
croisons le FAULX à 300 m sur babord, qui ressortait toujours en draguant.
07h45 Stoppé à
proximité du coffre situé en dedans de la jetée. Amené canot et youyou pour
mener à terre 30 hommes du PATRIE et du JUSTICE, passagers à notre bord et qui
devaient participer au déchargement du WHITBREAD. Le WHITBREAD s’amarre
rapidement. Les corvées du PATRIE et du REPUBLIQUE déjà mises à terre par le
FAULX vont monter à bord.
08h30 remonté
canot et youyou et fait route vers le FAULX qui rentrait ayant remonté sa
drague. Lui demande au porte-voix « Dois-je mouiller ? » Réponse « Oui, mais vers le large ».
Mouillé et pris les dispositions de veille : canons
armés, tubes pointés et prêts à tirer, car nous nous attendions à l’arrivée
d’aéroplanes autrichiens. Personnel passerelle et machine à son poste. Quelques
hommes se reposent dans les postes, mais tout habillés en exécution des ordres
que j’avais portés au journal de navigation.
09h40 Une explosion est entendue, peu violente par le
bruit, mais suivie de vibrations violentes du bâtiment. Aucun doute pour
personne, nous avons été sérieusement touchés. De la vapeur s’échappe à flots
des machines, une chaudière a été défoncée. Le youyou a été arraché de son
bossoir. Les soubresauts du pont se répètent, de plus en plus violents et de
plus en plus amples. Le bâtiment se disloque instantanément.
L’officier de quart donne aussitôt l’ordre de mettre
les embarcations à la mer. Mais la baleinière, trop bien saisie, ne peut être
débordée ; les hommes tentent alors de couper sangles et garants de l’autre
canot, mais celui-ci s’enfonce complètement dans l’eau avant même d’être
dessaisi et ils se retrouvent précipités à la mer avec l’officier de quart.
Celui-ci nagea vers l’arrière du bâtiment, tandis qu’une partie des hommes
tentaient de gagner la jetée.
La situation était aussi critique sur l’arrière. La
machine s’était instantanément remplie et le bâtiment s’était redressé à 70°.
L’officier en second, le maître mécanicien et d’autres furent projetés à la
mer. Certains autres s’accrochèrent à ce qu’ils purent trouver, en particulier
au roof arrière, au treuil de dragage et surtout dans les filets et filières
garde-corps. Ce fut mon cas. D’autres enfin nagèrent vers la jetée, supportés par des flotteurs ou des ceintures de sauvetage.
De l’avant du DAGUE, on n’apercevait déjà plus rien et
l’arrière continuait à s’enfoncer avec les hommes accrochés en grappes à tout
ce qui pouvait résister. Il n’y avait
cependant aucun affolement et avec les officiers je n’eus pas de mal à empêcher
certains de se jeter à la mer. On travaillait même à larguer le canot de
sauvetage et les prismes de dragage. Le canot tomba convenablement mais se
creva et les deux hommes à bord se retrouvèrent dans l’eau. L’un d’eux disparut
définitivement. Les prismes furent largués.
10h20 le FAULX nous accoste et sauve tout ce qui
restait d’hommes et d’officiers sur l’épave du DAGUE. Le mouvement se fit assez
tranquillement. Dans un premier temps, croyant à une attaque de sous-marin, le
FAULX s’était rapidement éloigné pour éviter de subir notre sort.
Il résulte des témoignages que j’ai recueillis que les
dégâts provoqués dès le début par l’explosion ont été terribles dans les fonds.
On a ressenti un mouvement de soulèvement général. Tout s’est effondré dans
l’espace situé entre les deux mailles vides qui s’étend des soutes à munitions
avant jusqu’à celles de l’arrière. L’explosion a dû se produire à assez grande
profondeur sur bâbord. Aucun sillage de torpille n’ayant été aperçu, cela
m’incline à penser que nous avons heurté une mine posée là, en dérive. Un
sous-marin en surface ne serait pas passé inaperçu et un sous-marin en plongée
paraît peu probable en raison des difficultés d’atterrir de nuit au périscope
dans un tel chenal. De plus, un sous-marin ne se serait pas contenté d’une
seule torpille et aurait aussitôt attaqué le FAULX. Rapport fait le 25 Février
1915 sur le CASQUE et transmis au CF Robin, commandant la 1ère escadrille ».
Les disparus sont au nombre de 38, comportant surtout les mécaniciens et les chauffeurs de quart,
ainsi que quelques hommes qui étaient au repos dans les postes équipage et ne
purent s’échapper à temps. Emile-Auguste Boudouric en fait partie. Deux de ces hommes avaient été blessés, notamment le
quartier-maître mécanicien Boinot qui avait une jambe cassée et que ses
camarades tirèrent hors de l’eau au moyen d’une corde. D’autres furent admis à
l’hôpital, ayant absorbé une grande quantité de mazout. Enfin, quelques autres,
précipités à la mer, épuisés par le froid et la fatigue, se sont noyés.
Tous les officiers
ont survécu. Les rescapés rentrèrent en France sur le cargo qu'ils étaient
chargés d'escorter. Le commandant certifia que tous avaient fait leur devoir
autant qu’il était possible dans ces circonstances tragiques, que leur moral n’était
pas atteint et qu’ils étaient prêts pour de nouvelles expéditions.
Le Journal Officiel
du 6 août 1915 publia une citation à l’Ordre de l’Armée : « Le torpilleur d’escadre DAGUE appartenant à
l’Armée navale était commandé par le Lieutenant de Vaisseau BOUQUET. Il a coulé
sur une mine au mouillage d’Antivari le 24 février 1915. Coupé en deux par la
mine, il s’est englouti glorieusement avec le tiers de son équipage ».
A
suivre…