35ème
semaine
Sur l’ensemble
du front
Un nouvel
uniforme pour les soldats français
Dès le début du XXe
siècle, les grandes armées comprennent l'intérêt des tenues sobres et pratiques.
Les Anglais, les premiers, dès la fin de la guerre du Transvaal, adoptent en
1902 un habit élégant et confortable de couleur kaki, tirée d'une plante
tinctoriale couramment utilisée dans leur empire des Indes. Mettant à profit
les enseignements de la guerre de 1905, les Russes et les Japonais choisissent
des uniformes discrets, de couleur verdâtre pour les premiers, olive pour les
seconds. Les Allemands optent, à partir de 1907, pour une tenue de campagne
soignée et peu voyante, de teinte Feldgrau, suivis en 1909 par les Italiens qui
adoptent un uniforme gris-vert. Ces armées améliorent également les équipements
dans l'intérêt du soldat.
En France, le
fantassin est toujours vêtu du pantalon rouge-garance et se distingue, été
comme hiver, par une longue et inconfortable capote gris fer bleuté. Chaque
armée a ses propres coiffures, couleurs et distinctions. À partir de 1889, des
essais d'uniformes, d'équipements et de couvre-chefs ont été proposés et même
expérimentés, mais l'opposition est forte, le coût financier important et les
indécisions ministérielles permanentes. Le rouge-garance (à l'origine un
colorant naturel obtenu à partir des racines d'une petite plante
méditerranéenne), c'est la France, et beaucoup doutent ou contestent
l'importance de l'invisibilité dans le combat. On croit encore à la valeur du
corps exposé et vertical du soldat. C'est seulement en juillet 1914 que
Messimy, le ministre de la Guerre, annonce un nouvel uniforme pour l'armée
française. Comme il n'était pas envisageable d'adopter une couleur déjà
utilisée par d'autres armées et qu'il avait été constaté que des tirs sur des
cibles violacées étaient plus difficiles, le ministre propose l'adoption d'un
nouveau drap dit tricolore. C'est un mélange de laines bleues, blanches et
rouges. Ainsi, l'honneur est sauf ou presque. Depuis les années 1880, le
colorant rouge utilisé pour teindre le drap de laine militaire ne provenait
plus en effet de la culture méditerranéenne de la garance, mais d'une teinture
chimique, l'aniline, fabriquée en Allemagne par la Basf (Badish Aniline Soda
Fabrik).
La guerre survient.
L'armée française part habillée de neuf, mais dans ses tenues voyantes, proches
de celles du Second Empire. Les envois allemands d'aniline cessent évidemment
et la fabrication du nouveau drap tricolore est rapidement stoppée. Mais au
bout de deux mois de campagne, il faut remplacer les centaines de milliers
d'effets usés, déchirés, troués, et relancer en urgence la production de draps
et la confection de capotes et de pantalons. Le démarrage est difficile. Les
grandes manufactures lainières, celles du nord de la France, se trouvent
maintenant dans les régions occupées par l'ennemi et travaillent pour lui. Les
Anglais nous fournissent la teinture violacée indigo, puis les industriels
français reprennent les fabrications de draps, mais sans utiliser de rouge. Le
bleu clair s'impose tout naturellement, plus connu sous le nom de "bleu
horizon".
C'est après la
victoire de la Marne que l'état-major décide d'adopter la couleur bleu horizon,
mélange de laine blanche (35%), bleue foncée (15%) et bleue claire (50%). La
réforme est immense et l'armée française présentera un aspect très dépareillé
jusqu'à la fin 1915, à cause des solutions de fortune adoptées dans l'urgence,
des modifications portées aux anciens uniformes, des modifications apportées
aux nouveaux effets, des pénuries et de la lenteur des approvisionnements.
Les nouveaux uniformes de 1915 |
Témoignage du
légionnaire Blaise Cendrars : « Nous
avions touché le Képi, le fameux "pot de fleur", et portions la
capote d'infanterie de ligne. L'intendance était démunie, on nous avait
distribué des vareuses des pompiers de la ville de Paris et des pantalons bleus
d'artilleurs, à larges bandes rouges. Ces pantalons eurent le don d'exaspérer
le général de Castelnau quand nous montâmes en ligne... Alors, aussitôt
descendu de Rosières où nous avions fait de si brillants débuts, on nous fit
découdre nos pantalons et arracher ces larges bandes rouges réservées aux
artilleurs. Or, ces pantalons étaient de première qualité et façonnés comme on
ne le fait plus; les bandes rouges prises dans la couture étaient aussi
largement ourlées à l'intérieur qu'elles étaient étalées à l'extérieur. Il
fallut défaire et arracher tout ça, et comme la plupart des hommes ne savaient
pas coudre, le résultat de ce beau travail fût que nous passâmes l'hiver en
loques, les coutures béantes ou ne tenant pas, laissant voir la peau,
maintenues par des épingles à nourrice et des agrafes faites avec des bouts de
fil de fer, les jambes du pantalon faisant des plis en accordéon, des
boursouflures aux genoux et des crevés aux cuisses. En décembre nous touchâmes
des pantalons rouge garance, puis, huit jours plus tard, des housses en toile
bleue à revêtir par dessus pour cacher ce rouge par trop voyant. Puis, dans les
mois suivants, et de quinze jours en quinze jours, tous les modèles de tenue
que les tailleurs des bureaux de l'intendance imaginaient au ministère à Paris
pour moderniser l'aspect extérieur du pioupiou français, trouver un modèle
adéquat aux nécessités de la guerre et des teintes de camouflages allant du
jaune de Naples sali au blanc crayeux, en passant par toutes les nuances fanées
ou rouillées du réséda et du kaki avant d'opter définitivement pour le bleu
horizon.
Jamais nous n'avons vu autant d'officiers supérieurs s'occuper de
nous. Je ne sais pas pourquoi notre régiment - et spécialement notre 6°
compagnie - fut spécialement choisi pour servir d'expérience à ces fantaisies
vestimentaires. Mais comme ces nouveaux effets n'arrivaient que par petits
paquets, nous ne fûmes jamais plus de deux poilus à être habillés de façon
identique, si bien que nous faisions tache et que sur la route le régiment-caméléon
défilait maintenant comme une mascarade versicolore, et je ne sais pas ce que
le général de Castelnau en eût alors pensé... Seulement quel gâchis ! Chaque
fois que l'on changeait de tenue, on brûlait la précédente, même si elle
n'avait été portée que huit jours, et quand à la fin du printemps tout le
régiment fut uniformément habillé de la tenue bleue horizon, le régiment fût
versé dans la Légion et nous touchâmes l'uniforme kaki de la Légion d'Afrique
(division marocaine) et la tenue bleue horizon que le régiment venait de
revêtir fût également brulée quoique toute neuve ».
Mais tous ces
uniformes, il fallait les fabriquer, sur une immense échelle… L’un des
principaux producteurs fut la manufacture Balsan de Châteauroux.
En 1910, cette
manufacture produisait déjà 600 000 mètres de draps, essentiellement des tissus
d'uniformes. La guerre étendit prodigieusement cette fabrication : il y
eut en France près de huit millions d’hommes mobilisés.
A
suivre…